Les actes du colloque du 2 juin 2014 sont disponible en ligne sur le site de la Fondation Res Publica.
le 15 Septembre 2014 à 16:05
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Version longue de l'entretien accordé par Jean-Pierre Chevènement au journal "Le Parisien", vendredi 12 septembre 2014. Propos recueillis par Philippe Martinat.
Le parisien : Que pensez-vous des déclarations de Barak Obama qui veut « éradiquer » l’Etat islamique ?
Jean-Pierre Chevènement : En dehors d’une extension des frappes américaines au territoire de la Syrie, les déclarations de Barak Obama restent vagues. C’est peut être un changement d’échelle quant aux moyens engagés ? C’est possible, mais les pré-requis d’une intervention d’ampleur ne me semblent pas réalisés. Il faut d’abord avoir outre l’autorisation du gouvernement irakien l’appui de forces armées constituées sur le terrain. Et puis on ne connait pas les contours d’une éventuelle coalition internationale qui pourrait compter, dit-on, une quarantaine de pays. Il me parait tout à fait décisif que, si une intervention a lieu à la demande du gouvernement irakien, elle soit autorisée par l’ONU. Plusieurs points restent dans l’ombre : est-ce que le gouvernement irakien, dit d’union nationale, va rallier tout ou partie des sunnites à sa cause ? Ne l’oublions pas, ce sont les ingérences occidentales qui ont détruit l’Etat irakien. Il y a eu la première guerre du Golfe, en 1991, suivie d’un embargo meurtrier, puis la seconde guerre avec l’invasion américaine. L’Etat irakien a été détruit, son administration, sa police, son armée dissoutes. Avec Da’ech (NDLR : acronyme arabe de l’Etat islamique), les Occidentaux mais aussi, malheureusement, le peuple irakien récoltent les résultats d’une ingérence armée disproportionnée, violente, inconséquente, que j’avais dénoncée en son temps. Il eût été préférable d’agir par la diplomatie, d’obtenir-ce qui était possible - le retrait des armées irakiennes du Koweit - et d’exercer sur le régime de Saddam Hussein une magistrature d’influence. Aujourd’hui il faut reconstruire l’Irak. N’oublions pas que les principales victimes du califat islamique sont d’abord les musulmans. C’est d’abord à eux de se débarrasser de cette lêpre, la communauté internationale ne peut agir qu’en appui. L’erreur ce serait de donner à penser que le combat serait désormais entre les Etats-Unis et leurs alliés occidentaux et le califat islamique. C’est d’abord aux peuples musulmans qu’il revient de séparer le bon grain de l’ivraie. Est-ce possible sans l’aide des Occidentaux, compte tenu de la puissance de l’Etat islamique ? La puissance de l’Etat islamique doit être relativisée. Il dispose de 15 à 20 000 combattants qui contrôlent un territoire semi désertique, quelques ressources en pétrole, mais tous les habitants de cette zone - une bonne dizaine de million - ne font pas allégeance à l’Etat islamique. Il y a plusieurs problèmes. En premier lieu, en armant le Kurdistan, on risque de lui donner la légitimité d’un Etat indépendant. Or il n’est qu’une partie de l’Irak. Le PKK d’Abdullah Öcalan s’est rendu maitre de plusieurs régions dans le nord de la Syrie. Il y a là l’embryon d’un nouvel Etat kurde. Armer le PKK poserait inévitablement de graves difficultés avec la Turquie. Ensuite, quel est l’objectif de la coalition internationale ? Il ne peut être que de restaurer l’Irak et la Syrie dans leurs frontières et dans leur intégrité. Un problème se pose enfin avec la Syrie de Bachar Al Assad : si on veut réduire les troupes du califat islamique en Syrie, il faut rompre avec le simplisme idéologique qui a fait de Bachar Al Assad la cible principale de l’Occident depuis 2012. Jean-Pierre Chevènement était l'invité de I-télé mercredi 10 septembre 2014. Il répondait aux questions de Laurence Ferrari.
Verbatim express :
A propos d'une éventuelle intervention militaire contre l'Etat islamique
Entretien de Jean-Pierre Chevènement au journal "Le Figaro", jeudi 4 septembre 2014. Propos recueillis par Sébastien Lapaque.
LE FIGARO : Existe-t-il des pages en prose de Charles Péguy qui ne vous ont pas quitté depuis que vous les avez découvertes, des vers que vous savez par cœur ?
JEAN-PIERRE CHEVÈNEMENT : Il y a la litanie de quatrains d'Ève, que je cite dans mon dernier livre : « Heureux ceux qui sont morts pour la terre charnelle, Mais pourvu que ce fût dans une juste guerre. Heureux ceux qui sont morts pour quatre coins de terre. Heureux ceux qui sont morts d'une mort solennelle. » Ces vers émouvants interpellent d'autant plus qu'ils ont été écrits en 1913, peu de temps avant ce qui pour la France agressée était bien une « juste guerre ». Ce qui me touche chez Péguy, c'est sa capacité à inscrire son idéal républicain sans concession dans une visée temporelle, en rappelant que la « République, notre Royaume de France » a aussi besoin d'être défendue. Dès 1905, quand le coup de Tanger a contraint le ministre des Affaires étrangères français Delcassé à la démission, il a pressenti avec une acuité prémonitoire ce qui allait suivre. Il faut rappeler que le caractère mondial de la guerre de 1914 résulte de l'application du plan Schlieffen. On ne peut pas mettre sur le même plan les accords d'état-major franco-russes de 1912, qui visaient à une simple coordination militaire, et le plan Schlieffen, qui prévoyait l'invasion d'un pays neutre pour mettre la France hors de combat en six semaines avant d'envahir la Russie. Ce sont des faits qui ont été presque totalement occultés lors des commémorations du centenaire. Leur rappel est nécessaire. Jean-Pierre Chevènement était l'invité de France Info mardi 2 septembre 2014. Il répondait aux questions de Philippe Vandel.Verbatim express :
Les actes du colloque du 28 avril 2014 sont disponibles en ligne sur le site de la Fondation Res Publica.
