L'Express: Pourquoi êtes-vous candidat à l'élection présidentielle?
Jean-Pierre Chevènement: Parce que c'est la seule occasion, dans nos institutions, de peser vraiment.
Dans le débat d'idées ou électoralement?
Les deux. Si l'on pèse potentiellement dans les urnes, on infléchit les orientations politiques du pays. C'est lors de la présidentielle que l'axe politique du pays se trace.
Accepterez-vous l'aide de la droite pour rassembler les 500 signatures nécessaires?
Je ne contrôle pas les affiliations de dizaines de maires ruraux, dont certains votent peut-être à droite, mais se reconnaissent dans mes valeurs, ou ont apprécié mon action de ministre.
On dit que vous pouvez provoquer un "21 avril bis": quelles réactions cela provoque-t-il chez vous?
Dans un premier temps, de l'incompréhension. Aujourd'hui, de la colère. C'est une manière pour l'UMP et le PS d’empêcher le débat républicain. On réforme les retraites, on ne remplace pas un fonctionnaire sur deux, tout cela, selon M. Sarkozy, pour conserver le « triple A » des agences de notation. Comment mieux démontrer que la souveraineté populaire n'existe plus, que Standard & Poors est aux manettes? Sur la crise de l’euro, le PS se tait. La France a besoin d’un autre projet que de conserver le « tripe A » ! Si l’UMP et le PS ne voient pas l’impasse où ils nous ont mis, ce sont eux qui auront préparé un nouveau 21 avril.
Que direz-vous durant la campagne?
Les marchés ne sont pas l'horizon de l'humanité, les peuples et les nations sont les acteurs de l'Histoire. Les règles que nous avons adoptées dans les années 1980-90 sont erronées, comme le prouvent la crise du capitalisme financier et celle de l’euro. La théorie néolibérale de l'efficience des marchés nous a menés au gouffre en 2008-2009. Ce que nous avons fait alors - les Etats au secours des banques -, on ne pourra plus le refaire. Il faut des solutions concertées entre l'Amérique, qui essaye de trouver une sortie par le haut, l'Europe, qui cherche une sortie de crise par le bas, et l'Asie, qui se moque du monde et avance sans se préoccuper des ravages de cette mondialisation biaisée sur notre tissu industriel.
Que faire pour la Grèce?
Il n’y a pas de bonne solution si on n’inverse pas la politique européenne dans son ensemble. Un nouveau plan d’aide à la Grèce ne fera que reculer les échéances. Une restructuration de la dette précipitera un effet domino. La « restructuration volontaire » prônée par Mme Merkel et M. Sarkozy n’est qu’un faux semblant. Les efforts aujourd’hui demandés à la Grèce sont contreproductifs : ils nourrissent la récession. Un cycle infernal s’enclenche alors : moins-values fiscales, déficits accrus, explosion de la dette publique (150 % du PIB). C'est au niveau de l'Europe tout entière qu'il faut réorienter les politiques dans le sens de la croissance : relance salariale déclinée par pays, grand emprunt européen, changement des missions de la Banque centrale européenne (BCE). Il n’y a pas que la Grèce qui a péché. L’Allemagne, par sa politique de déflation salariale, a nourri les déséquilibres au sein de la zone euro. L'euro cher asphyxie notre économie. C'est l'origine des délocalisations. En France, la part de l'industrie dans la valeur ajoutée était de 30% en 1982, elle est de 13% aujourd'hui. Or l'industrie, c'est tout: exportations, recherche, emplois.
Jean-Pierre Chevènement: Parce que c'est la seule occasion, dans nos institutions, de peser vraiment.
Dans le débat d'idées ou électoralement?
Les deux. Si l'on pèse potentiellement dans les urnes, on infléchit les orientations politiques du pays. C'est lors de la présidentielle que l'axe politique du pays se trace.
Accepterez-vous l'aide de la droite pour rassembler les 500 signatures nécessaires?
Je ne contrôle pas les affiliations de dizaines de maires ruraux, dont certains votent peut-être à droite, mais se reconnaissent dans mes valeurs, ou ont apprécié mon action de ministre.
On dit que vous pouvez provoquer un "21 avril bis": quelles réactions cela provoque-t-il chez vous?
