Entretien de Jean-Pierre Chevènement à La Gazette, propos recueillis par Jean-Baptiste Forray, 1er décembre 2017.
La Gazette: Que vous inspire la déclaration d’indépendance de la Catalogne ?
Jean-Pierre Chevènement: La Catalogne dispose déjà de très larges pouvoirs en tant que région autonome. Elle veut maintenant récupérer les impôts qu’elle verse à Madrid. C’est une revendication de riches, à l’instar de la Flandre en Belgique ou de la Lombardie en Italie. Cette vague des séparatismes porte la marque de la crise des Etats. Elle est intimement liée aux fractures que provoque la mondialisation. Avec l’Europe des régions, Bruxelles a contribué à favoriser les illusions de certains dirigeants séparatistes comme ceux de la Catalogne qui s’attendaient à trouver dans la Commission européenne un point d’appui. Il n’en a rien été. Les traités européens précisent que l’intégrité des Etats qui composent l’Union ne saurait être remise en cause. Par conséquent, nous assistons à un fort retour de balancier. Beaucoup s’aperçoivent que l’Europe ne peut être bâtie que sur le socle des Etats. La revendication catalane n’est-elle pas une manifestation du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes ? Les Catalans, enfin une petite moitié d’entre eux, peuvent considérer qu’ils forment une Nation. Ils pourront s’exprimer légalement, d’ici la fin de l’année, pour ou contre l’indépendance. Encore faut-il que le reste de l’Espagne donne son consentement. Un peuple n’accède pas facilement à une existence reconnue par les citoyens et, surtout, par les autres peuples. La France possède une histoire millénaire. Pour s’affranchir de l’Angleterre, il lui a fallu la guerre de cent ans. La France a toujours entendu rester en dehors du Saint-Empire romain germanique. Un vieux proverbe médiéval disait : « Le roi est empereur en son royaume ». Tout cela a entraîné beaucoup de luttes et de guerres. Et, finalement, les Européens ont admis entre eux qu’il existait le Royaume-Uni, la France, l’Espagne, l’Allemagne, etc. Toute fraction de ces populations n’a pas vocation à se déclarer peuple. La création d’un « démos » est une œuvre historique de très longue haleine.
le 3 Décembre 2017 à 21:58
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Commentaires (1)
Intervention de Jean-Pierre Chevènement au colloque de la Fondation Res Publica, L’Ecole au défi de l’intégration républicaine, 27 novembre 2017.
Mes remerciements vont bien évidemment d’abord aux intervenants dans ce colloque auquel la Fondation attache une particulière importance à la mesure des enjeux de l’Education et des défis auxquels notre pays est confronté.
L’importance du sujet nous a fait choisir d’y consacrer une après-midi entière de 14h30 à 19h, autour de deux tables rondes. J’introduirai la première et laisserai Marie-Françoise Bechtel, vice-présidente de la Fondation, le soin d’animer la seconde. La tâche de l’Ecole républicaine est de former des citoyens. Dans les programmes de 1882, l’instruction morale et civique vient en tête. I. L’hétérogénéité croissante de la société française actuelle nourrit la crise de l’Ecole républicaine. Cette hétérogénéité s’est cristallisée sur la jeunesse née de l’immigration, pourtant elle-même extrêmement diverse, comme le montrent les enquêtes et travaux réalisés par le lycée Le Corbusier d’Aubervilliers. 1974. Le regroupement familial a changé la nature de l’immigration moins de travail que de peuplement. Or c’est aussi la fin des « Trente Glorieuses » et le début d’une crise économique marquée par l’apparition d’un chômage de masse durable qui frappe particulièrement les jeunes. 1981. Vénissieux. Les Minguettes s’enflamment alors que la gauche vient d’arriver au pouvoir. « La Marche des Beurs » manifeste la pérennité de la croyance aux valeurs d’égalité de la République. Intervention de Jean-Pierre Chevènement au colloque de la Fondation Res Publica du 21 novembre 2017 "Max Gallo, la fierté d'être français".
1. Ce qui dominait chez Max c’était l’empathie naturelle, la simplicité, la capacité, comme l’a dit Philippe Meyer, de créer de la fraternité, c’était la puissance généreuse de son intelligence, sa capacité à aller à l’essentiel, par exemple, ce qu’il appelait après Braudel « la problématique centrale de la nation ».
