Dans le numéro du Débat du mois de janvier, Jean-Pierre Chevènement consacre un long et passionnant article à François Mitterrand. L'ancien ministre choisit le tournant de 1983 pour tracer le portrait d'un homme politique secret et décidé, persuadé que le destin de la France ne peut se faire sans l'Europe. Le Figaro en publie de larges extraits.
La méthode du secret
J'ai rarement vu François Mitterrand hésiter. Je ne parle évidemment pas de la tactique, qu'il savait faire évoluer au gré des circonstances. Les grands choix - il y en avait peu -, il les faisait seul. Ensuite, il les imposait, à la faveur des événements, à ses amis comme à ses adversaires. Le secret était aussi sa manière d'être. Il contribuait à son charme puissant. François Mitterrand savait deviner les êtres et se les attacher. Il professait sur la fin de sa vie qu'en politique il n'y avait pas d'amis. Pourtant, toute sa vie et sa carrière politique ont été la démonstration du contraire : François Mitterrand a pu compter sur des fidèles, entièrement dévoués à sa personne. Pour ma part, je n'ai jamais fait partie de ces mamelouks. Je lui avais offert les clés du parti d'Épinay avec le Ceres et cela nous autorisait à marquer clairement nos désaccords déjà dans l'élaboration du programme socialiste, puis ultérieurement, sur la guerre du Golfe et sur Maastricht, notamment. Mais ces désaccords, si fondamentaux qu'ils fussent, n'empêchaient pas cette « loyauté globale » sur laquelle, me dit-il un jour, il savait pouvoir compter et restaient contenus par la compréhension que j'ai toujours recherchée des raisons qui pouvaient être les siennes. La méthode du secret réussissait à François Mitterrand là où il excellait, dans le maniement des hommes, aussi bien en politique intérieure que dans les affaires internationales. Il en allait différemment en économie, matière à laquelle il était étranger. Il ne croyait pas à la ridicule prétention de figer le réel en formules mathématiques. Sa culture était à l'opposé : un roman, un livre d'histoire lui ouvraient de vastes horizons. Les notes du Plan ou celles de la petite garde de conseillers qui, au lendemain du 10 mai 1981, s'était spontanément constituée entre l'Élysée, Matignon et la rue de Rivoli pour guider ses choix économiques lui tombaient des mains. Il les voyait venir. Sous l'habit du courtisan, il devinait les « rocardiens » qu'issus du même moule ils avaient toujours été. Entretien de Jean-Pierre Chevènement au Point, samedi 2 janvier 2016, propos recueillis par Emmanuel Berretta.
Le Point : Emmanuel Macron a été l'un de vos sympathisants au début de son engagement politique. Vous l'aviez croisé ?
Jean-Pierre Chevènement : Non, j'ai eu beaucoup de sympathisants, et je ne m'en souviens pas. Mais cela me flatte ! Car il a des qualités rares en politique : la culture, la finesse. Il apporte beaucoup au gouvernement. Aujourd'hui, il n'est plus sur votre ligne : il est libéral et européen, alors que vous êtes souverainiste. Et pourtant vous le soutenez... Cette façon de présenter les choses est caricaturale. La souveraineté, c'est d'abord et avant tout la démocratie, soit le titre I de la Constitution. Or, Emmanuel Macron a le sens de l'État. Et c'est cela qui compte. Sa loi Macron a fait polémique dans une partie de la gauche. Qu'en pensez-vous ? Je ne pense pas qu'ouvrir les magasins le dimanche dans un certain nombre de zones touristiques soit la ligne qui sépare le jour de la nuit. Vous qui avez côtoyé de très nombreux politiques, pensez-vous qu'il possède la carrure pour porter un destin national ? C'est une perspective qui n'a pas de réalité politique à court terme. Macron a beaucoup de qualités. Il incarne l'élitisme républicain, que je respecte. Aussi, pour la suite, je ne dis pas non. Valls et Macron, quelles sont leurs différences à vos yeux ? Je ne veux pas les mettre en concurrence. Agenda et médiasEntretien de Jean-Pierre Chevènement au Parisien, samedi 2 janvier 2016, propos recueillis par Jannick Alimi.