Dans un premier temps, de l'incompréhension. Aujourd'hui, de la colère. C'est une manière pour l'UMP et le PS d’empêcher le débat républicain. On réforme les retraites, on ne remplace pas un fonctionnaire sur deux, tout cela, selon M. Sarkozy, pour conserver le « triple A » des agences de notation. Comment mieux démontrer que la souveraineté populaire n'existe plus, que Standard & Poors est aux manettes? Sur la crise de l’euro, le PS se tait. La France a besoin d’un autre projet que de conserver le « tripe A » ! Si l’UMP et le PS ne voient pas l’impasse où ils nous ont mis, ce sont eux qui auront préparé un nouveau 21 avril.
Que direz-vous durant la campagne?
Les marchés ne sont pas l'horizon de l'humanité, les peuples et les nations sont les acteurs de l'Histoire. Les règles que nous avons adoptées dans les années 1980-90 sont erronées, comme le prouvent la crise du capitalisme financier et celle de l’euro. La théorie néolibérale de l'efficience des marchés nous a menés au gouffre en 2008-2009. Ce que nous avons fait alors - les Etats au secours des banques -, on ne pourra plus le refaire. Il faut des solutions concertées entre l'Amérique, qui essaye de trouver une sortie par le haut, l'Europe, qui cherche une sortie de crise par le bas, et l'Asie, qui se moque du monde et avance sans se préoccuper des ravages de cette mondialisation biaisée sur notre tissu industriel.
Que faire pour la Grèce?
Il n’y a pas de bonne solution si on n’inverse pas la politique européenne dans son ensemble. Un nouveau plan d’aide à la Grèce ne fera que reculer les échéances. Une restructuration de la dette précipitera un effet domino. La « restructuration volontaire » prônée par Mme Merkel et M. Sarkozy n’est qu’un faux semblant. Les efforts aujourd’hui demandés à la Grèce sont contreproductifs : ils nourrissent la récession. Un cycle infernal s’enclenche alors : moins-values fiscales, déficits accrus, explosion de la dette publique (150 % du PIB). C'est au niveau de l'Europe tout entière qu'il faut réorienter les politiques dans le sens de la croissance : relance salariale déclinée par pays, grand emprunt européen, changement des missions de la Banque centrale européenne (BCE). Il n’y a pas que la Grèce qui a péché. L’Allemagne, par sa politique de déflation salariale, a nourri les déséquilibres au sein de la zone euro. L'euro cher asphyxie notre économie. C'est l'origine des délocalisations. En France, la part de l'industrie dans la valeur ajoutée était de 30% en 1982, elle est de 13% aujourd'hui. Or l'industrie, c'est tout: exportations, recherche, emplois.
Quelles nouvelles missions pour la BCE?
Il faut qu'elle puisse racheter les titres de dette des pays attaqués par la spéculation. Jean-Claude Trichet a ouvert la voie en reprenant des obligations grecques ou portugaises, mais à la marge, vingt fois moins que ne l’a fait le Federal Reserve Board aux Etats-Unis, qui a placé 1500 milliards de dollars en bons du trésor américains. Une BCE réformée serait un puissant outil anti-spéculation; avant que les spéculateurs s'avancent pour jouer sur le défaut de la Grèce, ils y réfléchiraient à deux fois. ...
Pourquoi ne pas restructurer la dette grecque?
Cela aurait un effet de contagion au niveau des Etats : Irlande, Portugal et surtout Espagne, vrai maillon faible de la zone euro, et au niveau des banques engagées sur la Grèce, notamment françaises.
Créer des euro-bonds est-il une bonne idée?
Je suis pour. Encore faut-il que l’Allemagne en soit d’accord.
Faut-il un ministre des Finances européen?
A condition qu'il n'ait pas que des compétences budgétaires, contrairement à ce que suggère Jean-Claude Trichet. Un vrai gouvernement économique de la zone euro ne peut procéder que du Conseil européen pas de la Commission qui n’a pas de légitimité pour cela. Si la France, l'Allemagne et l'Italie sont d'accord pour aller de l’avant, les autres suivront. Il faut être capable de parler à l'Allemagne. C'est ce dont doit être capable le prochain président de la France. Il faut faire comprendre aux Allemands que leur intérêt à long terme ne peut se dissocier de la prospérité de l'Europe tout entière. L'Allemagne joue la compétitivité sur les marchés émergents - et donc organise chez elle la déflation salariale mais elle a fait de la zone euro son marché intérieur: elle y réalise plus de 60% de ses excédents. C'est contradictoire! On ne peut pas avoir le beurre et l’argent du beurre !
