"La politique européenne est très largement déterminée par les Etats-Unis"
Jean-Pierre Chevènement était l'invité d'Arte, dimanche 1er novembre 2015. Il répondait aux questions de John Paul Lepers.
- La fonction de représentant spécial de la France en Russie que le Président de la République m'avait confié en 2012 est purement bénévole. Cela avait un sens au moment où elle m'a été proposée, et qui aujourd'hui est évidemment rendue peu effective par les sanctions qui frappent la Russie. Je m'efforce d'intervenir au niveau politique.
- J'ai quand même l'espoir que si les accords de Minsk sont appliqués, les sanctions seront levées au mois de janvier 2016, je l'espère.
- Barack Obama, en sautant de son hélicoptère, avait dit au mois de juin dernier, que naturellement, les sanctions seraient renouvelées. Je pense que les Européens n'avaient pas encore eu le temps de se réunir. Je pense que, très largement, la politique est déterminée par les États-Unis. Il y a quand même un pays qui est un peu plus égal que tous les autres, qui donc donne le « la ».
- Par rapport aux États-Unis, les Russes sont loin d'être les plus forts ! La Russie est aujourd'hui une puissance relativement faible. Mais les États-Unis sont la nation incontournable : c'est eux qui dirigent.
- Je pense que nous sommes alliés des Américains, mais nous ne sommes pas leurs vassaux.
- Les sanctions qui frappent la Russie frappent aussi l'Europe, puisque la moitié du commerce extérieur russe se fait aussi avec l'Europe. Qu'est ce que les Russes font avec les Etats-Unis ? 2 ou 3%, donc pour les Américains ce n'est en aucune manière une gène ! Mais c'est très gênant pour la France, l'Allemagne, l'Italie : nos exportations ont pratiquement diminué de moitié alors que nous devons quand même gagner notre vie. En France nous exportions 9 milliards et nous devrions être à 4,5 milliards cette année.
- Le contrat pour les deux navires de type Mistral était prévu depuis longtemps. C'était des coques non-armées, qui devaient aller dans le Pacifique à Vladivostok, et je pense que le principe de respect des contrats signés pouvait parfaitement être défendu. Maintenant, mon action a plutôt consisté à essayer d'ouvrir une voie diplomatique. Je suis allé à Sotchi le 4 mai 2014 pour préparer la venue à Paris de Vladimir Poutine. Il m'a alors indiqué que le problème des régions russophones de l'est ukrainien devait êtreréglé à l'intérieur de l'Ukraine, par une politique de décentralisation qui donnerait à ces populations, qui parlent le Russe, qui sont orthodoxes, dont certaines sont rattachées au Patriarcat de Moscou, un minimum d'autonomie.
- Il aurait mieux valu ne pas placer l'Ukraine devant un choix impossible : soit vous êtes avec la Russie, soit vous êtes avec l'Europe, mais plutôt leur dire que l'on va s'associer avec les Russes pour ler aider à se constituer en Etat, à se moderniser. Si le projet d'accord entre les Européens et l'Ukraine avait été discuté avec la Russie, la crise aurait été parfaitement évitable.
- Je pense que l'on fait beaucoup de procès d'intention à Vladimir Poutine. C'est un homme que j'ai vu, c'est incontestablement un homme intelligent. Ce n'est pas un enfant de choeur. Disons qu'il faut juger Poutine sur son bilan. Il a quand même redressé économiquement la Russie, redressé l'Etat, et les Russes lui en savent gré puisqu'il y a aujourd'hui une majorité de plus de 70% qui considèrent qu'il défend au mieux les intérêts de la Russie.
- Je ne dis pas que c'est la démocratie, mais pour qu'il y ait une démocratie qui fonctionne, il faut qu'il y ait une opposition. Il n'y a pas d'opposition qui pourrait prendre le pouvoir.
- Tout ce qui est dit en Occident est trop souvent biaisé et il y a un formatage d'opinion pour essayer de nous faire comprendre que la Russie c'est le mal, que nous sommes revenus à l'époque de la Guerre froide, qu'il faut voir le monde en noir et blanc. Moi je pense au contraire qu'il faut toujours essayer de comprendre ce qu'il y a dans la tête de l'autre, quand même c'est le rôle des diplomates.
- Je pense que Vladimir Poutine a un projet de modernisation de la Russie, il veut en faire un grand pays moderne. La démocratie serait beaucoup mieux portée par la modernisation de la Russie, le développement des classes moyennes, qui portent des idées plus proches des nôtres, plus démocratiques, et c'est en cela que je mets l'espoir d'une démocratie toujours meilleure en Russie, beaucoup plus que dans les pressions, dans les agressions ou dans les sanctions que nous pourrions faire subir à la Russie, qui se croyait assez proche de l'Europe et qui découvre une Europe qui ne correspond pas à l'idée qu'elle s'en faisait.
- Je crois savoir que la Russie n'a pas encouragé la Grèce dans le sens que vous dites, d'ailleurs les Grecs voulaient rester dans l'euro, c'est plutôt M. Schauble qui voulait qu'ils sortent.
- Je voudrais simplement dire pour conclure que je crois à l'Europe, mais l'Europe doit se faire dans le prolongement des nations, car l'Europe ce n'est pas les Etats-Unis d'Amérique. Il faut s'appuyer sur la démocratie qui vit dans les nations pour faire non seulement une confédération, mais même mettre en commun certaines compétences à condition qu'on en contrôle l'exercice de manière démocratique.
le Lundi 2 Novembre 2015 à 13:43 | Lu 4069 fois