El Watan: Vous êtes officiellement nommé président de la Fondation pour l’islam de France ; quelles sont les missions fixées à cette organisation ?
Jean-Pierre Chevènement: La Fondation est une institution laïque. Son objet est purement profane : culturel, éducatif et social. C’est un pont entre l’islam et la république. Mais tout ce qui est religieux (construction de mosquées, formation religieuse des imams) relève d’une association cultuelle, encore à constituer.
Avez-vous senti une adhésion des principaux acteurs musulmans à la démarche de la Fondation ?
La Fondation compte une majorité de musulmans au sein de son conseil d’administration et son conseil d’orientation. Le président du Conseil français du culte musulman (CFCM), créé en 2009, est membre de droit du conseil d’administration de la Fondation. Pour ma part, j’entends travailler en étroite liaison avec le CFCM. Celui-ci vient de créer un «conseil religieux» et a adopté une «charte de l’imam».
Il prévoit d’accorder une «recommandation» aux imams qui auront été formés en direction des mosquées. L’Etat a créé des diplômes universitaires pour la formation juridique et civique. Il existe également des diplômes de français pour ceux qui ne maîtrisent pas la langue. La formation religieuse relève d’institutions purement musulmanes.
Des pays comme l’Algérie, le Maroc, l’Egypte ou la Turquie auront-ils un concours à apporter à la Fondation ?
Les pays que vous venez de citer ont conclu des accords avec le ministère de l’Intérieur pour ce qui concerne la formation des imams détachés. La Fondation développera bien entendu un programme d’échanges avec les pays musulmans concernant la connaissance du fait religieux musulman avec lequel nos concitoyens doivent se familiariser. Il y a 4 à 5 millions de résidents de culture musulmane en France qui, pour la plupart, sont des citoyens français.
L’objectif de la Fondation est de les rendre pleinement citoyens en assurant leurs droits. Ils sont une part de l’identité et de l’avenir de la France. C’est un fait qui doit entrer dans la conscience collective. La France est faite de strates diverses qui, au fil du temps, ont constitué une même nation. L’essentiel est que cela se fasse sur la base des principes républicains. La France a une personnalité structurée, comme l’écrivait Jacques Berque, que les apports successifs doivent préserver.
Jean-Pierre Chevènement: La Fondation est une institution laïque. Son objet est purement profane : culturel, éducatif et social. C’est un pont entre l’islam et la république. Mais tout ce qui est religieux (construction de mosquées, formation religieuse des imams) relève d’une association cultuelle, encore à constituer.
Avez-vous senti une adhésion des principaux acteurs musulmans à la démarche de la Fondation ?
La Fondation compte une majorité de musulmans au sein de son conseil d’administration et son conseil d’orientation. Le président du Conseil français du culte musulman (CFCM), créé en 2009, est membre de droit du conseil d’administration de la Fondation. Pour ma part, j’entends travailler en étroite liaison avec le CFCM. Celui-ci vient de créer un «conseil religieux» et a adopté une «charte de l’imam».
Il prévoit d’accorder une «recommandation» aux imams qui auront été formés en direction des mosquées. L’Etat a créé des diplômes universitaires pour la formation juridique et civique. Il existe également des diplômes de français pour ceux qui ne maîtrisent pas la langue. La formation religieuse relève d’institutions purement musulmanes.
Des pays comme l’Algérie, le Maroc, l’Egypte ou la Turquie auront-ils un concours à apporter à la Fondation ?
Les pays que vous venez de citer ont conclu des accords avec le ministère de l’Intérieur pour ce qui concerne la formation des imams détachés. La Fondation développera bien entendu un programme d’échanges avec les pays musulmans concernant la connaissance du fait religieux musulman avec lequel nos concitoyens doivent se familiariser. Il y a 4 à 5 millions de résidents de culture musulmane en France qui, pour la plupart, sont des citoyens français.