Comment convaincre l'Allemagne d'abandonner un modèle économique qui marche?
Mais ça ne marche plus ! Elle exporte plus de 50% de sa production mais 70% vont vers l’Europe qui plonge dans la crise. L'Allemagne, c'est la Chine de l'Europe. L'Allemagne, ce n'est pas seulement Madame Merkel, il y a un paysage politique éclaté. Il y a des industriels et des syndicats sensibles à la nécessité d’un rééquilibrage. Il faut rendre les Allemands conscients de leurs responsabilités européennes. Certains choix allemands, pris en solitaire, comme sur le nucléaire, sont inquiétants.
Abandonner le nucléaire, est-ce une erreur?
C'est un choix très aléatoire et surtout très coûteux. L’éolien est encore deux fois plus cher que le nucléaire ou le gaz, et le solaire photovoltaïque huit à dix fois plus cher. Tant que la recherche n’aura pas permis d’abaisser ces coûts, l'Allemagne achètera plus de gaz à la Russie, et brûlera du lignite.
La France ne doit donc pas suivre?
Payer l'électricité 40% plus cher ne serait bon ni pour la compétitivité ni pour le pouvoir d’achat. Le choix de l’Allemagne restera d’ailleurs sans incidence sur celui de la Chine, de l’Inde, du Royaume-Uni, etc.
Fukushima ne vous fait-il pas trembler?
Fukushima, c'est une catastrophe naturelle, frappant une centrale appartenant à une firme privée, qui n'a pas pris les mesures de sécurité suffisantes et qui ne rendait compte qu’à elle-même. Tirons-en les justes leçons : contrôle public du nucléaire. Indépendance absolue des autorités de sûreté.
Malgré tout, nous achetons plus d'électricité à l'Allemagne que l’inverse...
Parce que notre dernière centrale a été mise en route en 1999. Il en faut de nouvelles: Les EPR de Flamanville et de Penly répondent à un besoin.
Remettez-vous en question l'existence de l'euro?
Si l'on ne change pas les règles de l'euro, l'euro se remettra en question tout seul! Une monnaie, c'est fait pour un pays. La monnaie unique était conçue pour être un levier politique au service d’un projet fédéral dont plus personne ne veut aujourd’hui. Il n'y a pas de peuple européen. Qui acceptera de payer pour les autres? La solidarité européenne n’a pas la même force que la solidarité nationale: l'Ile-de-France paye pour la Corse, mais les Allemands ne paieront pas pour le Péloponnèse ce qu'ils ont payé pour la Poméranie. Les nations existent. Maastricht l’avait oublié. La zone euro est hétérogène: Si on ne veut pas faire de la BCE la réplique du Federal Reserve Board, on pourrait aller vers une monnaie commune valable dans les transactions extérieures, avec des déclinaisons nationales ajustables et des parités négociées. La Grèce pourrait dévaluer de 40%, l'Espagne de 10%, on aurait des rééquilibrages en douceur et non ces programmes de déflation absurdes. Cet euro "toit" commun pourrait s'étendre à la Grande-Bretagne, aux PECO’s, et un jour à la Russie, aux nouvelles démocraties arabes... Entre les Etats-Unis et la Chine, l’Europe deviendrait un vrai pôle.
Revenons à la présidentielle: pourquoi ne pas participer à la primaire socialiste?
Ce serait me mettre par avance à la merci de son résultat et donc de la doxa sociale-libérale, considérer que nos divergences ne comptent pas. Mieux vaut chercher à infléchir de l’extérieur.
Comment jugez-vous Jean-Luc Mélenchon?
Il fait un parcours méritoire: il avait voté oui au référendum de Maastricht... Mais un candidat à la présidence doit avoir une vision de l'Etat. A-t-il réfléchi à l'euro? Sur le nucléaire, il emboite bien facilement le pas aux Verts ...
Etes-vous encore de gauche?
