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"L’Europe des nations est la seule qui peut renouer avec les peuples"


Entretien de Jean-Pierre Chevènement au quotidien suisse Le Temps, lundi 7 novembre 2016.


Le Temps: Votre intervention, à Genève, sera consacrée à «La Russie et l’Europe». Vos sentiments prorusses sont connus et suscitent la controverse, compte tenu des agissements de Moscou en Syrie et en Ukraine. Cela ne vous perturbe pas?
Jean-Pierre Chevènement:
L’Europe doit impérativement sortir de cette atmosphère russophobe qui imprègne les relations avec Moscou. Cessons de regarder l’avenir avec les lunettes du passé: la Russie n’est pas l’URSS. Dois-je rappeler que le parti de Vladimir Poutine vient de remporter les élections législatives avec plus de 55% des voix et que cette majorité n’est pas contestée? On ne peut plus continuer à caricaturer notre grand voisin européen de l’Est et à entretenir avec lui une pomme de discorde durable. La Russie demeure une puissance. Et l’Europe ne s’en sortira pas si elle reste prostrée dans cette attitude biaisée à son égard. Va-t-on longtemps continuer d’ignorer le sentiment majoritaire de la population russe? Peut-on rester sans réaction devant la constitution d’une nouvelle bipolarité entre les Etats-Unis et la Chine, ce fameux G2? Mon attachement à la Russie résulte de ma conviction que l’Europe doit absolument s’organiser comme un pôle indépendant, pour répondre à la nouvelle donne stratégique du XXIe siècle. Arrêtons de voir partout l’espionnite russe. Agissons pour préserver nos intérêts face au condominium sino-américain. On ne doit pas être aveugle et ignorer l’arrangement entre les multinationales et le pouvoir chinois depuis plus de trois décennies. Trouver des coopérations avec la Russie est le seul moyen pour l’Europe d’exister encore au XXIe siècle.

Cette Europe unie, vous l’avez longtemps combattue. Alors?
L’Europe doit tirer le bilan de ses échecs si elle veut continuer de peser. Or la méthode communautaire est aujourd’hui en échec. Incapable de dépasser l’économicisme pour développer une identité stratégique, elle nous handicape dans la compétition mondiale. Je crois en l’Europe des nations, de l’Atlantique à la Russie pour paraphraser le général de Gaulle. Elle est la seule qui peut renouer avec les peuples, car seule la nation offre un sentiment d’appartenance assez fort pour permettre l’acceptation du fait majoritaire et, donc, le fonctionnement de la démocratie. Je suis de ce point de vue très admiratif de la Suisse, ce pays que je connais assez bien, y compris sur le plan familial. Ma mère était une Garessus. Sa famille venait de Suisse. Je connais bien les problématiques frontalières. La réalité est que l’Europe communautaire se déconstruit d’elle-même. Le Brexit en est la dernière illustration. Cela ne marche pas. Je suis de l’avis de l’ancien ministre français des Affaires étrangères Hubert Védrine: nous avons besoin d’une grande conférence refondatrice, qui permettrait de repenser l’Europe au long cours à partir des nations.

Il faut donc tout changer, tout repenser?
Je ne propose pas de sortir des institutions communautaires. Je propose d’en déplacer le centre de gravité de la Commission vers le Conseil des chefs d’Etat, lieu de la légitimité démocratique. Pourquoi? Parce que cette Europe communautaire qui ne marche pas aboutit à la résurgence tant redoutée des nationalismes, car elle crée des inégalités de développement génératrices de frustrations. Ne jetons pas le bébé européen. Acceptons juste de tirer les conséquences des changements survenus dans le monde. Le capitalisme a changé. Le terrorisme djihadiste nous menace. La destruction des Etats, au Moyen-Orient, a nourri l’émergence de Daech et du terrorisme. L’Europe doit en tirer les conséquences.

