Tribune de Jean-Pierre Chevènement parue dans l'Obs du 8 octobre 2015.
De deux choses l’une : ou bien une coalition des grandes puissances se met en place pour réduire Daech, ou bien chaque parrain soutenant son féal, on s’achemine vers une fragmentation générale de la Syrie, de l’Irak et du Moyen-Orient.
Ce serait s’installer dans une guerre interminable entre sunnites et chiites, et plus précisément entre l’Iran et l’Arabie saoudite, dont Daech et le terrorisme djihadiste seraient en définitive les seuls grands bénéficiaires. La France n’a rien à gagner à cette fragmentation. Elle doit s’efforcer de restaurer ou maintenir l’intégrité territoriale des Etats concernés (y compris la Turquie) en rendant ces Etats viables pour leurs populations : un Irak fédéral faisant place aux sunnites de l’Ouest, une Syrie dont le régime à la fin devrait s’ouvrir et se démocratiser, une Turquie, enfin, qui devrait résoudre son problème kurde à l’intérieur de ses frontières. On ne combat pas efficacement le terrorisme par des moyens militaires seulement, mais à partir de vues politiques justes. Oublie-t-on que c’est l’emploi de moyens militaires en Irak en 1991 et 2003, en dehors de toute vision politique d’ensemble, qui a ouvert la voie à Al- Qaida d’abord puis à Daech ? Derrière le terrorisme djihadiste, il y a un immense ressentiment historique qu’on ne peut combattre qu’en ouvrant aux peuples du monde arabo-musulman un avenir de progrès. Faute de cette vision politique, nous irons vers le chaos.
le 8 Octobre 2015 à 10:52
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Entretien de Jean-Pierre Chevènement au Figaro, samedi 3 octobre 2015. Propos recueillis par Vincent Tremolet de Villers.
LE FIGARO : Malgré les tensions entre Barack Obama et Vladimir Poutine, l'idée d'une coalition internationale contre l'État islamique progresse…
Jean-Pierre CHEVÈNEMENT : Cette coalition, c'est une évidence, est nécessaire, même si elle rencontre des difficultés. Tous les pays sont concernés, à commencer par les pays musulmans, qui paient le plus lourd tribut à Daech. Qu'est-ce que Daech? Ce n'est pas, comme on l'entend souvent, un phénomène né en Syrie. C'est en Irak qu'al-Baghdadi a commencé par proclamer son califat, dans les régions occidentales dont la population sunnite s'est sentie rejetée par la politique sectaire du gouvernement al-Maliki. C'est ensuite que le soi-disant État islamique s'est étendu en Syrie, en profitant du vide politique créé par la guerre civile. Avant de former une coalition, il faut définir l'objectif politique ; celui-ci ne saurait être que le rétablissement des États dans leurs frontières historiques fixées il y a près d'un siècle, mais en rendant ces États vivables pour leurs populations. À Téhéran, où je suis allé il y a une semaine, j'ai plaidé pour un Irak fédéral auprès des responsables iraniens que j'ai rencontrés - notamment M. Velayati (ministre des Affaires étrangères d'Iran de 1981 à 1997 et conseiller du Guide, M. Ali Khamenei, pour les questions internationales, NDLR). On ne pourra venir à bout de Daech que si on le sépare des populations. En Syrie, il faut d'abord rétablir la paix, et ensuite donner la parole au peuple syrien. Vouloir imposer un ordre inverse n'a pas de sens. La coalition dont on parle doit être aussi large que possible. Les grandes puissances d'abord - États-Unis et Russie au premier chef -, les puissances régionales ensuite - Iran, Turquie, pays arabes, et bien entendu les gouvernements irakien et syrien, quoi qu'on en pense. Dans un premier temps, il faudra créer un état-major commun, permettant le partage du renseignement, la coordination des frappes aériennes, et j'ajoute enfin et surtout le contrôle des frontières. Il faut soumettre le soi-disant État islamique à un rigoureux blocus. Deux problèmes se posent: celui de la Turquie, qui est plus préoccupée par le PKK que par l'EI, et celui de la force arabe, qui doit impliquer à la fois l'Arabie saoudite et l'Égypte. Dans ce Moyen-Orient compliqué, gardons-nous des idées simples. On créera le mouvement en marchant. Entretien de Jean-Pierre Chevènement accordé au journal Paris Normandie, lundi 28 septembre 2015. Propos recueillis par Baptiste Laureau et Thierry Rabiller.