Je suis d’abord un républicain, un laïque, un progressiste, mais ma gauche n'est pas sectaire : je fais miennes des valeurs de transmission: patriotisme, travail bien fait que la gauche aurait bien tort d’abandonner à la droite. Beaucoup de gens de gauche considèrent qu'il y a les méchants, ceux d'avant, et les bons, ceux d'après. La France est antérieure à la République, ce qu’une partie de la gauche refuse de voir; la République est l'identité moderne de la France, ce qu'une partie de la droite ne comprend pas.
Croyez-vous toujours autant au rôle central de l’éducation nationale ?
L’Ecole est le creuset des valeurs républicaines. Elle a besoin d’être redynamisée par un grand projet. Le grand bond éducatif qu’exigent les besoins du pays ne peut se faire qu’en insistant sur l’élévation des niveaux de formation et bien sûr, la transmission des savoirs. Je propose un horizon à 15-20 ans : que la moitié d’une classe d’âge puisse parvenir à un niveau bac+3. C’est l’objectif souscrit à Lisbonne, en 2001 et réitéré à Barcelone, en 2000. Or, depuis 1995, la machine scolaire est en panne. La proportion de jeunes poussant leurs études jusqu’à l’âge de 18 ans, selon le mot d’ordre que j’avais lancé en 1984, stagne à 68 %. Je prépare sur ces sujets un livre de débat avec Luc Chatel pour la rentrée.
Préférez-vous Martine Aubry ou François Hollande?
Martine Aubry est entière, sincère. Je ne partage pas toutes ses convictions. A un discours trop orienté sur la « différence », je préfère un républicanisme civique mettant davantage l’accent sur la ressemblance, sur ce qui nous fait tenir ensemble. J'aime le style de François Hollande, son intelligence: il serait un bon président par temps calme. Mais ils sont tous les deux des bébés Jospin, ou plutôt des bébés Delors, les héritiers des choix faits au milieu des années 80. Choix que j'ai combattus, et dont l'échec a été rendu manifeste par la crise du néo-libéralisme en 2008-2009 et celle de l'euro en 2010-2011. Le PS doit remettre sa montre à l’heure.
Martine Aubry comme François Hollande se retrouvent aussi face à face parce que Dominique Strauss Kahn n’est plus dans la course.
Leurs choix ne sont pas fondamentalement différents de ceux de DSK. Leur « Weltanschauung » est la même.
Que vous inspire la chute de DSK ?
J’ai été humainement ému par cette chute incroyable. Bien sûr, si les faits étaient avérés, c’est la victime qui mériterait qu’on s’apitoie sur elle. Mon premier réflexe a été de défendre le principe de la présomption d’innocence ; on ne connait encore rien de cette affaire. La prudence s’impose.
De là à établir un parallèle avec l’affaire Dreyfus…
Je n’ai rien fait de tel. J’ai simplement dit que, au départ, Clémenceau et Jaurès pensaient que Dreyfus était coupable. Et qu’il faut toujours se méfier des emballements initiaux, qui ne doivent pas bafouer la présomption d’innocence. C’est une position de principe.
Sans rien supposer quant aux faits, croyez-vous que Jaurès et Blum auraient toléré ce spectacle, en particulier le rapport à l’argent que tout cela démontre ?
Je ne ferai pas parler les morts. On reprochait déjà à Blum de manger dans de la vaisselle d’argent, ce qui d’ailleurs était faux. Je ne me sens pas concerné. Dans la terminologie d’Albert Thibaudet, je ne suis pas un héritier mais un « boursier ». Il y en a aussi à droite : Juppé par exemple.
Le 12 juillet à l’Assemblée, et le 13 au Sénat, un grand débat va s’ouvrir au sujet de l’engagement français en Libye. Allez-vous rester neutre ou censurer le gouvernement ?
