Valeurs Actuelles : On parle d’islam de France depuis des années… Où en est-on ?
Jean-Pierre Chevènement : Il y a quatre à cinq millions de musulmans en France selon l’INED. Les trois quarts ont la nationalité française. Il s’agit d’en faire des citoyens comme les autres, à égalité de droits et de devoirs. Je préside une Fondation dont la vocation est culturelle, éducative et sociale : notre but est de faire comprendre à tous nos concitoyens ce que sont la laïcité, les valeurs de la République et d’expliquer le lien qui existe entre l’Europe et l’islam depuis quinze siècles. Cette relation n’a pas été seulement conflictuelle ! L’algèbre, les algorithmes, des découvertes fondamentales en matière d’astronomie, de médecine, de pharmacie… sont des importations arabes dans notre culture. Par cet effort de compréhension, nous voulons fortifier l’amitié civique entre nos citoyens, quelle que soit leur confession, et freiner les surenchères mortifères que cherchent à susciter, entre différentes catégories de Français, nos ennemis. Daech ne cachait pas sa volonté de créer en France les conditions d’une guerre civile. Nous répondons culturellement, pour tenter de faire émerger un islam cultivé. Mais la réponse religieuse ne nous appartient pas. C’est l’affaire des musulmans d’opposer à la théologie salafiste, simpliste et violente, une théologie plus conforme à l’esprit de miséricorde qui est celui de l’Islam. Pour les Français non musulmans, ils doivent se garder de confondre l’islam avec l’islamisme et plus encore avec le djihadisme terroriste. Ce serait tomber dans le piège de Daech.
Très concrètement, que proposez-vous pour y parvenir ?
L’un de nos objectifs est de promouvoir la formation profane des imams. Nous intervenons aussi pour aider au développement de pôles publics d’islamologie dans les universités ou à la création d’un campus numérique dont le but est d’élever le niveau de conscience des Français de confession ou de tradition musulmane et des Français non musulmans sur ces questions décisives pour l’avenir de notre pays. Nous réfléchissons également à une grande exposition qui montrerait, sur quinze siècles, les interactions entre la civilisation européenne et le monde de l’islam. Bref, nous mettons l’accent sur ce qui rapproche et sur ce qui unit. Et la laïcité peut nous y aider.
Jean-Pierre Chevènement : Il y a quatre à cinq millions de musulmans en France selon l’INED. Les trois quarts ont la nationalité française. Il s’agit d’en faire des citoyens comme les autres, à égalité de droits et de devoirs. Je préside une Fondation dont la vocation est culturelle, éducative et sociale : notre but est de faire comprendre à tous nos concitoyens ce que sont la laïcité, les valeurs de la République et d’expliquer le lien qui existe entre l’Europe et l’islam depuis quinze siècles. Cette relation n’a pas été seulement conflictuelle ! L’algèbre, les algorithmes, des découvertes fondamentales en matière d’astronomie, de médecine, de pharmacie… sont des importations arabes dans notre culture. Par cet effort de compréhension, nous voulons fortifier l’amitié civique entre nos citoyens, quelle que soit leur confession, et freiner les surenchères mortifères que cherchent à susciter, entre différentes catégories de Français, nos ennemis. Daech ne cachait pas sa volonté de créer en France les conditions d’une guerre civile. Nous répondons culturellement, pour tenter de faire émerger un islam cultivé. Mais la réponse religieuse ne nous appartient pas. C’est l’affaire des musulmans d’opposer à la théologie salafiste, simpliste et violente, une théologie plus conforme à l’esprit de miséricorde qui est celui de l’Islam. Pour les Français non musulmans, ils doivent se garder de confondre l’islam avec l’islamisme et plus encore avec le djihadisme terroriste. Ce serait tomber dans le piège de Daech.
Très concrètement, que proposez-vous pour y parvenir ?
L’un de nos objectifs est de promouvoir la formation profane des imams. Nous intervenons aussi pour aider au développement de pôles publics d’islamologie dans les universités ou à la création d’un campus numérique dont le but est d’élever le niveau de conscience des Français de confession ou de tradition musulmane et des Français non musulmans sur ces questions décisives pour l’avenir de notre pays. Nous réfléchissons également à une grande exposition qui montrerait, sur quinze siècles, les interactions entre la civilisation européenne et le monde de l’islam. Bref, nous mettons l’accent sur ce qui rapproche et sur ce qui unit. Et la laïcité peut nous y aider.
