L’alliance franco-russe nouée en 1891 est née de plusieurs facteurs :
D’abord le retournement de la politique allemande après le congédiement de Bismarck par Guillaume II. Son successeur, Caprivi, dénonce le « traité de réassurance » conclu entre les deux Empires, allemand et russe. L’Allemagne privilégie son alliance avec l’Empire d’Autriche-Hongrie et elle cesse d’acheter des titres d’emprunt russes. Or, la Russie a besoin de capitaux pour son industrialisation.
C’est la France, ébranlée par l’énorme commotion qu’a été pour elle la défaite de 1870-71, qui va fournir ces capitaux. L’accord diplomatique de 1891 est complété ensuite par des conventions militaires, comportant une clause de secours mutuel en cas d’agression. Pour la France comme pour la Russie, leur alliance est un moyen de sortir de leur isolement diplomatique. Il a fallu convaincre les milieux financiers français, au départ assez réservés à l’égard du tsarisme, mais les nécessités politiques priment. L’épargne française, abondante, s’investit massivement en Russie (un tiers des placements extérieurs français). Sous l’impulsion de Serge Witte (1891-1902), puis de Stolypine à partir de 1905, le développement de la Russie est impressionnant. La tendance générale est à la libéralisation. Une Douma est créée en 1906.
D’abord le retournement de la politique allemande après le congédiement de Bismarck par Guillaume II. Son successeur, Caprivi, dénonce le « traité de réassurance » conclu entre les deux Empires, allemand et russe. L’Allemagne privilégie son alliance avec l’Empire d’Autriche-Hongrie et elle cesse d’acheter des titres d’emprunt russes. Or, la Russie a besoin de capitaux pour son industrialisation.
C’est la France, ébranlée par l’énorme commotion qu’a été pour elle la défaite de 1870-71, qui va fournir ces capitaux. L’accord diplomatique de 1891 est complété ensuite par des conventions militaires, comportant une clause de secours mutuel en cas d’agression. Pour la France comme pour la Russie, leur alliance est un moyen de sortir de leur isolement diplomatique. Il a fallu convaincre les milieux financiers français, au départ assez réservés à l’égard du tsarisme, mais les nécessités politiques priment. L’épargne française, abondante, s’investit massivement en Russie (un tiers des placements extérieurs français). Sous l’impulsion de Serge Witte (1891-1902), puis de Stolypine à partir de 1905, le développement de la Russie est impressionnant. La tendance générale est à la libéralisation. Une Douma est créée en 1906.
Le pari sur la Russie apparaît raisonnable aux milieux politiques français d’autant que l’Empire russe constitue un contrepoids indispensable à l’essor industriel et démographique de l’Allemagne. La France découvre avec enthousiasme la littérature russe. Paris fête les avant-gardes russes dans les domaines de la musique, de la peinture et de la danse.
L’alliance franco-russe comporte des clauses de coopération militaire, mais elle n’est pas une alliance offensive. La guerre de 1914-1918 n’est d’ailleurs pas une guerre des peuples : aucun ne l’a véritablement voulue. Tous s’y sont résignés. Les responsables du déclenchement de la guerre sont un petit nombre de décideurs inconscients, pour l’essentiel Guillaume II, le chancelier Bethmann-Hollweg et le grand État-Major allemand qui, après avoir donné le 5 juillet 1914, carte blanche l’Autriche-Hongrie pour mater la Serbie, déclenchent une guerre préventive pour desserrer l’étau qu’ils croyaient apercevoir et qu’ils avaient, en fait, eux-mêmes créé. En fait, ils surestimaient beaucoup le danger de l’Empire russe dont les dirigeants ne souhaitaient pas la guerre. De même le gouvernement français, né des élections de 1914 et orienté au centre gauche, entendait certes respecter les obligations de l’Alliance mais restait animé d’intentions pacifiques. Quant à l’Empire britannique, il s’estimait menacé par la montée de l’Allemagne impériale et surtout de ses armements navals.
L’Etat-Major allemand a mis en application le plan Schlieffen qui dormait dans ses cartons depuis 1905 et prévoyait l’invasion de la France par la Belgique et son élimination rapide, après quoi l’armée allemande se retournerait contre la Russie. Les milieux dirigeants allemands comptaient sur la neutralité anglaise. Ils n’ont pas vu que la Grande-Bretagne ne pourrait pas plus admettre la domination du continent européen par l’Allemagne en 1914 qu’il ne l’avait acceptée de Napoléon, un siècle plus tôt. C’est cette énorme erreur d’appréciation qui a donné son caractère mondial à la guerre, avec l’intervention de l’Empire britannique d’abord, le 4 août 1914, suivie en avril 1917 par celle des Etats-Unis.