Paris Normandie : Vous avez été en charge de la sécurité de notre pays. Aujourd’hui, selon vous, est-on en sécurité ? Comment la France peut-elle lutter contre le terrorisme ?
Jean-Pierre Chevènement : Nous sommes en présence d’un défi qu’on ne relèvera que dans la longue durée. Car derrière le terrorisme jihadiste qui s’est manifesté dans notre pays, il y a les conflits du monde arabo-musulman que les États-Unis ou nous-mêmes avons souvent allumés (Irak, Libye) ou entretenus (Syrie) et l’immense ressentiment qui s’exprime à tort ou à raison contre l’Occident. Et puis bien sûr, les tensions qui existent dans notre pays qui intègre de moins en moins bien et d’abord parce qu’il ne s’aime plus lui-même. Combattre le terrorisme exige d’abord une vision et demande ensuite un sang-froid partagé chez les dirigeants mais aussi chez les citoyens. Les attaques contre les mosquées, dépôts de têtes de cochons par exemple, ne sont pas seulement odieuses, elles sont criminelles. Elles font bien évidemment le jeu de Daesch qui n’aspire à rien tant qu’à une guerre de civilisations, lui-même rassemblant les musulmans sous sa bannière fanatique contre un Occident qui serait assez bête pour tomber dans le piège en répondant par un esprit de croisade contre l’Islam. Il y a donc un immense travail à faire. Les ratés de l’intégration ne traduisent pas l’échec de la République mais au contraire l’insuffisance de République, en matière d’École, d’emploi, de promotion sociale et bien sûr de civisme. Contre Daesch, la guerre totale n’est-elle pas la seule solution ? Peut-on obliger un État à faire la paix lorsqu’il ne recherche que l’affrontement ? Quant aux conflits dans le monde arabo-musulman, il faudrait d’abord penser à les éteindre. Ils sont la source de ces flux de réfugiés malheureux dont la vocation me paraît être de pouvoir retourner dans leur pays quand ceux-ci auront été pacifiés et qu’il faudra les reconstruire. Voilà la seule perspective humaine que je n’entends guère développer sur les ondes. N’oublions jamais que le terrorisme a fait 1 000 fois plus de victimes chez les musulmans qu’en Europe ou aux Etats-Unis.
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Dépêche AFP, jeudi 24 septembre 2015, 11h58.
L'ancien ministre Jean-Pierre Chevènement a estimé jeudi à propos de la menace d'exécution qui pèse sur le jeune chiite Ali al-Nimr que la voix de la France "devrait s'exprimer de manière plus forte", confiant "un certain malaise" à avoir l'Arabie saoudite comme alliée.
"Je pense qu'elle devrait s'exprimer de manière plus forte, il faut qu'elle soit efficace, car il y a évidemment un certain malaise que je ressens à avoir comme allié privilégié dans la région l'Arabie saoudite qui en sera à sa 133e décapitation depuis le début de l'année", a déclaré M. Chevènement sur France Inter. L'Arabie saoudite "joue un rôle dans le monde entier pour propager une version ultra rigoriste de l'islam qui est le terreau d'un certain terrorisme. Donc il y a un peu de cohérence à mettre dans notre politique", a-t-il poursuivi. "Il n'y a pas de politique qui se fasse en dehors des réalités", a néanmoins ajouté M. Chevènement. "L'Arabie saoudite est une puissance considérable (...) il faut en tenir compte. Il faut que nous ayons un dialogue plus resserré avec les Saoudiens dans leur intérêt même et que nous arrivions à résoudre les conflits de la région". François Hollande a demandé à l'Arabie saoudite, mercredi à Bruxelles, "de renoncer à l'exécution" du jeune chiite Ali al-Nimr, "au nom de ce principe essentiel que la peine de mort doit être abolie et que les exécutions doivent être empêchées". Jean-Pierre Chevènement était l'invité de France Inter, jeudi 24 septembre 2015. Il répondait aux questions de Léa Salamé.
Verbatim express :
Débat de Jean-Pierre Chevènement avec Alain Minc dans l'Express, lundi 21 septembre 2015. Propos recueillis par Franck Dedieu.
