Lettre de Jean-Pierre Chevènement au Premier Ministre Manuel Valls, en réaction au rachat supposé de la branche Energie d’Alstom par General Electric, en date du 25 avril 2014. Une correspondance de même nature a également été adressée le même jour à M. le Ministre de l’Economie et du Redressement Productif Arnaud Montebourg.
Monsieur le Premier Ministre,
La presse économique (Les Echos du 25 avril 2014 et Le Figaro économie du même jour) annoncent comme très avancé le projet de rachat de la branche énergie (Alstom Power) par General Electric. Le groupe américain a déjà repris en 1999 la branche « turbines à gaz » quand Alstom a choisi de reprendre les turbines à gaz fabriquées en Suisse. Ce fut une énorme erreur à laquelle Alstom a failli ne pas survivre. Avec le recul de quinze ans, nous constatons que cette opération autorisée par le Gouvernement de l’époque a abouti à deux résultats : Alstom a vu sa part du marché dans les turbines à gaz, qu’elle fabrique désormais en Suisse, se réduire considérablement. Par ailleurs, General Electric, s’il a dans un premier temps développé ses fabrications à Belfort, tend aujourd’hui à relocaliser une part de ses fabrications aux États-Unis, ce qui correspond, semble t-il, aux orientations données par le Président Obama.
Rédigé par Jean Pierre Chevenement le 26 Avril 2014 à 09:08
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Commentaires (19)
Intervention de Jean-Pierre Chevènement au colloque France Russie organisé par l'Institut de Relations Internationales et Stratégiques (IRIS), jeudi 24 avril 2014.
Ma thèse est que la relation franco-russe, en 2014, doit rester dominée par ses fondamentaux : une relation enracinée dans l’Histoire de nos deux peuples que la commémoration du centenaire de la Première Guerre mondiale va encore illustrer, en rappelant le rôle qu’a joué le front russe de 1914 à 1917 dans la victoire finale des alliés ; relation nourrie par la complémentarité économique des deux économies et par l’intérêt réciproque de leur développement ; relation faite de l’attraction que deux des plus grandes cultures européennes exercent l’une sur l’autre ; relation politique et diplomatique enfin, entre deux puissances membres, à titre permanent, du Conseil de Sécurité de l’ONU, aucun grand problème à la surface de la Terre n’étant soluble sans le concours d’au moins un de nos deux grands pays et le plus souvent par le concours des deux, qu’il s’agisse de l’Afghanistan, de l’Iran, de la Syrie, du problème israélo-palestinien, de l’Ukraine, de la sécurité du Sahel, du développement de l’Afrique, de la lutte contre le terrorisme djihadiste partout où il se manifeste, du contrôle des armes nucléaires et de la paix dans le monde. Combien de sujets où il est nécessaire que nous parvenions ensemble à une vue plus générale et plus cohérente des choses, pour mieux servir la cause des hommes !
Bien sûr, il peut y avoir et il y a des divergences de points de vue entre nos deux pays, mais il y a surtout de puissants intérêts communs – ce n’est pas que mon avis car il est partagé par beaucoup de responsables politiques en France. Dans le cours du XXIe siècle, il y a toutes les raisons de rapprocher l’Ouest et l’Est de notre continent européen. C’est ainsi que nous serons fidèles à la vision formulée, en son temps, par le général de Gaulle, d’une « Grande Europe », existant par elle-même et pour elle-même, et allant de l’Atlantique non pas à l’Oural, mais jusqu’au Pacifique, jusqu’à ces rivages auxquels la Russie a reculé les limites de la civilisation européenne. Article de Jean-Pierre Chevènement à paraître dans le numéro de mai 2014 de la Revue Défense Nationale
Il serait tout à fait erroné de présenter la crise ukrainienne comme une « surprise stratégique ».
