Le Monde : Qu’attendez-vous de la visite sur l’île d’Emmanuel Macron, les 6 et 7 février ?
Jean-Pierre Chevènement : La visite en Corse du président de la République répond d’abord, me semble-t-il, au souci justifié de rendre hommage à la mémoire du préfet Erignac, lâchement assassiné par un commando nationaliste dans la nuit du 6 février 1998. Assassinat dont nul n’a perdu le souvenir, perpétré contre un homme qui refusait toute protection, alors qu’il symbolisait l’Etat dans l’île. A l’époque, une majorité de Corses avaient désapprouvé ce crime.
Aujourd’hui, les nationalistes appellent à manifester dans la rue à l’occasion de la venue du président de la République en Corse. Cet appel, particulièrement déplacé eu égard aux circonstances, est révélateur d’une méthode qui, depuis le début, c’est-à-dire depuis la fin des années 1970, n’a pas changé : exercer la pression maximale sur les autorités de la République pour les amener à reculer.
Que vous inspire la victoire des nationalistes en décembre 2017 et comment jugez-vous leur attitude depuis lors ?
La victoire des nationalistes en décembre 2017 couronne quatre décennies de reculades de la droite et de la gauche, des élus locaux (tels José Rossi et Paul Giacobbi, qui n’ont jamais hésité à s’allier aux nationalistes pour se faire élire), mais aussi des gouvernements. Ainsi, le statut de collectivité unique, faisant disparaître les deux départements, véritable statut de territoire d’outre-mer bis, a-t-il été rejeté par les électeurs corses consultés par référendum en juillet 2003. Douze ans après, le gouvernement l’a imposé par la loi NOTRe (2015) et par ordonnance (novembre 2016). Qu’en déduire donc sinon l’efficacité, dans la durée, de la méthode de la « mise sous pression » permanente des pouvoirs publics concédant un nouveau statut avant même que le précédent ait pu s’appliquer. Les nationalistes masquent ainsi par une surenchère permanente leur incapacité à gérer.
Jean-Pierre Chevènement : La visite en Corse du président de la République répond d’abord, me semble-t-il, au souci justifié de rendre hommage à la mémoire du préfet Erignac, lâchement assassiné par un commando nationaliste dans la nuit du 6 février 1998. Assassinat dont nul n’a perdu le souvenir, perpétré contre un homme qui refusait toute protection, alors qu’il symbolisait l’Etat dans l’île. A l’époque, une majorité de Corses avaient désapprouvé ce crime.
Aujourd’hui, les nationalistes appellent à manifester dans la rue à l’occasion de la venue du président de la République en Corse. Cet appel, particulièrement déplacé eu égard aux circonstances, est révélateur d’une méthode qui, depuis le début, c’est-à-dire depuis la fin des années 1970, n’a pas changé : exercer la pression maximale sur les autorités de la République pour les amener à reculer.
Que vous inspire la victoire des nationalistes en décembre 2017 et comment jugez-vous leur attitude depuis lors ?
La victoire des nationalistes en décembre 2017 couronne quatre décennies de reculades de la droite et de la gauche, des élus locaux (tels José Rossi et Paul Giacobbi, qui n’ont jamais hésité à s’allier aux nationalistes pour se faire élire), mais aussi des gouvernements. Ainsi, le statut de collectivité unique, faisant disparaître les deux départements, véritable statut de territoire d’outre-mer bis, a-t-il été rejeté par les électeurs corses consultés par référendum en juillet 2003. Douze ans après, le gouvernement l’a imposé par la loi NOTRe (2015) et par ordonnance (novembre 2016). Qu’en déduire donc sinon l’efficacité, dans la durée, de la méthode de la « mise sous pression » permanente des pouvoirs publics concédant un nouveau statut avant même que le précédent ait pu s’appliquer. Les nationalistes masquent ainsi par une surenchère permanente leur incapacité à gérer.
Les nationalistes réclament l’amnistie pour les prisonniers politiques, la référence à la Corse dans la Constitution, la co-officialité de la langue corse et du français, et l’adoption d’un statut de résident. Le président Macron a évoqué un « pacte girondin ». Quels pourraient en être les termes et quelles sont, selon vous, les lignes rouges à ne pas franchir ?
Le régime des prisonniers peut être adapté comme partout ailleurs sur le territoire de la République, mais il peut aussi ne pas l’être, compte tenu des symboles et des risques spécifiques que comporte l’incarcération sur l’île.
Je ne vois pas l’utilité d’introduire une référence à la Corse dans la Constitution. Ou alors, pourquoi pas pour le Territoire de Belfort ?