Max disait : « J’ai toujours eu le désir de comprendre comment cela fonctionne ». Il excellait à décentrer ou plutôt à recentrer votre regard en situant le problème dans la longue durée. Il n’était pourtant nullement un déterministe, encore moins un marxiste. Il croyait à la responsabilité des individus et particulièrement à la responsabilité des intellectuels. Parce qu’il croyait en la liberté, il n’écartait pas la possibilité du surgissement d’un « génie » individuel. 2. Nos relations se sont nouées après son départ du dernier gouvernement Mauroy, auquel d’ailleurs je ne participais plus. Le ralliement de François Mitterrand et du PS au néolibéralisme ambiant, au prétexte de l’Europe à construire, éloignait progressivement le CERES de François Mitterrand. La guerre du Golfe et la lecture du Traité de Maastricht achevèrent de nous rapprocher. Max n’avait pas le lien affectif qu’avait créé, entre François Mitterrand et moi, le Congrès d’Epinay et la mise sur orbite de l’union de la gauche, quinze années durant. Max fut après Jacques Berque, mais aussi avec Didier Motchane et Régis Debray, un de ceux qui m’aidèrent à franchir le pas difficile que me dictaient aussi bien une connaissance du monde arabe qui remontait à la guerre d’Algérie que la vision de la montée du fondamentalisme islamique depuis 1979. Le jugement de Max sur les choix qu’opéra alors François Mitterrand ne s’encombrait pas de considérations affectives. Contribution de Jean-Pierre Chevènement, ancien ministre, Représentant spécial de la France pour la Fédération de Russie, à "La Lettre Diplomatique", dossier spécial consacré à la Russie et au 300ème anniversaire de l'établissement des relations diplomatiques franco-russes.
La rencontre à Versailles, le 29 mai 2017, des Présidents Macron et Poutine a ouvert la voie à une relation enfin raisonnable entre la Russie et la France après trois années difficiles consécutives à la crise ukrainienne. Certes, le « format de Normandie » a permis de créer une enceinte de dialogue depuis mai 2014 mais ce dialogue n'a pas encore permis d'aboutir à une complète normalisation de nos relations. Des forces puissantes s'exercent cependant pour faire de la question ukrainienne un abcès de fixation durable.
On le voit avec le vote d'un nouveau train de sanctions contre la Russie par le Congrès des Etats-Unis, sanctions qui portent directement atteinte aux intérêts européens, notamment en matière de politique énergétique. J'ai gardé le souvenir de la réponse que dans un autre temps, celui de l'URSS, le Président Mitterrand et le chancelier Kohl avaient su apporter à la prétention assez semblable qu'avait eu le président des Etats-Unis de l'époque, Ronald Reagan, d'empêcher la construction du gazoduc d'Urengoï, de la Sibérie vers l'Europe. Comme ministre de l'Industrie, j'avais été amené à réquisitionner, en 1982, l'usine de Dresser-France au Havre qui fabriquait les compresseurs nécessaires au fonctionnement du gazoduc. La fermeté européenne avait payé. Le gazoduc a été construit. Il en sera de même aujourd'hui dès lors que nous aurons la volonté de mettre à plat tous les problèmes qui nous opposent ou paraissent nous opposer. Entretien de Jean-Pierre Chevènement avec Orient XXI, propos recueillis par Nada Yafi, 26 octobre 2017.
Nada Yafi. — Près d’un an après sa création, la Fondation de l’Islam de France (FIF) est parfois confondue avec le Conseil français du culte musulman (CFCM). Quelle est la différence entre ces deux institutions ?
Jean-Pierre Chevènement. Elle est essentielle. S’agissant du CFCM, instance représentative du culte comme son nom l’indique, il a été créé en 2003 sous la forme d’une association loi 1901, à la suite de la consultation qu’en tant que ministre de l’intérieur j’avais lancée en 1999. Mais elle s’est faite selon des modalités que je n’avais pas envisagées, c’est-à-dire qu’il a fallu que Nicolas Sarkozy y mette la main, les élections du CFCM en 2003 ne pouvant, compte tenu des rivalités internes, départager un candidat qui fût reconnu par tous. Pour trancher le nœud gordien, Nicolas Sarkozy a d’une certaine manière imposé Dalil Boubakeur, le recteur de la grande mosquée de Paris, comme premier président du CFCM. Les élections suivantes ont donné la majorité à un Marocain, Mohammed Moussaoui, ce qui a entraîné peu après un retrait de la Grande Mosquée (GMP), mais aussi de l’Union des organisations islamiques de France (UOIF). Et par conséquent, cette représentation du culte musulman n’a jamais vraiment trouvé son équilibre. Les dernières élections ont eu lieu en 2012. Elles ont en fait débouché sur une sorte de présidence tournante entre les membres des trois fédérations qui représentent les pays d’origine, c’est-à-dire l’Algérie avec la GMP, le Maroc avec deux courants, le Rassemblement des musulmans de France (RMF) dirigé par Anouar Kbibech, et une autre sensibilité, l’Union des Mosquées de France (UMF) dirigée par Mohammed Moussaoui—, ainsi que le Comité de coordination des musulmans turcs de France (CCMTF) qui relève directement de la Diyanet, du ministère des affaires religieuses d’Ankara. Nous avons donc eu comme président de nouveau Dalil Boubakeur de 2012 à 2015, puis Anouar Kbibech de 2015 à 2017, et aujourd’hui Ahmet Ogras. Voilà pour la représentation du culte musulman, qui a le mérite d’exister, dont je ne vais pas dresser un bilan parce que ce n’est pas à moi de le faire. Hommage à Didier Motchane, par Jean-Pierre Chevènement, mairie de Montreuil, jeudi 2 novembre 2017.