Je m’interroge. J’attends la déclaration gouvernementale. La résolution 1973 du Conseil de sécurité de l’ONU, arrachée par Alain Juppé, ne dit rien sur le départ de Kadhafi. L’objectif initial n’était pas clair : est-il de protéger les populations, comme le dit la résolution 1973, ou de renverser le colonel Kadhafi, comme l’avancent certains responsables de la coalition ? Les moyens autorisés permettent d’atteindre le premier objectif, pas le second. Je crains qu’on ait compromis pour la suite la notion de « responsabilité de protéger » sur laquelle on avait fini par s’entendre à l’ONU, en 2005. En Libye, nous n’avons pas à intervenir dans une guerre civile. Nous devons favoriser l’expression d’une volonté au sein d’un peuple dont la définition elle-même reste fragile. Contrairement à l’Egypte et à la Tunisie, la Libye n’est pas une vieille nation ; elle est la juxtaposition de trois régions (Tripolitaine, Cyrénaïque, Fezzan) et d’un ensemble de tribus. Sa partition serait refusée par l’Union Africaine et trop lourde de conséquences sur le principe même des frontières en Afrique. C’est tout l’équilibre de la zone sahélienne qui pourrait être menacé, ne serait-ce que par la circulation des armes. On ne mesure pas toutes les conséquences de l’affaire libyenne. Une issue politique ne peut résulter que d’un compromis entre les différentes tribus. Je ne regretterais pas Kadhafi, que ce soit clair. On a envoyé différents médiateurs sans se pencher sur leurs conclusions. Il faudrait donner plus d’importance à la voie diplomatique.
Un mot pour définir Martine Aubry
Force.
DSK?
Mystère.
François Hollande?
Malice.
Jean-Pierre Chevènement?
Constance.
----
Source : L'Express
Il faut qu'elle puisse racheter les titres de dette des pays attaqués par la spéculation. Jean-Claude Trichet a ouvert la voie en reprenant des obligations grecques ou portugaises, mais à la marge, vingt fois moins que ne l’a fait le Federal Reserve Board aux Etats-Unis, qui a placé 1500 milliards de dollars en bons du trésor américains. Une BCE réformée serait un puissant outil anti-spéculation; avant que les spéculateurs s'avancent pour jouer sur le défaut de la Grèce, ils y réfléchiraient à deux fois. ...
Pourquoi ne pas restructurer la dette grecque?
Cela aurait un effet de contagion au niveau des Etats : Irlande, Portugal et surtout Espagne, vrai maillon faible de la zone euro, et au niveau des banques engagées sur la Grèce, notamment françaises.
Créer des euro-bonds est-il une bonne idée?
Je suis pour. Encore faut-il que l’Allemagne en soit d’accord.
Faut-il un ministre des Finances européen?
A condition qu'il n'ait pas que des compétences budgétaires, contrairement à ce que suggère Jean-Claude Trichet. Un vrai gouvernement économique de la zone euro ne peut procéder que du Conseil européen pas de la Commission qui n’a pas de légitimité pour cela. Si la France, l'Allemagne et l'Italie sont d'accord pour aller de l’avant, les autres suivront. Il faut être capable de parler à l'Allemagne. C'est ce dont doit être capable le prochain président de la France. Il faut faire comprendre aux Allemands que leur intérêt à long terme ne peut se dissocier de la prospérité de l'Europe tout entière. L'Allemagne joue la compétitivité sur les marchés émergents - et donc organise chez elle la déflation salariale mais elle a fait de la zone euro son marché intérieur: elle y réalise plus de 60% de ses excédents. C'est contradictoire! On ne peut pas avoir le beurre et l’argent du beurre !
Comment convaincre l'Allemagne d'abandonner un modèle économique qui marche?
Mais ça ne marche plus ! Elle exporte plus de 50% de sa production mais 70% vont vers l’Europe qui plonge dans la crise. L'Allemagne, c'est la Chine de l'Europe. L'Allemagne, ce n'est pas seulement Madame Merkel, il y a un paysage politique éclaté. Il y a des industriels et des syndicats sensibles à la nécessité d’un rééquilibrage. Il faut rendre les Allemands conscients de leurs responsabilités européennes. Certains choix allemands, pris en solitaire, comme sur le nucléaire, sont inquiétants.
Abandonner le nucléaire, est-ce une erreur?
C'est un choix très aléatoire et surtout très coûteux. L’éolien est encore deux fois plus cher que le nucléaire ou le gaz, et le solaire photovoltaïque huit à dix fois plus cher. Tant que la recherche n’aura pas permis d’abaisser ces coûts, l'Allemagne achètera plus de gaz à la Russie, et brûlera du lignite.