Après le non des Grecs au référendum sur le plan d'austérité et l'accord de juillet avec les créanciers, pensez-vous qu'Athènes doive sortir de l'euro?
Jean-Pierre Chevènement : Pour le moment, le maintien de la Grèce dans la zone euro est souhaitable, car rien ne doit se faire brutalement. Un "Grexit" amical aurait pu paraître profitable en théorie. Il aurait fallu assister financièrement la Grèce pour restructurer sa dette et lui permettre d'éponger le choc monétaire, mais l'amitié manquait. En réalité, le problème ne vient pas fondamentalement de la Grèce, mais de l'euro lui-même. Le vice originel de la monnaie unique est d'avoir juxtaposé des pays très hétérogènes à tous égards - économique, politique, culturel -, au risque évident d'une "mezzogiornisation" des pays les moins avancés. Les concepteurs de l'euro ont fait comme si cette zone monétaire était une nation. Comme la souveraineté politique autorisant des transferts financiers massifs ne coïncide pas avec la souveraineté monétaire, les écarts entre les pays ne pouvaient que s'accroître, à l'inverse des prévisions de convergence escomptées lors de sa conception. Alain Minc : Il existe des caractéristiques propres à la Grèce. Athènes ne parvient pas à percevoir l'impôt convenablement. Il fallait faire un deal avec les Grecs en ces termes: les créanciers européens allègent la dette, mais prennent en charge le prélèvement fiscal. Il est tout de même assez cocasse de voir un gouvernement de la gauche radicale incapable de mettre à contribution les riches armateurs et l'Eglise orthodoxe pour alimenter son budget. Cela dit, il faut tout faire pour garder Athènes dans l'euro, car cette devise correspond à un projet politique. La Grèce, c'est le battement d'ailes du papillon. Des catastrophes en cascade peuvent suivre. Jean-Pierre Chevènement était l'invité de France Culture, lundi 14 septembre 2015. Il répondait aux questions de Guillaume Erner, Brice Couturier et Caroline Fourest.
1ère partie
Entretien de Jean-Pierre Chevènement accordé au Figaro, samedi 12 septembre 2015. Propos recueillis par Emmanuel Galiero.
LE FIGARO : La crise des migrants agite la classe politique française. Quelle est votre analyse?
JEAN-PIERRE CHEVÈNEMENT : On s'attache beaucoup trop aux effets et pas assez aux causes. On ne veut pas voir que ces migrants sont originaires de pays qui ont été déstabilisés par la guerre ou par des conflits internes. Mais la guerre est souvent étrangère et nous avons collectivement, nous Occidentaux, une certaine responsabilité dans la déstabilisation de l'Irak, de la Libye et dans une certaine mesure, de la Syrie car il aurait fallu organiser une médiation plutôt que de prendre parti dans un conflit qui nous dépasse, le conflit Sunnites/Chiites. Il faut tarir la principale source de ces migrations et gérer les effets sans gesticulations inutiles, sans déclarations à l'emporte-pièce, avec fermeté et humanité. Comment lutter en amont contre un tel problème? Le problème doit être pris dans sa globalité. Je veux parler de la question du codéveloppement avec les pays d'origine, du problème des Etats que nous pouvons aider à se construire ou à se développer, puis celui de la gestion des flux. Mais sur ce dernier point, la matière est partagée entre les Etats et l'Union européenne aux termes du traité de Lisbonne. Personne n'a dit que c'est une décision prise par la Commission qui le règle par répartition entre les pays. Ce problème implique l'accord de tous les pays. Cela suppose donc un Conseil européen préparé et outillé pour faire appliquer les décisions qu'il pourra prendre. En même temps, il ne faut pas laisser croire que la question se réduit à la gestion des flux. Ce n'est pas vrai. Quand on observe les ordres de grandeur, on constate 8 millions de déplacés à l'intérieur de la Syrie, 4 millions de réfugiés dans les pays voisins et environ 200 000 Syriens arrivés sur nos côtes. Le spectre de 800 000 réfugiées accueillis en Allemagne suscite des inquiétudes… A force de faire des annonces dans tous les sens, on finit par ne plus rien maîtriser. Celle-ci a été faite par le ministre de l'Intérieur allemand sur les demandeurs d'asile en fin d'année. Je mets en garde contre de tels effets d'annonce. La politique, ce n'est pas la communication. Source : LE FIGARO |
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