L’objectif de la Fondation est de les rendre pleinement citoyens en assurant leurs droits. Ils sont une part de l’identité et de l’avenir de la France. C’est un fait qui doit entrer dans la conscience collective. La France est faite de strates diverses qui, au fil du temps, ont constitué une même nation. L’essentiel est que cela se fasse sur la base des principes républicains. La France a une personnalité structurée, comme l’écrivait Jacques Berque, que les apports successifs doivent préserver.
Mais c’est un pays ouvert et qui doit le rester, en préservant bien entendu l’armature des principes républicains qui fondent son identité depuis la Révolution française. La France est une nation politique : pour devenir français, il suffit de se sentir citoyen français, d’en exercer les droits et d’en respecter les devoirs.
Existe-t-il réellement un islam spécifique à la France, qu’un islam de France ?
L’islam est une religion universelle et il y a une communauté des croyants : c’est l’Oumma. Mais en même temps, les pays d’islam sont divers. Dans notre pays, il est inévitable qu’au fil du temps les générations nouvelles de musulmans nées sur le sol de France prennent de plus en plus en main la gestion de leur culte.
Cela n’empêche nullement le maintien des relations avec les pays d’origine dès lors que cela se fait dans un cadre négocié, respectueux de la souveraineté de chaque pays. Avec l’Algérie, pays ami, nous partageons les mêmes soucis de stabilité et d’entente mutuelle. L’islam à l’algérienne, fidèle à l’héritage de l’Andalousie, tel que l’a évoqué devant moi votre ministre des Affaires religieuses, M. Aïssa, est très proche de l’islam que nous voulons pour la France, c’est-à-dire compatible avec les principes républicains.
Un islamologue libanais, professeur aux Etats-Unis, Suleiman Mourad, vient de publier un livre intitulé La Mosaïque de l’islam, paru aux éditions Fayard cette année, où il montre combien la tradition sunnite est éloignée du wahhabisme.
La question de l’islam en France occupe une place centrale dans le débat public et fait souvent l’objet de clivages et certains acteurs n’hésitent pas à évoquer le risque de guerre civile. Que révèle cette question de la France d’aujourd’hui ?
Ceux qui veulent créer les conditions d’une guerre civile en France sont les habituels prophètes d’un «choc de civilisations» : les groupes «identitaires» d’un côté, dangereux mais peu nombreux, et les terroristes soi-disant «djihadistes» de l’autre. Même s’ils ne sont que quelques milliers, ils peuvent faire un tort considérable d’abord à leurs compatriotes musulmans qui n’aspirent qu’à vivre tranquillement leur religion.
La Fondation de l’islam de France a pour vocation d’ouvrir d’autres chemins de réussite et d’élévation pour des jeunes aujourd’hui privés de repères et tentés par des impasses mortifères. C’est un défi que nous avons à relever ensemble : désamorcer tout ce qui peut contribuer à des escalades et à des surenchères néfastes pour tous et particulièrement pour l’Algérie et pour la France.
Votre pays s’apprête à vivre une année électorale particulière. La question de l’islam et de l’islamisme serait-elle déterminante ?
La lutte contre le terrorisme est une cause qui doit nous réunir. Elle se prête à des amalgames dont j’espère que les principales forces politiques en France sauront éviter. La Fondation de l’islam de France est là pour rappeler que nos compatriotes musulmans ont le droit de vivre paisiblement leur religion.
Une très large majorité de Français l’accepte, même si des actes antimusulmans peuvent être commis, qui sont autant de provocations à la haine et dont il convient de confondre les auteurs. Pour le reste, la France est suffisamment au clair avec son identité républicaine pour se concentrer sur les problèmes économiques, politiques, sociaux qui naissent d’une «globalisation» mal maîtrisée.
Comme dans beaucoup de pays, il existe aussi en France un islamisme politique radical ; comment cette mouvance a-t-elle pu prendre forme ?