La laïcité a été pensée par des personnes culturellement catholiques. Les musulmans reprochent parfois aux politiques une sorte de paternalisme quand ils se penchent sur l’islam…
L’expérience que j’ai du gouvernement me permet de dire que le personnel politique, de droite comme de gauche, n’est pas massivement influencé par la religion, même catholique ! Par ailleurs, dans les gouvernements récents, il y a des gens qui historiquement appartiennent à des familles de culture musulmane. Mais le constat est le même, je doute que l’islam ait beaucoup influencé leur politique.
Quel doit être le lieu de l’apprentissage de la laïcité, et quelle définition en donnez-vous?
L’Ecole joue en France un rôle primordial dans l’intégration de tous les citoyens à la communauté nationale. Le mot “laïc”, dans la législation, apparaît pour la première fois en 1880 dans les lois scolaires. C’est très important de s’en souvenir car la laïcité est plus qu’un simple respect de la liberté religieuse. Elle a une dimension, historique et culturelle, émancipatrice. Elle fait le pari qu’il y a un espace commun de rationalité à tous les citoyens. Ceux-ci peuvent, à la lumière de la raison naturelle, s’entendre sur une définition de l’intérêt général. Les citoyens peuvent trouver dans leur foi les motivations ultimes de leurs actions. Mais dans l’espace commun, ils ne mettent pas en avant leur croyance religieuse. Ils s’efforcent de créer, avec les autres citoyens, les conditions qui rendent l’échange possible. La laïcité a une dimension culturelle, car elle encourage les religions à se manifester avec une certaine discrétion dans l’espace du débat public.
Malgré les polémiques de Ploërmel ou des prières de rue, le président Macron ne parle jamais de laïcité … Est-ce un tort selon vous ?
Le Président Macron a raison de raréfier sa parole sur un sujet qui a divisé les Français mais qui ne les divisera plus, pour peu qu’on veuille bien leur expliquer le sens de la laïcité, indissociable de l’héritage des Lumières. La laïcité est une exigence de la citoyenneté. Les deux concepts vont de pair. La laïcité n’a pas besoin d’être adjectivée. Il faut l’expliquer dans sa dimension historique et culturelle.
Dans les polémiques du burkini ou des prières de rue, personne n’évoque jamais la loi de 1905 ou la laïcité, mais toujours des questions de maintien de l’ordre public. Cela fait-il de l’islam une réponse par essence politique ?
La loi de 1905 n’emploie pas le mot laïcité ! Au droit divin, la Révolution de 1789 a substitué les droits de l’homme et du citoyen, et donc la souveraineté populaire. Aujourd’hui, on parle trop souvent des droits de l’homme en oubliant qu’ils sont aussi les droits du citoyen : ils impliquent des valeurs collectives et le respect d’un certain nombre de règles et de valeurs. L’Eglise a mis du temps à comprendre la laïcité, mais ce n’est plus un problème. L’islam a une autre histoire mais peut s’accomoder de la laïcité qui n’est dirigée contre aucune religion mais permet à toutes de s’exprimer, en coexistant pacifiquement.
Il existe des courants qui refusent la distinction entre temporel et spirituel. La loi de 1905 vous semble-t-elle adaptée à ce défi ?
La loi de 1905 a tranché ce problème. La loi républicaine régit le temporel. Le spirituel appartient à chacun. La liberté de conscience est le principe fondamental.
Le catholicisme a une hiérarchie, ce n’est pas le cas de l’islam. Auprès de qui la république peut-elle intervenir ?
La République rappelle ses règles à tous. Pour ce qui est de la formation des imams, enjeu majeur dans l’émergence d’un islam cultivé qui est une autre façon de désigner notre objectif, les pouvoirs publics ne peuvent intervenir que dans le domaine profane : les imams devraient parler français, connaître les institutions de la République et comprendre la signification de la laïcité. Mais de son côté, la République a aussi ses responsabilités : la sécurité publique, la santé publique, la cohésion sociale, etc.
Vous avez dit que l’islam en France était très varié. Comment appréhendez-vous cette diversité pour construire l’islam de France ?
