Projet d’intervention de Jean-Pierre Chevènement au Sénat sur le projet de loi constitutionnel sur l’équilibre des finances publiques, mardi 14 juin 2011.


Après la perte de la souveraineté monétaire, la perte de la souveraineté budgétaire
Pourquoi faire simple quand on peut faire compliqué ? Cette vingt-cinquième révision de la Constitution, la troisième de la législature, va exactement à l’inverse du but proclamé par celle de 2008 de « revaloriser, nous a-t-on dit, les droits du Parlement ».

Depuis toujours le Parlement vote le budget et autorise l’impôt. C’est pour cela qu’il a été fait. Le présent projet de loi constitutionnel vise à soumettre la loi de finances et la foi de financement de la Sécurité sociale à une loi-cadre d’équilibre, nouvel instrument juridique supérieur, dans la hiérarchie des normes, aux lois financières et à la loi ordinaire. Le Conseil Constitutionnel sera systématiquement saisi de la conformité des lois de finances et des lois de financement de la Sécurité Sociale à la loi-cadre (article 9).

Première observation : c’est transformer le Conseil Constitutionnel en gardien de la bonne gestion des finances publiques. Vision surréaliste : comment le Conseil Constitutionnel pourrait-il apprécier, à l’horizon de trois ans, la fiabilité des prévisions économiques et budgétaires nécessairement fragiles ?

Ces neuf sages, qui n’ont pas la science économique infuse, à supposer qu’elle existe, pourraient déclarer les lois financières inconstitutionnelles si elles ne sont pas conformes aux lois-cadres d’équilibre ! On croît rêver !

Je fais observer, au passage, que ce projet de loi constitutionnel qui prétend figer pour au moins trois ans les équilibres budgétaires est profondément attentatoire aux droits de l’opposition et à l’idée même d’alternance. Nous avons des élections générales en 2012. Si la gauche devait l’emporter, prétendez-vous lui interdire d’appliquer le programme qu’elle aura défini ? Je ne parle pas du programme du parti socialiste, mais de celui, sûrement différent, qu’aura défendu le candidat qu’elle soutiendra devant les électeurs. Le projet de loi constitutionnel est non seulement une atteinte à la démocratie mais aussi au bon sens : si ce projet de loi constitutionnel avait été adopté en 2007, eussiez-vous pu faire voter, en 2008 un projet de loi pour venir au secours des banques, en 2009 un plan de relance pour lutter contre la récession, et en 2010 le lancement d’un grand emprunt pour impulser – insuffisamment d’ailleurs – les secteurs d’avenir ? On vous demande de voter ce projet « quia absurdum ». Parce qu’il est absurde !

Jean-Pierre Chevènement était l'invité dimanche 12 juin 2011 de Soir 3 Politique. Il répondait aux questions de Francis Letellier et Jérôme Dorville.


Verbatim express

  • Le problème de l'industrie automobile est celui de la surévaluation de l'euro. Les grands du CAC 40 investissent aujourd'hui à l'étranger. Il n'y a pas de retour. Peugeot a au moins eu le mérite de maintenir une part plus importante de sa production en France.
  • Je suis très inquiet quant à l'avenir de notre base industrielle. Cette situation est une conséquence de la politique européenne, de la surévaluation de l'euro. D'autre part, la zone euro est une zone dans laquelle la croissance est quasiment nulle.
  • L'abandon du nucléaire n'est pas sérieux. Par quoi le remplacer ? L'éolien, deux fois plus cher? Le solaire, 10 fois plus cher? Le charbon et le lignite, comme va le faire l'Allemagne?
  • Il faut faire confiance à la recherche et ne pas oublier que Fukushima était avant tout un accident naturel.
  • (A propos de l'intervention en Libye) Il va y avoir un débat au parlement et je ne sais pas comment je voterai car je pense que l'on a outrepassé la responsabilité de protéger. On est clairement dans le changement de régime. Je me déterminerai en fonction de ce que sera le texte gouvernemental.
  • Je voudrais attirer l'attention sur le projet de loi réformant la Constitution pour créer des lois cadres d'équilibre des finances publiques. C'est l'abandon de la souveraineté budgétaire. C'est une conséquence du pacte pour l'euro. Nous ne pourrons plus voter notre budget car dès le mois d'avril il aura fallu transmettre à Bruxelles un programme de stabilité.

Rédigé par Chevenement.fr le 13 Juin 2011 à 17:07 | Permalien | Commentaires (6)

Jean-Pierre Chevènement était invité mercredi 8 juin 2011 par Ségolène Royal et Désirs d'Avenir à une "Université Populaire Participative" sur la France et la République. Il a pu exposer les grandes lignes de son livre "La France est-elle finie?". Voici le podcast de son intervention précédée d'un portrait par Ségolène Royal.


