Edmonde s’est éteinte mais la lumière qui brillait dans son regard, joyeuse, étincelante d’intelligence, ne nous quittera pas. Ce prénom – Edmonde – assez rare, ses parents le lui avaient donné en hommage à l’ami et voisin de sa grand-mère un autre fils de Marseille, le poète Edmond Rostand. Elle était ainsi prédestinée : non seulement à l’écriture mais bien plus encore, à être elle-même une héroïne de scène ou de roman. Dans Edmonde, il y avait du Cyrano : une audace de bretteur et surtout le panache !
J’ai connu Edmonde par Gaston Defferre auquel me liait depuis le Congrès d’Epinay une solide amitié. C’était l’époque où ils se sont mariés et je ne puis m’empêcher d’essuyer une larme en me remémorant ici même, dans cette cathédrale de la Major, les obsèques de Gaston, en 1987. Gaston, qu’Edmonde a consacré dans un beau livre L’Homme de Marseille, cette ville qu’elle et lui avaient passionnément aimée … Car Marseille jouait un grand rôle dans la vie d’Edmonde et réciproquement Edmonde jouait un grand rôle à Marseille. Je revois ici même le chapeau de Gaston : un Adieu plein de ferveur et d’émotion.
Maintenant, c’est à toi Edmonde qu’il faut dire adieu, à la femme exemplaire, libre et engagée, que tu as été tout au long de la vie.
J’ai connu Edmonde par Gaston Defferre auquel me liait depuis le Congrès d’Epinay une solide amitié. C’était l’époque où ils se sont mariés et je ne puis m’empêcher d’essuyer une larme en me remémorant ici même, dans cette cathédrale de la Major, les obsèques de Gaston, en 1987. Gaston, qu’Edmonde a consacré dans un beau livre L’Homme de Marseille, cette ville qu’elle et lui avaient passionnément aimée … Car Marseille jouait un grand rôle dans la vie d’Edmonde et réciproquement Edmonde jouait un grand rôle à Marseille. Je revois ici même le chapeau de Gaston : un Adieu plein de ferveur et d’émotion.
Maintenant, c’est à toi Edmonde qu’il faut dire adieu, à la femme exemplaire, libre et engagée, que tu as été tout au long de la vie.
Une femme libre dont l’exemple a éclairé, comme peu d’autres, un siècle où les femmes ont conquis leur liberté. Libre, tu l’étais par rapport à ton milieu marseillais et à celui des Ambassades, à Prague et à Rome, où tu avais grandi. Il fallait du cran pour s’engager à vingt ans, en 1940, comme ambulancière dans la Légion étrangère. Il en fallait aussi pour résister au sein du réseau Brutus où s’était également engagé un certain Gaston Defferre qui – ai-je lu – n’osait pas aborder celle qu’on appelait encore « Mademoiselle Charles-Roux ». Il fallait du cran pour repartir avec De Lattre en 1944-45. Et il fallait du cran encore pour, la guerre terminée, se lancer avec Elle et Vogue dans le journalisme et la mode et pour ouvrir celle-ci à la culture. Il fallait enfin oser un premier roman par-delà l’écriture des « Rois maudits » dans l’atelier littéraire de Maurice Druon.
Ce fut Oublier Palerme qui reçut, en 1966, le Prix Goncourt. Ce n’est pas par hasard qu’Edmonde a consacré à deux femmes, Coco Chanel et Isabelle Eberhardt, la suite de son œuvre romanesque. Coco, l’Irrégulière en 1974 et Isabelle Eberhardt, l’aventurière romantique avec Un Désir d’Orient en 1988 et Nomade j’étais, en 1995.
Cette fascination pour ces femmes sculptrices de leur propre vie. C’était la rencontre d’un tempérament, d’une éducation qui n’était pas seulement une éducation contre, mais aussi le fait de rencontres précoces avec des hommes de culture qui s’étaient faits eux-mêmes et que les hasards de la guerre avaient rapprochés de Marseille : Serge Lifar, Louis Jouvet, Pablo Casals ou Christian Bérard. Là est le secret de cette liberté : Edmonde n’a pas seulement côtoyé les plus grands. Elle ne les a pas seulement séduits. Ils l’ont reconnue comme l’artiste qu’elle était : Aragon, Paul Eluard, Orson Wells, Yves Saint-Laurent, Gaston Defferre, tant d’autres, et bien sûr François Mitterrand. Il était difficile de résister à son charme puissant, cette beauté qui aurait pu paraître austère, ses cheveux soigneusement tirés en arrière pour faire mieux ressortir ce visage finement sculpté, si l’intelligence et la gaité n’avaient pas illuminé ce regard inoubliable.
