Entretien de Jean-Pierre Chevènement à Mediapart, paru le 29 décembre 2013. Propos recueillis par Lénaig Bredoux et Stéphane Alliès le 17 octobre 2013.


"La gauche semble avoir oublié les leçons des années Jospin"
Mediapart : Dans votre livre, vous partez de la guerre de 14-18 pour alerter sur la possibilité d’une nouvelle catastrophe européenne – un intertitre pose même la question d’un « nouvel avant-14 ». Est-ce une façon de faire un parallèle avec une volonté de domination allemande sur l'Europe ?
Jean-Pierre Chevènement : Je compare deux mondialisations libérales. Ce qui me paraît original dans cet ouvrage, c’est la théorie de l’hegemon que j'y développe : un marché libéral ne se soutient pas sans une puissance hégémonique. Au XIXe siècle, c’est la Grande-Bretagne, avec une puissance montante jusqu’à 1914, qui est l’Allemagne. Depuis 1945, la mondialisation est sous l’égide des États-Unis.

La deuxième mondialisation va plus vite que la première, mais il y a la même modification dans la hiérarchie des puissances – avec les pays émergents. Bien que nous soyons dans des périodes différentes, il faut y être très attentif. La première a conduit à la Première Guerre mondiale, qui fut la boîte de Pandore d’où s’échappent tous les démons du « court XXe siècle », selon l’expression d’Eric Hobsbawn.

Car la guerre de 1914-1918 est en réalité une guerre de 30 ans, qui se termine en 1945. Non pas que je veuille assimiler la Deuxième et la Première guerre mondiale, mais on peut dire que, d’une certaine manière, la Deuxième a été une surenchère du pangermanisme sur la défaite de 1918. En 1914, c’est déjà l’Allemagne qui déclenche la guerre pour desserrer ce qu’elle perçoit comme un encerclement par la France et la Russie.

Jean-Pierre Chevènement était l'invité de "Parcours européen" sur Fréquence protestante, samedi 21 décembre. Il répondait aux questions de Thomas Ferenczi.


Russie, Ukraine : "Il faut se méfier des idées toutes faites"
16h15_parcours_europeen_tf___21_12_13_mp2.mp3 Fréquence protestante - Parcours européen  (10.25 Mo)

Verbatim express :

Critique des résultats de 70 années de construction européenne
  • On a parlé à propos des deux guerres mondiales d'une guerre de trente ans (1914-1945). Cela fait donc 70 ans que ces guerres mondiales, qui ont largement détruit l'Europe, se sont terminées. 70 années de construction européenne, mais sur la base de principes qu'il faudrait peut-être mettre en doute.
  • On a prétendu construire l'Europe sur le marché. Et c'est devenu la concurrence pure et parfaite, administrée par la Commission européenne. On a prétendu construire l'Europe à l'ombre de la tutelle américaine, c'est l'OTAN. Enfin, on a construit l'Europe à partir d'une certaine marginalisation des nations, c'est la méthode Monnet.
  • Les Parlements nationaux ont le sentiment qu'il ne leur revient plus que d'appliquer les directives de la Commission. Cette Europe est en définitive extrêmement technocratique, et peu démocratique.
  • Les promesses initiales de l'Europe, répétées par exemple à l'occasion du référendum sur le traité de Maastricht, ne se sont pas réalisées. La prospérité ? Nous avons un taux de chômage supérieur à 12%. L'Europe puissance ? En réalité, l'euro qui devait quasiment détrôner le dollar perd du terrain dans les réserves des banques centrales à l'échelle mondiale. Et on voit bien que la puissance de l'Europe est factice, qu'elle n'a pas vraiment son mot à dire, par exemple au Proche-Orient.

Jean-Pierre Chevènement était l'invité de l'émission "Pluriel" sur Radio Orient, vendredi 20 décembre 2013. Il répondait aux questions de Loïc Barrière.


