Entretien de Jean-Pierre Chevènement à La Provence, propos recueillis par Marie-Cécile Berenger, mercredi 11 janvier 2017.
La Provence: Vous dressez un diagnostic inquiétant de la mondialisation...
Jean-Pierre Chevènement: Nous sommes frappés depuis 30 ans par la désindustrialisation, un chômage de masse, une certaine désagrégation du pays, et maintenant la montée du terrorisme djihadiste. C'est la conséquence de cette mutation du capitalisme qui a entraîné "la gouvernance par les nombres". Les phénomènes comme le Brexit sont les symptômes d'un monde qui va changer de paradigme. On sent un recentrage au moins des grands pays sur ce qu'on aurait appelé autrefois une sphère de co-prospérité, on va voir l'Amérique se replier sur elle-même, la Chine entraîner l'Asie dans son orbite. L'Europe a encore sa place ? La question est de savoir si l'Europe peut modifier son modèle de développement imposé par l'Allemagne, un modèle mercantiliste. Il est temps qu'en France, une voix s'élève pour rectifier la trajectoire. L'Europe a toujours sa place mais il faut qu'elle la taille en partenariat étroit avec la Russie. Quel serait votre candidat idéal à la présidentielle ? Fillon pour la politique étrangère, Valls pour les soucis de l'État, de l'ordre public, de la lutte contre le terrorisme, Montebourg pour le made in France, la politique industrielle, l'État stratège et la critique de la politique européenne. Le pays attend une vision cohérente à long terme et aujourd'hui, il n'a pas son compte.
le 11 Janvier 2017 à 16:08
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Commentaires (14)
Jean-Pierre Chevènement était l'invité de Laurence Ferrari sur ITélé, mardi 3 janvier 2017.Entretien de Jean-Pierre Chevènement au quotidien algérien El Watan, propos recueillis par Hacen Ouali, mercredi 28 décembre 2016.
El Watan: Vous êtes officiellement nommé président de la Fondation pour l’islam de France ; quelles sont les missions fixées à cette organisation ?
Jean-Pierre Chevènement: La Fondation est une institution laïque. Son objet est purement profane : culturel, éducatif et social. C’est un pont entre l’islam et la république. Mais tout ce qui est religieux (construction de mosquées, formation religieuse des imams) relève d’une association cultuelle, encore à constituer. Avez-vous senti une adhésion des principaux acteurs musulmans à la démarche de la Fondation ? La Fondation compte une majorité de musulmans au sein de son conseil d’administration et son conseil d’orientation. Le président du Conseil français du culte musulman (CFCM), créé en 2009, est membre de droit du conseil d’administration de la Fondation. Pour ma part, j’entends travailler en étroite liaison avec le CFCM. Celui-ci vient de créer un «conseil religieux» et a adopté une «charte de l’imam». Il prévoit d’accorder une «recommandation» aux imams qui auront été formés en direction des mosquées. L’Etat a créé des diplômes universitaires pour la formation juridique et civique. Il existe également des diplômes de français pour ceux qui ne maîtrisent pas la langue. La formation religieuse relève d’institutions purement musulmanes. Des pays comme l’Algérie, le Maroc, l’Egypte ou la Turquie auront-ils un concours à apporter à la Fondation ? Les pays que vous venez de citer ont conclu des accords avec le ministère de l’Intérieur pour ce qui concerne la formation des imams détachés. La Fondation développera bien entendu un programme d’échanges avec les pays musulmans concernant la connaissance du fait religieux musulman avec lequel nos concitoyens doivent se familiariser. Il y a 4 à 5 millions de résidents de culture musulmane en France qui, pour la plupart, sont des citoyens français. L’objectif de la Fondation est de les rendre pleinement citoyens en assurant leurs droits. Ils sont une part de l’identité et de l’avenir de la France. C’est un fait qui doit entrer dans la conscience collective. La France est faite de strates diverses qui, au fil du temps, ont constitué une même nation. L’essentiel est que cela se fasse sur la base des principes républicains. La France a une personnalité structurée, comme l’écrivait Jacques Berque, que les apports successifs doivent préserver. Entretien de Jean-Pierre Chevènement à Marianne, propos recueillis par Hervé Nathan, jeudi 22 décembre 2016.
Marianne : En 1999, ministre de l'Intérieur chargé des cultes, vous aviez amorcé l'organisation de l'islam de France, avec l'istishara («consultation»). Pour intégrer une religion minoritaire et venue de l'étranger à la République, vous vous inspiriez clairement de l'œuvre de Napoléon qui, au début du XIXe siècle, avait créé autoritairement les institutions du judaïsme français. Dix-sept années plus tard, on semble ne pas avoir beaucoup avancé...
