Entretien de Jean-Pierre Chevènement à Paris Match, propos recueillis par Elisabeth Chavelet, mardi 15 novembre 2016.
Paris Match: Dans votre livre, vous dénoncez avec vigueur l’absence de patriotisme économique des «élites mondialisées», rejetées de ce fait par les classes populaires. Ce rejet est-il la raison numéro un de l’élection de Donald Trump? En annonce-t-il d’autres?
Jean-Pierre Chevènement: Bien sûr! L’échec d’Hillary Clinton est celui de la stratégie de «Terra Nova» : quand le peuple se révolte, l’addition des minorités ne suffit plus, comme le croit le think tank social-libéral, à faire une majorité. Regardez en France ce qui vient de se passer chez Alstom Transport, dans l’usine de locomotives de Belfort. Elle employait 1500 personnes en 1995, seulement 480 aujourd’hui. Que s’est-il passé? La direction a donné à fabriquer les composants à des pays à bas coûts, en République tchèque et ailleurs. Et on a jeté aux orties le savoir faire des ingénieurs, ouvriers et techniciens pour pouvoir distribuer plus d’argent aux actionnaires avec comme perspective la fermeture de l’usine : une catastrophe. Le capitalisme financier est arrivé à bout de souffle. Les peuples le rejettent. On s’étonne de l’élection de Trump. Mais ceux qui ont soutenu le développement de cette mondialisation financière sous Reagan, puis Bush père, puis Bill Clinton et Bush fils, ne devraient pas s’étonner de la profondeur du rejet. Plus les élites sont mondialisées, comme elles le sont en France, et moins elles comprennent ce rejet. Etes-vous inquiet ou satisfait de l’élection de Donald Trump? Le peuple américain s’est exprimé. Je ne dis pas que Trump ne m’inquiète pas par son imprévisibilité mais il faut faire avec lui. Comprendre plutôt qu’anathématiser. Concernant l’interventionnisme militaire extérieur, j’aurais été aussi inquiet et même plus après une élection d’Hillary Clinton. Elle a soutenu toutes les interventions idiotes en Irak, en Libye et en Syrie en 2013. Si les frappes envisagées avaient eu lieu, elles auraient porté les islamistes au pouvoir à Damas. Les néocons qui la prônaient existent aussi en France. Heureusement, Barack Obama ne s’est pas laissé faire!
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le 15 Novembre 2016 à 16:35
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La disparition de Malek Chebel est une perte considérable. Toute sa vie a été consacrée à préparer les évolutions nécessaires de l’islam, en soulignant qu’il était conciliable avec la République, dès lors qu’une « réorganisation sérieuse d’un système de pensée et d’attitude » était engagée. Pour l’avoir convié, aussi bien à la Fondation Res Publica qu’à l’Association France Algérie, je garde présent à l’esprit sa conviction : croyants dans un pays laïc, les musulmans de France doivent être considérés comme « des citoyens à part entière, accessoirement des croyants ; la citoyenneté est le lien viscéral qui nous unit tous ». Sa lucidité, sa culture, son érudition ont ouvert des voies fécondes pour la naissance d’un islam de France. Sa pensée continuera d’éclairer tous ceux qui se sont engagés dans cette voie. Je salue la mémoire d’un homme de foi et de vérité, dont l’œuvre aidera notre pays à surmonter les défis actuels.
La victoire de Donald Trump est à coup sûr une défaite de l’establishment. Venant après le Brexit, elle est une nouvelle pierre jetée dans le jardin de la globalisation néolibérale.
Elle devrait aussi inciter les Européens à penser l’avenir d’une Europe européenne, de l’Atlantique à la Russie, capable de se déterminer par elle-même, alliée des Etats-Unis mais non alignée sur eux. Entretien de Jean-Pierre Chevènement à Acteurs Publics, propos recueillis par Bruno Botella et Pierre Laberrondo, lundi 7 novembre 2016.
