ActualitésLes actes du colloque du 18 septembre 2017 sont disponibles en ligne sur le site de la Fondation Res Publica.
Rédigé par Chevenement.fr le 13 Janvier 2018 à 20:23
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Message de Jean-Pierre Chevènement au colloque de l’Institut Pierre Mauroy, "Pierre Mauroy ou la passion du Parti Socialiste", le 7 décembre 2017.
I. Comment j’ai rencontré Pierre Mauroy, sept ans avant le congrès d’Epinay.
J’ai adhéré au Parti Socialiste qui s’appelait alors la SFIO, en décembre 1964, à la 14ème section de Paris. Si quelqu’un me l’eût prédit, dans les années de la guerre d’Algérie, «guerre imbécile et sans issue», comme l’avait qualifiée Guy Mollet lui-même, en 1955, pendant la campagne du Front Républicain, cette prédiction m’aurait laissé abasourdi. Que dis-je ? Je lui aurais ri au nez ! Je revois, en effet, mes parents, alors instituteurs à Besançon et qui votaient socialiste, pester contre Guy Mollet, au soir du 6 février 1956, où, Président du Conseil en visite à Alger, il avait reculé devant quelques jets de tomates, pour démettre le général Catroux et appeler Robert Lacoste à la tête du gouvernement général. Je me revois surtout crapahutant dans les djebels, en 1961-62, pour conduire cette guerre, en effet imbécile, à sa seule issue logique : l’indépendance de l’Algérie, à laquelle ensuite, quand les SAS auxquelles j’appartenais furent dissoutes, je m’efforçai de contribuer de mon mieux, pour qu’elle se fît, selon le mot du Général de Gaulle, avec la France plutôt que contre elle. N’empêche, la période avait été éprouvante pour ceux qui l’avaient traversée et il était difficile de ne pas en vouloir à Guy Mollet d’avoir aggravé les choses en envoyant le contingent en Algérie, en 1956. Par méconnaissance des réalités, celles de l’Algérie, et celles surtout de son temps, il avait sûrement prolongé la guerre de quelques années. Quand je revins d’Algérie, en 1963, la SFIO paraissait un bateau à la dérive. Le Général de Gaulle avait imposé, en septembre 1962, l’élection du Président de la République au suffrage universel. Les élections législatives lui avaient donné une majorité à l’Assemblée nationale. La SFIO, discréditée par les guerres coloniales, apparaissait comme un vestige du passé. Cependant un vent de contestation sociale soufflait sur le pays, avec la grève des mineurs de 1963 notamment. L’ «après de Gaulle» était déjà dans les esprits. Et il nous apparut à quelques camarades et à moi-même qu’en faisant l’union de la gauche avec le Parti Communiste, la «Vieille Maison», comme l’appelait Léon Blum, pouvait retrouver son lustre d’antan. Mais à cette condition là seulement. Entretien de Jean-Pierre Chevènement à Valeurs Actuelles, propos recueillis par Bastien Lejeune, 6 janvier 2018.
Valeurs Actuelles : On parle d’islam de France depuis des années… Où en est-on ?
Jean-Pierre Chevènement : Il y a quatre à cinq millions de musulmans en France selon l’INED. Les trois quarts ont la nationalité française. Il s’agit d’en faire des citoyens comme les autres, à égalité de droits et de devoirs. Je préside une Fondation dont la vocation est culturelle, éducative et sociale : notre but est de faire comprendre à tous nos concitoyens ce que sont la laïcité, les valeurs de la République et d’expliquer le lien qui existe entre l’Europe et l’islam depuis quinze siècles. Cette relation n’a pas été seulement conflictuelle ! L’algèbre, les algorithmes, des découvertes fondamentales en matière d’astronomie, de médecine, de pharmacie… sont des importations arabes dans notre culture. Par cet effort de compréhension, nous voulons fortifier l’amitié civique entre nos citoyens, quelle que soit leur confession, et freiner les surenchères mortifères que cherchent à susciter, entre différentes catégories de Français, nos ennemis. Daech ne cachait pas sa volonté de créer en France les conditions d’une guerre civile. Nous répondons culturellement, pour tenter de faire émerger un islam cultivé. Mais la réponse religieuse ne nous appartient pas. C’est l’affaire des musulmans d’opposer à la théologie salafiste, simpliste et violente, une théologie plus conforme à l’esprit de miséricorde qui est celui de l’Islam. Pour les Français non musulmans, ils doivent se garder de confondre l’islam avec l’islamisme et plus encore avec le djihadisme terroriste. Ce serait tomber dans le piège de Daech. Très concrètement, que proposez-vous pour y parvenir ? L’un de nos objectifs est de promouvoir la formation profane des imams. Nous intervenons aussi pour aider au développement de pôles publics d’islamologie dans les universités ou à la création d’un campus numérique dont le but est d’élever le niveau de conscience des Français de confession ou de tradition musulmane et des Français non musulmans sur ces questions décisives pour l’avenir de notre pays. Nous réfléchissons également à une grande exposition qui montrerait, sur quinze siècles, les interactions entre la civilisation européenne et le monde de l’islam. Bref, nous mettons l’accent sur ce qui rapproche et sur ce qui unit. Et la laïcité peut nous y aider. Entretien de Jean-Pierre Chevènement au Figaro, samedi 9 décembre 2017, propos recueillis par Alexandre Devecchio.
