Entretien de Jean-Pierre Chevènement à Valeurs Actuelles, jeudi 16 janvier 2014, propos recueillis par Geoffroy Lejeune et Pierre Dumazeau.


"Renouer avec le roman national"
Valeurs Actuelles: Vous publiez “1914-2014, l’Europe sortie de l’Histoire ? ”, un réquisitoire contre les politiques européennes menées depuis la Première Guerre mondiale…
Jean-Pierre Chevènement : C’est avant tout une mise en cause de la dévalorisation des nations, et tout particulièrement de la nôtre à la seule fin de justifier la construction d’une Europe a-nationale, post-démocratique et en définitive inféodée ! L’analyse historique montre que les nations ne sont pas à l’origine de la Première Guerre mondiale, mais que c’est un tout petit groupe d’hommes qui a décidé d’une guerre préventive dont, au fond, l’Allemagne n’avait pas besoin.

Ce premier conflit, suivi de la Seconde Guerre mondiale — je les lie toutes deux dans une analyse qui court de 1914 à 1945 —, a vu le monde passer de la première mondialisation, sous égide britannique, à la seconde, dominée par les États-Unis. Aujourd’hui, le monde bascule vers l’Asie-Pacifique et vers une nouvelle bipolarité entre la Chine et les États-Unis.

L’Europe, feignez-vous de vous interroger dans votre livre, serait donc sortie de l’Histoire ?
Oui, dès lors que la reconstruction de l’Europe s’est faite sur les plans de Jean Monnet, c’est-à-dire uniquement à travers le marché, une vision anglo-saxonne et sous protection militaire des États-Unis. Les institutions dont s’est dotée l’Europe sont essentiellement technocratiques — elles n’ont aucun compte à rendre devant les électeurs —, comme la Commission européenne, la Banque centrale, la Cour de justice de l’Union européenne… Ces institutions reposent sur une nouvelle forme de « despotisme éclairé ». Or, l’Europe ne peut se faire contre la démocratie, et par conséquent contre les nations. Pour exister à nouveau dans l’Histoire, l’Europe doit s’appuyer sur les nations, leur redonner confiance, les sortir du discrédit où elles ont été reléguées pour des crimes que les peuples en tant que tels n’ont pas commis.

Rédigé par Jean Pierre Chevenement le 16 Janvier 2014 à 12:45 | Permalien | Commentaires (3)

Réaction de Jean-Pierre Chevènement à la conférence de presse du Président de la République.


L’appel à la mobilisation lancé par François Hollande serait bienvenu s’il pouvait être entendu. C’est un pari dont l’Etat ne maîtrise pas les données. En effet, je ne vois pas comment la suppression de 30 milliards de cotisations familiales au bénéfice des entreprises peut être gagée par 50 milliards d’économies. Je crains que celles-ci ne puissent être faites qu’au détriment de la politique familiale ou de la politique sociale.

Pour la reconquête de la compétitivité de l’économie française, la question de l’euro est centrale. Or, son vice constitutif, l’hétérogénéité des économies qui ont la monnaie unique en partage ne peut être purgé sans réforme de ses règles. De nouvelles secousses me paraissent malheureusement inévitables. L’union bancaire laisse aux banques le soin de remédier aux faillites les concernant sans réelle mutualisation.

Le Président de la République, en évoquant nos relations avec l’Allemagne, n’a pas cité la nécessaire révision des règles européennes concernant les aides d’Etat et la politique industrielle. Je ne crois pas qu’il soit réaliste d’envisager, en matière industrielle, une filière franco-allemande de transition énergétique alors que le choix de sortie du nucléaire effectué par l’Allemagne est en contradiction totale avec les choix que nous avons faits et maintenus en France depuis quatre décennies.

Intervention de Jean-Pierre Chevènement au Sénat, dans le cadre du débat sur les négociations transatlantiques, le jeudi 9 janvier 2014.