Acteurs Publics: Quand on lit votre dernier livre, Un défi de civilisation (Fayard), on se dit que finalement, la menace terroriste s’explique : elle vient de nos faiblesses…
Jean-Pierre Chevènement: D’abord, il y a en effet la sidération de voir notre pays ainsi frappé par d’aussi graves actes terroristes. Puis il faut réfléchir. Les stratèges qui ont élaboré cette campagne d’attentats sont partis de l’idée que la France pouvait être d’autant plus une cible que ses responsables, ses élites, ont laissé se creuser au sein de la société française de profondes fractures. Je pense au chômage, qui touche près de 4 millions de personnes, surtout les jeunes et en particulier les jeunes qui vivent dans nos banlieues. Dans certains quartiers, le chômage peut dépasser les 40 %. Je pense aussi à une immigration mal intégrée. Même si la moitié de nos concitoyens de tradition musulmane est bien intégrée, l’autre moitié a de la peine à se reconnaître dans la France et dans les règles de la République. Pour vous, ce n’est pas un hasard si la France est particulièrement ciblée ? Ces commandos djihadistes ne surgissent pas du néant. Ils sont à l’intersection des problèmes de la société française, de sa désintégration, et d’autre part, d’un malaise très ancien entre l’Orient et l’Occident. Un malaise accru par des expéditions déstabilisatrices comme les deux guerres du Golfe ou les “printemps arabes”, salués au départ comme un triomphe de la démocratie. On a vu très vite qu’ils débouchaient sur l’instabilité car il ne suffit pas d’organiser des élections, s’il n’y a pas derrière un terreau culturel, un travail d’éducation préalable des citoyens. La France, faute de s’aimer assez elle-même, a laissé se créer une jeunesse hors sol qui se reconnaît plus dans les combattants palestiniens que dans les poilus de Verdun ou les héros de la Résistance. La France, au XXe siècle, a laissé tomber en lambeaux son “récit national”. Pour vous, la mondialisation a clairement une responsabilité… Ce qui pose problème à la France, ce n’est pas tant l’islam que la mondialisation, qui la laisse en panne de projet, et bien sûr, la manière dont l’islam, qui est un peu le conservatoire des traditions, réagit face à cette globalisation. On observe plusieurs attitudes. Il y a la fermeture : c’est l’islamisation des mœurs. Le refus : c’est l’islamisme politique. Et enfin le rejet : le terrorisme djihadiste, dont il faut aussi analyser les étapes. Il y a d’abord eu l’Afghanistan avec le djihad afghan. Après la guerre du Golfe, on a vu émerger le djihad planétaire d’Al Qaida. Et depuis la destruction de l’Irak entre 2003 et 2010, c’est Daech et son djihadisme territorialisé qui a prospéré et nous prend aujourd’hui pour cible. Entretien de Jean-Pierre Chevènement au quotidien suisse Le Temps, lundi 7 novembre 2016.
Le Temps: Votre intervention, à Genève, sera consacrée à «La Russie et l’Europe». Vos sentiments prorusses sont connus et suscitent la controverse, compte tenu des agissements de Moscou en Syrie et en Ukraine. Cela ne vous perturbe pas?
Jean-Pierre Chevènement: L’Europe doit impérativement sortir de cette atmosphère russophobe qui imprègne les relations avec Moscou. Cessons de regarder l’avenir avec les lunettes du passé: la Russie n’est pas l’URSS. Dois-je rappeler que le parti de Vladimir Poutine vient de remporter les élections législatives avec plus de 55% des voix et que cette majorité n’est pas contestée? On ne peut plus continuer à caricaturer notre grand voisin européen de l’Est et à entretenir avec lui une pomme de discorde durable. La Russie demeure une puissance. Et l’Europe ne s’en sortira pas si elle reste prostrée dans cette attitude biaisée à son égard. Va-t-on longtemps continuer d’ignorer le sentiment majoritaire de la population russe? Peut-on rester sans réaction devant la constitution d’une nouvelle bipolarité entre les Etats-Unis et la Chine, ce fameux G2? Mon attachement à la Russie résulte de ma conviction que l’Europe doit absolument s’organiser comme un pôle indépendant, pour répondre à la nouvelle donne stratégique du XXIe siècle. Arrêtons de voir partout l’espionnite russe. Agissons pour préserver nos intérêts face au condominium sino-américain. On ne doit pas être aveugle et ignorer l’arrangement entre les multinationales et le pouvoir chinois depuis plus de trois décennies. Trouver des coopérations avec la Russie est le seul moyen pour l’Europe d’exister encore au XXIe siècle. Cette Europe unie, vous l’avez longtemps combattue. Alors? L’Europe doit tirer le bilan de ses échecs si elle veut continuer de peser. Or la méthode communautaire est aujourd’hui en échec. Incapable de dépasser l’économicisme pour développer une identité stratégique, elle nous handicape dans la compétition mondiale. Je crois en l’Europe des nations, de l’Atlantique à la Russie pour paraphraser le général de Gaulle. Elle est la seule qui peut renouer avec les peuples, car seule la nation offre un sentiment d’appartenance assez fort pour permettre l’acceptation du fait majoritaire et, donc, le fonctionnement de la démocratie. Je suis de ce point de vue très admiratif de la Suisse, ce pays que je connais assez bien, y compris sur le plan familial. Ma mère était une Garessus. Sa famille venait de Suisse. Je connais bien les problématiques frontalières. La réalité est que l’Europe communautaire se déconstruit d’elle-même. Le Brexit en est la dernière illustration. Cela ne marche pas. Je suis de l’avis de l’ancien ministre français des Affaires étrangères Hubert Védrine: nous avons besoin d’une grande conférence refondatrice, qui permettrait de repenser l’Europe au long cours à partir des nations. Jean-Pierre Chevènement était l'invité d'Alain Marschall et Olivier Truchot dans les Grandes Gueules sur RMC, vendredi 4 novembre 2016.
Les Grandes Gueules (20.44 Mo)
Jean-Pierre était l'invité du Club de la presse d'Europe 1, mercredi 2 novembre 2016.
Club de la presse Europe 1 (17.89 Mo)
Jean-Pierre Chevènement était l'invité de Mardi politique sur France 24 et RFI, mardi 1er novembre 2016. |
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