Le français est la langue de la République. La co-officialité du français et du corse fournirait un prétexte à la « corsisation » des emplois. Elle serait le début d’un engrenage infernal. A travers un droit à deux vitesses, l’adoption d’un statut de « résident » aboutirait à fracturer la citoyenneté française. L’octroi d’un tel statut conduirait à reconnaître, sur le modèle néo-calédonien, l’existence d’un « peuple premier ». Ce serait ouvrir la voie à la décomposition par scissiparité de l’unité française.
En matière de « girondinisme », je ne suis pas, à vrai dire, un expert, bien que j’aie apporté ma pierre à l’édifice de la décentralisation républicaine, s’agissant de la régionalisation des lycées, de la départementalisation des collèges et de l’intercommunalité. Je n’ai pas à me substituer au président de la République dans la définition de ses orientations, mais, en ce qui concerne l’aménagement du territoire, on peut toujours trouver un peu de grain à moudre.
La commémoration de l’assassinat du préfet Erignac peut-elle être l’occasion de dépasser certains antagonismes ?
Un crime reste un crime. Le fait qu’il ait été commis contre l’Etat ne saurait valoir circonstances atténuantes. N’oublions pas que l’assassin du préfet Erignac a bénéficié, pendant sa cavale et même après, de la complicité de la quasi-intégralité du camp nationaliste.
Peut-on établir un parallèle entre la situation en Corse et celle en Catalogne ?
Les tendances sécessionnistes qui se manifestent dans toute l’Europe (Ecosse, Flandre en Belgique, Lombardie-Vénétie en Italie) sont le produit tardif du thème démagogique de « l’Europe des régions » qui nous a été servi à satiété depuis plusieurs décennies et d’une mondialisation qui a ouvert l’Europe à tous les vents. Le creusement des inégalités et l’exaspération des concurrences ont fait le lit des séparatismes.
Il y a cependant une grande différence entre la Catalogne et la Corse : la Catalogne paye des impôts à Madrid. En Corse, c’est l’inverse : les transferts nets de Paris vers la Corse dépassent 2 milliards d’euros par an.
Le régime des prisonniers peut être adapté comme partout ailleurs sur le territoire de la République, mais il peut aussi ne pas l’être, compte tenu des symboles et des risques spécifiques que comporte l’incarcération sur l’île.
Je ne vois pas l’utilité d’introduire une référence à la Corse dans la Constitution. Ou alors, pourquoi pas pour le Territoire de Belfort ?
Le français est la langue de la République. La co-officialité du français et du corse fournirait un prétexte à la « corsisation » des emplois. Elle serait le début d’un engrenage infernal. A travers un droit à deux vitesses, l’adoption d’un statut de « résident » aboutirait à fracturer la citoyenneté française. L’octroi d’un tel statut conduirait à reconnaître, sur le modèle néo-calédonien, l’existence d’un « peuple premier ». Ce serait ouvrir la voie à la décomposition par scissiparité de l’unité française.
En matière de « girondinisme », je ne suis pas, à vrai dire, un expert, bien que j’aie apporté ma pierre à l’édifice de la décentralisation républicaine, s’agissant de la régionalisation des lycées, de la départementalisation des collèges et de l’intercommunalité. Je n’ai pas à me substituer au président de la République dans la définition de ses orientations, mais, en ce qui concerne l’aménagement du territoire, on peut toujours trouver un peu de grain à moudre.
La commémoration de l’assassinat du préfet Erignac peut-elle être l’occasion de dépasser certains antagonismes ?
Un crime reste un crime. Le fait qu’il ait été commis contre l’Etat ne saurait valoir circonstances atténuantes. N’oublions pas que l’assassin du préfet Erignac a bénéficié, pendant sa cavale et même après, de la complicité de la quasi-intégralité du camp nationaliste.
Peut-on établir un parallèle entre la situation en Corse et celle en Catalogne ?
Les tendances sécessionnistes qui se manifestent dans toute l’Europe (Ecosse, Flandre en Belgique, Lombardie-Vénétie en Italie) sont le produit tardif du thème démagogique de « l’Europe des régions » qui nous a été servi à satiété depuis plusieurs décennies et d’une mondialisation qui a ouvert l’Europe à tous les vents. Le creusement des inégalités et l’exaspération des concurrences ont fait le lit des séparatismes.
Il y a cependant une grande différence entre la Catalogne et la Corse : la Catalogne paye des impôts à Madrid. En Corse, c’est l’inverse : les transferts nets de Paris vers la Corse dépassent 2 milliards d’euros par an.