Sud Ouest Dimanche: Il a souvent été question, ces derniers mois, dans le débat public, d’"identité". En quelques mots, qu’est, pour vous, l’identité française ?
Jean-Pierre Chevènement: C’est l’identité républicaine de la France. La définition de la nation française n’est ni ethnique ni religieuse : elle est politique. Elle est liée à l’affirmation de l’État et du citoyen. Le miracle de l’unité française, c’est l’État ; au cœur de la monarchie, puis de la République, cette identité reprend toute notre histoire, des origines à nos jours.
Comment expliquez-vous que la laïcité, qui était un socle puissant il y a trente ans, soit aujourd’hui l’objet de polémiques ?
Elle est trop souvent mal comprise. Par exemple, elle est perçue comme une arme contre la religion, à tort : la laïcité permet l’expression de toutes les croyances religieuses. Mais elle implique que, dans le débat public, chacun mette ce qu’il a de commun avec ses concitoyens, privilégie l’argumentation raisonnée, et réserve à la sphère privée l’affirmation de ses convictions religieuses.
Parle-t-on trop des appartenances religieuses ?
Il faut donner à la religion sa place, reconnaître la liberté religieuse, permettre l’exercice des cultes. Mais il ne faut pas substituer la question religieuse à la question sociale. Nous devrions toujours nous attacher à préciser la position sociale de tel ou tel dans la société, avant de le définir par la religion.
Je me souviens d’un préfet que Nicolas Sarkozy avait nommé en le présentant comme un " préfet musulman ". Ce préfet m’avait dit son embarras, car il se définit comme parfai- tement laïc et non par rapport à son appartenance religieuse. Il est dangereux de vouloir mettre la religion, comme symbole identitaire, à la place du social et du politique.
Jean-Pierre Chevènement: C’est l’identité républicaine de la France. La définition de la nation française n’est ni ethnique ni religieuse : elle est politique. Elle est liée à l’affirmation de l’État et du citoyen. Le miracle de l’unité française, c’est l’État ; au cœur de la monarchie, puis de la République, cette identité reprend toute notre histoire, des origines à nos jours.
Comment expliquez-vous que la laïcité, qui était un socle puissant il y a trente ans, soit aujourd’hui l’objet de polémiques ?
Elle est trop souvent mal comprise. Par exemple, elle est perçue comme une arme contre la religion, à tort : la laïcité permet l’expression de toutes les croyances religieuses. Mais elle implique que, dans le débat public, chacun mette ce qu’il a de commun avec ses concitoyens, privilégie l’argumentation raisonnée, et réserve à la sphère privée l’affirmation de ses convictions religieuses.
Parle-t-on trop des appartenances religieuses ?
Il faut donner à la religion sa place, reconnaître la liberté religieuse, permettre l’exercice des cultes. Mais il ne faut pas substituer la question religieuse à la question sociale. Nous devrions toujours nous attacher à préciser la position sociale de tel ou tel dans la société, avant de le définir par la religion.
Je me souviens d’un préfet que Nicolas Sarkozy avait nommé en le présentant comme un " préfet musulman ". Ce préfet m’avait dit son embarras, car il se définit comme parfai- tement laïc et non par rapport à son appartenance religieuse. Il est dangereux de vouloir mettre la religion, comme symbole identitaire, à la place du social et du politique.
Pensez-vous qu’une partie de la gauche a eu cette tentation ?
Il y a un peu plus de trente ans, on a substitué à l’ouvrier, comme figure rédemptrice, l’immigré, devenu aujourd’hui " le musulman ". Souvent, du reste, les immigrés sont des ouvriers… Cette définition réduit les ouvriers qui ne sont pas des immigrés à l’état de " beaufs ". Or, la gauche ne se justifie pour moi que si elle défend les intérêts de toutes les classes populaires, sans considération ethnique particulière. Toutes les classes populaires, indépendamment aussi de leurs croyances religieuses.
Nous sommes en pleine campagne électorale. Considérez-vous que des problèmes majeurs n’ont pas été abordés ?
C’est le moins que l’on puisse dire ! On parle de l’islam, qui peut être un problème, mais il n’est pas le problème à travers lequel on peut attendre de la République qu’elle se redéfinisse. Elle a d’autres défis à relever, dont il est hélas trop peu question : la désindustrialisation, le chômage de masse, la reconquête de la compétitivité, la redéfinition du projet européen, la politique étrangère. Bref, le sens de la France au XXIe siècle.
