Entretien de Jean-Pierre Chevènement au Figaro-vox, le lundi 28 avril 2014. Propos recueillis par Alexandre Devecchio.
Le Figaro-vox : Vous avez demandé au Premier ministre d'empêcher un «transfert de propriété» entre Alstom et General Electric. Quelles seraient les conséquences d'un tel transfert ?
Jean-Pierre Chevènement : Avant tout, l'Etat ne peut accepter de se laisser spolier par la manœuvre éclaire et inconsciente de l'actuel PDG, Monsieur Kron qui lui doit tout. En 2004 Alstom ( qui avait le même PDG qu'aujourd'hui) avait été sauvé à grands frais du dépôt de bilan par un plan de refinancement mis en place avec l'aide l'Etat. Et, du nucléaire au TGV, Alstom est le fruit de plus d'un siècle de commandes publiques. Il est évident aujourd'hui que la France ne peut abandonner le secteur de l'énergie de production. La reprise de la branche énergie d'Alstom porterait un coup fatal à l'indépendance de notre filière électronucléaire. Elle signifierait l'abandon par la France d'un des derniers pans de son industrie d'équipement: turbines à vapeur, alternateurs de moyenne et de grande puissance ... Ce serait un curieux signe à l'heure où le gouvernement parle de transition énergétique et de lutte contre la désindustrialisation. General Electric a déjà repris en 1999 la branche «turbines à gaz» quand Alstom a choisi de reprendre les turbines à gaz fabriquées en Suisse. Ce fut une énorme erreur à laquelle Alstom a failli ne pas survivre. Avec le recul de quinze ans, nous constatons que cette opération autorisée par le Gouvernement de l'époque a abouti à deux résultats: Alstom a vu sa part du marché dans les turbines à gaz, qu'elle fabrique désormais en Suisse, se réduire considérablement. Et General Electric, s'il a dans un premier temps développé ses fabrications à Belfort, relocalise aujourd'hui une part de ses fabrications aux États-Unis, conformément à la volonté du Président Obama. La fuite des centres de décision est dramatique et aura à terme des conséquences sur l'emploi et sur la capacité de la France à peser dans la bataille économique mondiale.
le 29 Avril 2014 à 08:43
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Jean-Pierre Chevènement était l'invité de RMC lundi 28 avril 2014. Il répondait aux questions de Jean-Jacques Bourdin.
Verbatim express :
AFP, samedi 26 avril 2014.
Jean-Pierre Chevènement, sénateur du territoire de Belfort, président d'honneur du MRC et ancien ministre, notamment de l'Industrie : "Il est inacceptable que le rachat du secteur énergie d'Alstom par General Electric mette l'Etat devant le fait accompli (...) Je demande que le Conseil d'administration d'Alstom, appelé à entériner un tel accord, soit repoussé à une date permettant aux services du ministre de l'Industrie de faire leur travail. Je suggère que l'Etat monte en capital s'il le faut pour remplacer les actionnaires défaillants. Cet argent sera mieux utilisé de cette façon que par la distribution indiscriminée de 50 milliards d'euros à toutes les entreprises y compris les grandes banques ou les grandes sociétés de distribution qui ne rentrent pas dans la compétition industrielle".
ActualitésDépêche AFP, 25 avril 2014.
Le sénateur MRC du Territoire-de-Belfort, Jean-Pierre Chevènement, a demandé vendredi au Premier ministre de "faire valoir aux actionnaires et aux dirigeants des groupes concernés" qu'un "transfert de propriété est hors de question" entre Alstom et General electric.
Des rumeurs de rachat global du groupe français par le géant américain General electric ont semé le trouble jeudi, le gouvernement temporisant vendredi en annonçant qu'il travaillait "à d'autres solutions" et affichant sa "vigilance patriotique". "Je vous demande instamment, Monsieur le Premier ministre, de bien vouloir faire valoir aux actionnaires et aux dirigeants des groupes concernés que ce transfert de propriété est hors de question. A travers les marchés publics, l'État a les moyens de se faire entendre", écrit le président d'honneur du Mouvement Citoyen et Républicain (MRC). Lettre de Jean-Pierre Chevènement au Premier Ministre Manuel Valls, en réaction au rachat supposé de la branche Energie d’Alstom par General Electric, en date du 25 avril 2014. Une correspondance de même nature a également été adressée le même jour à M. le Ministre de l’Economie et du Redressement Productif Arnaud Montebourg.
Monsieur le Premier Ministre,
La presse économique (Les Echos du 25 avril 2014 et Le Figaro économie du même jour) annoncent comme très avancé le projet de rachat de la branche énergie (Alstom Power) par General Electric. Le groupe américain a déjà repris en 1999 la branche « turbines à gaz » quand Alstom a choisi de reprendre les turbines à gaz fabriquées en Suisse. Ce fut une énorme erreur à laquelle Alstom a failli ne pas survivre. Avec le recul de quinze ans, nous constatons que cette opération autorisée par le Gouvernement de l’époque a abouti à deux résultats : Alstom a vu sa part du marché dans les turbines à gaz, qu’elle fabrique désormais en Suisse, se réduire considérablement. Par ailleurs, General Electric, s’il a dans un premier temps développé ses fabrications à Belfort, tend aujourd’hui à relocaliser une part de ses fabrications aux États-Unis, ce qui correspond, semble t-il, aux orientations données par le Président Obama. Intervention de Jean-Pierre Chevènement au colloque France Russie organisé par l'Institut de Relations Internationales et Stratégiques (IRIS), jeudi 24 avril 2014.
