Intervention de Jean-Pierre Chevènement devant la Direction des Applications militaires (CEA) à Bruyères-le-Châtel, mercredi 4 juin 2014.


Vous m’avez demandé de m’exprimer sur l’avenir de notre dissuasion nucléaire au XXIe siècle. A Bruyères-le-Châtel, je parle devant des experts. C’est donc que vous attendez de moi que je m’exprime en politique.

J’avais vingt ans quand le général de Gaulle a prononcé à l’Ecole militaire son célèbre discours sur la dissuasion tous azimuts. J’ai tout de suite compris ce que cela voulait dire : quelle que soit la configuration géopolitique, la France devait être capable d’assurer par elle-même sa défense. Ce qui était vrai au XXe siècle le demeure au XXIe. Le général de Gaulle exprimait une vue d’homme d’Etat. Bien sûr, il y avait la guerre froide et la France, sans renier ses alliances, et d’abord celle qui la liait depuis si longtemps aux Etats-Unis devait quand même éviter que son territoire ne soit à nouveau ravagé. De là découlait le refus de la « doctrine MacNamara », dite de « riposte graduée, » qui était, certes, rationnelle du point de vue des Etats-Unis, mais pas du point de vue de la France. Notre dissuasion serait donc stratégique, seul un intérêt vital pouvant entraîner non son exercice, mais le déclenchement du feu nucléaire.

Celui-ci n’a été employé qu’une seule fois, il y a près de soixante-dix ans, à Hiroshima et à Nagasaki. Depuis lors, l’arme nucléaire a gelé les conflits, ou les a contenus en-dessous d’un certain seuil (guerres de Corée et d’Indochine notamment).

Jean-Pierre Chevènement était l'invité de Mediapolis sur Europe 1, samedi 31 mai 2014. Il répondait aux questions de Michel Field et Olivier Duhamel et débattait avec Sylvie Goulard.


mediapolis_31_05_14_124819279.mp3 Europe 1 - Mediapolis  (16.57 Mo)

Verbatim express

Sur l'UMP, l'affaire Bygmalion et l'avenir de la droite
  • « Il y a quelque chose de pourri dans le Royaume du Danemark », disait Skakespeare. Je pense qu'il y a quelque chose de pourri dans ce système. Il y a des règles qui ne sont pas respectées. Le dépassement pour le financement de la campagne de Nicolas Sarkozy est de 11 millions d'euros, par rapport aux 22 millions autorisés.
  • Il y a une enquête judiciaire. Si les juges se tournent vers le Parlement européen pour demander la suspension des immunités concernant Jérôme Lavrilleux, on verra bien. Mais il faut suivre les règles.
  • Selon le tribunal constitutionnel de Karslruhe, le Parlement européen n'est pas un vrai parlement, mais n'est que la juxtaposition de 28 peuples.
  • Les difficultés de l'UMP sont immenses. Elles ne datent pas de cette affaire. L'élection européenne les avait également mise en valeur. Je ne me réjouis pas, pour ma part, de l'implosion de la principale force d'opposition. L'élection de Jean-François Copé avait été très contestée. La mise en place d'une Troïka nous conduira à je ne sais quel Congrès extraordinaire, quand, et selon quelles modalités. L'échec de M. Sarkozy en 2012, malgré tous les dépassements de frais qu'a occasionné sa campagne, l'incroyable forêt de drapeaux que Bygmalion a pu financer, tout cela a aboutit quand même à son échec.
  • Il faut quand même revenir à l'abandon par la droite de l'héritage du général de Gaulle, dans les années 80 et 90 : le vote, avec les socialistes d'ailleurs, de l'Acte unique et du traité de Maastricht, qui enlevait à la France sa souveraineté monétaire, puis le traité budgétaire.... Tout cela s'est fait d'un même mouvement.
  • Moi je suis pour l'idée européenne, mais pas pour l'Europe comme substitut des nations. Je veux une Europe construite dans le prolongement des nations, où chaque pays pourrait retrouver ses billes.
  • Aujourd'hui, on assiste aussi bien à droite qu'à gauche, à une espèce de mouvement parallèle : à gauche ils veulent ressusciter la gauche plurielle, retrouver les communistes, Melenchon, etc, et à droite ils veulent unir le centre et l'UMP, alors que tout cela est un univers désagrégé. Je pense que c'est l'abandon de leurs positions fondamentales, cohérentes du point de vue politique, par la droite et par la gauche, qui nous a conduit à ce séisme que nous avons connu lors des dernières élections européennes.

Carnet de Jean-Pierre Chevènement



Le Wall Street Journal anticipe une décision de la justice américaine annonçant une amende de 10 milliards de dollars infligée à BNP-Paribas pour avoir violé l’embargo américain sur l’Iran et Cuba.