Une transition avec l’ère soviétique peu coopérative. Déjà en 2006, alors que Georges W. Bush était au milieu de son deuxième mandat, la question de l’entrée dans l’OTAN de l’Ukraine (et de la Géorgie) avait provoqué une mini-crise au sein même de l’Organisation entre l’Allemagne et la France, qui y étaient hostiles, et les Etats-Unis qui, en fin de compte, n’avaient pas trop insisté. C’est que l’Ukraine est le « gros morceau » d’un problème plus vaste, celui des ex Républiques soviétiques qui se sont détachées politiquement de la Russie, en décembre 1991, mais dont les liens de tous ordres avec elle demeurent étroits (minorités russes – étroitesse des relations économiques…) Le cas des Pays Baltes a été réglé par le retour au statut qui était le leur avant 1939 et leur inclusion dans l’Union européenne et dans l’OTAN. Mais partout ailleurs, une situation nouvelle s’est créée : en Ukraine, en Biélorussie, en Moldavie, dans le Caucase, en Asie centrale, ces pays anciennement soviétiques ont plus ou moins admis le principe de l’économie de marche, privatisé de larges pans de leur appareil productif, au bénéfice de quelques oligarques, eu recours à des élections plus ou moins transparentes pour désigner leurs dirigeants. De tous ces nouveaux pays, l’Ukraine est évidemment celui que la Russie considère comme lui étant le plus proche par l’Histoire (elle a fait partie de l’Empire russe depuis 1657), l’intensité des relations économiques, en particulier dans les régions industrielles de l’Est de l’Ukraine et enfin la culture (proximité linguistique-orthodoxie sauf dans la partie galicienne, catholique uniate, et tournée vers l’Europe Centrale, hier la Pologne, avant-hier l’Autriche-Hongrie).
Jean-Marc Ayrault, en grand honnête homme qu’il est, s’est acquitté loyalement d’une tache impossible. Au moment où il quitte Matignon, je tiens à lui exprimer toute ma sympathie et mon amitié.
Le défi que doit relever Manuel Valls n’est pas seulement un défi de communication. Bien sûr, chacun scrutera avec attention la composition d’un gouvernement que le Président de la République a présenté comme devant être un gouvernement de combat. Le départ des Verts peut être une bonne chose s’il permet de rompre avec une forme de technophobie dommageable, moins à la cohérence gouvernementale qu’à l’intérêt du pays. Manuel Valls a de grandes qualités : il comprend naturellement que la République est d’abord une exigence. Il a le sens de l’Etat. Mais l’ampleur des défis auxquels la France est confrontée, dans un monde en pleine mutation, requiert une vue d’homme d’Etat sur les marges de manœuvre dont notre pays dispose pour remonter le courant. C’est sur le redressement de l’Europe que sera jugé Manuel Valls : en effet, l’Europe actuelle, telle qu’elle a été pensée, ressemble au Titanic. Maintenir le cap de la monnaie chère et de la déflation conduirait inévitablement sur l’iceberg de la crise sociale et politique. Chacun sait qu’on ne peut faire changer rapidement de cap à un paquebot. Nous serons donc patients. Encore faut-il que la volonté existe : il appartient au gouvernement, et bien sûr au Président de la République, de convaincre l’Allemagne qu’il faut rompre, dans son intérêt même, avec une politique de déflation, de stagnation et de chômage que les pays de l’Europe du Sud ne pourront plus longtemps supporter. Ce travail de conviction doit être entrepris par des hommes eux-mêmes convaincus. Ce ne sont pas des résultats spectaculaires que nous attendons de la nouvelle équipe mais une cohérence d’ensemble au service de la France.
Les électeurs ont exprimé un mécontentement qui va bien au-delà du gouvernement et du Président de la République. Ce mécontentement traduit le rejet d’une politique de déflation mise en œuvre à l’échelle non seulement de la France mais de l’Europe tout entière, au prétexte de “sauver la monnaie unique”.
L’UMP aurait tort de se réjouir excessivement des victoires remportées par ses candidats. Le même “effet essuie-glaces” qui lui bénéficie aujourd’hui la pénalisera demain car elle est incapable de remettre en question les choix néo-libéraux européens qui laminent industriellement, socialement et politiquement notre pays et étendent sur la France un jour crépusculaire. Les mêmes causes produiront les mêmes effets. Le Front National, dont la poussée est préoccupante, n’est en aucune manière une alternative. Il n’offre aucune perspective crédible. Il fait partie du système qu’il dénonce. Pour remettre la France en selle, il faut un gouvernement de salut public capable de créer en Europe plus qu’un rapport de force, un rapport de conviction : l’Allemagne en effet n’a nullement intérêt à vouloir imposer aux autres pays une politique de déflation généralisée. Il faut changer la politique monétaire et rompre en particulier avec la surévaluation de l’euro pour faire refluer le chômage. De cela il faut la convaincre, dans son intérêt même, mais pour y parvenir il faut être soi-même convaincu. Intervention de Jean-Pierre Chevènement, à l'occasion de la session internationale euro-méditerranée à l'Ecole militaire, jeudi 27 février 2014.
Mon général, Mesdames, Messieurs,
Vous m’avez demandé de conclure cette session consacrée aux enjeux sécuritaires transfrontaliers dans l’espace euroméditérranéen. Je le ferai de trois manières :
Article paru dans la revue "Politique étrangère" du printemps 2014, édité par l'IFRI.