Dans votre livre, vous nuancez l’idée, courante, selon laquelle l’intégration est en panne…
L’intégration n’est pas à l’arrêt, elle se poursuit. Il y a des élites musulmanes, des étudiants, des médecins, des entrepreneurs musulmans… En revanche, elle avance au ralenti. L’obstacle numéro un est le chômage de masse.
Ses effets sont aggravés par la concentration des populations immigrées dans des quartiers de banlieue, ce qui a un impact, par exemple, sur les établissements scolaires. L’intégration en France se fait surtout par l’école et par la citoyenneté : sur ces deux plans, elle est mise à l’épreuve.
Une société laïque, fondée sur l’individu et la raison, ne manque-t-elle pas de transcendance ? Un dessein collectif peut-il s’affirmer sans croyance, sans sacré ?
Il y a certes une transcendance religieuse que peuvent éprouver catholiques, musulmans, juifs, protestants, c’est un domaine qui est libre, la République ne proscrit ni n’encourage les élans mystiques, elle les respecte. Mais il existe aussi une transcendance laïque, républicaine ! Beaucoup de gens se sont dévoués, sont morts pour la République. Charles Péguy parlait de " mystique républicaine ".
Vous appelez à promouvoir l’amitié civique. Par quels moyens, concrètement ?
Par l’éducation civique, par une exigence dans la qualité de nos débats, un soin aux mots que nous utilisons : nous débattons de tout à tort et à travers, en confondant les notions, en faisant des amalgames… Il faut un apprentissage. L’esprit laïc, républicain, n’est pas naturel. Il s’apprend. Il vise à encourager chaque citoyen à travailler sur lui-même pour privilégier l’argumentation raisonnée.
Quelle est la vocation de la Fondation pour l’islam de France, dont le gouvernement vous a confié la présidence en août dernier ?
C’est une association reconnue d’utilité publique, elle vise à mieux faire connaître la culture et les civilisations musulmanes (arabe, africaine, moghole, perse, ottomane…) aux Français de toutes confessions.
Vous n’êtes pas une personnalité musulmane, vous êtes un ancien ministre de l’Intérieur, votre désignation a été contestée…
Ceux qui ont protesté n’ont pas compris la nature de la fondation. Elle est laïque, a un but culturel, pédagogique, social et non religieux. Le gouvernement voulait, pour la présider, quelqu’un qui connaisse bien la laïcité et la République.
Dans le débat médiatique, plusieurs personnalités (Élisabeth Lévy, Natacha Polony, Arnaud Montebourg…) soulignent l’influence que vous avez exercée sur leur parcours. N’avez-vous pas le sentiment d’avoir perdu au plan électoral, mais, d’une certaine manière, réussi au plan intellectuel ?
Je crois que sur la durée, plusieurs de mes décisions apparaissent justifiées. En 1983, j’ai démissionné car je considérais que le choix d’une monnaie trop forte handicaperait notre industrie : nous voyons, avec trente ans de recul, que nous avons perdu la moitié de nos emplois dans l’industrie, on est passé de 6 millions à 3 millions.
En 1990, j’ai démissionné pour protester contre la participation de la France à la guerre du Golfe. Qu’est-ce aujourd’hui que Daesh, sinon le produit de la destruction de l’Irak ? J’ai, toute ma vie durant, choisi de mener un combat d’idées avant tout. Je suis un homme d’action, mais d’abord de convictions. Si j’avais voulu faire une carrière purement politique, je m’y serais pris autrement.
Vous auriez accepté davantage de compromis ?
Mais j’ai accepté plus de compromis qu’on ne le pense ! Avec le recul, je pense même que je n’ai pas démissionné aussi souvent que j’aurais pu le faire…
Source : Sud Ouest
Il y a un peu plus de trente ans, on a substitué à l’ouvrier, comme figure rédemptrice, l’immigré, devenu aujourd’hui " le musulman ". Souvent, du reste, les immigrés sont des ouvriers… Cette définition réduit les ouvriers qui ne sont pas des immigrés à l’état de " beaufs ". Or, la gauche ne se justifie pour moi que si elle défend les intérêts de toutes les classes populaires, sans considération ethnique particulière. Toutes les classes populaires, indépendamment aussi de leurs croyances religieuses.