Verbatim Express :

  • Il n'y a pas d'action féconde dans la durée si elle ne s'enracine pas dans des analyses, dans une conviction longuement murie. La mienne l'est.
  • Je pense qu'entre Ségolène et moi, le courant passe. Je sais qu'elle est enracinée dans l'idée que la France se fait d'elle même. Je partage également avec elle la conviction que nous ne devons pas laisser le patriotisme à la droite.
  • Entre 1981 et 1983, nous n'avons pas fait le choix d'industrialisation, de poursuite des trente glorieuses c'est à dire de regain français. En acceptant le SME puis l'acte unique, nous avons fait un choix « réaliste » dans l'immédiat mais qui, à terme, n'était porteur ni pour la gauche et le socialisme, ni pour l'Europe.
  • La crise actuelle de l'euro était contenue dans la vision initiale, erronée il faut le dire : celle qu'on pouvait faire une monnaie unique pour des pays très différents.
  • A la question « comment sortir de la situation actuelle ? », M. Sarkozy répond « il faut garder le triple AAA ». Comment mieux reconnaître que ce sont les agences de notation qui désormais font la politique de la France ?
  • Le cas de la Grèce est la démonstration « in vivo » de l'imbécilité de la démarche d'austérité.
  • La solidarité européenne ne sera jamais aussi efficace que la solidarité nationale.
  • Ségolène avait proposé, au congrès du PSE à Porto, de donner à la BCE des missions de croissance et d'emploi. Ce fut un tollé. Mais ils avaient tort et elle avait raison.
  • Le mitterrandisme n'existe pas. Chacun a son petit Mitterrand dans la poche et le lit à sa manière.

Dépêche AFP, mercredi 8 juin 2011, 21h18.


Chevènement: "entre Ségolène (Royal) et moi, le courant passe!"
Jean-Pierre Chevènement, président d'honneur du Mouvement républicain et citoyen (MRC), invité de Ségolène Royal pour une université participative, a affirmé mercredi soir à Paris: "Entre Ségolène et moi, le courant passe".

Invité à parler de "la France et la République" pour cette université populaire participative de son association Désirs d'avenir à la mairie du IVè arrondissement, M. Chevènement a assuré: "Entre Ségolène et moi, le courant passe".

"Je partage avec elle une autre conviction, c'est que nous ne devons pas laisser la France, le patriotisme à la droite qui s'en sert, qui l'instrumentalise à ses fins et qui s'est souvent révélée si peu fidèle à la patrie", a-t-il déclaré vivement applaudi, s'exprimant devant un panneau tricolore.

Mme Royal a été accueilie par des "Ségolène présidente!" fusant des quelque 400 personnes de l'assistance.

"L'objet de cette réunion était un débat sur le projet, ce qui peut rassembler le peuple français", a dit après la réunion M. Chevènement, candidat possible à la présidentielle. Sa présence, un soutien à Mme Royal? "Chaque chose en son temps. On va regarder comment tout cela évolue. Je tiens essentiellement à faire passer des idées. C'est ce que j'ai fait modestement ce soir".

Rédigé par Chevenement.fr le 8 Juin 2011 à 22:42 | Permalien | Commentaires (6)

Entretien de Jean-Pierre Chevènement au magazine l'Expansion, propos recueillis par Bernard Poulet, 6 juin 2011


"Le PS a embrassé très tôt la doxa néolibérale"
Pourquoi les socialistes se sont-ils convertis au néolibéralisme peu après être arrivés au pouvoir, en 1981, se demande Jean-Pierre Chevènement dans son dernier livre, La France est-elle finie ? (Fayard, 315 pages, 19 euros). A l'approche de la présidentielle, l'ancien ministre socialiste explique pour L'Expansion les raisons de ce tournant dont ses anciens camarades ne sont jamais revenus. Au passage, il en étrille quelques-uns.

L'Expansion : Pourquoi pensez-vous que la gauche doit réévaluer l'histoire du tournant économique du début des années 80 ?
Jean-Pierre Chevènement : A chaque étape, la gauche n'est repartie qu'en se mettant au clair avec elle-même. Or, en 1981, à l'instar de Christophe Colomb, la gauche française a cru découvrir les Indes - le socialisme -, et elle doit réaliser qu'elle a trouvé l'Amérique - le néolibéralisme. Même si l'environnement international n'était pas favorable, rien n'obligeait les socialistes français à opérer ce tournant néolibéral, ni à aller aussi loin : l'Acte unique européen, négocié par Roland Dumas, et la libération totale des mouvements de capitaux, y compris vis-à-vis de pays tiers, ou l'abandon de la clause d'harmonisation fiscale préalable qui figurait dans le traité de Luxembourg. Ou encore le Matif [Marché à terme international de France], créé en 1984, et la loi de libéralisation financière, en 1985. Tout cela était une manière de mettre Margaret Thatcher au coeur de la construction européenne, d'accepter d'abandonner l'Europe, pieds et poings liés, au capitalisme financier. En critiquant ces choix, je n'ignore pas l'existence du monde extérieur, mais on n'était pas obligé d'appliquer toutes les règles de la doxa néolibérale. On aurait pu maintenir quelque chose ressemblant à une économie mixte. L'Etat pouvait garder la maîtrise de quelques mécanismes de régulation essentiels. L'idéologie néolibérale a fait admettre comme vérité d'évangile que, grâce à la désintermédiation bancaire, les entreprises s'alimenteraient à plus faible coût sur les marchés financiers.

