Sud Ouest: Un fil relie l’Europe de 1914 et celle où nous vivons. Comment l’entendez-vous ?
Jean-Pierre Chevènement: Il y a un lien entre l’état de l’Europe, avec son déclin démographique, politique, économique, militaire, et la " guerre de trente ans " qui éclate en 1914 et finit en 1945. Mais je vois aussi dans le magma d’impuissances conjuguées qu’est l’Union européenne actuelle le fruit de la façon dont on a fait l’Europe sans les nations, voire contre elles, selon la "méthode Monnet". Alors que les nations émergentes sont portées par un esprit conquérant et confiant, les nations européennes croulent sous le remords de crimes qu’elles n’ont pas commis.
Est-ce la malédiction de 1914-1918 ?
Les nations ne sont pas responsables. Les causes de la guerre sont à chercher dans la première mondialisation libérale, opposant l’Empire britannique à l’essor de l’Allemagne impériale. J’incrimine les dirigeants allemands de l’époque, qui déclenchèrent une guerre préventive dont ils n’avaient nul besoin. En revanche, j’exonère le peuple allemand de la responsabilité morale du conflit : on lui fit croire qu’il était menacé. Les Français, eux, furent agressés et montrèrent une exceptionnelle capacité de résistance, y compris après la défaite de 1940, ce qui valut au pays de revenir au premier rang. 14-18 est le début de la tragédie européenne qui se poursuit en 39-45, mais ne sombrons pas dans une repentance qui n’a pas lieu d’être : la dévalorisation des nations a servi de prétexte à une Europe qui, en se bâtissant hors d’elles, n’est pas démocratique.
Jean-Pierre Chevènement: Il y a un lien entre l’état de l’Europe, avec son déclin démographique, politique, économique, militaire, et la " guerre de trente ans " qui éclate en 1914 et finit en 1945. Mais je vois aussi dans le magma d’impuissances conjuguées qu’est l’Union européenne actuelle le fruit de la façon dont on a fait l’Europe sans les nations, voire contre elles, selon la "méthode Monnet". Alors que les nations émergentes sont portées par un esprit conquérant et confiant, les nations européennes croulent sous le remords de crimes qu’elles n’ont pas commis.
Est-ce la malédiction de 1914-1918 ?
Les nations ne sont pas responsables. Les causes de la guerre sont à chercher dans la première mondialisation libérale, opposant l’Empire britannique à l’essor de l’Allemagne impériale. J’incrimine les dirigeants allemands de l’époque, qui déclenchèrent une guerre préventive dont ils n’avaient nul besoin. En revanche, j’exonère le peuple allemand de la responsabilité morale du conflit : on lui fit croire qu’il était menacé. Les Français, eux, furent agressés et montrèrent une exceptionnelle capacité de résistance, y compris après la défaite de 1940, ce qui valut au pays de revenir au premier rang. 14-18 est le début de la tragédie européenne qui se poursuit en 39-45, mais ne sombrons pas dans une repentance qui n’a pas lieu d’être : la dévalorisation des nations a servi de prétexte à une Europe qui, en se bâtissant hors d’elles, n’est pas démocratique.
Que voulez-vous dire ?
Ses institutions – Commission, Cour de justice, Banque centrale – sont technocratiques et sans responsabilité devant le suffrage universel. Même le Parlement de Strasbourg n’est que la juxtaposition de la représentation de 28 peuples. Il faut redéfinir le projet européen en partant de l’idée claire et réaliste que la démocratie vit par les nations. Il faut partir d’elles en faisant vivre le Conseil, qui réunit les instances élues, et ramener la Commission à un rôle de préparation et d’exécution des décisions. Nous devons garder le cap de l’unité des Européens en nous gardant de l’idéologie européiste : nocive car éloignée de la réalité, elle nous fait voyager "au pays des coquecigrues", comme disait Rabelais.
N’exagérez-vous pas le déclin ?
Non, il suffit de voir l’écart entre les promesses du référendum sur le traité de Maastricht (1992) et la situation actuelle : un chômage moyen de 12,5 % en zone euro, des inégalités accrues, un euro surévalué, qui n’a pas remplacé le dollar, une récession longue qui empêche la France de traiter le chômage des jeunes.
Qu’attendez-vous du couple franco-allemand ?
Français et Allemands doivent penser l’avenir ensemble, car il y a une communauté de destins. Mais un déséquilibre s’est creusé, et l’Europe de 2014 est germano-centrée. La France doit faire un gros effort de compétitivité, et l’Allemagne doit jouer son rôle de locomotive de la croissance européenne. Mais Berlin ne souhaitant pas une dévaluation de l’euro, il faut remplacer la monnaie unique par une monnaie commune permettant des ajustements moins douloureux que les plans de déflation infligés à la Grèce ou au Portugal.
Propos recueillis par Christophe Lucet
Source : Sud Ouest
Ses institutions – Commission, Cour de justice, Banque centrale – sont technocratiques et sans responsabilité devant le suffrage universel. Même le Parlement de Strasbourg n’est que la juxtaposition de la représentation de 28 peuples. Il faut redéfinir le projet européen en partant de l’idée claire et réaliste que la démocratie vit par les nations. Il faut partir d’elles en faisant vivre le Conseil, qui réunit les instances élues, et ramener la Commission à un rôle de préparation et d’exécution des décisions. Nous devons garder le cap de l’unité des Européens en nous gardant de l’idéologie européiste : nocive car éloignée de la réalité, elle nous fait voyager "au pays des coquecigrues", comme disait Rabelais.
N’exagérez-vous pas le déclin ?
Non, il suffit de voir l’écart entre les promesses du référendum sur le traité de Maastricht (1992) et la situation actuelle : un chômage moyen de 12,5 % en zone euro, des inégalités accrues, un euro surévalué, qui n’a pas remplacé le dollar, une récession longue qui empêche la France de traiter le chômage des jeunes.
Qu’attendez-vous du couple franco-allemand ?
Français et Allemands doivent penser l’avenir ensemble, car il y a une communauté de destins. Mais un déséquilibre s’est creusé, et l’Europe de 2014 est germano-centrée. La France doit faire un gros effort de compétitivité, et l’Allemagne doit jouer son rôle de locomotive de la croissance européenne. Mais Berlin ne souhaitant pas une dévaluation de l’euro, il faut remplacer la monnaie unique par une monnaie commune permettant des ajustements moins douloureux que les plans de déflation infligés à la Grèce ou au Portugal.
Propos recueillis par Christophe Lucet
Source : Sud Ouest