« C'est l'arrêt de l'antiaméricanisme comme carte de visite de la France », observe Pierre Lellouche. « Mais il faut d'abord être indépendant pour se faire respecter », lui répond Jean-Pierre Chevènement.
Le Figaro Magazine - La présence renforcée de la France en Afghanistan ne constitue-t-elle pas un signal fort pour un retour accéléré au sein de l'Otan en 2009 ?
Pierre Lellouche - Si de Gaulle nous a fait sortir en 1966 du commandement intégré, c'était pour éviter de voir la France entraînée dans des situations d'escalade de guerre nucléaire que nous n'aurions pas pu contrôler, ou de conflits - comme le Vietnam, par exemple - que nous n'aurions pas souhaités. Cela dit, la France est toujours demeurée membre de l'Alliance. Depuis, le monde a changé, le mur de Berlin est tombé, et l'Alliance est désormais le plus souvent utilisée comme bras armé de l'ONU, des Balkans à l'Afghanistan. Nous réintégrons donc une autre alliance dans une configuration stratégique différente. Le premier sens à donner à ce geste est symbolique : l'arrêt de l'antiaméricanisme comme carte de visite de la France. Mais au-delà, l'ambition du président de la République est d'imaginer une alliance équilibrée entre deux pôles, l'un américano-canadien, l'autre le pôle européen de la défense. Or, l'Histoire du demi-siècle écoulé montre que nous ne réussirons pas, nous Français, à impulser une défense européenne digne de ce nom contre les Etats-Unis. Elle ne peut se faire qu'en complémentarité. La nouveauté de Bucarest a été de l'affirmer tant du côté français et européen qu'américain. A Nicolas Sarkozy d'impulser cette dynamique lors de sa présidence de l'Europe. Si les deux conditions sont réunies : défense européenne d'un côté, signal fort des Américains de la part du successeur de George Bush, alors le donnant-donnant se réalisera au prochain sommet de l'Alliance, en 2009. Les intentions sont là. Cela étant, je le dis avec prudence...
Jean-Pierre Chevènement - Et vous faites bien car, compte tenu du texte du traité de Lisbonne, on se demande ce qui peut rester de la défense européenne étroitement asservie à l'Otan : une alouette, un cheval ! A la limite, l'Otan voudra bien sous-traiter à une pseudo-défense européenne quelques obscures missions de maintien de la paix en Iturie, au nord-est de la République démocratique du Congo, ou bien encore au Kosovo, tandis qu'on nous demandera de renforcer nos effectifs en Afghanistan pour soulager les Américains concentrés ailleurs, sur l'Irak aujourd'hui, sur l'Iran demain. Enlisement garanti.