La France ne doit donc pas suivre?
Payer l'électricité 40% plus cher ne serait bon ni pour la compétitivité ni pour le pouvoir d’achat. Le choix de l’Allemagne restera d’ailleurs sans incidence sur celui de la Chine, de l’Inde, du Royaume-Uni, etc.
Fukushima ne vous fait-il pas trembler?
Fukushima, c'est une catastrophe naturelle, frappant une centrale appartenant à une firme privée, qui n'a pas pris les mesures de sécurité suffisantes et qui ne rendait compte qu’à elle-même. Tirons-en les justes leçons : contrôle public du nucléaire. Indépendance absolue des autorités de sûreté.
Malgré tout, nous achetons plus d'électricité à l'Allemagne que l’inverse...
Parce que notre dernière centrale a été mise en route en 1999. Il en faut de nouvelles: Les EPR de Flamanville et de Penly répondent à un besoin.
Remettez-vous en question l'existence de l'euro?
Si l'on ne change pas les règles de l'euro, l'euro se remettra en question tout seul! Une monnaie, c'est fait pour un pays. La monnaie unique était conçue pour être un levier politique au service d’un projet fédéral dont plus personne ne veut aujourd’hui. Il n'y a pas de peuple européen. Qui acceptera de payer pour les autres? La solidarité européenne n’a pas la même force que la solidarité nationale: l'Ile-de-France paye pour la Corse, mais les Allemands ne paieront pas pour le Péloponnèse ce qu'ils ont payé pour la Poméranie. Les nations existent. Maastricht l’avait oublié. La zone euro est hétérogène: Si on ne veut pas faire de la BCE la réplique du Federal Reserve Board, on pourrait aller vers une monnaie commune valable dans les transactions extérieures, avec des déclinaisons nationales ajustables et des parités négociées. La Grèce pourrait dévaluer de 40%, l'Espagne de 10%, on aurait des rééquilibrages en douceur et non ces programmes de déflation absurdes. Cet euro "toit" commun pourrait s'étendre à la Grande-Bretagne, aux PECO’s, et un jour à la Russie, aux nouvelles démocraties arabes... Entre les Etats-Unis et la Chine, l’Europe deviendrait un vrai pôle.
Revenons à la présidentielle: pourquoi ne pas participer à la primaire socialiste?
Ce serait me mettre par avance à la merci de son résultat et donc de la doxa sociale-libérale, considérer que nos divergences ne comptent pas. Mieux vaut chercher à infléchir de l’extérieur.
Comment jugez-vous Jean-Luc Mélenchon?
Il fait un parcours méritoire: il avait voté oui au référendum de Maastricht... Mais un candidat à la présidence doit avoir une vision de l'Etat. A-t-il réfléchi à l'euro? Sur le nucléaire, il emboite bien facilement le pas aux Verts ...
Etes-vous encore de gauche?
Je suis d’abord un républicain, un laïque, un progressiste, mais ma gauche n'est pas sectaire : je fais miennes des valeurs de transmission: patriotisme, travail bien fait que la gauche aurait bien tort d’abandonner à la droite. Beaucoup de gens de gauche considèrent qu'il y a les méchants, ceux d'avant, et les bons, ceux d'après. La France est antérieure à la République, ce qu’une partie de la gauche refuse de voir; la République est l'identité moderne de la France, ce qu'une partie de la droite ne comprend pas.
Croyez-vous toujours autant au rôle central de l’éducation nationale ?
L’Ecole est le creuset des valeurs républicaines. Elle a besoin d’être redynamisée par un grand projet. Le grand bond éducatif qu’exigent les besoins du pays ne peut se faire qu’en insistant sur l’élévation des niveaux de formation et bien sûr, la transmission des savoirs. Je propose un horizon à 15-20 ans : que la moitié d’une classe d’âge puisse parvenir à un niveau bac+3. C’est l’objectif souscrit à Lisbonne, en 2001 et réitéré à Barcelone, en 2000. Or, depuis 1995, la machine scolaire est en panne. La proportion de jeunes poussant leurs études jusqu’à l’âge de 18 ans, selon le mot d’ordre que j’avais lancé en 1984, stagne à 68 %. Je prépare sur ces sujets un livre de débat avec Luc Chatel pour la rentrée.
