Verbatim
- Sonia Mabrouk : Les fêtes de Pâques sont endeuillées par les attentats au Sri Lanka contre des chrétiens. La piste islamiste est privilégiée. Assiste-t-on à une résurgence d'attaques ciblant cette communauté religieuse ?
Jean-Pierre Chevènement : C'est certain. Il y a plus d'une cinquantaine de pays où il y a des persécutions dirigées contre les chrétiens. Jacques Julliard distingue deux formes de persécution : la persécution "marteau", c'est-à-dire l'attentat, l'exécution, et la persécution "étau" : la discrimination, le refus de citoyenneté. Cette question devrait être mise sur la table. On ne peut pas faire de différence entre des persécutions qui visent des délits d'opinion, d'orientation sexuelle ou d'origine ethnique, et des persécutions antireligieuses. J'ajoute que si ces persécutions ont souvent lieu en pays musulman, les musulmans ont payé le plus lourd tribut aux persécutions islamistes en Irak, en Syrie, au Pakistan et, plus près de nous, en Algérie pendant la décennie noire des années 1990.
- Après l'incendie de Notre-Dame, vous avez appelé à un sursaut, affirmant qu'il fallait "rebâtir le patrimoine français, l'histoire de France, notre récit national".
Je ne me suis pas exprimé d'un point de vue politique. Sous le coup de l'émotion, j'ai ressenti comme beaucoup de Français que Notre-Dame faisait partie de notre Sacré national, que c'était un patrimoine immatériel. Quand j'ai entendu le Président de la République proposer, à juste titre, qu'on se consacre à sa reconstruction, je me suis dit qu'il ne s'agissait pas seulement de la cathédrale matérielle mais immatérielle : l'édifice de la République, de notre histoire, la manière dont les Français se sentent entre eux. Quand on rentre de l'étranger, on est frappé de la violence des polémiques, de la bassesse des insultes : on ne peut pas vivre dans une atmosphère de guerre civile froide.
- Vous avez le sentiment qu'il y a "une guerre civile froide" en France ?
Oui. C'est le sentiment qu'on éprouve quand on regarde les manchettes des journaux, qu'on écoute la radio ou qu'on regarde la télévision et qu'on voit le niveau auquel se situe le débat. Ce n'est pas digne d'un pays comme la France qui a une histoire républicaine ancienne.
- Comment retrouver cette dignité ? Il suffit d'évoquer l'histoire de France ou le récit national pour qu'il y ait des polémiques à n'en plus finir.
Il faut l'assumer, c'est un combat d'idées. Nous avons à refaire une République avec un peuple de citoyens. Tout cela s'apprend. Il faut combattre politiquement pour y arriver. Il faut redresser la France pour que notre vaisseau, la République française, continue à voguer sur des eaux sûres et ne pas être à la merci des premières tempêtes venues.
- Vous le dites aux Français mais aussi au Chef de l'Etat, qui va s'exprimer ce jeudi. Il doit incarner ce récit national ?
Le Président Macron incarne, il est intelligent et je lui fais confiance pour tirer les leçons de ce débat qu'il a initié à juste titre depuis quatre mois. Evidemment, ce n'est possible que si l'on a en vue une reconstruction à grande échelle donc tout ne peut pas se faire en quelques années. Le mouvement des Gilets jaunes est le legs de plus de 40 ans d'erreurs et de fractures qui font que la France n'est plus la République une et indivisible à laquelle on se référait. Il faut reconstruire notre pays.
- Vous avez entendu les slogans que certains scandaient dans la rue ce samedi : "suicidez-vous", adressé aux forces de l'ordre alors que celles-ci sont touchées par une vague de suicide.
Ces slogans sont honteux. On ne peut que plaindre les pauvres gens qui se laissent aller à ce genre d'injures et de comportements. C'est honteux, je me révolte de tout mon être contre ces violences qui sont dirigées depuis plusieurs années par des policiers qui font leur travail au service de la tranquillité publique. Certains policiers ont failli périr dans leur voiture incendiée, d'autres ont dû affronter des manifestants extrêmement violents, les black blocs, qui leur lancent des morceaux de métal, des pavés... Cette dimension de violence n'est pas digne d'une démocratie. Nous devons nous ressourcer dans notre tradition républicaine : respecter la voix du peuple telle qu'elle est exprimée par les suffrages, respecter ses élus, respecter le Président de la République, qu'on ne peut pas haïr comme je vois certains sottement le faire.
- Vous êtes le Représentant spécial de la France pour la Russie, l'Ukraine vient d'élire Zelensky, un comédien, un comique, et d'infliger une cuisante défaite à Porochenko. Comment l'interpréter ?
Monsieur Zelensky est élu avec 73 % des voix et un haut niveau de participation. C'est le rejet du président en titre, Monsieur Porochenko, qui a laissé se développer une corruption endémique qui était certes déjà ancienne. C'est aussi l'aspiration des citoyens ukrainiens qui sont fatigués de cette guerre dans le Donbass, où il y a eu plus de 10 000 morts et où les gens vivent dans des conditions absolument épouvantables. On leur a coupé les pensions, ils sont mal nourris, mal provisionnés, mal soignés. Il faut mettre un terme à ce conflit. Si Monsieur Zelensky met un terme à cela, ce sera une victoire pour l'Ukraine mais aussi pour toute l'Europe car nous ne pouvons pas tolérer que notre sécurité soit à la merci d'un conflit qui peut se rallumer et devenir chaud.
- Zelensky fait quelques signes d'ouverture vers Moscou ; serait-ce un nouveau départ entre l'Ukraine et la Russie alors que l'Ukraine était plutôt tournée vers l'Union européenne avec Porochenko?
C'est ce que m'a dit le Président russe à qui je remettais une missive du Président de la République française. Si cela se confirme, ce sera positif, mais il ne faut pas sous-estimer le nombre de gens qui souhaitent que ce conflit se poursuive. Tant que l'Ukraine ne sera pas stabilisée, l'Europe ne sera pas maîtresse de sa destinée.
- Zelensky est de confession juive. Quand on sait les pogroms qu'il y a eu là-bas, quel symbole de la grande histoire ?
C'est un formidable message que nous envoie le peuple ukrainien. Il est bien au-delà de tous ces préjugés qui ont fait tant de mal dans l'histoire et particulièrement en Ukraine, "terre de sang" comme disait un historien britannique.
Source : L'invité d'Europe Soir - Europe 1
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