Entretien de Jean-Pierre Chevènement accordé à "Marianne", le 28 août 2014. Propos recueillis par Eric Conan.
Marianne : Vous avez publié peu avant l’élection présidentielle de 2012 La France est-elle finie ? (Fayard). Deux ans après la victoire de François Hollande la question se pose plus que jamais vue la situation très inquiétante de notre pays. Ne faut-il pas ajouter une autre question – la gauche française est-elle finie ? – étant donné ce mélange de panique et d’impuissance dont elle fait preuve, qu’il s’agisse de la dernière crise du gouvernement Valls ou de l’ambiance délétère régnant au Parti socialiste qui se réunit ce week-end à La Rochelle ?
Jean-Pierre Chevènement : Ces soubresauts étaient prévisibles mais ce n’est que l’écume des choses. Aucun redressement n’est possible sans une prise de conscience beaucoup plus profonde. Car le désarroi français vient de très loin. Je le résumerai ainsi : nous ne savons plus qui nous sommes. A cette désorientation intime, l’action des gouvernements de gauche depuis trente ans n’est malheureusement pas étrangère. Me revient un propos de François Mitterrand prononcé sur le ton de la confidence, en 1979, à la veille du Congrès de Metz : « Nous sommes d’accord sur tout, Jean-Pierre, à une différence près : je ne crois pas qu’à notre époque, malheureusement, la France puisse faire autre chose que de passer à travers les gouttes ». Hubert Védrine, dans un remarquable ouvrage [1], a fort bien décrit le changement de paradigme opéré, de 1983 à 1985, par François Mitterrand et par le Parti socialiste à sa suite : substituer à un dessein national de transformation sociale l’ambition de « construire l’Europe », fût-ce sur la base du néolibéralisme qui triomphait alors dans le monde anglo-saxon. Là est la racine du mal : l’abandon de notre Etat stratège et la profonde désindustrialisation du pays. Entretien de Jean-Pierre Chevènement accordé au Figaro Magazine, le 8 août 2014. Propos recueillis par Patrice de Méritens.
Le Figaro Magazine : La question même de la nation doit-elle être posée pour la France ?
Jean-Pierre Chevènement : On n’efface pas comme cela une nation, même si la nôtre connaît une réelle éclipse depuis la fin de la Première Guerre mondiale. La France est alors entrée dans une crise de longue durée. La paix de Versailles a d’emblée été fragilisée par le refus des Etats-Unis d’abord d’honorer la garantie donnée par Wilson à Clemenceau, ensuite de ratifier le traité de Versailles et enfin d'entrer à la Société des nations (SDN). Saignée à blanc par la Grande Guerre, la France, déjà démographiquement affaiblie, a sombré dans un pacifisme à courte vue, à droite comme à gauche. Les Français se sont détournés de la République pour aller chercher des exemples à Moscou, à Rome ou à Berlin. L’effondrement de 1940 a sanctionné la division de la France contre elle-même autant que son isolement diplomatique. Le coup aurait pu être fatal, et c’est à De Gaulle, comme en son temps à Jeanne d’Arc, que nous devons la survie de la France. La parenthèse gaullienne s’est refermée quand un jeune Président a expliqué à la France qu’elle ne représentait plus que 1 % de la population mondiale. Les accords de la Jamaïque (1976) ont instauré le dollar comme monnaie mondiale, tandis que le franc s’accrochait au mark, monnaie trop forte pour une économie française aux pôles de compétitivité encore mal assurés. L’abandon de l’Etat stratège a suivi dans les années 80. Avec la réunification allemande et l’élargissement à l’Est, la France a perdu sa position centrale en Europe. L’abandon de notre souveraineté monétaire en 1992 s’avère avoir été un choix désastreux. Une monnaie surévaluée plombe aujourd’hui notre économie. La Ve République a peu à peu tourné le dos à l’intention première de De Gaulle de soustraire le gouvernement à l’influence des partis. La situation s’est retournée au point qu’aujourd’hui la logique des partis domine l’Etat. Même si l’on glose sur l’arrivée du FN au premier tour de la présidentielle, la victoire au second tour reviendra encore en 2017 à l’un des deux partis dits de gouvernement. Mais dans ce système dont le FN est lui-même partie prenante, l’intérêt de la France se perd. Notre pays a désappris à penser mondial, en oubliant que la France est d’abord l’aînée de la grande famille des nations humaines et non pas seulement une nation occidentale parmi d’autres. |
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