Entretien de Jean-Pierre Chevènement à Atlantico, dimanche 30 octobre 2016.


"Prenons au sérieux les gens de Daech qui veulent que la France se déchire"
Atlantico : On a annoncé récemment votre élection à la présidence de la Fondation pour les œuvres de l'islam de France. Où en êtes-vous ? Comment se passent vos relations avec les différents partenaires ?
Jean-Pierre Chevènement :
Je n'ai pas encore été élu président pour l'instant, mais les choses avancent bien. Le décret nécessaire pour créer une fondation d'utilité publique n'a pas encore pu être pris. Il faut d'abord dissoudre l'ancienne fondation, celle qu'avait créée Dominique de Villepin et qui n'avait pas marché. Je suis aujourd'hui obligé de suivre le rythme de l'Etat de droit donc je prends tous les contacts nécessaires pour voir sous quel angle je pourrai aborder un problème dont la solution est d'utilité nationale. Il y a en France entre 4 et 5 millions de musulmans. Il faut qu'ils puissent exercer tous leurs droits de citoyen, et que naturellement ils en respectent tous les devoirs.

L'émergence d'un islam respectueux des principes républicains est certainement une affaire de longue haleine. Je ne prétends pas faire autre chose que débloquer un système qui s'était enrayé. Après, d'autres prendront le relais…

Votre ouvrage part de la vague d'attentats et de violences subies par la France depuis janvier 2015 pour tenter d'expliquer les racines profondes et de natures diverses des dysfonctionnements de notre société. Vous dénoncez notamment la "culture du déni" qui serait prégnante en France. À quoi correspond-elle et comment se matérialise-t-elle ?
La culture du déni consiste à minimiser l'ampleur des difficultés qui sont devant nous. Je ne pense pas que nous en soyons - hélas ! - à la dernière vague d'attentats. Le terrorisme djihadiste est installé dans les têtes. Il l'est pour longtemps. Il repose sur un ressentiment très ancien, dont je cherche à analyser les causes, à percer les origines. Et par ailleurs, il procède de graves faiblesses que nos élites ont laissé s'installer dans la société française, qui touchent particulièrement la jeunesse ; et plus particulièrement la jeunesse des quartiers où sont concentrés les populations immigrées. En cause aussi, une certaine panne de l'intégration dont les raisons sont multiples, la première étant peut-être que la France a cessé de s'aimer elle-même. Et naturellement, ces maux doivent être nommés ; mais avec de bons mots, si nous voulons y remédier.

Entretien de Jean-Pierre Chevènement à La Vie, propos recueillis par Henrik Lindell et Pascale Tournier, 27 octobre 2016.


"Etre réaliste est la seule façon d'être humain"
La Vie: Des enseignants et des policiers ont récemment été agressés. La restauration de l'autorité de l'État sera-t-elle au cœur de la présidentielle ?
Jean-Pierre Chevènement:
Ces violences, intolérables, expriment une crise sociale et morale profonde. Crise morale : nous sommes à la fin d'un cycle libéral-libertaire résumé par le slogan soixante-huitard « II est interdit d'interdire ». Ce cycle a conduit à une crise profonde de l'autorité. À l'école d'abord avec les pédagogies constructivistes, mais aussi dans toute la société. Crise sociale aussi : le chômage qui frappe particulièrement la jeunesse semble fermer à beaucoup les portes de l'avenir. L'autorité de l'État est bien évidemment en cause. Il faut restaurer la responsabilité de ceux qui nous gouvernent et pour cela ressaisir les leviers de la souveraineté. C'est une tâche difficile. Cette question sera sûrement au cœur de l'élection présidentielle.

Dans votre livre, vous dites carrément que la France pourrait disparaître...
J'avais déjà écrit en 2011 La France est-elle finie ? (rires). Le but affiché de Daech est de provoquer la guerre civile dans notre pays. Le directeur général de la sécurité intérieure (DGSI), Patrick Calvar, a déclaré publiquement que nous nous y dirigions tout droit. Mais il faut tout faire pour éviter cette issue et échapper au « clash des civilisations ». C'est l'objectif stratégique du terrorisme djihadiste qui ne disparaîtra pas avec la chute de Mossoul et de Raqqa. Il ne faut pas vivre dans la culture du déni, mais voir la réalité À partir de là, nous pourrons relever le défi de civilisation qui est devant nous et promouvoir une politique réellement humaniste.

Quelle est cette réalité ?
Six millions de chômeurs d'abord, principalement des jeunes et en particulier ceux des banlieues. Depuis le milieu des années 1970 ensuite, nous ne maîtrisons plus le problème de l'immigration. Nous continuons à penser que ['intégration peut se faire toute seule. Ce n'est pas exact. Notre politique d'intégration est défaillante. Cette intégration n'est possible que dans le cadre de la nation. Il faut que la France s'aime assez elle-même pour donner envie de s'y intégrer.

Jean-Pierre Chevènement était l'invité politique de François-Xavier Ménage sur LCI, vendredi 28 octobre 2016.