Le Parisien: Est-ce que la victoire des nationalistes aux régionales vous inquiète ?
Jean-Pierre Chevènement: D’abord, je ne suis pas hostile au nationalisme corse : je défends avant tout l’Etat républicain, tant sur l’île que sur le continent. Je reste attaché à ce que l’Etat soit reconnu comme l’émanation de tous les citoyens français sans distinction d’origine, de couleur de peau ou de religion. Bien sûr, la Corse a son histoire, incarnée au XVIII e siècle par Pascal Paoli. Mais depuis le 14 juillet 1790, fête de la Fédération, la page est tournée. La Corse, qui y était représentée, fait partie intégrante de la nation et du Peuple français. Les nationalistes à la tête de la région ne revendiquent pas l’indépendance… La plupart de leurs revendications auraient pour conséquence de faire sortir la Corse du cadre républicain. La reconnaissance de la nation corse, la co-officialité de la langue corse avec le français, le statut de résident fiscal qui remettrait en cause le principe de l’égalité de tous les citoyens devant l’impôt, sont des revendications inacceptables. La Corse est la collectivité la plus décentralisée de France. Sur certains sujets comme l’investissement, les liaisons entre l’île et le continent, il est normal de débattre. Mais il faut maintenir le principe de la souveraineté du Peuple français et d’une République une et indivisible. Agenda et médiasJean-Pierre Chevènement était l'invité de Florent Peiffer sur iTELE, mercredi 30 décembre 2015.
Dépêche AFP, mercredi 30 décembre 2015.
L'ancien ministre Jean-Pierre Chevènement a jugé mercredi que la déchéance de nationalité pour les binationaux nés Français et condamnés pour terrorisme était une mesure "symbolique" non dissuasive mais importante "du point de vue des valeurs".
"Si on prend la lutte contre le terrorisme, on peut dire qu'elle n'est pas nécessaire, parce qu'effectivement, les gens qui se font sauter au milieu d'une foule innocente ne se laisseront pas dissuader par la perspective du retrait de leur passeport", a déclaré l'ancien ministre de la Défense puis de l'Intérieur sur I-Télé, qualifiant les jihadistes de "sauvageons". "Mais si on place dans la perspective de la réussite de l'intégration, (...) c'est important pour faire prendre au sérieux la question de la nationalité", a-t-il poursuivi. "C'est une mesure symbolique, qui ne concernera que quelques dizaines de cas, mais les mesures symboliques ont une importance du point de vue des valeurs (...) Être Français, c'est un plébiscite de tous les jours", a-t-il dit, citant le philosophe et historien Ernest Renan, auteur du célèbre discours "Qu'est-ce qu'une nation?". Le projet de réforme constitutionnelle adopté par le Conseil des ministres le 23 décembre, qui prévoit l'inscription de l'état d'urgence et l'élargissement de la déchéance de nationalité aux binationaux nés Français et condamnés pour terrorisme, sera examiné à l'Assemblée à partir du 3 février. Dépêche AFP, lundi 28 décembre 2015.
L'ancien ministre Jean-Pierre Chevènement a reproché lundi à l'État de n'avoir "jamais fait barrage au nationalisme corse", après un week-end agité par des manifestations à Ajaccio et marqué par des dérapages racistes.