Ce goût de l’aventure la poussait vers l’époustouflante figure du général Pechkoff auquel elle voulait, dans les dernières années, consacrer un livre. Né dans une famille juive des confins lithuaniens et biélorusses, frère du révolutionnaire Sverdlov, fils adoptif de Gorki, après une vie aventureuse où, à Capri, en 1918, il avait rencontré Lénine, Zinovis Pechkoff avait choisi, en août 1914, de s’engager dans la Légion Etrangère. Deux fois blessé, compagnon de Lyautey et devenu Français en 1926. De Gaulle, qu’il a rejoint en 1940, le fait général et l’envoie comme Ambassadeur de la France libre auprès de Tcheng Kaï Chek à Chongqing, puis ensuite, au Japon, auprès de Mac Arthur. Il fait merveille. Nous en parlions souvent. Cette vie à rebondissements l’amusait énormément. Elle se retrouvait dans la vie du Général Pechkoff comme dans celle d’Isabelle Eberhardt.
Edmonde n’était pas qu’une princesse descendue d’un tableau de la Renaissance, une ensorceleuse comme, depuis Calypso, la Méditerranée en produit. C’était une travailleuse du livre, toujours en recherche, soucieuse de vérifier ses sources, dure à la tâche. « L’écrivain est seul », disait-elle souvent et elle savait s’isoler, à l’Hôtel de la rue des Saints-Pères ou aux Maurély d’où elle pouvait contempler la Montagne Sainte-Victoire. Il faut l’avoir vue à son bureau. Ce n’était pas une mondaine. Quand elle travaillait, il ne fallait pas la déranger.
Libre, Edmonde l’a été dans tous ses choix, dans sa vie personnelle bien sûr, en littérature, en art, en politique et dans les domaines les plus inattendus. C’est ainsi qu’elle confie au peintre Derain les décors du Festival d’Aix, non pour le laver d’une réputation assez injuste, comme l’a montré mon ami Michel Charzat dans un livre récent, mais tout simplement parce qu’elle avait reconnu son génie.
Edmonde savait s’affranchir de tous les conformismes. Où trouver la clé de cette personnalité hors du commun ? Dans sa famille ? Certainement aussi. Mais d’abord dans cette liberté qu’elle avait conquise très jeune et dont elle a usé sans modération mais toujours avec élégance.
Edmonde a été une femme libre mais elle savait que la liberté était faite pour qu’on en use. Elle a été toute sa vie une femme engagée.
Ambulancière dans la Légion étrangère, deux fois blessée, Croix de guerre, son plus beau titre de gloire militaire était d’avoir été faite Caporal d’honneur de la Légion. Je me souviens l’avoir accompagnée à Aubagne où se trouve son quartier général à la cérémonie où le général la commandant transmettait à son successeur, avec son commandement, la main de bois du capitaine Danjou, tué à Camerone à la tête d’une ultime poignée de braves. Quelle révérence pour elle chez tous ces vieux briscards couturés de médailles et de cicatrices. Ça avait de la gueule !
Ceux qui m’ont précédé ont évoqué son engagement dans la République des Lettres.
Edmonde s’est aussi très tôt engagée dans la politique.
C’était foncièrement une patriote. Je l’ai vue meurtrie en 1993 quand la Tchécoslovaquie s’est séparée en deux morceaux. Cela lui rappelait des souvenirs. Evidemment, les situations n’étaient pas comparables. La deuxième Guerre mondiale a aussi été une guerre civile européenne comme l’a rappelé l’historien allemand Erich Nolte. Edmonde Charles-Roux avait combattu pour la France mais aussi pour la démocratie, pour la Liberté. Et de cela, elle s’est toujours souvenue. Elle n’était pas communiste, mais elle savait ce que nous devions aux soldats de Stalingrad et ce que la Résistance française devait aux FTP.