L'entrée dans une mécanique irréversible en souscrivant à toutes les dérégulations prévues par l'Acte unique, la libéralisation des mouvements de capitaux, l'interdiction des politiques industrielles et des aides d'Etat, l'introduction de la concurrence dans les services publics, tout cela, personne ne nous le demandait vraiment.

Carnet de Jean-Pierre Chevènement



La décision de sortir du nucléaire, que les Verts veulent imposer au PS, serait suicidaire pour la France. J’attends du candidat socialiste, quel qu’il soit, une fermeté exemplaire sur ce sujet qui concerne au premier chef l’intérêt national : celui de notre approvisionnement énergétique et celui d’une des rares filières technologiques d’excellence, où la France se trouve au premier rang mondial, bref un sujet-clé pour l’indépendance nationale.

Fukushima a d’abord été un accident naturel lié à la vague du tsunami qui a noyé les centrales de refroidissement. Aucune décision ne peut être prise en la matière sous le coup d’une émotion même légitime.

Le choix de l’Allemagne est désastreux pour l’Europe et d’abord pour elle-même. C’est le charbon qui va remplacer le nucléaire. Bonjour le CO2 !

Je demande un débat républicain dans les deux chambres du Parlement sur ce sujet capital.

Rédigé par Jean-Pierre Chevènement le 31 Mai 2011 à 16:29 | Permalien | Commentaires (10)
Il y a six ans, le peuple français rejetait par 55% des voix le projet de Constitution européenne. Il voyait clair.

Le traité de Lisbonne, voté en 2008 par la majorité UMP appuyée par une majorité de parlementaires socialistes a repris la substance du projet constitutionnel. Cette forfaiture à l’égard du Peuple français s’est doublée d’une erreur majeure : quand quelques mois plus tard, la crise fut venue, l’Europe se trouva fort dépourvue.

La crise financière touche aujourd’hui le système de l’euro. Cette crise était contenue dans le vice de conception initial. Le traité de Maastricht a méconnu la réalité irréductible des nations en voulant leur imposer le carcan de la monnaie unique. Celle-ci était une mauvaise réponse à la réunification allemande. Le mark-bis qu’est l’euro convient à l’Allemagne. Il ne convient pas aux autres pays européens. Le traité de Lisbonne a persévéré dans l’erreur. On le constate aujourd’hui : l’attentat contre la démocratie a été doublé d’un contresens historique.

Rédigé par Jean-Pierre Chevènement le 30 Mai 2011 à 20:10 | Permalien | Commentaires (11)

Carnet de Jean-Pierre Chevènement



Intervention de Jean-Pierre Chevènement lors de la Journée d’hommage à Claude Nicolet organisée sous le patronage de la Sorbonne (Paris I), de l’Ecole pratique des Hautes Etudes, de l’Ecole française de Rome et de l’Académie des Inscriptions et Belles Lettres, samedi 28 mai 2011


Claude Nicolet nous a quittés le 24 décembre 2010. À travers toute son œuvre d’historien et en particulier à travers ce livre majeur qu’a été, en 1982, « l’Idée républicaine en France », écrit, en fait, dès la fin des années soixante-dix, Claude Nicolet restera comme l’un des rares penseurs qui, enjambant les siècles, réussira, j’en suis convaincu, à éclairer ce XXIe siècle commençant, à proportion de l’exigence républicaine que fait naître la crise du néolibéralisme. L’Humanité a besoin de repères. Ceux que fournit la République sont pour les hommes que nous sommes des repères plus sûrs que la confiance naïve dans la main invisible de marchés devenus fous ou l’espérance messianique d’un monde délivré des classes.

I – Il a fait revivre l’idée républicaine à l’orée du XXe siècle

Devançant d’une décennie la chute de l’URSS, Claude Nicolet, en formulant, selon son expression, « une histoire critique de l’idéologie républicaine » dans une période qui va de 1789 à 1924, a su faire briller d’un éclat renouvelé l’idée même de la République, alors même que la gauche française, en 1981, venait de parvenir au pouvoir.

Claude Nicolet rappelait, au moment où les dès roulaient encore, l’exigence de la raison républicaine s’exerçant collectivement. C’est pourquoi son livre a eu l’écho profond et toujours plus puissant que nous lui connaissons. Je ne voudrais par faire de Claude Nicolet le portrait d’un penseur qui se serait voulu prémonitoire. Il l’était, mais presque à son insu. Il croyait à la République comme à un système logique et cohérent, certes, mais ouvert au débat et donc à l’invention collective. Cette foi républicaine, il est juste de le dire, a été immensément fortifiée dans ses débuts par la grande figure tutélaire de Pierre Mendès-France au cabinet duquel Claude Nicolet a participé. Il n’a pas été non plus par hasard le rédacteur en chef des « Cahiers de la République ». Curieusement, Pierre Mendès-France est mort l’année même où paraissait « l’Idée républicaine en France », témoignage de l’empreinte durable que son action et sa pensée avaient laissée, comme pour un passage de relais.

Rédigé par Jean-Pierre Chevènement le 30 Mai 2011 à 15:38 | Permalien | Commentaires (1)
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