Vous évoquez la question du terrorisme. Elle pose aussi celle de l’islam radical en Europe. Du côté français, un an après les attentats parisiens du 13 novembre, la Fondation pour l’islam de France que vous présidez peut-elle changer la donne?
J’ai été pressenti pour cette tâche. C’est le ministre français de l’Intérieur Bernard Cazeneuve qui m’a sollicité et nous attendons, pour démarrer nos travaux, de réunir notre premier conseil d’administration. J’ai posé une condition: éviter tout financement étranger. On ne transformera pas l’islam de France si l’on continue de s’appuyer sur des capitaux venus d’ailleurs, surtout du Golfe. Ma priorité sera ensuite de mettre très rapidement sur pied des actions en direction de la jeunesse. Cette fondation à but purement profane (éducatif, culturel et social) n’a nullement pour objectif d’interpréter le Coran. Mais elle doit relever le défi de la connaissance de l’islam en France, en particulier à travers la création d’instituts d’islamologie, favorisant une formation profane des imams. La création d’une association culturelle exclusivement animée par des musulmans pourvoira aussi à la construction de mosquées.

La gauche française est-elle mieux équipée que la droite pour affronter ces défis de l’islam, compte tenu de sa tradition laïque?
Nous devons éviter le «choc des civilisations» et la guerre civile que Daech veut précipiter en France et dans le reste de l’Europe. Cette tâche n’est ni de gauche, ni de droite. Bien sûr, la gauche, face à la globalisation aveugle, a une mission particulière à remplir. On sent que le modèle de développement actuel, générateur de tant d’inégalités, est aujourd’hui à bout de souffle. J’en reviens donc à l’Europe des nations, solidement ancrée à un môle franco-allemand. Il faut redonner un contenu réel au traité de l’Elysée. Nous ne pouvons pas devenir une banlieue éloignée de l’empire américain alors que Washington regarde de plus en plus vers le Pacifique. Quand à la laïcité, elle n’est nullement tournée contre les religions. Au contraire, elle est protectrice pour une religion minoritaire comme l’islam.

Et l’Amérique de Donald Trump, elle vous inquiète?
Je répondrai en puisant dans mes souvenirs. Je fus l’un des premiers, au Parti socialiste français, à rencontrer Ronald Reagan alors qu’il n’était pas encore candidat à la présidence des Etats-Unis. J’étais sorti de l’entretien plutôt rassuré. Je préfère évidemment voir Hillary Clinton accéder à la présidence. Mais reconnaissons aussi que Trump a l’avantage de ne pas être interventionniste. L’interventionnisme américain, celui des deux présidents Bush, père et fils, a fait d’énormes dommages au Moyen-Orient. C’est la destruction de l’Irak qui a offert les populations sunnites de l’ouest irakien à Daech. Ne l’oublions pas.

Source : Le Temps


le Lundi 7 Novembre 2016 à 14:56 | Lu 3524 fois



1.Posté par Carl GOMES le 07/11/2016 18:04
Cependant l'Europe des nations n'est pas compatible avec l'UE dont le dessein était de former un vaste marché libéral incluant avec les pays d'Europe de l'Ouest ceux de l'est, sous la coupe politique de l'OTAN. Ce libéralisme politico-économique est dans les gènes mêmes de l'UE, c'est à dire dans les textes de ses traités. La seule solution valable pour ceux qui proposent une "autre Europe" est de sortir de celle-là par un Brexit ou un Frexit.
On voit par ailleurs que la crise économique brandie comme un épouvantail pour tout pays qui quitterait l'UE ne se produit pas en Grande Bretagne, ce serait même plutôt l'inverse...

2.Posté par Pierre Henri DREVON le 10/11/2016 11:30
phdrevon@hotmail.fr
« l’Europe doit absolument s’organiser comme un pôle indépendant, pour répondre à la nouvelle donne stratégique du XXIe siècle »

Jusque là, je vous suis totalement !

Je me dis donc : "enfin, M. Chevènement est devenu fédéraliste, favorable à un État Nation européen, supranational donc"...

Et badaboum ! M. Chevènement continue à vouloir faire ça avec des états nations (France, Allemagne, Italie,...) totalement souverains et indépendants les uns des autres !

Bref, l'UE actuelle, intergouvernementale, que nos chers "Chefs d'États et de Gouvernement" ont consciencieusement établie depuis 40 ans, pour tuer toute idée de supra-nationalité !

Et qui ne marche pas.

J'avoue que depuis longtemps déjà je ne comprends plus M. Chevènement...

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