"Tous les peuples ont le droit de maîtriser leur destin"
pluriel_jean_pierre_chevenement_20122013.mp3 Radio Orient - Pluriel  (41.27 Mo)

Verbatim express :

Leçons du XXe siècle
  • Le déclin de l'Europe n'est pas seulement le fait des deux guerres mondiales : c'est également la conséquence de la méthode employée pour construire l'Europe, la méthode Monnet, qui marginalise les nations.
  • Pour discréditer les nations, on prétend qu'elles sont à l'origine de la Première Guerre mondiale. Je combats cette thèse : je pense que les peuples étaient pacifiques, ne voulaient pas la guerre, que celle-ci résulte, au niveau de ses causes profondes, dans la première mondialisation libérale, et au niveau de son déclenchement immédiat, par les erreurs des élites du deuxième Reich allemand.
  • En comparant les deux mondialisations, je montre qu'elles aboutissent, l'une et l'autre, à une modification très importante de la hiérarchie des puissances. La première voit la montée de l'Allemagne impériale, la seconde, celle de la Chine, dont le PNB a décuplé en l'espace de vingt ans, à tel point qu'il va rattraper celui des États-Unis dans quelques années.
  • Il faut avoir une vue de ce que sera le XXIe siècle, et éviter autant que possible de reproduire les erreurs dans la deuxième mondialisation qui ont été commises dans la première.
  • Les peuples ne sont pas responsables des erreurs commises par leurs dirigeants.

    La situation géopolitique au Moyen-Orient
  • Je pense qu'il faut toujours bien examiner la réalité des faits allégués pour faire la guerre, qui peuvent être de simples prétextes, comme c'était le cas des armes de destruction massive en Irak, en 2003.
  • Il faut toujours regarder aussi s'il y a une proportion entre la cause alléguée et la guerre qui va être faite, ou s'il n'y a pas au contraire une disproportion manifeste, un refus d'emblée de la diplomatie, qui fait qu'on va ouvrir les portes de la guerre, et en même temps une boîte de Pandore dont on ne rattrapera pas les monstres qui s'en sont échappés.
  • La guerre d'Irak a ouvert la voie à l'Iran et à Al-Qaïda dans la région. Ce n'était peut-être pas l'objectif qui était recherché !

Jean-Pierre Chevènement était auditionné par la Commission des affaires étrangères de l'Assemblée nationale, mercredi 18 décembre 2013, en tant que représentant spécial pour la diplomatie économique avec la Russie. La vidéo de son intervention, et ses réponses aux questions posées par les députés, est disponible ci-dessous.



le 23 Décembre 2013 à 07:13 | Permalien | Commentaires (0)

Jean-Pierre Chevènement était l'invité de l'Institut Diderot mardi 3 décembre 2013, lors d'une conférence intitulée "L'avenir de la mondialisation". Il est revenu sur son livre "1914-2014 : l'Europe sortie de l'histoire ?" puis a répondu aux questions de la salle.


Première partie ci-dessus de la conférence donnée par Jean-Pierre Chevènement à l'Institut Diderot.

Entretien de Jean-Pierre Chevènement accordé au "Figaro Magazine", le 20 décembre 2013. Propos recueillis par Patrice De Méritens.


"Europe ? Hors des nations, point de salut !"
Le Figaro Magazine : Que vous inspire cette commémoration de 14-18 dont lecycle amorcé en novembre dernier se déroulera durant les mois à venir ?
Jean-Pierre Chevènement : Il faut la considérer avec la lucidité dont a fait preuve l’ancien ministre des Affaires étrangères allemand Joschka Fischer, lorsqu’il a dit qu’« il serait admirable qu’il y eût un dialogue européen sur le sujet, car là est le commencement de la tragédie européenne ». Si douloureux que soit un passé, il faut en parler en connaissance de cause, savoir démêler les mécanismes profonds des responsabilités immédiates, travail de pédagogie qui n’est absolument pas accompli ni par nos élites intellectuelles ni par nos dirigeants. A la première mondialisation sous domination britannique, qui dura jusqu’en 1914, succéda après 1945 une seconde sous égide américaine. Les deux mondialisations ont abouti à une profonde modification de la hiérarchie des puissances. Avant 1914, la montée de l’Allemagne impériale est un fait saisissant. Unifiée depuis 1871, adossée au Zollverein, experte en matière scientifique et technique, elle ne cesse, sur le plan économique, de creuser l’écart avec la France et l’Angleterre. L’Empire britannique se méfie de cette nouvelle venue qui se dote au surplus d’une puissante flotte de guerre. Ce conflit d’hégémonie est la véritable cause de la guerre. Les origines de la catastrophe sont occultées, on ne peut que déplorer, à l’instar de Joschka Fischer, cette « déshistorisation » des consciences, si bien que je ne serai pas grand clerc en prédisant que la commémoration de 14-18 sera instrumentalisée à des fins politiques. Au nom du « Plus jamais ça ! », il s’agira pour nos classes dirigeantes de réitérer leur défiance à l’encontre des nations, d’où viendrait tout le mal, et de justifier la mise en congé de la démocratie en Europe au prétexte de sauver cette dernière de ses démons. Or la voix de l’Europe est comme étouffée depuis plusieurs décennies. Comment est-elle progressivement sortie de l’Histoire ? Ce mouvement peut-il être inversé ? C’est à ces questions que j’ai voulu répondre dans mon livre, pour envisager ce que peut et doit être notre avenir commun au XXIe siècle.

