Bonnes feuilles d'"Un défi de civilisation", le dernier livre de Jean-Pierre Chevènement, parues dans Marianne, 14 octobre 2016.
Comme l'éclair illumine un paysage nocturne, le Brexit, voté par les Britanniques le 23 juin 2016, n'a pas seulement révélé les fragilités de la construction européenne, il a sonné comme un retentissant et cuisant désaveu à l'égard des institutions de Bruxelles.
Le Royaume-Uni avait un statut à part, n'étant ni dans la zone euro ni dans l'espace Schengen. Pour le retenir au sein de l'Union européenne, ses partenaires lui avaient encore consenti une dérogation au principe de la libre circulation des travailleurs au sein de l'Union européenne et un statut de contributeur au budget de l'UE très avantageux. Ils lui avaient même accordé un droit de regard sur l'élaboration des réglementations financières qui auraient pu faire de l'ombre à la City, d'où le Royaume-Uni tire plus de 15 % de son produit intérieur brut, trois fois plus que la France ou l'Allemagne. Pourtant, il faut croire que l'intelligence collective de son peuple - si tant est qu'on croie à la démocratie - a préféré délaisser ce statut spécial apparemment avantageux pour reprendre en main et en toute transparence le contrôle entier de son destin. [...] L'opinion claironnée de la plupart des élites européennes, au lendemain du Brexit, est que le Royaume-Uni s'est tiré une balle dans le pied, que son économie va entrer en récession et que, peut-être, il va éclater. Et si c'était le contraire qui était vrai ? Si le Royaume-Uni avait quitté un édifice branlant où il n'avait d'ailleurs mis qu'un pied, avant qu'il ne s'effondrât sur sa tête ? [...] En maints domaines, le Parlement de Westminster n'avait plus le dernier mot.
le 17 Octobre 2016 à 12:12
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ActualitésLes actes du colloque du 4 juillet 2016 sont disponibles en ligne sur le site de la Fondation Res Publica.
Voici le texte validé de l'interview donnée par Jean-Pierre Chevènement à l'Hebdomadaire Le Point qui en reproduit une version contractée, jeudi 13 octobre 2016, propos recueillis par Laureline Dupont et Thomas Mahler.
Le Point: Votre livre est une défense de la realpolitik et d’une vision stratégique sur le long terme. Mais cela peut-être dur à entendre quand on assiste au quotidien à un martyre comme celui de la ville d’Alep…
Jean-Pierre Chevènement: Le plus grand risque pour un politique qui entend comprendre le monde c’est de se laisser happer par l’immédiateté, et c’est le plus sûr moyen de réduire la politique à la communication, c’est-à-dire à rien. La France aborde un temps d’épreuves qu’elle ne surmontera que si elle comprend la nature du défi qui lui est jeté, non seulement par le terrorisme mondialisé, mais par la « globalisation », dont celui-ci n’est qu’une facette. L’ambition de ce livre a été de déplacer l’axe de la caméra de la partie vers le tout, de l’Islam vers une « globalisation » devenue à elle-même sa propre fin, non pour nier la réalité et la gravité des périls qui nous menacent, mais pour les comprendre afin de les surmonter. La France est aujourd’hui en panne de projet. J’ai voulu montrer qu’il y avait pour elle un chemin, celui de « l’Europe européenne », de l’Atlantique à la Russie, que le général de Gaulle lui avait indiqué, il y a plus d’un demi-siècle. C’est le seul moyen de relever les défis venus du Sud par un projet de civilisation et de desserrer, au XXIe siècle, les mâchoires du G2 sino-américain qui sont déjà en train de se refermer sur l’Europe. Je propose donc une grille de lecture du monde, et particulièrement des relations entre le monde musulman et l’Occident, depuis au moins un demi-siècle. Il y a évidemment un rapport entre celles-ci et le terrorisme qui nous frappe. Pour comprendre la réaction du monde musulman à la « globalisation » et au tsunami de modernité et d’hyperindividualisme occidental, j’utilise les concepts forgés par Pierre Brochand que je crois éclairants : rebond (Malaisie-Indonésie) – rente (pays du Golfe) – renoncement (Somalie) – refus, à travers l’islamisme politique (Iran et pays sunnites gagnés à l’influence des « Frères musulmans »), rejet enfin, à travers le terrorisme djihadiste dont Gilles Kepel a décrit les étapes depuis 1979 : djihad afghan, djihad planétaire d’Al Quaïda, djihad territorialisé et réticulaire de Daech. Le nouveau livre de Jean-Pierre Chevènement, sortie le 12 octobre 2016 (Editions Fayard, 464 pages, 20 euros).