Voici venu le moment de nous séparer ...
J’ai connu Didier il y a plus de cinquante ans. C’était à ma sortie de l’ENA. Je fus affecté en juin 1965 à la Direction des Relations Economiques extérieures, au bureau des Etudes. Le chef de bureau s’appelait Didier Motchane. Il était à peine rentré d’Iran où il avait été quelques années Conseiller Commercial. Il avait condensé son expérience dans l’austère revue à couverture vert sombre du Ministère de l’Economie et des Finances, sous un titre qui ne laissait pas d’interroger « Sur un marché persan ». La musique de Ketelbey accordée au pas du dromadaire montrait l’esprit facétieux du chamelier, à moins que ce ne fût celui du charmeur de serpents qui conclut ce morceau de bravoure. Le travail du « bureau des Etudes » consistait à publier mensuellement les statistiques du commerce extérieur de la France en redressant les chiffres que nous communiquait la Direction générale des Douanes et en l’assortissant d’un commentaire avisé. Cette tâche redoutable nous laissait quelques loisirs que nous employâmes d’abord à prolonger les déjeuners dans les restaurants qui environnaient le Quai Branly, là où s’élève aujourd’hui les coupoles dorées de la Cathédrale Orthodoxe, dessinées et recouvertes d’or pâle par Wilmotte. Je ne sais si l’inspiration divine était déjà là. Je venais d’adhérer avec Alain Gomez et Georges Sarre à la 14ème section de la Fédération de la Seine du parti socialiste. Didier était curieux. Le projet du Ceres encore balbutiant l’intéressait. Sa capacité d’abstraction lui en avait fait deviner les virtualités. Didier nous rejoignit donc à la 14ème section. Novembre 1965, François Mitterrand par la grâce de Waldeck Rochet, secrétaire général du PCF fut adoubé comme le « candidat unique de la gauche ». Il n’y avait pas grand monde autour de lui. Par l’intermédiaire de Pierre Soudet, un de mes anciens maîtres de conférences à l’ENA, nous voilà enrôlés comme petites plumes de François Mitterrand. Didier n’avait eu jusqu’alors qu’un rapport lointain à la politique. Ce qui l’intéressait c’était l’apparente folie du projet. Sa puissance d’abstraction lui faisait deviner les virtualités qu’il comportait pour une Histoire encore en gestation. Didier fit sien le projet du Ceres, lui donna sa formulation théorique et le développa partout avec cette forme d’éloquence créatrice d’énergie qui était sa marque.
Didier Motchane était une figure exceptionnelle. Sa disparition coïncide avec la fin du cycle d’Epinay. Didier Motchane a été avec Georges Sarre, Pierre Guidoni et moi-même, l’un des fondateurs du CERES, au mitan des années 1960. Il en a été ensuite l’infatigable animateur, comme de Socialisme et République et du Mouvement des Citoyens.
Son intelligence supérieure, sa vaste culture - il était poète à ses heures, son caractère ont porté l’exigence de notre mouvement et l’élan qu’il a donné à la gauche au-dessus de la grisaille de la « petite politique ». Depuis plus de cinquante ans, Didier Motchane a été à mes côtés une conscience exigeante et fidèle. Ses vues profondes ont éclairé notre chemin. Toute sa vie, il a été un bloc de courage, un homme magnifique. Cette grande âme a affronté la mort comme il avait mené sa vie, sans ciller. Sa mort me bouleverse profondément. Carnet de Jean-Pierre ChevènementCommuniqué de Jean-Pierre Chevènement, ancien ministre.
Je m’inquiète des inflexions données à la politique familiale à travers la baisse de l’allocation de base de la Paje (Prestation d’accueil du jeune enfant) et des projets dont le rapporteur général Olivier Véran (LREM) a fait état. Ce n’est pas un signe opportun alors que la natalité française décline fortement, elle est passée de 832 800 naissances en 2010 à 785 000 naissances en 2016 (chiffres de l’Insee). Le taux de fécondité qui était de 2 en 2014 est à 1,93 en 2016.
La France risque de perdre l’avantage comparatif que lui donnait une démographie robuste en Europe par rapport à l’Italie, l’Allemagne, l’Espagne, la Pologne et même la Russie, déjà entrées dans un ‘hiver démographique’ lourd de conséquences à venir. Si la tendance française se confirme, seule la Grande-Bretagne semble pouvoir échapper à terme à un vieillissement rapide de la population européenne par rapport à celle des autres régions du monde. |
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