Une tribune de Jean-Pierre Chevènement, parue dans l'hebdomadaire Marianne, le 24 mai 2019.
La dégradation de l'environnement stratégique de l'Europe (unilatéralisme américain, accès de la Chine aux hautes technologies, montée de l'islamisme radical au Moyen-Orient et en Afrique, crises migratoires à venir) nous fait découvrir la sagesse de l'adage prêté à Sun Tzu : « Si tu veux la paix, ne laisse pas le désordre s'installer à tes portes. » En tout domaine, nos dépendances et nos vulnérabilités sont destinées à s'accroître. La construction de l'Europe était censée nous prémunir contre ces menaces. Placés désormais au pied du mur, les Européens s'aperçoivent que les plans de la maison qu'on leur a construite étaient faux. L'Europe telle qu'elle a été pensée par Jean Monnet a été fondée sur l'idée du marché. Pour tout ce qui est la défense et la stratégie, elle s'en est remise, dès les années 50, aux Etats-Unis.
Au cœur du « marché unique » dont Jacques Delors a été l'artisan principal, il y a le principe néolibéral de la concurrence que la Commission européenne a été chargée de mettre en œuvre. L'essentiel de ce qui est stratégique (défense, politique industrielle, construction de « champions numériques ») a été laissé en jachère. Certes, l'existence d'un grand marché est un atout dont il ne faut pas priver nos entreprises. Encore faudrait-il que ce grand marché soit défendu vis-à-vis de l'extérieur et harmonisé à l'intérieur. Or, l'Europe à 27 n'a pas de conscience stratégique ni de ferme volonté politique : elle avance peut-être, mais au « rythme européen », c'est-à-dire à pas de tortue. La monnaie unique a ralenti la croissance de la zone euro et a accru les divergences en son sein. Surévaluée pour les pays de l'Europe du Sud, au dire du FMI lui-même, elle est sous-évaluée pour l'Allemagne. Il en résulte des distorsions insoutenables sur le long terme.
Rédigé par Chevenement.fr le 30 Mai 2019 à 15:00
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Communiqué de Jean-Pierre Chevènement
Ce matin, la direction du groupe américain General Electric a annoncé la suppression de 1 050 emplois sur Belfort, 800 dans les turbines à gaz, 250 dans le centre de services installé il y a deux ans, conformément aux engagements pris, et désormais voué à la fermeture.
Le coup est terrible pour Belfort, qui voit de surcroît l’exécution des nouvelles commandes transférée aux Etats-Unis. Dans ce sinistre industriel, la responsabilité de l’Etat est doublement engagée. D’abord pour avoir accepté, dans la plus grande opacité, un accord déséquilibré avec General Electric en 2014. Ensuite pour n’être pas monté au capital pour y remplacer Bouygues en 2017 et ainsi donner vie aux trois « co-entreprises » prévues entre Alstom et General Electric. « Tout pour les actionnaires, haro sur les salariés ! », ainsi se résume ce bradage à 12,5 milliards d’euros. Belfort est un grand site industriel français depuis 1878. Je n’imagine pas que le Président de la République, que j’ai accompagné à Belfort en 2015 quand il était ministre de l’Economie et qui connait parfaitement bien le dossier Alstom, ne prenne pas aujourd’hui des initiatives d’abord pour rappeler à General Electric que le slogan « America first ! » ne saurait s’appliquer en violation des engagements pris, et qu’ensuite il ne donne pas une vigoureuse impulsion aux projets de diversification industrielle qui existent en matière aéronautique comme dans la maintenance nucléaire. Belfort est une ville résistante. Elle espère que son gouvernement ne la livrera pas une seconde fois. Entretien de Jean-Pierre Chevènement à L'Express, propos recueillis par Alexis Lacroix, dimanche 28 avril 2019.
Jean-Pierre Chevènement était L'invité des Matins animé par Guillaume Erner sur France Culture, le mercredi 24 avril 2019. Thème de l'émission : 50 ans après la démission du général de Gaulle : quel est son héritage ?
Verbatim
Jean-Pierre Chevènement était l'invité de Sonia Mabrouk, dans l'émission Europe Soir sur Europe 1, le lundi 23 avril
Verbatim
Communiqué de Jean-Pierre Chevènement, ancien ministre
Qui, parmi ceux que hante, depuis plus de cent ans, la fin de la France, n'a pas éprouvé, en voyant brûler Notre-Dame, cœur de notre Sacré, la réalisation symbolique de son pressentiment ?
Et aussitôt s'est levée la grande ombre de celui qui, même au fond de l'abîme, n'a jamais désespéré, je veux dire, bien sûr, Charles de Gaulle. Est-ce lui qui a inspiré Emmanuel Macron, quand celui-ci a déclaré : "Nous rebâtirons Notre-Dame !". Mais ce n'est pas seulement Notre-Dame qu'il faut rebâtir, c'est le patriotisme français, c'est l'Histoire de France, notre récit national, notre République. Au moment où le Président de la République allait apporter sa réponse au grand débat qu'il avait lancé il y a quatre mois pour reconstruire notre démocratie, Notre-Dame brûlant rappelle à tous l'ampleur de la tâche. Comment cette reconstruction de la démocratie et du patriotisme français serait-elle possible dans une atmosphère de guerre civile froide ? A cet égard, c'est Jean-Luc Mélenchon qui a trouvé les mots les plus justes pour dire que ce qui nous unit - la France, sa civilisation, son Histoire - est plus fort que ce qui, temporairement, nous divise. Ainsi Notre-Dame, du fond des siècles, nous appelle-t-elle, ensemble, à continuer la France. Les actes du colloque du 29 janvier 2019 sont disponibles en ligne sur le site de la Fondation Res Publica.
Une tribune de Jean-Pierre Chevènement, paru dans Les Cahiers de l'Orient, n°133, hiver 2019
Il a fallu plus d’un siècle entre la proclamation des libertés d’opinions, « même religieuses », par la déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen (1789) et le vote de la loi sur « la Séparation de l’Église et de l’État » (1905). C’est le temps qu’il a fallu à la République pour fixer sa doctrine en matière de religion. Rien d’évident au départ dans un pays où le catholicisme constitue la religion très largement majoritaire des Français.
Au début, il y eut la tentation de s’assurer la fidélité du clergé aux institutions que fonde désormais non plus le droit divin mais la souveraineté populaire. Ce fut en 1790 la « Constitution civile du clergé » qui déboucha sur l’opposition entre les prêtres assermentés (ou « jureurs ») et les prêtres réfractaires, origine profonde des guerres de Vendée. Puis se fit jour, avec le « Culte de l’Être suprême », la tentation rousseauiste, c’est-à-dire déiste, de donner une religion à la République pour l’adosser à l’idée d’un « sacré ». Cette idée, si contraire à l’esprit voltairien ou à la philosophie des Encyclopédistes qui imprégnaient la majorité des membres de la Convention Nationale, perdit Robespierre. L’idée de laïcité, pensée par Condorcet, n’était pas mûre. Les tentatives de déchristianisation heurtaient le sentiment profond du pays. Esprit pratique, Bonaparte reconnut le catholicisme non comme religion de l’État, mais comme la religion de la majorité des Français. Poussant à son terme la logique du gallicanisme, il imposa au Pape le Concordat de 1801, tout en préservant la liberté des autres cultes, quitte à les organiser, ce dont ceux-ci s’accommodèrent fort bien, tout comme d’ailleurs le catholicisme le fit du Concordat. Ce compromis réaliste a duré plus d’un siècle. La Seconde République a ignoré la question de la laïcité. La troisième ne s’y est référée qu’avec d’infinies précautions. |
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