Elle fut très tôt pour l’union de la gauche. Et c’est cela qui l’a fait virer de la direction de l’Edition française de Vogue en 1966. C’était au lendemain de l’élection présidentielle où François Mitterrand s’était imposé comme le leader de l’Union de la gauche.
Je n’ai pas besoin de dire le rôle qu’elle a joué aux côtés de Gaston Defferre, à Marseille, dans votre grande Région Provence-Alpes-Côte d’Azur, mais aussi en France, et bien sûr dans son billet hebdomadaire du Provençal. C’était une femme de conviction, une femme rigoureuse, une vigie. Elle l’est restée, même après la mort de Gaston, cherchant une issue à la longue crise dans laquelle la France est plongée depuis trop longtemps.
Je n’oublie pas l’aide précieuse apportée en maintes circonstances pour dégager l’horizon, éclairer la perspective quand l’union de la gauche ne pouvait plus ouvrir les portes de l’avenir – en 1994 et en 2002. Elle voyait, comme moi, dans la République l’avenir de la gauche, une gauche rassembleuse et soucieuse du peuple français dans son entier. Femme libre, elle savait que la liberté devait s’appuyer sur des lois et respecter des règles. Anticonformiste, elle savait aussi que la différence ne peut s’épanouir que sous le toit de principes communs. Elle avait tout simplement le souci de l’avenir de la France car Edmonde, femme de gauche, était avant tout une patriote.
Cette très grande dame était d’abord une grande Française. Sa vie de plume, de cap et d’épée donnera à tous ceux qui l’ont méditée l’envie de continuer la France parce qu’elle est l’illustration des qualités de courage, d’intelligence et d’ardeur qui ont fait et continueront de faire la France.
Ce fut Oublier Palerme qui reçut, en 1966, le Prix Goncourt. Ce n’est pas par hasard qu’Edmonde a consacré à deux femmes, Coco Chanel et Isabelle Eberhardt, la suite de son œuvre romanesque. Coco, l’Irrégulière en 1974 et Isabelle Eberhardt, l’aventurière romantique avec Un Désir d’Orient en 1988 et Nomade j’étais, en 1995.
Cette fascination pour ces femmes sculptrices de leur propre vie. C’était la rencontre d’un tempérament, d’une éducation qui n’était pas seulement une éducation contre, mais aussi le fait de rencontres précoces avec des hommes de culture qui s’étaient faits eux-mêmes et que les hasards de la guerre avaient rapprochés de Marseille : Serge Lifar, Louis Jouvet, Pablo Casals ou Christian Bérard. Là est le secret de cette liberté : Edmonde n’a pas seulement côtoyé les plus grands. Elle ne les a pas seulement séduits. Ils l’ont reconnue comme l’artiste qu’elle était : Aragon, Paul Eluard, Orson Wells, Yves Saint-Laurent, Gaston Defferre, tant d’autres, et bien sûr François Mitterrand. Il était difficile de résister à son charme puissant, cette beauté qui aurait pu paraître austère, ses cheveux soigneusement tirés en arrière pour faire mieux ressortir ce visage finement sculpté, si l’intelligence et la gaité n’avaient pas illuminé ce regard inoubliable.
Ce goût de l’aventure la poussait vers l’époustouflante figure du général Pechkoff auquel elle voulait, dans les dernières années, consacrer un livre. Né dans une famille juive des confins lithuaniens et biélorusses, frère du révolutionnaire Sverdlov, fils adoptif de Gorki, après une vie aventureuse où, à Capri, en 1918, il avait rencontré Lénine, Zinovis Pechkoff avait choisi, en août 1914, de s’engager dans la Légion Etrangère. Deux fois blessé, compagnon de Lyautey et devenu Français en 1926. De Gaulle, qu’il a rejoint en 1940, le fait général et l’envoie comme Ambassadeur de la France libre auprès de Tcheng Kaï Chek à Chongqing, puis ensuite, au Japon, auprès de Mac Arthur. Il fait merveille. Nous en parlions souvent. Cette vie à rebondissements l’amusait énormément. Elle se retrouvait dans la vie du Général Pechkoff comme dans celle d’Isabelle Eberhardt.