Le plan Schlieffen a échoué car l’armée allemande a été contenue devant Paris, mais la victoire de la Marne n’aurait sans doute pas été possible si l’entrée des troupes russes en Prusse-Orientale (batailles de Tannenberg et des lacs Mazures) n’avait pas obligé le Grand État-Major allemand à distraire plus d’un corps d’armée du front occidental.
Encore aujourd’hui, certains milieux essaient de reporter la responsabilité de la catastrophe sur la Russie et sur la décision de mobilisation générale prise le 30 juillet 1914 par le Tsar Nicolas II.
Comme l’a écrit l’historien français, Georges Sokoloff [1] « Les Russes ont fourni aux Allemands le prétexte dont ils avaient besoin. En fait, la Russie ne pouvait accepter une solution munichoise avant la lettre ». Le but essentiel pour l’Allemagne Impériale était atteint : il fallait que l’opinion allemande se sente agressée par la Russie. Dès lors, le plan Schlieffen, dirigé en priorité contre la France, pouvait être mis en œuvre. Bien entendu les causes profondes de la guerre sont à rechercher dans la mondialisation libérale de l’époque, menée sous l’égide britannique. L’Empire britannique s’est senti menacé par la modification rapide de la hiérarchie des puissances au bénéfice de l’Allemagne impériale. Celle-ci a commis une erreur catastrophique en déclenchant une guerre dont, au fond, elle n’avait pas besoin.
Il n’est pas dans mon propos de m’étendre sur les offensives coordonnées entre la Russie, la France et la Grande-Bretagne. 1917 a été une année tournante. La Révolution de février a affaibli la Russie. La révolution bolchevique d’octobre l’a conduite à accepter une paix très dure, en mars 1918, à Brest-Litovsk. Il s’en est fallu de peu (un an) que la Russie ne figure à la table des vainqueurs. La dernière offensive allemande en France ayant échoué (seconde bataille de la Marne en juillet 1918)., l’Etat-Major allemand a fait demander l’armistice (11 novembre 1918) pour prévenir la montée en ligne des troupes américaines. Bien sûr, l’instrumentation réciproque de Lénine et de l’Etat-Major allemand a joué un rôle décisif dans la dernière phase de la guerre. Mais c’est sans doute dans les faiblesses internes du système impérial que résident les causes profondes d’un retrait de la Russie qui a lourdement pesé sur toute l’Histoire ultérieure du XXe siècle. Après la rupture de l’alliance franco-russe, le refus des Etats-Unis de signer le traité de Versailles et d’honorer les garanties promises par Wilson à Clémenceau ont profondément affaibli les équilibres nés des traités signés au lendemain de la Grande Guerre.
La droite et l’extrême droite allemandes n’ont pas accepté la défaite de 1918. La Seconde Guerre mondiale a été en partie une surenchère, mais en partie seulement, car l’accession au pouvoir de Hitler et du parti nazi a introduit dans l’histoire européenne un facteur de discontinuité radicale.
Il a fallu attendre le traité franco-soviétique de 1944 pour que le général de Gaulle reprenne l’héritage diplomatique de la IIIe République avant 1914.
Quelles que puissent être les péripéties de l’Histoire ultérieure, les bases d’une coopération franco-russe demeurant solides au plan économique (complémentarités énergétiques et industrielles) au plan culturel et scientifique et au plan politique : la France, pour maintenir son indépendance, a besoin d’une Russie forte. Inversement la Russie a besoin de trouver, à l’Ouest de l’Europe, un partenaire fiable et amical. Plus que jamais, le grand dessein évoqué jadis par le général de Gaulle d’une « Europe européenne » s’impose comme une nécessité historique, dans un XXIe siècle qui sera dominé par les Etats-Unis et par la Chine.
Cette « Europe européenne » ne pourra pas exister sans l’entente amicale de la Russie et des pays de l’Europe occidentale et au premier chef de la France dont c’est l’intérêt profond.
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[1] Georges Sokoloff, La puissance pauvre, Fayard, Paris
L’alliance franco-russe comporte des clauses de coopération militaire, mais elle n’est pas une alliance offensive. La guerre de 1914-1918 n’est d’ailleurs pas une guerre des peuples : aucun ne l’a véritablement voulue. Tous s’y sont résignés. Les responsables du déclenchement de la guerre sont un petit nombre de décideurs inconscients, pour l’essentiel Guillaume II, le chancelier Bethmann-Hollweg et le grand État-Major allemand qui, après avoir donné le 5 juillet 1914, carte blanche l’Autriche-Hongrie pour mater la Serbie, déclenchent une guerre préventive pour desserrer l’étau qu’ils croyaient apercevoir et qu’ils avaient, en fait, eux-mêmes créé. En fait, ils surestimaient beaucoup le danger de l’Empire russe dont les dirigeants ne souhaitaient pas la guerre. De même le gouvernement français, né des élections de 1914 et orienté au centre gauche, entendait certes respecter les obligations de l’Alliance mais restait animé d’intentions pacifiques. Quant à l’Empire britannique, il s’estimait menacé par la montée de l’Allemagne impériale et surtout de ses armements navals.
