- On vise des terroristes. La France a fait l'objet d'attentats, elle est en situation de légitime défense. Maintenant, est-ce que c'est la réponse appropriée au terrorisme, c'est une autre question.
- Les terroristes ne se définissent pas par leur passeport. Il n'y a pas des terroristes qui seraient de nationalité française et d'autres qui seraient syriens, turcs... Les terroristes sont les terroristes. Si on a pu identifier un camp d'entraînement, il est légitime de le frapper.
- Je pense que nous n'avons pas d'éléments au sol ayant des informations suffisamment précises pour nous dire qui est de nationalité française et qui ne l'est pas.
- Je pense que, en janvier 2013, lorsque la France a déclenché l'opération Serval au Mali, c'était à la demande du gouvernement en place, et il y avait une résolution de l'ONU. C'est un cas assez différent.
- La terminologie de la grande guerre contre la terreur, moi je pense qu'elle est assez suspecte et qu'il ne faut pas la reprendre.
- Les frappes en Syrie ne peuvent se justifier que par les attentats commis sur le sol français contre des Français, et qui légitime une riposte, non pas sur des gens qui y seraient un peu par hasard, mais en l'occurrence contre un camp d'entraînement ! A partir de là, il me semble qu'il y a légitime défense.
- Si on devait frapper un peu n'importe où, sur un quartier, on ne pourrait pas déterminer exactement qui l'habite, ce serait plus grave. Mais je pense qu'il faut rester très précis, très rigoureux dans nos appellations.
- En Syrie, nous n'avons pas la demande du gouvernement légal, puisque le gouvernement légal, nous ne le reconnaissons pas. Mais en même temps, ce gouvernement légal n'a pas d'autorité sur une fraction très importante de son territoire. A partir du moment où il n'a plus le contrôle, nous sommes autorisés à nous défendre.
- Le terrorisme ne peut se combattre avec des bombes guidées au laser, parce que le terrorisme vient de très loin. Il y a tout un passé, toute une histoire, tout un ressentiment. Il y a eu des réponses diverses adoptées dans le monde arabo-musulman au défi de l'Occident. Et c'est sur la base d'une réponse identitaire d'un courant, le courant salafiste, que la réponse du terroriste djihadiste s'est développé. Mais il y avait d'autres réponses, il faudrait peut-être s'interroger sur le fait de savoir si les pays Occidentaux n'ont pas eux-mêmes contribué à allumer le brasier, par des interventions tout à fait discutable et inappropriée. Je pense aux deux guerres menées contre l'Irak, qui ont abouti à la destruction de l'Etat irakien, et à l'épanouissement d'abord d'Al Qaeda, puis ensuite de Daesh. Ces Etats, je pense à l'Irak, mais aussi à la Syrie, n'étaient pas vraiment vivables pour leur population. Peut-être que l'on aurait pu agir autrement : exercer un magistère d'influence. Il y avait des possibilités. Elles n'ont pas été explorées quand cela était possible, il y a très longtemps.
- Aujourd'hui, il faut arriver à rendre vivable l'Irak. Je suis allé en Iran il y a une quinzaine de jours, et j'ai prêché auprès de mes interlocuteurs pour un Irak fédéral, parce que le problème, c'est que les régions occidentales de l'Irak sont peuplées de sunnites, qui ont fait l'objet d'une politique extrêmement sectaire de la part du gouvernement à majorité chiite, mis en place après l'invasion américaine. Et par conséquent, si l'on ne veut pas essayer de comprendre les motivations qui sont derrière un certain nombre de réactions, on ne trouvera pas les médecines appropriées.
- Le terrorisme est d'abord justiciable d'un traitement politique, et accessoirement militaire – je ne suis pas contre si c'est nécessaire. Mais j'ai toujours été pour un usage proportionné de la force, et pas pour un usage indiscriminé, car on ouvre une boîte de Pandore, et après on ne contrôle plus.
- Dans une affaire comme celle-là, nous sommes en présence de plusieurs acteurs, qui ont des objectifs différents. Les Russes soutiennent Bachar Al Asssad. Les Américains préféreraient s'en passer. Les Turcs en ont surtout après les Kurdes, et à la limite, Daesh, ils les ont généralement approvisionné. Il faut avoir une vision complète du champ, savoir qu'il y a ce conflit sunnite/chiite, Iran/Arabie Saoudite, mais derrière il devrait y avoir une réponse concertée, parce que Daesh est une menace pour le monde entier, et par conséquent on devrait avancer au niveau d'une gouvernance mondiale pour trouver une meilleure coordination.
- Nous ne sommes pas les amis de Bachar Al Assad, mais il faut savoir hiérarchiser les priorités. Je crois qu'il y a une priorité évidente, aujourd'hui, c'est d'éradiquer Daesh. Et c'est une menace pour le monde entier. Je viens d'apprendre que des attentats auraient peut-être été déjoués à Moscou. D'autres ont été commis en Turquie, et il est quand même probable que Daesh soit derrière, même si le gouvernement turc n'a pas pris toutes les mesures de sécurité qui s'imposaient.
- On m'a posé la question à Téhéran : si vous éliminez Bachar Al Assad en Syrie, qu'est ce qui se passe ? Vous pensez franchement que Daesh ne va pas rentrer dans Damas ? Je pense que cette question se pose. C'est une situation compliquée, où vous avez Daesh, Bachar Al Assad, et ce que l'on appelle l'Armée de la Libération, dominée par Al-Nosra, qui se rattache à Al Qaeda... On ne peut pas dire que ce soit des gens très sympathiques ! Au moins Bachar ne veut pas instaurer un califat.
- L'homme n'est ni ange ni bête, et le malheur veut que qui veut faire l'ange fait la bête (Pascal). En définitive, je pense que Saddam Hussein, sur lequel on aurait pu exercer une influence, et on le pouvait dans certaines circonstances, a coûté peut être dix mille fois moins de victimes que les deux guerres qui ont été faite, et au blocus, l'ensemble aboutissant à la destruction de l'Etat irakien et à une guerre interconfessionnelle qui n'est pas terminée.
- Je pense qu'en politique il faut distinguer les plans. La morale c'est bien, mais il faut savoir distinguer la politique et la morale. Et il faut savoir prendre ses responsabilités.