Les Etats-Unis se comportent comme les rois du monde. Dans le même temps, nous négocions avec eux un accord de libre échange transatlantique qui devrait soumettre à leurs juridictions les litiges concernant les firmes et les Etats. On croit rêver !

L’alliance avec les Etats-Unis ou même plus largement des accords de rapprochement avec certaines de leurs grandes firmes, dans des secteurs vitaux comme l’énergie, n’ont de sens que sur la base du respect de l’indépendance de la France.
Mots-clés : cuba iran ttip états-unis

Rédigé par Jean Pierre Chevenement le 30 Mai 2014 à 17:54 | Permalien | Commentaires (18)

Carnet de Jean-Pierre Chevènement



Je regrette que M. Damien Meslot, Député-Maire de Belfort et Président de la Communauté de l’Agglomération Belfortaine, appuie sans aucune restriction le rachat d’Alstom par General Electric.

Je considère que la présence au capital, directe ou indirecte, de l’Etat préserverait mieux les intérêts à long terme de l’industrie française et de l’emploi. Une telle présence de l’Etat n’empêcherait nullement la conclusion d’un partenariat avec une entreprise extérieure si telle était l’intérêt d’Alstom, dont le nom et le renom ne doivent pas disparaître. Tel est l’intérêt bien compris, aussi bien du pays que du Territoire de Belfort

Rédigé par Jean Pierre Chevenement le 28 Mai 2014 à 17:52 | Permalien | Commentaires (2)

Jean-Pierre Chevènement était l'invité du 22h de Public Sénat, lundi 26 mai 2014. Il répondait aux questions de Sonia Mabrouk.


Verbatim Express :

  • La question qui se pose, c'est comment redresser cette Europe, comment la réorienter, puisque tel était l'engagement de François Hollande. Chacun se souvient que le traité budgétaire européen, négocié par Sarkozy, a été adopté sans modification autre qu'une annexe portant sur la croissance. Qu'en reste t-il aujourd'hui ?
  • François Hollande est le Président élu par les Français en 2012, il faut quand même le rappeler. Il est encore là pour trois ans au moins. Il est souvent excessivement critiqué ou sous-estimé, compte tenu du fait que la ligne qu'il défend est celle de l'establishment français, de droite ou de gauche.
  • Ce que je constate, c'est que le corps électoral fait entendre clairement qu'il veut - au moins - une autre manière de faire l'Europe.
  • Au moment du traité de Maastricht, on nous a expliqué que l'euro allait nous apporter la croissance, le plein-emploi, la puissance par rapport aux Etats-Unis, et la paix. Nous n'avons rien de tout cela.
  • Ce qui a été sanctionné hier, c'est une suite de choix erronés de l'ensemble de nos dirigeants depuis 20 ans.
  • J'ai quitté le Parti Socialiste au moment du traité de Maastricht pour le combattre. J'ai cherché à infléchir la politique de la gauche. Y suis-je réellement parvenu ? Sur quelques points peut-être. Est-ce une raison pour abandonner ? Non !
J’ai rencontré plusieurs des acteurs du dossier Alstom et sensibilisé directement les autorités de l’État.

J’apprécie positivement le « décret Montebourg » qui donne à l’Etat en France (comme aux États-Unis, en Allemagne, en Italie et en Espagne) la possibilité de s’opposer à la vente d’un actif majeur du point de vue de notre indépendance énergétique.


I – Alstom est décrit comme trop petit (20 milliards du CA contre 78 à Siemens et 146 à General Electric). Cela vient du fait que ces deux dernières entreprises sont des conglomérats industriels qui regroupent par exemple le matériel médical (pour les deux), les moteurs d’avions pour General Electric, etc.

Alstom, lui aussi, faisait partie d’un conglomérat : la CGE (Compagnie Générale d’Electricité dirigée par Ambroise Roux avant 1981). Nationalisée en 1982, la CGE devenue Alcatel Alstom regroupait :

1. le téléphone (Alcatel)

2. l’énergie (Alstom) : turbines à vapeur et à gaz, turbines « Arabelle » pour le nucléaire, alternateurs, moteurs, transmission, design des centrales thermiques (à vapeur, au gaz ou à cycle combiné (Plant »), hydraulique, etc. 

3. l’ingénierie électrique : Cegelec, filiale d’Alstom jusqu’au début des années 2000 ;

4. la construction navale (Chantiers de l’Atlantique à Saint-Nazaire) ;

5. le transport ferroviaire : locomotives de fret et de voyageurs – trains à grande vitesse – tramways – métros).

Rédigé par Jean Pierre Chevenement le 23 Mai 2014 à 18:36 | Permalien | Commentaires (1)

Tribune de Jean-Pierre Chevènement, publiée dans Marianne, jeudi 22 mai 2014.