Préférez-vous Martine Aubry ou François Hollande?
Martine Aubry est entière, sincère. Je ne partage pas toutes ses convictions. A un discours trop orienté sur la « différence », je préfère un républicanisme civique mettant davantage l’accent sur la ressemblance, sur ce qui nous fait tenir ensemble. J'aime le style de François Hollande, son intelligence: il serait un bon président par temps calme. Mais ils sont tous les deux des bébés Jospin, ou plutôt des bébés Delors, les héritiers des choix faits au milieu des années 80. Choix que j'ai combattus, et dont l'échec a été rendu manifeste par la crise du néo-libéralisme en 2008-2009 et celle de l'euro en 2010-2011. Le PS doit remettre sa montre à l’heure.
Martine Aubry comme François Hollande se retrouvent aussi face à face parce que Dominique Strauss Kahn n’est plus dans la course.
Leurs choix ne sont pas fondamentalement différents de ceux de DSK. Leur « Weltanschauung » est la même.
Que vous inspire la chute de DSK ?
J’ai été humainement ému par cette chute incroyable. Bien sûr, si les faits étaient avérés, c’est la victime qui mériterait qu’on s’apitoie sur elle. Mon premier réflexe a été de défendre le principe de la présomption d’innocence ; on ne connait encore rien de cette affaire. La prudence s’impose.
De là à établir un parallèle avec l’affaire Dreyfus…
Je n’ai rien fait de tel. J’ai simplement dit que, au départ, Clémenceau et Jaurès pensaient que Dreyfus était coupable. Et qu’il faut toujours se méfier des emballements initiaux, qui ne doivent pas bafouer la présomption d’innocence. C’est une position de principe.
Sans rien supposer quant aux faits, croyez-vous que Jaurès et Blum auraient toléré ce spectacle, en particulier le rapport à l’argent que tout cela démontre ?
Je ne ferai pas parler les morts. On reprochait déjà à Blum de manger dans de la vaisselle d’argent, ce qui d’ailleurs était faux. Je ne me sens pas concerné. Dans la terminologie d’Albert Thibaudet, je ne suis pas un héritier mais un « boursier ». Il y en a aussi à droite : Juppé par exemple.
Le 12 juillet à l’Assemblée, et le 13 au Sénat, un grand débat va s’ouvrir au sujet de l’engagement français en Libye. Allez-vous rester neutre ou censurer le gouvernement ?
Je m’interroge. J’attends la déclaration gouvernementale. La résolution 1973 du Conseil de sécurité de l’ONU, arrachée par Alain Juppé, ne dit rien sur le départ de Kadhafi. L’objectif initial n’était pas clair : est-il de protéger les populations, comme le dit la résolution 1973, ou de renverser le colonel Kadhafi, comme l’avancent certains responsables de la coalition ? Les moyens autorisés permettent d’atteindre le premier objectif, pas le second. Je crains qu’on ait compromis pour la suite la notion de « responsabilité de protéger » sur laquelle on avait fini par s’entendre à l’ONU, en 2005. En Libye, nous n’avons pas à intervenir dans une guerre civile. Nous devons favoriser l’expression d’une volonté au sein d’un peuple dont la définition elle-même reste fragile. Contrairement à l’Egypte et à la Tunisie, la Libye n’est pas une vieille nation ; elle est la juxtaposition de trois régions (Tripolitaine, Cyrénaïque, Fezzan) et d’un ensemble de tribus. Sa partition serait refusée par l’Union Africaine et trop lourde de conséquences sur le principe même des frontières en Afrique. C’est tout l’équilibre de la zone sahélienne qui pourrait être menacé, ne serait-ce que par la circulation des armes. On ne mesure pas toutes les conséquences de l’affaire libyenne. Une issue politique ne peut résulter que d’un compromis entre les différentes tribus. Je ne regretterais pas Kadhafi, que ce soit clair. On a envoyé différents médiateurs sans se pencher sur leurs conclusions. Il faudrait donner plus d’importance à la voie diplomatique.
Un mot pour définir Martine Aubry
Force.
DSK?
Mystère.
François Hollande?
Malice.
Jean-Pierre Chevènement?
Constance.
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Source : L'Express