L’idée d’un partenariat transatlantique a été avancée en février 2013 par le Président Obama. Dans son discours sur l’Etat de l’Union, il fait apparaître l’Union européenne comme demanderesse d’un tel accord. Cette idée, à peine émise, a, il est vrai, été immédiatement reprise au vol par le Président de la Commission européenne, M. Barroso, dont le mandat arrive à expiration en mai 2014. Faut-il rappeler aussi que le Parlement européen, pour ne pas être en reste, avait appelé, dès 2009, à la construction d’un marché transatlantique intégré à l’horizon 2015 ?

L’ouverture d’une grande négociation transatlantique a été actée en juin 2013 par le Conseil européen. Même si le coup est parti, ce débat sur la négociation d’un accord de partenariat transatlantique est tout à fait opportun.

Ce projet répond d’abord au souci ancien des Etats-Unis de supprimer tous les obstacles à l’essor des échanges internationaux mais il correspond aussi à la « programmation » libérale de la construction européenne, telle qu’elle résulte des principaux traités (Acte Unique, traité de Lisbonne).

L’ouverture de cette négociation est doublement paradoxale.

Intervention de Jean-Pierre Chevènement au Sénat, dans le cadre du débat concernant la politique étrangère de la France, le mercredi 8 janvier 2014


Dans son discours du 27 août 2012 devant la Conférence des Ambassadeurs, le Président de la République assignait à la France un rôle de « pont entre les nations, y compris, disait-il, les émergentes, entre le Nord et le Sud, entre l’Orient et l’Occident. Notre pays, ajoutait-il, est un acteur et un médiateur entre les civilisations. C’est son indépendance qui rend la France précieuse au monde » !

Cette définition m’a paru tout à fait judicieuse. La France ne saurait se définir, comme l’avait fait le Président Sarkozy, par sa simple appartenance « à la famille des nations occidentales ». La République française, fidèle à ses idéaux, appartient d’abord à la grande famille des nations humaines.

Vous-même, Monsieur le Ministre, avez pleinement intégré cette dimension en évoquant, dans votre intervention remarquée du 29 août 2013 devant la Conférence des ambassadeurs, ce que vous appelez « le chambardement du monde » à horizon de dix ans, avec notamment le développement des pays émergents au premier rang desquels la Chine, « la relation sino-américaine structurant de plus en plus les relations internationales ».

Face à la bipolarité qui se dessine entre la Chine dont le PNB aura dépassé, avant peu d’années, celui des Etats-Unis, et ceux-ci qui disposeront encore longtemps d’atouts que la Chine n’a pas, ou du moins pas encore, l’Europe est en voie d’être marginalisée. D’abord l’Europe n’est plus ce qu’elle était : l’Europe à vingt-huit n’est plus l’Europe à six où la France tenait les premiers rôles. La géographie, la géopolitique et l’intégration des économies ont façonné une Europe germano-centrée. On nous promettait, il y a vingt ans, de faire l’Europe sans défaire la France. Le Président de la République, dans ses vœux, le 31 décembre 2013, a déclaré : « Ce n’est pas en défaisant l’Europe qu’on fera la France de demain ». Certes, mais c’est en en changeant l’ambition, la dimension et les règles qu’on refera de l’Europe l’actrice de son destin. C’est ainsi seulement que la France pourra rester une grande nation politique.

Jean-Pierre Chevènement était l'invité de #DirectPolitique, l'émission politique de Linternaute.com et de Ouest-France mardi 7 janvier. Il était interrogé par Fabien Dabert et Michel Urvoy.


Jean-Pierre Chevènement était invité du Talk Orange - Le Figaro, lundi 6 janvier 2014. Il répondait aux questions de Yves Thréard.


Verbatim express :

Trois questions où l'interviewé doit répondre par « oui » ou « non »
  • Manuel Valls a t-il raison de vouloir interdire les spectacles de Dieudonné ? Non
  • François Hollande a t-il raison de vouloir procéder par ordonnances ? Cela dépend des sujets.
  • Les vœux aux Français de François Hollande marquent-ils un tournant de sa politique économique ? Non
  • Il faut attendre de voir comment les orientations déjà affirmées mais très générales des vœux de François Hollande vont être concrétisées.
  • François Hollande a déjà donné des orientations : le Traité budgétaire européen inscrit les finances publiques sur une certaine trajectoire de réduction des déficits.
  • On a parlé de baisse des impôts à terme : ça c'est nouveau. Je demande à voir où et comment ça va se traduire, et comment cela sera compensé.
  • Je pense qu'il y a deux politiques qu'il faut sanctuariser : la défense et la politique familiale. La politique familiale est l'un des succès de la politique française depuis 1945.