Jean-Pierre Chevènement : Nous ne sommes plus au temps de Napoléon. J'espérais que, dans une République laïque, les musulmans se mettraient d'eux-mêmes d'accord sur les objectifs et les moyens et sur les règles de fonctionnement de leur culte. Ça n'a été qu'insuffisamment possible car l'islam en France est organisé très largement en obédiences relevant d'un pays d'origine, l'Algérie, le Maroc et la Turquie principalement. Ces fédérations se neutralisent quelque peu. J'ajoute une fédération qui ne dépend d'aucun pays, l'UOIF, réputée proche des Frères musulmans. L'islam de France est à créer pour les nouvelles générations de musulmans et dans l'intérêt du pays tout entier. C'est une œuvre de longue haleine. On aboutit en 2016 à une espèce de triangle institutionnel : le CFCM qui a déjà son histoire, la Fondation de l'islam de France que vous présidez et bientôt, sans doute, une association cultuelle selon la loi de 1905. Est-ce qu'enfin on peut espérer un édifice institutionnel vraiment représentatif des musulmans ? Il faut distinguer ce qui a été fait et ce qui reste à faire. L'instance légitime élue de représentation des musulmans, c'est le CFCM, créé en 2003 sur la base de la consultation que j'avais lancée en 1999 qui a donné lieu à une déclaration de toutes les sensibilités de l'islam et du ministre de l'Intérieur, déclaration intitulée : «Principes régissant les rapports entre le culte musulman et les pouvoirs publics». C'est donc l'instance religieuse, l'équivalent de la Conférence des évêques, du Consistoire central, de la Fédération du protestantisme. La fondation est d'une nature tout à fait différente : laïque, elle n'a d'objet que profane, sa vocation est d'abord culturelle, éducative, sociale. Les actes du colloque du 24 octobre 2016 sont disponibles en ligne sur le site de la Fondation Res Publica.
Entretien de Jean-Pierre Chevènement à La Tribune, propos recueillis par Jean-Christophe Chanut et Romaric Godin, mardi 20 décembre 2016.
La Tribune: Dans votre dernier ouvrage, Un Défi de Civilisation (*), vous tentez de comprendre comment la France a pu devenir la cible d'un terrorisme porté par ses propres enfants. Vous identifiez un long processus de haine de soi à l'œuvre dans notre pays qui, selon vous, remonte au début du 20e siècle...
Jean-Pierre Chevènement: Selon moi, ce phénomène prend sa source dans le prix exorbitant qu'a dû payer la France pour préserver son indépendance durant la première guerre mondiale. Il en a résulté un sentiment très profond de désorientation et de rejet. D'autant que ce conflit a donné naissance à des monstres que la France de la troisième République n'était pas préparée à affronter : le bolchévisme, le fascisme et, plus tard, le nazisme. Le pacifisme généralisé a alors conduit les élites françaises à préférer la guerre entre l'Union soviétique et l'Allemagne qu'elles désiraient à la guerre entre la France et l'Allemagne qui leur a été imposée. Et c'est une des raisons les plus fortes, comme l'a montré Marc Bloch, de la capitulation de 1940. Celle-ci a ancré dans la conscience collective un sentiment de haine de soi. Sauf évidemment chez ceux qui ont résisté autour du général de Gaulle qui, en continuant le combat, a voulu maintenir la France dans le camp des vainqueurs. Seul de Gaulle et les Résistants pouvaient préserver après 1940 une vision valorisante de l'histoire de France. Les élites françaises, parce qu'elles avaient été pétainistes en 1940 et sous l'occupation ont admis que Pétain, c'était la France. C'est, du reste, ce que confesse à sa manière et sans doute inconsciemment, Jacques Chirac lorsqu'il dit, en juillet 1995, que « la France a commis l'irréparable ». Il ne contextualise pas la rafle du Vel d'Hiv, l'impute à la France et non pas à l'Etat français. L'occupation allemande n'est pas évoquée. Entre Pétain et de Gaulle, le conflit de légitimité est ainsi tranché en faveur du premier. La haine de soi plonge donc ses racines très profondément dans le « Plus jamais ça ! » d'après 1918, l'effondrement de 1940 et la déconsidération à ses propres yeux d'une France incapable d'incarner la cause des démocraties face à l'Allemagne nazie. Les élites françaises, sous l'occupation, ont souhaité la victoire de l'Allemagne parce que, comme le disait Pierre Laval, « sans elle, le bolchévisme triompherait partout ». De cette chute vertigineuse de l'estime de soi que De Gaulle n'a pu enrayer qu'un court laps de temps (1958-1970) ont découlé les campagnes de repentance à répétition sur l'esclavage ou la colonisation. Ces campagnes ont objectivement contribué à l'effacement de la nation et du sentiment national à l'ère de la globalisation libérale, plus ou moins maquillée aux couleurs d'une Europe destinée à remplacer la France comme horizon collectif. Lorsqu'une personne est gravement malade, d'autres maladies, secondaires, se greffent sur l'organisme affaibli. Entretien croisé de Jean-Pierre Chevènement et Malika Sorel, Le Figaro, propos recueillis par Alexandre Devecchio, samedi 17 décembre 2016.