Edmonde n’était pas qu’une princesse descendue d’un tableau de la Renaissance, une ensorceleuse comme, depuis Calypso, la Méditerranée en produit. C’était une travailleuse du livre, toujours en recherche, soucieuse de vérifier ses sources, dure à la tâche. « L’écrivain est seul », disait-elle souvent et elle savait s’isoler, à l’Hôtel de la rue des Saints-Pères ou aux Maurély d’où elle pouvait contempler la Montagne Sainte-Victoire. Il faut l’avoir vue à son bureau. Ce n’était pas une mondaine. Quand elle travaillait, il ne fallait pas la déranger.
Libre, Edmonde l’a été dans tous ses choix, dans sa vie personnelle bien sûr, en littérature, en art, en politique et dans les domaines les plus inattendus. C’est ainsi qu’elle confie au peintre Derain les décors du Festival d’Aix, non pour le laver d’une réputation assez injuste, comme l’a montré mon ami Michel Charzat dans un livre récent, mais tout simplement parce qu’elle avait reconnu son génie.
Edmonde savait s’affranchir de tous les conformismes. Où trouver la clé de cette personnalité hors du commun ? Dans sa famille ? Certainement aussi. Mais d’abord dans cette liberté qu’elle avait conquise très jeune et dont elle a usé sans modération mais toujours avec élégance.
Edmonde a été une femme libre mais elle savait que la liberté était faite pour qu’on en use. Elle a été toute sa vie une femme engagée.
Ambulancière dans la Légion étrangère, deux fois blessée, Croix de guerre, son plus beau titre de gloire militaire était d’avoir été faite Caporal d’honneur de la Légion. Je me souviens l’avoir accompagnée à Aubagne où se trouve son quartier général à la cérémonie où le général la commandant transmettait à son successeur, avec son commandement, la main de bois du capitaine Danjou, tué à Camerone à la tête d’une ultime poignée de braves. Quelle révérence pour elle chez tous ces vieux briscards couturés de médailles et de cicatrices. Ça avait de la gueule !
Ceux qui m’ont précédé ont évoqué son engagement dans la République des Lettres.
Edmonde s’est aussi très tôt engagée dans la politique.
C’était foncièrement une patriote. Je l’ai vue meurtrie en 1993 quand la Tchécoslovaquie s’est séparée en deux morceaux. Cela lui rappelait des souvenirs. Evidemment, les situations n’étaient pas comparables. La deuxième Guerre mondiale a aussi été une guerre civile européenne comme l’a rappelé l’historien allemand Erich Nolte. Edmonde Charles-Roux avait combattu pour la France mais aussi pour la démocratie, pour la Liberté. Et de cela, elle s’est toujours souvenue. Elle n’était pas communiste, mais elle savait ce que nous devions aux soldats de Stalingrad et ce que la Résistance française devait aux FTP.
Elle fut très tôt pour l’union de la gauche. Et c’est cela qui l’a fait virer de la direction de l’Edition française de Vogue en 1966. C’était au lendemain de l’élection présidentielle où François Mitterrand s’était imposé comme le leader de l’Union de la gauche.
Je n’ai pas besoin de dire le rôle qu’elle a joué aux côtés de Gaston Defferre, à Marseille, dans votre grande Région Provence-Alpes-Côte d’Azur, mais aussi en France, et bien sûr dans son billet hebdomadaire du Provençal. C’était une femme de conviction, une femme rigoureuse, une vigie. Elle l’est restée, même après la mort de Gaston, cherchant une issue à la longue crise dans laquelle la France est plongée depuis trop longtemps.
Je n’oublie pas l’aide précieuse apportée en maintes circonstances pour dégager l’horizon, éclairer la perspective quand l’union de la gauche ne pouvait plus ouvrir les portes de l’avenir – en 1994 et en 2002. Elle voyait, comme moi, dans la République l’avenir de la gauche, une gauche rassembleuse et soucieuse du peuple français dans son entier. Femme libre, elle savait que la liberté devait s’appuyer sur des lois et respecter des règles. Anticonformiste, elle savait aussi que la différence ne peut s’épanouir que sous le toit de principes communs. Elle avait tout simplement le souci de l’avenir de la France car Edmonde, femme de gauche, était avant tout une patriote.
Cette très grande dame était d’abord une grande Française. Sa vie de plume, de cap et d’épée donnera à tous ceux qui l’ont méditée l’envie de continuer la France parce qu’elle est l’illustration des qualités de courage, d’intelligence et d’ardeur qui ont fait et continueront de faire la France.