Cette mouvance s’est développée depuis une vingtaine d’années. Elle est un aspect de cette «globalisation» devenue folle. Elle est à l’intersection des problèmes sociaux en France et des conflits internationaux, au Moyen-Orient notamment. Il faut éteindre ces incendies, rendre des pays comme la Syrie et l’Irak vivables pour leur population. Et nous avons aussi à faire en France un immense travail de pédagogie républicaine. Ce sera un travail de longue haleine. Mais avons-nous un autre choix ? Comme l’a écrit Schopenhauer : «Ce n’est pas le chemin qui est difficile. C’est la difficulté qui est le chemin».
Existe-il un lien entre la montée de l’islamisme en France et certaines monarchies du golfe accusées de soutenir financièrement et idéologiquement les islamistes français ?
Il n’est pas douteux que le terrorisme soi-disant djihadiste a pu se développer sur le terreau du salafisme, lui-même propagé depuis plusieurs décennies par des fondations d’inspiration wahhabite. Les chocs pétroliers ont fait basculer vers le Golfe le centre de gravité du Moyen-Orient au détriment de pays comme le Liban ou l’Egypte.
Mais le triomphe du fondamentalisme religieux n’est qu’une autre face de l’échec du mouvement de réformes que symbolisait la «Nahda» et dont la guerre des Six Jours (1967) et les deux guerres du Golfe (1991 et 2003) ont été les manifestations les plus violentes. Mais cet échec de la Nahda n’est pas définitif. Il nous appartient de reconstruire un horizon de progrès non seulement pour le monde arabe, mais pour le monde entier.
Dans quelle mesure les conflits qui agitent le Moyen-Orient impactent-ils la radicalisation en France ?
Daech est le legs empoisonné des deux guerres du Golfe. En détruisant l’Etat irakien, les Etats-Unis ont créé les conditions de l’affrontement entre chiites et sunnites. En Syrie, nous assistons à la surimposition d’une guerre civile entre le régime et son opposition traditionnellement islamiste, et d’une guerre par procuration entre la Turquie, l’Arabie Saoudite et le Qatar, sunnites d’une part, l’Iran chiite et ses alliés, d’autre part.
Le mythe du «djihad» planétaire est né dans les années 1980 dans les montagnes d’Afghanistan. L’Algérie en a payé le prix dans les années 1990. Aujourd’hui, la France et l’Europe sont frappées. Nous n’éradiquerons pas facilement ce mythe obscurantiste sinon en ouvrant un nouvel horizon de progrès et de paix pas seulement au monde musulman mais à l’Humanité tout entière.
Source : El Watan
Existe-t-il réellement un islam spécifique à la France, qu’un islam de France ?
L’islam est une religion universelle et il y a une communauté des croyants : c’est l’Oumma. Mais en même temps, les pays d’islam sont divers. Dans notre pays, il est inévitable qu’au fil du temps les générations nouvelles de musulmans nées sur le sol de France prennent de plus en plus en main la gestion de leur culte.
Cela n’empêche nullement le maintien des relations avec les pays d’origine dès lors que cela se fait dans un cadre négocié, respectueux de la souveraineté de chaque pays. Avec l’Algérie, pays ami, nous partageons les mêmes soucis de stabilité et d’entente mutuelle. L’islam à l’algérienne, fidèle à l’héritage de l’Andalousie, tel que l’a évoqué devant moi votre ministre des Affaires religieuses, M. Aïssa, est très proche de l’islam que nous voulons pour la France, c’est-à-dire compatible avec les principes républicains.
Un islamologue libanais, professeur aux Etats-Unis, Suleiman Mourad, vient de publier un livre intitulé La Mosaïque de l’islam, paru aux éditions Fayard cette année, où il montre combien la tradition sunnite est éloignée du wahhabisme.
La question de l’islam en France occupe une place centrale dans le débat public et fait souvent l’objet de clivages et certains acteurs n’hésitent pas à évoquer le risque de guerre civile. Que révèle cette question de la France d’aujourd’hui ?
Ceux qui veulent créer les conditions d’une guerre civile en France sont les habituels prophètes d’un «choc de civilisations» : les groupes «identitaires» d’un côté, dangereux mais peu nombreux, et les terroristes soi-disant «djihadistes» de l’autre. Même s’ils ne sont que quelques milliers, ils peuvent faire un tort considérable d’abord à leurs compatriotes musulmans qui n’aspirent qu’à vivre tranquillement leur religion.
