Entretien de Jean-Pierre Chevènement à L'Opinion, propos recueillis par Christian Authier, 25 mars 2011
Dans un essai riche et pénétrant, La France est-elle finie ?, Jean-Pierre Chevènement scrute le passé, le présent et l’avenir de notre pays tout en s’interrogeant sur les forces à l’œuvre dans la construction européenne et dans la mondialisation. Entretien.
L'Opinion : De Gaulle disait que la France n’existe que si elle est grande, François Mitterrand pensait qu’elle ne pouvait plus que «passer entre les gouttes». De quelle vision vous sentez-vous le plus proche ? Jean-Pierre Chevènement: La première. Je pense que le général de Gaulle avait raison, mais la France réelle a toujours su naviguer entre ces deux conceptions. Vous évoquez dans La France est-elle finie ? un climat de repentance et de mauvaise conscience qui considère l’Histoire de France comme une série de fautes ou de crimes. Comment rompre avec ce climat sans verser dans un nationalisme étroit ? Ce fut le génie du général de Gaulle de rétablir la France dans ses prérogatives de grande puissance au lendemain de la deuxième guerre mondiale en suscitant la Résistance et en associant l’armée française, autant qu’on le pouvait, au combat victorieux de 1944-45. C’est à mon sens en renouant le fil de notre Histoire à l’idéal de progrès que nous aiderons la France à ne pas être défigurée – ce qui ne manquerait pas d’arriver si le Front national entrait un jour dans un gouvernement. Par ailleurs, il faut redonner une signification de progrès à la construction européenne. Le soi-disant pacte “de compétitivité“ imposé par Madame Merkel conduirait au contraire à une récession européenne et à une profonde régression sociale : recul automatique de l’âge de la retraite, constitutionnalisation de l’interdiction des déficits, réduction de la part des salaires dans le revenu national... Vous prônez un «accord de peuple à peuple entre la France et l’Allemagne». Le peuple allemand lui aussi aspire à voir se desserrer le carcan de la rigueur salariale. Les syndicats allemands, le SPD qui a signé avec Martine Aubry un texte que je qualifierais de «potable», le parti La Gauche (Die Linke) offrent le visage d’un pays qui ne semble pas condamné pour l’éternité à une politique conservatrice libérale. Vous relatez précisément dans votre livre le ralliement de la gauche française, en particulier socialiste, au néo-libéralisme. On a pourtant le sentiment que cette conversion demeure dans les discours ou les programmes électoraux du PS du domaine du refoulé. En effet, le Parti socialiste n’a pas voulu assumer des choix qui le mettaient en porte-à-faux avec les couches populaires. Donc, il navigue dans un double discours et le problème pour lui est de dénouer les bandelettes dans lesquelles il s’est laissé emprisonner par la confusion du ralliement au néo-libéralisme avec l’idée de la construction européenne. Il est grave que le logiciel néo-libéral ait été la base sur laquelle l’Europe s’est édifiée depuis les traités du Luxembourg (dit Acte Unique 1985) et de Maastricht (1992).
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Rédigé par Chevenement.fr le 25 Mars 2011 à 07:01
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Intervention de Jean-Pierre Chevènement sur la Libye au Sénat, mardi 22 mars 2011.Agenda et médiasJean-Pierre Chevènement était l'invité du 22h de Public Sénat mardi 22 mars 2011. Il répondait aux questions de Sonia Mabrouk.Entretien de Jean-Pierre Chevènement à La Dépêche, mercredi 23 mars 2011.
La Dépêche: Êtes-vous convaincu par l'intervention militaire en Libye ?
Jean-Pierre Chevènement: Cette intervention, réalisée sur la base de la « responsabilité de protéger » définie par l'ONU en 2005, se déroule sous les auspices du Conseil de sécurité. Elle était nécessaire pour empêcher le déchaînement de la répression contre le peuple libyen à Benghazi, mais elle ne règle pas tout le problème. La résolution 1973 fixe un objectif limité et n'autorise que des moyens aériens. Nous risquons d'être confrontés à une partition de fait, au moins temporaire, entre la Cyrénaïque à l'Est et d'autre part la Tripolitaine à l'ouest et le Fezzan au sud. On peut se demander si Kadhafi survivra à la défaite qu'il est en train de subir à travers la neutralisation de son aviation et de ses armes lourdes. Il serait préférable, qu'après le cessez-le-feu décidé par le Conseil de sécurité, les pays de la Ligue arabe et ceux de l'Union africaine prennent en charge la réunion des conditions qui permettront au peuple libyen de s'autodéterminer. Ce n'est pas à l'Occident d'imposer ses solutions. Que pensez-vous de la polémique sur le front républicain pour le deuxième tour des cantonales ? Le PS pratique le désistement républicain mais pas le secrétaire général de l'UMP, Monsieur Copé. Je le regrette car Mme Le Pen n'a pas changé de nature. Elle a changé de discours, de look mais sur le fond, le FN est toujours porteur d'une idéologie démagogique qui fait de l'immigration la source de tous les maux. Certes, l'immigration pose des problèmes, mais il faut les résoudre par la voie de l'intégration et non de l'excommunication. À l'UMP, il y a des sensibilités différentes, M. Fillon vient de faire entendre une voix républicaine. Mais à sa tête, certains font passer en priorité la reconquête d'un électorat qui s'est porté ou est tenté de se porter sur le FN. C'est dangereux car c'est une dérive de toute la vie politique française qui s'ensuivrait. Le FN se développe sur la base d'une crise sociale qui dure depuis trente ans et dont la responsabilité incombe aussi bien à la politique néolibérale de la droite ou d'un PS qui s'est détourné des couches populaires. Dépêche AFP, mardi 22 mars 2011, 19h18.