"Ukraine : il est temps qu'une parole raisonnable se fasse entendre"
La crise ukrainienne est, à coup sûr, la plus grave survenue en Europe depuis la fin de la guerre froide et l’implosion de l’Union soviétique. Ralliée aux valeurs occidentales et ayant, sans guerre, dissous son Empire en 1991, la Russie estime, non sans quelques bonnes raisons, n’avoir pas été payée de retour. Les thérapies de choc libérales qui lui furent administrées dans les années 1990 conduisirent à l’effondrement de moitié de son PNB et à une réelle paupérisation de la majorité de ses citoyens. L’OTAN s’étendit bien au-delà des limites connues au moment de la réunification allemande. Quant au problème de la « troisième Europe » comme dit George Nivat, c'est-à-dire des pays européens appartenant à l’ex CEI et, des minorités russes dispersées en son sein, il ne fut tout simplement pas pris en considération. La seule chose qui ait intéressé l’Occident a été le contrôle de l’arsenal nucléaire soviétique, confié par commodité à la Russie. Depuis lors, celle-ci et l’Occident ne se racontent pas la même histoire.

Certes l’Union européenne a bien conclu des « partenariats » assortis de maigres crédits (programme TACIS) avec ses « voisins proches », partenariat dit « stratégique » avec la Russie et « oriental » pour les autres, au premier rang desquels l’Ukraine.

Mais celle-ci n’est pas tout à fait un partenaire comme les autres, par sa taille, sa population (45M d’habitants), son histoire et son économie étroitement intriquée à celle de la Russie. C’est ici que la géopolitique s’en mêle : Zbigniew Brezinski, dans un livre de 1998, le « grand échiquier », écrivait sans fard que le seul moyen de s’assurer que la Russie ne puisse plus reconstituer son Empire, était de soustraire définitivement l’Ukraine à son influence. Certes, depuis lors, les Etats-Unis se sont aperçus que l’Empire qui montait à l’horizon n’était pas la Russie, mais la Chine. M Brezinski a donc mis de l’eau dans son vin. Il s’est prononcé récemment, comme M Kissinger d’ailleurs, pour une « finlandisation » de l’Ukraine, entre l’Union européenne et la Russie. Tout le monde à Washington ne partage pas cet avis : M. Mac Cain et le Vice-Président Joe Biden sont venus à Kiev pour soutenir le mouvement de Maïdan. Le gouvernement américain appelle à des sanctions renforcées contre la Russie après l’annexion de la Crimée d’autant plus qu’elles toucheraient essentiellement l’Europe et fort peu par les Etats-Unis. Le courant néo-conservateur demeure puissant aux Etats-Unis et trouve des relais en Europe.

Intervention de Jean-Pierre Chevènement au Sénat, dans le cadre du débat sur les perspectives de la construction européenne, mardi 20 mai 2014.


Monsieur le Ministre,

Alors que vous venez de prendre vos fonctions, permettez-moi d’effectuer ce bref rappel :

Quand le gouvernement, le 19 octobre 2012, a demandé au Parlement de ratifier le traité dit TSCG, « sur la stabilité, la coordination et la gouvernance », il nous a incités, je cite votre prédécesseur, M. Cazeneuve, à « dépasser le traité pour le contextualiser ».

Ce traité pose le principe d’un retour à l’équilibre budgétaire, sous le contrôle de la Commission européenne et selon un calendrier fixé par elle. Il était facile de prévoir, comme je l’ai fait à cette tribune le 20 octobre 2012, en défendant avec mon collègue Pierre-Yves Colombat, une exception d’irrecevabilité, que ce traité « nous [entrainerait] dans une spirale récessionniste dont nous ne [sortirions] que par une crise politique et sociale de grande ampleur ».

Nous y sommes : la mise en œuvre de plans d’austérité budgétaire simultanés dans la plupart des pays d’Europe, si elle a permis de contenir leur déficit global à 3 % du PNB, les a plongés dans une stagnation économique de longue durée. Au premier trimestre 2014 la croissance est nulle en France, négative en Italie (- 0,1 %), à Chypre (- 0,7 %), en Grèce (- 1,1 %), au Portugal (- 0,7 %), mais aussi aux Pays-Bas (- 1,4 %) et en Finlande (-0,4 %). Seule l’Allemagne, avec une croissance de 0,8 %, permet à la zone euro d’afficher une croissance globale de 0,2 %. Sur l’ensemble de l’année, la croissance ne dépassera pas 1 %. Cette stagnation plombe l’économie mondiale car partout ailleurs les taux de croissance prévus sont de deux et demi à sept fois supérieurs. En terme de PNB, les pays de la zone euro, en dehors de l’Allemagne, n’ont pas, en 2013, ou ont à peine retrouvé, en ce qui concerne la France, le niveau de 2008. Là est l’origine d’un déclassement que l’opinion perçoit de plus en plus.
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