Jean-Pierre Chevènement était l'invité de Répliques, sur France Culture, samedi 4 janvier 2014. Il répondait aux questions de Alain Finkielkraut et débattait avec Sylvie Goulard.


"L'Europe à 28 est un magma d'impuissance conjuguée"
repliques.mp3 France Culture - Répliques  (48.39 Mo)

Verbatim express :

  • La raison du désamour à l'égard de l'Europe est simple. On a bâti un mythe salvateur. Ceux qui se souviennent des conditions dans lesquelles a été approuvé le traité de Maastricht savent qu'on a identifié l'Europe à ce que j'appelle les « 3P » : la prospérité, la puissance, la paix.
  • L’Europe devait regonfler la croissance, réduire le chômage. L'euro devait concurrencer le dollar, voire s'y substituer. Rien de tout cela n'est au rendez-vous. Et la paix en Europe, nous la devons pour l'essentiel à l'arme thermonucléaire.
  • Nous voyons un chômage de masse, une stagnation économique prolongée, une désindustrialisation continue, le déclin de l'Europe. Sa voix est inaudible dans les grandes affaires du monde.
  • La démocratie ne trouve pas non plus son compte dans l'édifice européen actuel, parce que la démocratie vit dans les nations. L'Europe qu'on nous a construit est une Europe technocratique. Ses institutions ne répondent devant aucun peuple. La Commission européenne est censée définir l'intérêt général (curieux intérêt général que celui qui ne résulte pas du débat démocratique). La Banque centrale est indépendante, n'a qu'un but: lutter contre une inflation qui a quasiment disparu. La Cour de justice européenne a une jurisprudence qui s'étale sans aucune digue pour la contrarier. Le Parlement européen n'est pas vraiment un parlement, c'est la juxtaposition de la représentation de 28 peuples.
  • On a discrédité les nations à partir de 1945 pour camoufler la manière dont on allait construire l'Europe.

Entretien de Jean-Pierre Chevènement à Mediapart, paru le 29 décembre 2013. Propos recueillis par Lénaig Bredoux et Stéphane Alliès le 17 octobre 2013.


"La gauche semble avoir oublié les leçons des années Jospin"
Mediapart : Dans votre livre, vous partez de la guerre de 14-18 pour alerter sur la possibilité d’une nouvelle catastrophe européenne – un intertitre pose même la question d’un « nouvel avant-14 ». Est-ce une façon de faire un parallèle avec une volonté de domination allemande sur l'Europe ?
Jean-Pierre Chevènement : Je compare deux mondialisations libérales. Ce qui me paraît original dans cet ouvrage, c’est la théorie de l’hegemon que j'y développe : un marché libéral ne se soutient pas sans une puissance hégémonique. Au XIXe siècle, c’est la Grande-Bretagne, avec une puissance montante jusqu’à 1914, qui est l’Allemagne. Depuis 1945, la mondialisation est sous l’égide des États-Unis.

La deuxième mondialisation va plus vite que la première, mais il y a la même modification dans la hiérarchie des puissances – avec les pays émergents. Bien que nous soyons dans des périodes différentes, il faut y être très attentif. La première a conduit à la Première Guerre mondiale, qui fut la boîte de Pandore d’où s’échappent tous les démons du « court XXe siècle », selon l’expression d’Eric Hobsbawn.

Car la guerre de 1914-1918 est en réalité une guerre de 30 ans, qui se termine en 1945. Non pas que je veuille assimiler la Deuxième et la Première guerre mondiale, mais on peut dire que, d’une certaine manière, la Deuxième a été une surenchère du pangermanisme sur la défaite de 1918. En 1914, c’est déjà l’Allemagne qui déclenche la guerre pour desserrer ce qu’elle perçoit comme un encerclement par la France et la Russie.
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