Jean-Pierre Chevènement était l'invité de France 3 Franche Comté, samedi 14 décembre 2013. Il débattait avec Alain Joyandet dans l'émission "La voix est libre", animée par Catherine Eme-Ziri et Jérémy Chevreuil.


(Retrouvez la première partie de l'émission ci-dessus, et la seconde partie en bas de l'article)

Verbatim express :

Sur Matignon
  • Je n'ai pas du tout envie de prendre la place de M. Ayrault. C'est une place qui n'est pas enviable, sauf si on a les mains pour faire une autre politique. Ce serait un cas de figure tout à fait différent. Mais je ne l'envisage pas, et je ne pense pas que ce soit dans les intentions de François Hollande, aujourd'hui, de changer franchement de cap.
  • Lorsque j'ai apporté mon soutien à François Hollande, les yeux ouverts, j'ai dit que j'excluais de redevenir ministre. Je l'ai été à cinq reprises pendant presque 10 ans, bien que j'ai démissionné trois fois.
  • Je considère qu'il y a une équation générale, qui est malheureusement erronée, depuis près de trois décennies. On a voulu substituer l'Europe à la nation, une dérégulation totale, un choix de monnaie unique qui juxtapose des économies profondément hétérogènes, et on le voit bien, ça ne marche pas.
  • Je ne me situe pas vraiment au niveau des partis politiques. J'essaye de regarder ce qui est conforme à l'intérêt du pays. Je m'exprime raisonnablement.
  • Je trouve qu'on ne se pose pas les questions de fond. François Hollande est là depuis longtemps. Il ne mérite pas le flot d'avanies dont il est accablé.
  • Dans mon dernier livre, j'essaye de prendre la mesure du siècle écoulé. Je compare deux mondialisations. Je vois qu'à l'intérieur de chacunes d'elles, il y a une modification profonde de la hiérarchie des puissances. Alors qu'on voyait monter l'Allemagne impériale, aujourd'hui c'est la Chine.
  • La montée fantastique de l'Allemagne impériale aboutit à la Première Guerre mondiale, dont je donne une explication rationnelle, alors qu'aujourd'hui un silence total prévaut, parce que le politiquement correct est immense.

Jean-Pierre Chevènement était l'invité de PolitiqueS sur LCP samedi 14 décembre 2013. Il répondait aux questions de Serge Moati.


Verbatim express :

Sur les différentes interventions internationales de la France
  • (A propos des interventions au Mali et en Centrafrique) Qui pourrait le faire si la France ne le fait pas ? Je ne vais pas souligner l'impotence stratégique de l'Europe. Elle est démontrée. Elle est incapable de réagir. D'autres pays pourraient intervenir, la Grande-Bretagne, les Etats-Unis, mais ils ne connaissent pas ces régions.
  • Je souligne que c'est à la demande de l'ONU, et dans le cadre d'une résolution, que la France intervient à des fins essentiellement humanitaires, et pour remettre ce pays sur les rails, ce qui est déjà beaucoup plus difficile.
  • La France n'est pas seule : il y a une force, la MISCA, qui regroupe les troupes du Tchad, du Congo, de la République démocratique du Congo, du Cameroun, du Gabon, et le président Hollande a annoncé la formation de 20 000 soldats africains par an, ce qui est un objectif extrêmement ambitieux.
  • La France intervient en accord avec l'Afrique, et ses organisations internationales, comme l'Union Africaine. Elle ne peut pas le faire autrement. C'est un point essentiel.
  • Si elle avait eu lieu, l'intervention en Syrie aurait été une très grave erreur, qui nous aurait entraîné dans une guerre que l'ONU n'aurait pas autorisée.
  • Cela aurait ressemblé à la guerre d'Irak. On en voit aujourd'hui le résultat. L'Iran est devenue la puissance dominante dans la région. On a aussi ouvert la voie à l'islamisme radical. Et cette intervention a été ressentie comme une guerre impérialiste, non seulement dans l'ensemble du monde arabe, mais aussi dans l'ensemble du tiers-monde.
  • La France ne doit pas supporter seule le coup de cette mission en Centrafrique. M. Von Rompuy au sommet africain a annoncé que l'Europe mettrait 50 millions d'euros. Ca ne suffira pas, mais c'est un début.
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