L’Etat-Major allemand a mis en application le plan Schlieffen qui dormait dans ses cartons depuis 1905 et prévoyait l’invasion de la France par la Belgique et son élimination rapide, après quoi l’armée allemande se retournerait contre la Russie. Les milieux dirigeants allemands comptaient sur la neutralité anglaise. Ils n’ont pas vu que la Grande-Bretagne ne pourrait pas plus admettre la domination du continent européen par l’Allemagne en 1914 qu’il ne l’avait acceptée de Napoléon, un siècle plus tôt. C’est cette énorme erreur d’appréciation qui a donné son caractère mondial à la guerre, avec l’intervention de l’Empire britannique d’abord, le 4 août 1914, suivie en avril 1917 par celle des Etats-Unis.
Le plan Schlieffen a échoué car l’armée allemande a été contenue devant Paris, mais la victoire de la Marne n’aurait sans doute pas été possible si l’entrée des troupes russes en Prusse-Orientale (batailles de Tannenberg et des lacs Mazures) n’avait pas obligé le Grand État-Major allemand à distraire plus d’un corps d’armée du front occidental.
Encore aujourd’hui, certains milieux essaient de reporter la responsabilité de la catastrophe sur la Russie et sur la décision de mobilisation générale prise le 30 juillet 1914 par le Tsar Nicolas II.
Comme l’a écrit l’historien français, Georges Sokoloff [1] « Les Russes ont fourni aux Allemands le prétexte dont ils avaient besoin. En fait, la Russie ne pouvait accepter une solution munichoise avant la lettre ». Le but essentiel pour l’Allemagne Impériale était atteint : il fallait que l’opinion allemande se sente agressée par la Russie. Dès lors, le plan Schlieffen, dirigé en priorité contre la France, pouvait être mis en œuvre. Bien entendu les causes profondes de la guerre sont à rechercher dans la mondialisation libérale de l’époque, menée sous l’égide britannique. L’Empire britannique s’est senti menacé par la modification rapide de la hiérarchie des puissances au bénéfice de l’Allemagne impériale. Celle-ci a commis une erreur catastrophique en déclenchant une guerre dont, au fond, elle n’avait pas besoin.
Il n’est pas dans mon propos de m’étendre sur les offensives coordonnées entre la Russie, la France et la Grande-Bretagne. 1917 a été une année tournante. La Révolution de février a affaibli la Russie. La révolution bolchevique d’octobre l’a conduite à accepter une paix très dure, en mars 1918, à Brest-Litovsk. Il s’en est fallu de peu (un an) que la Russie ne figure à la table des vainqueurs. La dernière offensive allemande en France ayant échoué (seconde bataille de la Marne en juillet 1918)., l’Etat-Major allemand a fait demander l’armistice (11 novembre 1918) pour prévenir la montée en ligne des troupes américaines. Bien sûr, l’instrumentation réciproque de Lénine et de l’Etat-Major allemand a joué un rôle décisif dans la dernière phase de la guerre. Mais c’est sans doute dans les faiblesses internes du système impérial que résident les causes profondes d’un retrait de la Russie qui a lourdement pesé sur toute l’Histoire ultérieure du XXe siècle. Après la rupture de l’alliance franco-russe, le refus des Etats-Unis de signer le traité de Versailles et d’honorer les garanties promises par Wilson à Clémenceau ont profondément affaibli les équilibres nés des traités signés au lendemain de la Grande Guerre.
La droite et l’extrême droite allemandes n’ont pas accepté la défaite de 1918. La Seconde Guerre mondiale a été en partie une surenchère, mais en partie seulement, car l’accession au pouvoir de Hitler et du parti nazi a introduit dans l’histoire européenne un facteur de discontinuité radicale.
Il a fallu attendre le traité franco-soviétique de 1944 pour que le général de Gaulle reprenne l’héritage diplomatique de la IIIe République avant 1914.
Quelles que puissent être les péripéties de l’Histoire ultérieure, les bases d’une coopération franco-russe demeurant solides au plan économique (complémentarités énergétiques et industrielles) au plan culturel et scientifique et au plan politique : la France, pour maintenir son indépendance, a besoin d’une Russie forte. Inversement la Russie a besoin de trouver, à l’Ouest de l’Europe, un partenaire fiable et amical. Plus que jamais, le grand dessein évoqué jadis par le général de Gaulle d’une « Europe européenne » s’impose comme une nécessité historique, dans un XXIe siècle qui sera dominé par les Etats-Unis et par la Chine.
Cette « Europe européenne » ne pourra pas exister sans l’entente amicale de la Russie et des pays de l’Europe occidentale et au premier chef de la France dont c’est l’intérêt profond.
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[1] Georges Sokoloff, La puissance pauvre, Fayard, Paris