Le sénateur et ancien ministre Jean-Pierre Chevènement a appelé mardi lors du débat sur l'opération militaire en Libye à "respecter" les "limites" posées par la résolution 1973 du Conseil de sécurité de l'Onu autorisant cette opération.
"La résolution 1973, oui, mais rien que la résolution 1973 !" a lancé le sénateur du groupe RDSE (à majorité PRG). La résolution "pose des limites qu'il convient d'autant plus de respecter que cinq pays du Conseil de sécurité et pas des moindres se sont abstenus; la Chine, la Russie, l'Inde, le Brésil et l'Allemagne notre partenaire privilégié en Europe", a-t-il souligné. "Je ne doute pas", a-t-il lancé au Premier ministre, que "votre gouvernement ait le souci de faire prévaloir une interprétation stricte de la résolution 1973". "C'est au peuple libyen et non à une intervention extérieure et encore moins à une intervention de l'OTAN sur le modèle afghan qu'il revient de reconquérir la démocratie", a-t-il exhorté. "Laissons, s'il le faut, aux peuples arabes le soin d'abréger son pouvoir (du colonel Kadhafi, ndlr). Evitons tout ce qui pourrait donner l'impression que nous voulons imposer à la Libye nos choix politique", a martelé l'ancien ministre de François Mitterrand. "Ce n'est pas seulement l'intérêt de la démocratie dans le monde arabe et celui, bien compris, à long terme, de Libye, c'est aussi l'intérêt de la France", a-t-il conclu. Intervention de Jean-Pierre Chevènement sur la Libye au Sénat, mardi 22 mars 2011.
Monsieur le Premier ministre, Messieurs les Ministres, M. le Président de la commission des affaires étrangères, mes chers collègues,
La décision était difficile. Ce qui était en cause n’était pas un risque imaginaire, comme en Irak en 2003. C’était un risque bien réel : celui de voir un gouvernement s’affirmant lui-même « sans pitié », utiliser tous les moyens de terreur pour faire taire une opposition, comme on l’a vu dans maintes villes libyennes reprises aux insurgés et comme on le voit encore à Misrata où les violences ont fait 40 morts et 300 blessés. Et cela à un moment particulier, où les aspirations à la démocratie et à la dignité se manifestent avec force dans différents peuples arabes, à commencer par le peuple tunisien, si proche de nous, et par le peuple égyptien, cœur vivant du monde arabe. Depuis 2005, l’ONU reconnaît à son Conseil de Sécurité la « responsabilité de protéger » un peuple sur lequel ses dirigeants commettraient un « crime contre l’humanité ». C’est cette décision qui a été prise par le vote de la résolution 1973, adoptée le 17 mars dernier par le CSNU et qui est mis en œuvre, par la France, la Grande-Bretagne, les Etats-Unis et plusieurs autres pays volontaires y compris arabes. Il est important que cette intervention n’apparaisse pas comme celle de l’Occident et encore moins comme celle de l’OTAN. On disputait il y a une quinzaine de jours dans les gazettes si la politique de la France devait être faite par les diplomates ou par les politiques. On a cru l’affaire tranchée, il y a huit jours, quand un philosophe autoproclamé annonça sur le perron de l’Elysée que la France reprenait à son compte le fameux « droit d’ingérence » et rompait avec la règle selon laquelle elle reconnaît des Etats et non des gouvernements. Le Ministre d’Etat a heureusement recadré l’expression du gouvernement sans toutefois parvenir à dissiper totalement un léger parfum d’aventurisme.
Le Conseil de sécurité des Nations Unies a voté hier soir une résolution visant à protéger les populations civiles libyennes. Cette responsabilité de protéger définie par l'ONU en 2005 ne se confond nullement avec un droit d'ingérence ouvert à la France, à la Grande-Bretagne, aux Etats-Unis et aux pays volontaires.
Il faut souhaiter que la résolution du Conseil de sécurité soit interprétée strictement. Les frappes doivent être réservées à des cibles militaires. Il faut donc éviter tout dommage collatéral sur les civils. La France serait bien inspirée d'agir en contact étroit avec les pays arabes, notamment l'Egypte et les pays du Maghreb.
Certains commentateurs feraient bien de s’aviser que c’est toujours l’incapacité de la gauche et de la droite à offrir une alternative véritable à la poursuite de la « seule politique possible », qui prend aujourd’hui la forme du « pacte de compétitivité » imposé par Mme Merkel à l’Europe, qui nourrit la vague lepéniste. Ce qu’il faut faire comprendre aux électeurs c’est qu’en votant Le Pen ils votent pour une impasse.
Que faire donc ? Faire surgir une alternative, pendant qu’il en est encore temps. Comment ? c’est ce que nous allons essayer de faire dans les prochains mois. |
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