"Il y a toujours eu un comportement très violemment hostile aux immigrés de la part des nationalistes corses, cela ne date pas d'aujourd'hui. On fait barrage au Front national, mais on n'a jamais fait barrage au nationalisme corse", estime-t-il dans une interview à L'Opinion publiée lundi. "Pour moi, nous sommes en face de deux courants qui n'acceptent pas la République", ajoute l'ancien ministre de la Défense puis de l'Intérieur, qui condamne à la fois les agressions de pompiers survenues dans la nuit de jeudi à vendredi et les manifestations qualifiée d'"irréelles" qui ont mené au saccage d'une salle de prière vendredi. "Il faut bien comprendre que ces comportements apportent de l'eau au moulin de Daech et de ceux qui veulent mettre la France à feu et à sang", explique M. Chevènement. "Mais ces dérapages ont quelque chose à voir avec l'immense complaisance dont les nationalistes ont bénéficié de la part de tous les gouvernements de gauche et de droite depuis près de quarante ans", juge-t-il. Entretien au quotidien L'Opinion, propos recueillis par Charles Sapin, lundi 28 décembre 2015.
L'Opinion: Comment analysez-vous les événements qui se sont déroulés en Corse depuis le 24 décembre ?
Jean-Pierre Chevènement: Bien entendu, je condamne les agressions de policiers et de pompiers. Mais les manifestations organisées par un certain nombre d’extrémistes, et surtout le saccage d’un lieu de culte, sont tout aussi condamnables. De telles manifestations semblent irréelles. Il faut bien comprendre que ces comportements apportent de l’eau au moulin de Daech et de ceux qui veulent mettre la France à feu et à sang. C’est un engrenage de violences, de bêtises et de surenchère de provocations. Ce que veut Daech, c’est la guerre civile en France, « le clash des civilisations », comme disait Bill Clinton. Il est évident que la bêtise qui s’est exprimée ce week-end à Ajaccio y contribue. La réponse de l’État a-t-elle été à la hauteur ? Manuel Valls s’est exprimé assez clairement. Il faut faire appel au courage des Français et comprendre ce qui est en jeu. Nous sommes face à des provocateurs qui exacerbent les tensions existant au sein de la société française, dont l’origine est le chômage de masse ainsi qu’une intégration mal réussie de certaines populations immigrées, une jeunesse hors sol, à qui il faut apprendre ce que signifie être Français. Évidemment, l’État doit enrayer ces comportements infâmes, mais pas seulement. Un réflexe civique, venu des profondeurs du peuple, doit également y contribuer. Le problème qui est devant nous, c’est l’intégration de ces jeunes à la nationalité française. C’est une affaire de longue haleine. Intervention de Jean-Pierre Chevènement lors de la Rencontre organisée par République Moderne le 16 décembre à l’Assemblée nationale.
Nous ne sommes pas arrivés là où nous en sommes par hasard, mais par une accumulation d’erreurs anciennes, commises par tous les gouvernements successifs, depuis au moins trois décennies, et pas seulement par celui-ci.
Même s’il ne peut s’opérer en un jour, un changement de logiciel permettra seul de redresser le cap pour que la France redevienne une puissance à vocation mondiale et ainsi de reconquérir la confiance populaire. Oui, il faut changer de cap ! Le grand pari sur la reconquête de la compétitivité est en passe d’être perdu. Malgré le pacte de responsabilité, le montant de nos exportations stagne désespérément depuis quatre ans à 400 milliards d’euros, trois fois moins que l’Allemagne, et la courbe du chômage ne s’inverse pas. Le pays s’aperçoit qu’il n’est pas protégé. Le transfert vers Bruxelles ou Francfort de pans entiers de la souveraineté n’a pas entraîné un surcroît d’efficacité. La monnaie unique a creusé le gouffre du chômage. Schengen est moribond. La politique extérieure de l’Union européenne a conduit au Moyen-Orient à l’alignement sur les Etats-Unis. La défense européenne est un leurre. La France au Sahel est seule. Dans l’épreuve, les Français se resserrent autour de la France et de la République et de leurs symboles : ils identifient ainsi le lieu de la démocratie et de la responsabilité et par conséquent de l’espoir. |
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