Sidération. les attentats terroristes et le spectre de la guerre civile nous ont pris à l’improviste. Comme en 1870 et en 1940, la France se découvre un ennemi qu’elle n’avait pas vu venir et qu’elle peine d’ailleurs à définir.
D’abord comprendre : nommer les maux, mais avec de justes mots. La gravité des attentats tient aux faiblesses qu’ils révèlent et que nos élites ont laissé se creuser au fil des ans. Pour remonter aux causes, déplaçons notre regard du terrorisme djihadiste mondialisé vers une « globalisation » devenue folle. Cette globalisation a modifié la hiérarchie des puissances, créé les fractures sociales, géographiques, générationnelles, miné la démocratie, suscité frustrations et rejets, particulièrement dans le monde musulman. Elle a mis en crise le modèle républicain et périmé le projet européen initié par la France après 1945. Le fond de l’affaire ne serait-il pas que nous ne savons plus aujourd’hui qui nous sommes ni ce que nous voulons faire ? Face à une globalisation, mère d’un nouveau chaos mondial, la France a encore les moyens de faire face, en donnant vie, de concert avec l’Allemagne, au projet d’Europe européenne, de l’Atlantique à l’Oural, que le général de Gaulle avait conçu pour elle. Seul levier pour peser au xxie siècle entre les États-Unis et la Chine, et renouer avec l’universel en ouvrant au monde, y compris musulman, un horizon de progrès. Dans les épreuves, des forces de résilience insoupçonnées sont en train de surgir, qui sont aussi des forces spirituelles : regain d’un patriotisme républicain, à la fois de principes et enraciné dans toute notre histoire, laïcité éclairée par la Raison, universalisme du réel. Le bateau France a encore les moyens de se redresser. Jean-Pierre Chevènement dessine la carte d’une confiance retrouvée. Le bateau France n’a besoin que d’un cap : un projet politique qui soit aussi un projet de civilisation. Entretien de Jean-Pierre Chevènement à Causeur, propos recueillis par Elisabeth Lévy et Daoud Boughezala, septembre 2016.
Causeur. Vous présidez désormais la Fondation de l’islam de France. Les musulmans français aujourd’hui sont-ils prêts à regarder la réalité en face et à admettre que le djihadisme vient de leurs rangs et y suscite une sympathie beaucoup trop large, plutôt que de hurler à l’islamophobie et d’agiter la complainte victimaire et anticolonialiste avec le renfort de la gauche compassionnelle ?
Jean-Pierre Chevènement. Je crains qu’en pratiquant l’amalgame entre les terroristes « djihadistes » et la grande masse des musulmans de France qui n’aspirent qu’à pratiquer paisiblement leur culte, vous ne tombiez dans le piège de nos adversaires. Ces derniers ne se cachent pas de vouloir susciter une guerre civile en France en jouant sur les fractures trop réelles de notre société. Je vous le dis : il faut isoler les terroristes. C’est une règle de principe. Or l’« hystérisation » des problèmes ne peut qu’élargir leur cercle de sympathisants, aujourd’hui très réduit parmi les musulmans. Ceux-ci souffrent de ces amalgames précipités et injustes. L’islam de France est par définition un islam républicain. Son émergence est une tâche de longue haleine, mais si la voie est étroite, il n’y en a pas d’autre pour maintenir la paix civile. Bien entendu, il y a d’autres chantiers à ouvrir pour que reprenne le processus normal de l’intégration. Il nous faut « faire France » à nouveau. Cela ne peut se réaliser que sur un projet partagé. Évitez donc les caricatures ! Ouvrez des chemins qui rapprochent ! Rejetez la voie des surenchères qui fait le jeu de Daech ! Les médias et la gauche politique dénoncent volontiers l’islamophobie française (un des éléments de la « droitisation »). Ce qui est sûr, c’est que la méfiance envers l’islam grandit en France. Comment y répondre ? Que les attentats de 2015-2016 aient provoqué beaucoup d’inquiétude et d’interrogations chez nos concitoyens, qui ne le comprendrait ? Mais je ne constate pas le rejet de nos compatriotes musulmans dont la plupart n’ont rien à voir avec le salafisme qui est le terreau du djihadisme armé. Les Français sont un vieux peuple républicain. Ils ont montré beaucoup de maturité, à l’exception d’incidents isolés en Corse et hélas des propos de certains responsables politiques qui font de l’islam LE problème de la société française, alors qu’elle en a tant d’autres ! Les attentats terroristes ne sont vraiment une menace que parce que ces hommes politiques à courte vue, ayant