Le Figaro: Les nationalistes corses sont arrivés largement en tête lors du premier tour des élections territoriales sur l'Ile de Beauté. Comment expliquez-vous ce résultat?
Jean-Pierre Chevènement: Je ne suis nullement surpris par le résultat des élections en Corse. La montée du nationalisme corse est le résultat de démissions successives de tous les gouvernements de droite et de gauche depuis une quarantaine d'années. C'est Valéry Giscard d'Estaing qui a créé l'université de Corte qui est devenue la matrice et le fief du nationalisme corse. La gauche a accordé à la Corse son premier statut et si ce n'avait été l'intervention du conseil constitutionnel, elle aurait reconnu la notion de «peuple corse». J'ai moi-même quitté le gouvernement pour ne pas entériner un transfert de pouvoir législatif à l'Assemblée de Corse. C'était en l'an 2000 et pourtant j'avais accepté que, contre tous les engagements antérieurs, le gouvernement abandonne la renonciation préalable à la violence qu'il exigeait des nationalistes. C'est ainsi que s'est ouvert le processus dit de «Matignon». Je fais également observer que l'Etat français s'est assis sur le référendum de 2003. Les Corses avaient pourtant rejeté la fusion des deux départements. Ils voulaient garder un découpage territorial qui les rapprochait de la France continentale et n'acceptaient pas d'être transformés en territoire d'Outre-mer bis avec une collectivité unique. Le législateur, sous le précédent Président de la République, a fait fi des résultats de ce référendum. En 2003, toutes les forces politiques de droite et de gauche, ainsi que les nationalistes, voulaient la collectivité unique. Ne s'y opposaient que les radicaux de gauche, le PCF et moi-même. Les électeurs corses nous ont alors donné raison mais, en 2014, le Parlement leur a imposé la collectivité unique. Beau déni de démocratie!
Le succès des nationalistes corses peut être relativisé par l’importance de l’abstention. Au total, ils ne représentent que moins d’un quart des inscrits. Mais ce serait une erreur de sous-estimer la poussée de l’ethnicisme en Corse comme partout ailleurs en Europe. C’est une tendance de fond qu’on a pu observer depuis le début des années 90 en Europe centrale et orientale, dans l’ex-URSS, dans les Balkans, et maintenant en Europe occidentale avec la Catalogne, la Flandre, la Lombardie et la Corse. Le cas corse présente une originalité car la Corse n’est pas une région riche. Elle bénéficie de transferts massifs de la part de la collectivité nationale de laquelle les nationalistes corses aspirent à se détacher. C’est la limite de leur revendication. Celle-ci peut cependant se révéler contagieuse. C’est pourquoi on attend du gouvernement de la République française qu’il reste ferme sur ses principes : la République n’a pas de concessions à faire à l’ethnicisme.
Entretien de Jean-Pierre Chevènement à La Gazette, propos recueillis par Jean-Baptiste Forray, 1er décembre 2017.
La Gazette: Que vous inspire la déclaration d’indépendance de la Catalogne ?