Ma thèse est que la relation franco-russe, en 2014, doit rester dominée par ses fondamentaux : une relation enracinée dans l’Histoire de nos deux peuples que la commémoration du centenaire de la Première Guerre mondiale va encore illustrer, en rappelant le rôle qu’a joué le front russe de 1914 à 1917 dans la victoire finale des alliés ; relation nourrie par la complémentarité économique des deux économies et par l’intérêt réciproque de leur développement ; relation faite de l’attraction que deux des plus grandes cultures européennes exercent l’une sur l’autre ; relation politique et diplomatique enfin, entre deux puissances membres, à titre permanent, du Conseil de Sécurité de l’ONU, aucun grand problème à la surface de la Terre n’étant soluble sans le concours d’au moins un de nos deux grands pays et le plus souvent par le concours des deux, qu’il s’agisse de l’Afghanistan, de l’Iran, de la Syrie, du problème israélo-palestinien, de l’Ukraine, de la sécurité du Sahel, du développement de l’Afrique, de la lutte contre le terrorisme djihadiste partout où il se manifeste, du contrôle des armes nucléaires et de la paix dans le monde. Combien de sujets où il est nécessaire que nous parvenions ensemble à une vue plus générale et plus cohérente des choses, pour mieux servir la cause des hommes !
Bien sûr, il peut y avoir et il y a des divergences de points de vue entre nos deux pays, mais il y a surtout de puissants intérêts communs – ce n’est pas que mon avis car il est partagé par beaucoup de responsables politiques en France. Dans le cours du XXIe siècle, il y a toutes les raisons de rapprocher l’Ouest et l’Est de notre continent européen. C’est ainsi que nous serons fidèles à la vision formulée, en son temps, par le général de Gaulle, d’une « Grande Europe », existant par elle-même et pour elle-même, et allant de l’Atlantique non pas à l’Oural, mais jusqu’au Pacifique, jusqu’à ces rivages auxquels la Russie a reculé les limites de la civilisation européenne. Article de Jean-Pierre Chevènement à paraître dans le numéro de mai 2014 de la Revue Défense Nationale
Il serait tout à fait erroné de présenter la crise ukrainienne comme une « surprise stratégique ».
Une transition avec l’ère soviétique peu coopérative. Déjà en 2006, alors que Georges W. Bush était au milieu de son deuxième mandat, la question de l’entrée dans l’OTAN de l’Ukraine (et de la Géorgie) avait provoqué une mini-crise au sein même de l’Organisation entre l’Allemagne et la France, qui y étaient hostiles, et les Etats-Unis qui, en fin de compte, n’avaient pas trop insisté. C’est que l’Ukraine est le « gros morceau » d’un problème plus vaste, celui des ex Républiques soviétiques qui se sont détachées politiquement de la Russie, en décembre 1991, mais dont les liens de tous ordres avec elle demeurent étroits (minorités russes – étroitesse des relations économiques…) Le cas des Pays Baltes a été réglé par le retour au statut qui était le leur avant 1939 et leur inclusion dans l’Union européenne et dans l’OTAN. Mais partout ailleurs, une situation nouvelle s’est créée : en Ukraine, en Biélorussie, en Moldavie, dans le Caucase, en Asie centrale, ces pays anciennement soviétiques ont plus ou moins admis le principe de l’économie de marche, privatisé de larges pans de leur appareil productif, au bénéfice de quelques oligarques, eu recours à des élections plus ou moins transparentes pour désigner leurs dirigeants. De tous ces nouveaux pays, l’Ukraine est évidemment celui que la Russie considère comme lui étant le plus proche par l’Histoire (elle a fait partie de l’Empire russe depuis 1657), l’intensité des relations économiques, en particulier dans les régions industrielles de l’Est de l’Ukraine et enfin la culture (proximité linguistique-orthodoxie sauf dans la partie galicienne, catholique uniate, et tournée vers l’Europe Centrale, hier la Pologne, avant-hier l’Autriche-Hongrie).
Jean-Marc Ayrault, en grand honnête homme qu’il est, s’est acquitté loyalement d’une tache impossible. Au moment où il quitte Matignon, je tiens à lui exprimer toute ma sympathie et mon amitié.
Le défi que doit relever Manuel Valls n’est pas seulement un défi de communication. Bien sûr, chacun scrutera avec attention la composition d’un gouvernement que le Président de la République a présenté comme devant être un gouvernement de combat. Le départ des Verts peut être une bonne chose s’il permet de rompre avec une forme de technophobie dommageable, moins à la cohérence gouvernementale qu’à l’intérêt du pays. Manuel Valls a de grandes qualités : il comprend naturellement que la République est d’abord une exigence. Il a le sens de l’Etat. Mais l’ampleur des défis auxquels la France est confrontée, dans un monde en pleine mutation, requiert une vue d’homme d’Etat sur les marges de manœuvre dont notre pays dispose pour remonter le courant. C’est sur le redressement de l’Europe que sera jugé Manuel Valls : en effet, l’Europe actuelle, telle qu’elle a été pensée, ressemble au Titanic. Maintenir le cap de la monnaie chère et de la déflation conduirait inévitablement sur l’iceberg de la crise sociale et politique. Chacun sait qu’on ne peut faire changer rapidement de cap à un paquebot. Nous serons donc patients. Encore faut-il que la volonté existe : il appartient au gouvernement, et bien sûr au Président de la République, de convaincre l’Allemagne qu’il faut rompre, dans son intérêt même, avec une politique de déflation, de stagnation et de chômage que les pays de l’Europe du Sud ne pourront plus longtemps supporter. Ce travail de conviction doit être entrepris par des hommes eux-mêmes convaincus. Ce ne sont pas des résultats spectaculaires que nous attendons de la nouvelle équipe mais une cohérence d’ensemble au service de la France. |
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