abandonné depuis longtemps les véritables leviers de commande, ont laissé s’accumuler depuis trop longtemps des stocks de matières inflammables, notamment un chômage de masse dans la jeunesse, qui rendent en effet la situation très dangereuse. Ils savent pourtant que la plupart des victimes du terrorisme, de l’Irak à l’Algérie, de la Syrie et de la Turquie au Nigeria, sont des musulmans. L’islam est une mosaïque de sensibilités, et le fondamentalisme religieux dans le monde arabo-musulman ne l’a emporté sur le courant de la réforme – la Nahda – que depuis quatre décennies environ. Cela n’a rien d’irréversible ! Il faudrait que l’Occident fasse son examen de conscience dans le soutien à courte vue qu’il a apporté au fondamentalisme religieux. Je ne remonterai pas à la guerre du Golfe mais aujourd’hui encore j’entends des voix françaises prôner le soutien en Syrie aux rebelles islamistes et même à Al-Nosra, filiale d’Al-Qaïda ! On marche sur la tête ! Il faut condamner avec force les actes anti-musulmans, et votre journal devrait le faire plus nettement et plus souvent en montrant non seulement le caractère odieux et criminel de ces actes mais aussi leur bêtise. Vous évoquez l’islamophobie. C’est un mauvais mot. Aucune religion ne doit être à l’abri du débat. Mais il faut flétrir le racisme aussi inadmissible vis-à-vis des Maghrébins que des Juifs. L’islam doit être respecté comme la religion de 1,8 milliard d’êtres humains, une religion née il y a mille cinq cents ans et qui s’est incarnée dans des civilisations qui furent parmi les plus brillantes de l’humanité. La réponse à l’inquiétude légitime de nos concitoyens est dans l’application ferme et même sévère de la loi républicaine. La République rassemble. Le communautarisme, quelle qu’en soit la forme, encourage les replis identitaires. Je ne pense pas que votre but soit de créer en France une communauté de plus, les « souchiens ». Ce ne serait pas rendre service à notre pays ! Agenda et médiasJean-Pierre Chevènement était l'invité de Jean-Michel Aphatie sur France Info, mercredi 14 septembre 2016.
Lire le verbatim réalisé par France Info.
Dépêche AFP, mercredi 14 septembre 2016, 10h36.
Jean-Pierre Chevènement ex-élu de Belfort, demande que "l'Etat monte au capital d'Alstom" pour pouvoir retrouver "confiance" en ses dirigeants, voyant dans la menace sur l'avenir du site belfortain un nouvel épisode de la "saga de la désindustrialisation de la France".
"La nationalisation, dans certains cas, partielle, temporaire, ça peut être un moyen d'orienter une stratégie. Je demande donc que l'Etat monte au capital, remplace Bouygues, aille même un peu plus loin, c'est-à-dire à la minorité de blocage, de façon à ce que nous puissions avoir confiance dans la direction d'Alstom, que nous pussions penser qu'il y a quand même une once de patriotisme économique dans la tête de ses dirigeants", a déclaré l'ancien ministre sur France info. "Il ne suffit pas que (le PDG) M. Poupart-Lafarge dise qu'on va surseoir pendant dix jours. L'usine de Belfort est l'usine-mère du groupe Alstom. C'est là qu'on fabrique en France les locomotives depuis 1879. (...) Du point de vue du ressenti historique, Alstom c'est Belfort", a-t-il fait valoir.
La fermeture par Alstom de l’usine de locomotives de Belfort qui y existe depuis plus de 140 ans, intervient au lendemain du départ de M. Macron. Celui-ci, en 2015, avait pris devant les salariés d’Alstom des engagements solennels en vue d’assurer le plan de charge de l’usine à travers notamment le programme « TGV du futur ».
Il ne sera pas moins nécessaire demain qu’hier à la SNCF d’acheter des locomotives de fret et des locomotives TGV. La cession d’Alstom-Power à General Electric en 2014 était censée renforcer Alstom-Transport. Celui-ci vient d’emporter un contrat de 2 milliards de dollars aux Etats-Unis mais les emplois créés seront tous américains. On attend du gouvernement de la France qu’il défende les usines françaises avec autant d’énergie que le gouvernement américain en mai pour promouvoir l’emploi industriel aux Etats-Unis. Particulièrement à Belfort où le taux de chômage est supérieur de trois points à la moyenne nationale. Quel symbole ce serait que la disparition de l’usine mère de Belfort ! Je demande au gouvernement et au Président de la République qui connait bien le dossier Alstom de faire en sorte que cette entreprise présente sans tarder un plan alternatif. |
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