Jean-Pierre Chevènement: La Catalogne dispose déjà de très larges pouvoirs en tant que région autonome. Elle veut maintenant récupérer les impôts qu’elle verse à Madrid. C’est une revendication de riches, à l’instar de la Flandre en Belgique ou de la Lombardie en Italie. Cette vague des séparatismes porte la marque de la crise des Etats. Elle est intimement liée aux fractures que provoque la mondialisation. Avec l’Europe des régions, Bruxelles a contribué à favoriser les illusions de certains dirigeants séparatistes comme ceux de la Catalogne qui s’attendaient à trouver dans la Commission européenne un point d’appui. Il n’en a rien été. Les traités européens précisent que l’intégrité des Etats qui composent l’Union ne saurait être remise en cause. Par conséquent, nous assistons à un fort retour de balancier. Beaucoup s’aperçoivent que l’Europe ne peut être bâtie que sur le socle des Etats. La revendication catalane n’est-elle pas une manifestation du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes ? Les Catalans, enfin une petite moitié d’entre eux, peuvent considérer qu’ils forment une Nation. Ils pourront s’exprimer légalement, d’ici la fin de l’année, pour ou contre l’indépendance. Encore faut-il que le reste de l’Espagne donne son consentement. Un peuple n’accède pas facilement à une existence reconnue par les citoyens et, surtout, par les autres peuples. La France possède une histoire millénaire. Pour s’affranchir de l’Angleterre, il lui a fallu la guerre de cent ans. La France a toujours entendu rester en dehors du Saint-Empire romain germanique. Un vieux proverbe médiéval disait : « Le roi est empereur en son royaume ». Tout cela a entraîné beaucoup de luttes et de guerres. Et, finalement, les Européens ont admis entre eux qu’il existait le Royaume-Uni, la France, l’Espagne, l’Allemagne, etc. Toute fraction de ces populations n’a pas vocation à se déclarer peuple. La création d’un « démos » est une œuvre historique de très longue haleine. Intervention de Jean-Pierre Chevènement au colloque de la Fondation Res Publica, L’Ecole au défi de l’intégration républicaine, 27 novembre 2017.
Mes remerciements vont bien évidemment d’abord aux intervenants dans ce colloque auquel la Fondation attache une particulière importance à la mesure des enjeux de l’Education et des défis auxquels notre pays est confronté.
L’importance du sujet nous a fait choisir d’y consacrer une après-midi entière de 14h30 à 19h, autour de deux tables rondes. J’introduirai la première et laisserai Marie-Françoise Bechtel, vice-présidente de la Fondation, le soin d’animer la seconde. La tâche de l’Ecole républicaine est de former des citoyens. Dans les programmes de 1882, l’instruction morale et civique vient en tête. I. L’hétérogénéité croissante de la société française actuelle nourrit la crise de l’Ecole républicaine. Cette hétérogénéité s’est cristallisée sur la jeunesse née de l’immigration, pourtant elle-même extrêmement diverse, comme le montrent les enquêtes et travaux réalisés par le lycée Le Corbusier d’Aubervilliers. 1974. Le regroupement familial a changé la nature de l’immigration moins de travail que de peuplement. Or c’est aussi la fin des « Trente Glorieuses » et le début d’une crise économique marquée par l’apparition d’un chômage de masse durable qui frappe particulièrement les jeunes. 1981. Vénissieux. Les Minguettes s’enflamment alors que la gauche vient d’arriver au pouvoir. « La Marche des Beurs » manifeste la pérennité de la croyance aux valeurs d’égalité de la République. Intervention de Jean-Pierre Chevènement au colloque de la Fondation Res Publica du 21 novembre 2017 "Max Gallo, la fierté d'être français".
1. Ce qui dominait chez Max c’était l’empathie naturelle, la simplicité, la capacité, comme l’a dit Philippe Meyer, de créer de la fraternité, c’était la puissance généreuse de son intelligence, sa capacité à aller à l’essentiel, par exemple, ce qu’il appelait après Braudel « la problématique centrale de la nation ».
Max disait : « J’ai toujours eu le désir de comprendre comment cela fonctionne ». Il excellait à décentrer ou plutôt à recentrer votre regard en situant le problème dans la longue durée. Il n’était pourtant nullement un déterministe, encore moins un marxiste. Il croyait à la responsabilité des individus et particulièrement à la responsabilité des intellectuels. Parce qu’il croyait en la liberté, il n’écartait pas la possibilité du surgissement d’un « génie » individuel. 2. Nos relations se sont nouées après son départ du dernier gouvernement Mauroy, auquel d’ailleurs je ne participais plus. Le ralliement de François Mitterrand et du PS au néolibéralisme ambiant, au prétexte de l’Europe à construire, éloignait progressivement le CERES de François Mitterrand. La guerre du Golfe et la lecture du Traité de Maastricht achevèrent de nous rapprocher. Max n’avait pas le lien affectif qu’avait créé, entre François Mitterrand et moi, le Congrès d’Epinay et la mise sur orbite de l’union de la gauche, quinze années durant. Max fut après Jacques Berque, mais aussi avec Didier Motchane et Régis Debray, un de ceux qui m’aidèrent à franchir le pas difficile que me dictaient aussi bien une connaissance du monde arabe qui remontait à la guerre d’Algérie que la vision de la montée du fondamentalisme islamique depuis 1979. Le jugement de Max sur les choix qu’opéra alors François Mitterrand ne s’encombrait pas de considérations affectives. |
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