L’islam est souvent rapporté au pays d’origine des musulmans qui, à la troisième ou quatrième génération resteraient d’obédience algérienne, marocaine, turque, subsaharienne etc. Plus le temps passe et plus les jeunes ont besoin de se définir autrement. C’est là qu’ils peuvent être tentés de s’identifier à une version primaire et manichéenne de la religion. Nous développons au contraire les conditions pour que puisse émerger un islam conscient de son histoire, de sa diversité, et de la multiplicité de ses interprétations. Cet islam s’inscrira naturellement dans les institutions républicaines. Ces jeunes sont d’abord des citoyens français.
Nous pensons aussi à l’inquiétude de beaucoup de Français… Êtes-vous sincèrement optimiste ?
Heureusement depuis les attentats de 2014-2016, la France se caractérise par une remarquable résilience. Nos concitoyens ont montré, dans l’ensemble, un sang-froid et une maturité exemplaires. Ceux qui font l’amalgame entre les terroristes et les musulmans tombent, sans s’en rendre compte, souvent dans le piège de Daech. A plus long terme, l’émergence d’un islam de France cultivé constitue la vraie réponse. Et bien sûr l’intégration de nos concitoyens de confession ou de tradition musulmane dont l’avenir est en France et avec la France et nulle part ailleurs. L’emploi est une dimension importante mais j’insiste encore une fois sur le rôle de l’Ecole et de la citoyenneté. L’intégration par l’Ecole doit être une grande cause nationale, qui demande de la part des enseignants beaucoup de dévouement, d’ardeur, un état d’esprit comparable à celui des hussards noirs de la République dont parlait Péguy. La formation des enseignants à l’Ecole est la clé de tout.
Donc, on y arrivera ?
La France est une grande nation qui vient de loin, et qui est capable de relever ce défi dont elle n’a pris conscience que trop tardivement. Mais l’élection d’Emmanuel Macron peut et doit créer un nouvel état d’esprit, comparable à celui qu’avait su créer Charles de Gaulle au début de la Vème république. La France croit à nouveau en elle-même. Et l’action du nouveau ministre de l’Education Nationale, Jean-Michel Blanquer, montre que cette fois-ci les problèmes ont été identifiés. Comme ancien ministre de l’Education Nationale et surtout comme Français, je m’en réjouis.
Source : Valeurs Actuelles
L’expérience que j’ai du gouvernement me permet de dire que le personnel politique, de droite comme de gauche, n’est pas massivement influencé par la religion, même catholique ! Par ailleurs, dans les gouvernements récents, il y a des gens qui historiquement appartiennent à des familles de culture musulmane. Mais le constat est le même, je doute que l’islam ait beaucoup influencé leur politique.
Quel doit être le lieu de l’apprentissage de la laïcité, et quelle définition en donnez-vous?
L’Ecole joue en France un rôle primordial dans l’intégration de tous les citoyens à la communauté nationale. Le mot “laïc”, dans la législation, apparaît pour la première fois en 1880 dans les lois scolaires. C’est très important de s’en souvenir car la laïcité est plus qu’un simple respect de la liberté religieuse. Elle a une dimension, historique et culturelle, émancipatrice. Elle fait le pari qu’il y a un espace commun de rationalité à tous les citoyens. Ceux-ci peuvent, à la lumière de la raison naturelle, s’entendre sur une définition de l’intérêt général. Les citoyens peuvent trouver dans leur foi les motivations ultimes de leurs actions. Mais dans l’espace commun, ils ne mettent pas en avant leur croyance religieuse. Ils s’efforcent de créer, avec les autres citoyens, les conditions qui rendent l’échange possible. La laïcité a une dimension culturelle, car elle encourage les religions à se manifester avec une certaine discrétion dans l’espace du débat public.
Malgré les polémiques de Ploërmel ou des prières de rue, le président Macron ne parle jamais de laïcité … Est-ce un tort selon vous ?
Le Président Macron a raison de raréfier sa parole sur un sujet qui a divisé les Français mais qui ne les divisera plus, pour peu qu’on veuille bien leur expliquer le sens de la laïcité, indissociable de l’héritage des Lumières. La laïcité est une exigence de la citoyenneté. Les deux concepts vont de pair. La laïcité n’a pas besoin d’être adjectivée. Il faut l’expliquer dans sa dimension historique et culturelle.