Nous sommes en pleine campagne électorale. Considérez-vous que des problèmes majeurs n’ont pas été abordés ?
C’est le moins que l’on puisse dire ! On parle de l’islam, qui peut être un problème, mais il n’est pas le problème à travers lequel on peut attendre de la République qu’elle se redéfinisse. Elle a d’autres défis à relever, dont il est hélas trop peu question : la désindustrialisation, le chômage de masse, la reconquête de la compétitivité, la redéfinition du projet européen, la politique étrangère. Bref, le sens de la France au XXIe siècle.
Dans votre livre, vous nuancez l’idée, courante, selon laquelle l’intégration est en panne…
L’intégration n’est pas à l’arrêt, elle se poursuit. Il y a des élites musulmanes, des étudiants, des médecins, des entrepreneurs musulmans… En revanche, elle avance au ralenti. L’obstacle numéro un est le chômage de masse.
Ses effets sont aggravés par la concentration des populations immigrées dans des quartiers de banlieue, ce qui a un impact, par exemple, sur les établissements scolaires. L’intégration en France se fait surtout par l’école et par la citoyenneté : sur ces deux plans, elle est mise à l’épreuve.
Une société laïque, fondée sur l’individu et la raison, ne manque-t-elle pas de transcendance ? Un dessein collectif peut-il s’affirmer sans croyance, sans sacré ?
Il y a certes une transcendance religieuse que peuvent éprouver catholiques, musulmans, juifs, protestants, c’est un domaine qui est libre, la République ne proscrit ni n’encourage les élans mystiques, elle les respecte. Mais il existe aussi une transcendance laïque, républicaine ! Beaucoup de gens se sont dévoués, sont morts pour la République. Charles Péguy parlait de " mystique républicaine ".
Vous appelez à promouvoir l’amitié civique. Par quels moyens, concrètement ?
Par l’éducation civique, par une exigence dans la qualité de nos débats, un soin aux mots que nous utilisons : nous débattons de tout à tort et à travers, en confondant les notions, en faisant des amalgames… Il faut un apprentissage. L’esprit laïc, républicain, n’est pas naturel. Il s’apprend. Il vise à encourager chaque citoyen à travailler sur lui-même pour privilégier l’argumentation raisonnée.
Quelle est la vocation de la Fondation pour l’islam de France, dont le gouvernement vous a confié la présidence en août dernier ?
C’est une association reconnue d’utilité publique, elle vise à mieux faire connaître la culture et les civilisations musulmanes (arabe, africaine, moghole, perse, ottomane…) aux Français de toutes confessions.
Vous n’êtes pas une personnalité musulmane, vous êtes un ancien ministre de l’Intérieur, votre désignation a été contestée…
Ceux qui ont protesté n’ont pas compris la nature de la fondation. Elle est laïque, a un but culturel, pédagogique, social et non religieux. Le gouvernement voulait, pour la présider, quelqu’un qui connaisse bien la laïcité et la République.
Dans le débat médiatique, plusieurs personnalités (Élisabeth Lévy, Natacha Polony, Arnaud Montebourg…) soulignent l’influence que vous avez exercée sur leur parcours. N’avez-vous pas le sentiment d’avoir perdu au plan électoral, mais, d’une certaine manière, réussi au plan intellectuel ?
Je crois que sur la durée, plusieurs de mes décisions apparaissent justifiées. En 1983, j’ai démissionné car je considérais que le choix d’une monnaie trop forte handicaperait notre industrie : nous voyons, avec trente ans de recul, que nous avons perdu la moitié de nos emplois dans l’industrie, on est passé de 6 millions à 3 millions.
En 1990, j’ai démissionné pour protester contre la participation de la France à la guerre du Golfe. Qu’est-ce aujourd’hui que Daesh, sinon le produit de la destruction de l’Irak ? J’ai, toute ma vie durant, choisi de mener un combat d’idées avant tout. Je suis un homme d’action, mais d’abord de convictions. Si j’avais voulu faire une carrière purement politique, je m’y serais pris autrement.
Vous auriez accepté davantage de compromis ?
Mais j’ai accepté plus de compromis qu’on ne le pense ! Avec le recul, je pense même que je n’ai pas démissionné aussi souvent que j’aurais pu le faire…
Source : Sud Ouest