Entretien de Jean-Pierre Chevènement avec Valeurs Actuelles, propos recueillis par Anne-Laure Debaecker et André Bercoff, jeudi 27 octobre 2016.


"Je suis plus gaulliste que mitterrandiste"
Valeurs actuelles: Dans votre livre, Un défi de civilisation, vous soulignez la crise du modèle républicain. Quelle définition faites-vous de la République, en 2016 ?
Jean-Pierre Chevènement: C'est la souveraineté du peuple, entendu comme corps de citoyens formés par l'école et aptes à définir ensemble l'intérêt général du pays. On ne peut penser la République en dehors des concepts de souveraineté et d'État et sans une vision claire du rôle de l'école, qui est de former le citoyen. Ce n'est pas nouveau. Mais cela reste juste.

L'école est devenue, selon vous, une « fabrique à cancres ». Comment expliquer son délitement ?
Il est largement le résultat du développement, depuis 1968, de l'idéologie libérale-libertaire et, plus précisément, de son application à l'école à travers les pédagogies dites “constructivistes”. Celles-ci considèrent qu'il faut laisser à l'élève lui-même le soin de construire son savoir. Jean Piaget, principal théoricien de ce courant, opère un renversement copernicien : la transmission ne se fait plus à travers le maître, c'est à l'élève lui-même, en interaction avec ses condisciples, d'acquérir et d'ordonner ses connaissances. Le “pédagogisme” entend opérer ainsi une sorte de révolution culturelle. Or, tous les élèves n'acquièrent pas tous les éléments de savoir au même âge et il apparaît qu'avec ces méthodes, les inégalités de départ ne cessent de s'accroître. À la fin, on récolte l'échec scolaire et le sauvageon.

On a pourtant laissé ces pédagogies se diffuser au fil de réformes mal conçues, dont la première fut, en 1975 la réforme Haby, qui a instauré sans préparation et sans adaptation le collège unique. La formalisation des thèses pédagogistes interviendra, en 1989, avec la loi d'orientation sur l'éducation, qui met l'élève au centre de l'école et créé les instituts universitaires de formation des maîtres. Nous en récoltons aujourd'hui les fruits amers. Mais il faut inscrire la déconstruction de l'école républicaine dans une déconstruction plus vaste : celle du modèle républicain lui-même. Nous avons jeté le manche après la cognée et choisi la globalisation à travers une Europe censée se substituer aux nations. Mais cette Europe n'est en aucune manière une entité stratégique. C'est pourquoi je propose de réorienter notre politique européenne à partir du concept d'“Europe européenne” que nous a légué le général de Gaulle.

Jean-Pierre Chevènement était l'invité de Thierry Ardisson dans Salut Les Terriens sur C8, samedi 22 octobre 2016.


Jean-Pierre Chevènement était l'invité du Talk Le Figaro, vendredi 21 octobre 2016.


Jean-Pierre Chevènement était l'invité politique de RTL, lundi 17 octobre 2016. Il répondait aux questions d'Elisabeth Martichoux.


Bonnes feuilles d'"Un défi de civilisation", le dernier livre de Jean-Pierre Chevènement, parues dans Marianne, 14 octobre 2016.


Le Brexit, chronique d'un désaveu
Comme l'éclair illumine un paysage nocturne, le Brexit, voté par les Britanniques le 23 juin 2016, n'a pas seulement révélé les fragilités de la construction européenne, il a sonné comme un retentissant et cuisant désaveu à l'égard des institutions de Bruxelles.

Le Royaume-Uni avait un statut à part, n'étant ni dans la zone euro ni dans l'espace Schengen. Pour le retenir au sein de l'Union européenne, ses partenaires lui avaient encore consenti une dérogation au principe de la libre circulation des travailleurs au sein de l'Union européenne et un statut de contributeur au budget de l'UE très avantageux. Ils lui avaient même accordé un droit de regard sur l'élaboration des réglementations financières qui auraient pu faire de l'ombre à la City, d'où le Royaume-Uni tire plus de 15 % de son produit intérieur brut, trois fois plus que la France ou l'Allemagne. Pourtant, il faut croire que l'intelligence collective de son peuple - si tant est qu'on croie à la démocratie - a préféré délaisser ce statut spécial apparemment avantageux pour reprendre en main et en toute transparence le contrôle entier de son destin. [...] L'opinion claironnée de la plupart des élites européennes, au lendemain du Brexit, est que le Royaume-Uni s'est tiré une balle dans le pied, que son économie va entrer en récession et que, peut-être, il va éclater.

Et si c'était le contraire qui était vrai ? Si le Royaume-Uni avait quitté un édifice branlant où il n'avait d'ailleurs mis qu'un pied, avant qu'il ne s'effondrât sur sa tête ? [...] En maints domaines, le Parlement de Westminster n'avait plus le dernier mot.

le 17 Octobre 2016 à 12:12 | Permalien | Commentaires (0)
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