Le Figaro: Jean-Pierre Chevènement, votre dernier livre s'intitule Un défi de civilisation. N'y a-t-il pas davantage lieu de croire à un choc des civilisations?
Jean-Pierre Chevènement: L'idée d'un choc des civilisations a été développée par l'essayiste américain Samuel Huntington en 1994. Celui-ci ne souhaite nullement ce choc mais il en perçoit le risque dans l'univers de la globalisation marqué par l'effondrement des grandes idéologies. Sa définition des différents «blocs de civilisation» (occidental, orthodoxe, confucéen, etc.) est contestable. Même la «civilisation musulmane» est loin d'être homogène: il y a une mosaïque de l'islam traversée par plusieurs courants et différentes écoles. L'échec de la Nahda (la Réforme) n'est pas définitif. L'humanité reste composée de nations et la nation, à mes yeux, reste encore un concept plus opératoire que celui de «bloc de civilisation». Cela dit, l'hypothèse de Huntington, qui apparaissait lointaine en 1994, s'est considérablement rapprochée depuis. L'idée de choc des civilisations a été portée aux États-Unis par les intellectuels néoconservateurs qui, dès la fin des années 1990, ont théorisé l'idée d'un «nouveau siècle américain» fondée sur l'exportation de la démocratie par la force des armes. Ce courant serait resté complètement marginal sans les attentats du 11 Septembre et la réponse totalement inappropriée qu'y a apportée George Bush Jr. Celui-ci a envahi l'Irak, a détruit son État et créé les conditions de l'émergence de Daech. De l'autre côté, le fondamentalisme religieux s'est affirmé. 1979 est l'année charnière. En Iran avec Khomeyni, en Arabie saoudite avec l'occupation des Lieux saints par des extrémistes wahhabites, et en Afghanistan avec l'invasion soviétique et l'organisation d'un premier djihad armant les moudjahidins afghans. De là naîtra après la guerre du Golfe la nébuleuse al-Qaida. De part et d'autre, des groupes très minoritaires, au départ, ont ainsi entraîné le Moyen-Orient dans un chaos sans fin. Pour moi, le défi de civilisation n'oppose pas le monde musulman et le monde occidental. Il interpelle et traverse aussi bien l'Occident que l'Orient. Il faut rappeler que les Irakiens, les Afghans ou les Algériens ont payé le plus lourd tribut au terrorisme djihadiste. Il faut offrir un horizon de progrès à des peuples qui ont perdu leurs repères, qui ont l'impression d'aller dans le mur. C'est vrai aussi du peuple français. Il faut ouvrir des voies de réussite et d'élévation économique, sociale, morale, spirituelle. Tel est le défi de notre époque. Principaux éléments de l’exposé de M. Jean-Pierre Chevènement, Président de la Fondation pour l’Islam de France, Instance de Consultation, 12 décembre 2016.
Monsieur le Premier ministre, Monsieur le Ministre, la réunion de cette Instance de dialogue est l’occasion de faire un point d’étape sur le processus que vous avez lancé. En effet, vous avez voulu cette fondation de l’Islam de France, Monsieur le Premier ministre.
Le décret du 5 décembre 2016 portant reconnaissance d’utilité publique de la Fondation a paru au JO du 6 décembre. Il approuve ses statuts : - but et moyens - Administration et fonctionnement - Attributions des organes - Dotation et ressources de la FIF : La dotation de garantie est ainsi composée : - 948 716 € de la FOIF - 276 000 € ADP - 276 000 € SNCF - 110 000 € SNI (CDC), trois entreprises que je remercie 1 610 716 € 2. Cette fondation reconnue d’utilité publique est une institution laïque. Son objet n’est pas religieux mais profane, essentiellement éducatif, culturel et social 3. Elle est donc la première pièce d’un dispositif plus vaste. Elle implique la création parallèle par des musulmans français d’une Association cultuelle qui prendra en charge les aspects religieux : - construction de mosquées - formation religieuse et rémunération des imams a) Mosquées : une carte doit être établie en relation avec le CFCM pour les besoins qui subsistent pour l’adjonction de bâtiments culturels (bibliothèques par exemple). b) Imans : formation profane – FIF – DU – Instituts d’islamologie Formation religieuse Statuts : un chantier à ouvrir (CFCM)
Mots-clés :
fondation de l'islam de france
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