Dans les polémiques du burkini ou des prières de rue, personne n’évoque jamais la loi de 1905 ou la laïcité, mais toujours des questions de maintien de l’ordre public. Cela fait-il de l’islam une réponse par essence politique ?
La loi de 1905 n’emploie pas le mot laïcité ! Au droit divin, la Révolution de 1789 a substitué les droits de l’homme et du citoyen, et donc la souveraineté populaire. Aujourd’hui, on parle trop souvent des droits de l’homme en oubliant qu’ils sont aussi les droits du citoyen : ils impliquent des valeurs collectives et le respect d’un certain nombre de règles et de valeurs. L’Eglise a mis du temps à comprendre la laïcité, mais ce n’est plus un problème. L’islam a une autre histoire mais peut s’accomoder de la laïcité qui n’est dirigée contre aucune religion mais permet à toutes de s’exprimer, en coexistant pacifiquement.
Il existe des courants qui refusent la distinction entre temporel et spirituel. La loi de 1905 vous semble-t-elle adaptée à ce défi ?
La loi de 1905 a tranché ce problème. La loi républicaine régit le temporel. Le spirituel appartient à chacun. La liberté de conscience est le principe fondamental.
Le catholicisme a une hiérarchie, ce n’est pas le cas de l’islam. Auprès de qui la république peut-elle intervenir ?
La République rappelle ses règles à tous. Pour ce qui est de la formation des imams, enjeu majeur dans l’émergence d’un islam cultivé qui est une autre façon de désigner notre objectif, les pouvoirs publics ne peuvent intervenir que dans le domaine profane : les imams devraient parler français, connaître les institutions de la République et comprendre la signification de la laïcité. Mais de son côté, la République a aussi ses responsabilités : la sécurité publique, la santé publique, la cohésion sociale, etc.
Vous avez dit que l’islam en France était très varié. Comment appréhendez-vous cette diversité pour construire l’islam de France ?
L’islam est souvent rapporté au pays d’origine des musulmans qui, à la troisième ou quatrième génération resteraient d’obédience algérienne, marocaine, turque, subsaharienne etc. Plus le temps passe et plus les jeunes ont besoin de se définir autrement. C’est là qu’ils peuvent être tentés de s’identifier à une version primaire et manichéenne de la religion. Nous développons au contraire les conditions pour que puisse émerger un islam conscient de son histoire, de sa diversité, et de la multiplicité de ses interprétations. Cet islam s’inscrira naturellement dans les institutions républicaines. Ces jeunes sont d’abord des citoyens français.
Nous pensons aussi à l’inquiétude de beaucoup de Français… Êtes-vous sincèrement optimiste ?
Heureusement depuis les attentats de 2014-2016, la France se caractérise par une remarquable résilience. Nos concitoyens ont montré, dans l’ensemble, un sang-froid et une maturité exemplaires. Ceux qui font l’amalgame entre les terroristes et les musulmans tombent, sans s’en rendre compte, souvent dans le piège de Daech. A plus long terme, l’émergence d’un islam de France cultivé constitue la vraie réponse. Et bien sûr l’intégration de nos concitoyens de confession ou de tradition musulmane dont l’avenir est en France et avec la France et nulle part ailleurs. L’emploi est une dimension importante mais j’insiste encore une fois sur le rôle de l’Ecole et de la citoyenneté. L’intégration par l’Ecole doit être une grande cause nationale, qui demande de la part des enseignants beaucoup de dévouement, d’ardeur, un état d’esprit comparable à celui des hussards noirs de la République dont parlait Péguy. La formation des enseignants à l’Ecole est la clé de tout.
Donc, on y arrivera ?
La France est une grande nation qui vient de loin, et qui est capable de relever ce défi dont elle n’a pris conscience que trop tardivement. Mais l’élection d’Emmanuel Macron peut et doit créer un nouvel état d’esprit, comparable à celui qu’avait su créer Charles de Gaulle au début de la Vème république. La France croit à nouveau en elle-même. Et l’action du nouveau ministre de l’Education Nationale, Jean-Michel Blanquer, montre que cette fois-ci les problèmes ont été identifiés. Comme ancien ministre de l’Education Nationale et surtout comme Français, je m’en réjouis.
Source : Valeurs Actuelles