La Fondation de l’islam de France a pour vocation d’ouvrir d’autres chemins de réussite et d’élévation pour des jeunes aujourd’hui privés de repères et tentés par des impasses mortifères. C’est un défi que nous avons à relever ensemble : désamorcer tout ce qui peut contribuer à des escalades et à des surenchères néfastes pour tous et particulièrement pour l’Algérie et pour la France.
Votre pays s’apprête à vivre une année électorale particulière. La question de l’islam et de l’islamisme serait-elle déterminante ?
La lutte contre le terrorisme est une cause qui doit nous réunir. Elle se prête à des amalgames dont j’espère que les principales forces politiques en France sauront éviter. La Fondation de l’islam de France est là pour rappeler que nos compatriotes musulmans ont le droit de vivre paisiblement leur religion.
Une très large majorité de Français l’accepte, même si des actes antimusulmans peuvent être commis, qui sont autant de provocations à la haine et dont il convient de confondre les auteurs. Pour le reste, la France est suffisamment au clair avec son identité républicaine pour se concentrer sur les problèmes économiques, politiques, sociaux qui naissent d’une «globalisation» mal maîtrisée.
Comme dans beaucoup de pays, il existe aussi en France un islamisme politique radical ; comment cette mouvance a-t-elle pu prendre forme ?
Cette mouvance s’est développée depuis une vingtaine d’années. Elle est un aspect de cette «globalisation» devenue folle. Elle est à l’intersection des problèmes sociaux en France et des conflits internationaux, au Moyen-Orient notamment. Il faut éteindre ces incendies, rendre des pays comme la Syrie et l’Irak vivables pour leur population. Et nous avons aussi à faire en France un immense travail de pédagogie républicaine. Ce sera un travail de longue haleine. Mais avons-nous un autre choix ? Comme l’a écrit Schopenhauer : «Ce n’est pas le chemin qui est difficile. C’est la difficulté qui est le chemin».
Existe-il un lien entre la montée de l’islamisme en France et certaines monarchies du golfe accusées de soutenir financièrement et idéologiquement les islamistes français ?
Il n’est pas douteux que le terrorisme soi-disant djihadiste a pu se développer sur le terreau du salafisme, lui-même propagé depuis plusieurs décennies par des fondations d’inspiration wahhabite. Les chocs pétroliers ont fait basculer vers le Golfe le centre de gravité du Moyen-Orient au détriment de pays comme le Liban ou l’Egypte.
Mais le triomphe du fondamentalisme religieux n’est qu’une autre face de l’échec du mouvement de réformes que symbolisait la «Nahda» et dont la guerre des Six Jours (1967) et les deux guerres du Golfe (1991 et 2003) ont été les manifestations les plus violentes. Mais cet échec de la Nahda n’est pas définitif. Il nous appartient de reconstruire un horizon de progrès non seulement pour le monde arabe, mais pour le monde entier.
Dans quelle mesure les conflits qui agitent le Moyen-Orient impactent-ils la radicalisation en France ?
Daech est le legs empoisonné des deux guerres du Golfe. En détruisant l’Etat irakien, les Etats-Unis ont créé les conditions de l’affrontement entre chiites et sunnites. En Syrie, nous assistons à la surimposition d’une guerre civile entre le régime et son opposition traditionnellement islamiste, et d’une guerre par procuration entre la Turquie, l’Arabie Saoudite et le Qatar, sunnites d’une part, l’Iran chiite et ses alliés, d’autre part.
Le mythe du «djihad» planétaire est né dans les années 1980 dans les montagnes d’Afghanistan. L’Algérie en a payé le prix dans les années 1990. Aujourd’hui, la France et l’Europe sont frappées. Nous n’éradiquerons pas facilement ce mythe obscurantiste sinon en ouvrant un nouvel horizon de progrès et de paix pas seulement au monde musulman mais à l’Humanité tout entière.
Source : El Watan