La première mondialisation du XXe siècle a produit un profond bouleversement de l'ordre des puissances et une dévalorisation globale des nations européennes. Elle a ainsi laissé le champ à une construction européenne largement technocratique et dépolitisée. Il est temps d'affirmer une vision nouvelle, fondée sur la coopération de nations qui demeurent en Europe le creuset de la démocratie. Seule une telle vision peut redonner à cette Europe son poids à l'international.
D'une mondialisation l'autre : entre la première mondialisation (1860-1911), sous égide britannique, et la seconde entamée après 1945 sous égide américaine, il y a en effet des différences, mais aussi beaucoup de similitudes, et par conséquent de leçons à tirer : l'une et l'autre visent la libre circulation des marchandises, des services, des capitaux et, dans une certaine mesure, des hommes. Dans les deux cas, le marché mondialisé a besoin d'un « patron », d'un hegemon qui en fasse respecter les règles : dans le premier cas, c'est la Grande-Bretagne maîtresse des mers, appuyée sur un empire qui concentre un cinquième de la population mondiale et attentive au maintien de l'équilibre européen. Dans la seconde mondialisation, ce sont les États-Unis avec leur avance technologique, leur surpuissance militaire, le réseau de leurs alliances et la projection mondiale de leurs multinationales. Or, le mouvement même de la mondialisation induit dans les deux cas une profonde modification de la hiérarchie des puissances. Dans la première mondialisation, c’est la montée de l’Allemagne, après sa première unification, qui est le fait saillant dans l’ordre industriel et commercial. En trente ans, elle triple sa production, alors que l’Angleterre la double et que la France ne l’accroît que d’un tiers. Dans la seconde mondialisation, le fait massif est la montée des « émergents » à partir des années 1990, au premier rang desquels la Chine, dont le PNB rattrapera celui des Etats-Unis avant peu d’années. La montée de l’Allemagne a commencé d’inquiéter la Grande-Bretagne à partir de 1903. Celle-ci se rapproche alors de la France : c’est l’Entente Cordiale de 1904. De même, les Etats-Unis prennent peu à peu conscience, dans les années 2000, de leur déficit commercial, de leur désindustrialisation croissante, de leur dépendance financière vis-à-vis de la Chine et de la montée en puissance, y compris militaire, de cette dernière. Ils opèrent, à partir de 2010, un pivotement de leur flotte de l’Atlantique vers le Pacifique, nouent des partenariats commerciaux transpacifique ou transatlantique, ou opèrent des rapprochements stratégiques en Asie, pour isoler la Chine. Tribune de Jean-Pierre Chevènement, parue dans Marianne, vendredi 21 mars 2014.
Mon cher Hubert,
J’ai trouvé La France au défi (Fayard, 2014) perspicace et roboratif. Ton livre, en effet, va à l’os de nos difficultés : les Français ne croient plus en la France. Là est la racine de ce « nœud indémêlable », de ce « verrouillage » qui empêchent la France de sortir de la « nasse » dans laquelle elle s’est laissée enfermer : moins par la pyramide de ses déficits et de ses dettes que par le « nœud psychologique étroitement serré » d’où procèdent repentance systématique et déni de soi. Au fond de tout cela bien sûr « l’effondrement sans précédent de 1940 », ce vrai « passé qui ne passe pas » et qui taraude l’inconscient national. Aucun récit national à ce jour, même celui forgé par De Gaulle qui parlait d’une nouvelle « guerre de trente ans » (1914-1945), n’a réussi à enjamber ce gouffre. Parce que sans doute toutes les familles politiques ont leur part dans cet effondrement. Bien sûr, tu as raison de décrire l’érosion de nos rentes de situation historiques et la compétition de plus en plus redoutable des pays dits émergents qui maîtrisent aussi bien que nous les technologies. Là est le vrai défi pour la France. Tu analyse très pertinemment le discrédit de ceux que tu appelles les « émetteurs », c’est-à-dire, au fond, les élites politiques, intellectuelles, médiatiques, et même économiques. Tu touches juste quand tu parles de « marécage politico-corporatisto-médiatico-judiciaire ». Ceux qui se sont essayés à gouverner savent tous l’immense difficulté à le faire dans une « société de défiance généralisée », où l’égoïsme est roi et le sens de l’Etat nulle part. Tu ajoutes justement que « la Vème République », conçue pour libérer les grands choix politiques des partis, cinquante-six ans après, leur est maintenant complètement assujettie. |
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