Jean-Pierre Chevènement a adressé dans le courant du mois de juin 2008, cet appel à une refondation de la gauche aux responsables du Parti socialiste (François Hollande), du Parti communiste (Marie-George Buffet) et du Parti radical de gauche (Jean-Michel Baylet). Il réitère son appel à débattre de ce texte.
A moins de quatre ans de la prochaine élection présidentielle qui est devenue, dans notre système politique, l’élection directrice, celle autour de laquelle toutes les autres s’ordonnent, nous devons porter un regard lucide sur le rapport des forces à l’échelle mondiale afin de créer l’évènement qui permettra d’ouvrir à la France un nouveau chemin de progrès.
Trois échecs successifs à l’élection présidentielle depuis 1995 n’ont pas été l’effet du hasard. Ils s‘enracinent dans la distance prise à l’égard de la gauche par l’électorat populaire. Cette distanciation a elle-même des causes anciennes et profondes. Le projet que nous portions dans les années soixante-dix s’est heurté de plein fouet à la victoire du néo-conservatisme libéral, au tournant des années quatre-vingt et à la politique d’ouverture généralisée des marchés, y compris des marchés de capitaux. Le capitalisme financier a pris progressivement le pas sur le capitalisme industriel. Avec l’effondrement du communisme, les multinationales ont mis en concurrence les territoires et les main-d’œuvre à l’échelle mondiale, entraînant une délocalisation ouverte ou sournoise des activités des pays anciennement industrialisés vers les pays émergents à bas coût salarial, dont certains sont dotés d’immenses « armées de réserve industrielles ». Le développement des fonds spéculatifs et des fonds de pension a abouti à l’instauration d’une véritable « dictature » de l’actionnariat. Mais, victime de ses excès, la « globalisation » est entrée en crise profonde avec la dérive du système financier, le retour de l’inflation et l’éclatement du système monétaire international. I – La « globalisation » est entrée en crise Cette « globalisation », en effet, est un phénomène à la fois économique et politique. Ce serait rester à la surface des choses que de voir dans les « subprimes » américaines et les dérives du capitalisme financier à l’échelle mondiale la cause essentielle de la crise actuelle. Le surendettement des ménages américains a été encouragé par les autorités publiques pour sortir de la précédente crise née de l’explosion de la bulle technologique, en septembre 2000. La réalité est que les Etats-Unis ont depuis longtemps un train de vie qui dépasse leurs moyens. Ils ont proclamé imprudemment la fin de l’Histoire après la chute de l’Union Soviétique. L’Histoire les a rattrapés. Les pays émergents se sont autonomisés. L’Hyperpuissance américaine a cru pouvoir pratiquer une politique de fuite en avant avec un déficit commercial abyssal. Elle est devenue tributaire des réserves de change chinois. Enfin, l’Administration Bush a entraîné ses alliés en Irak, provoquant, au nom de « la guerre contre la terreur », un véritable « clash des civilisations ». Les Etats-Unis se trouvent confrontés aujourd’hui à trois problèmes cumulatifs : la récession économique, la chute du dollar, l’enlisement en Irak et au Moyen-Orient. Ils n’ont plus les moyens de maintenir seuls leur domination mondiale. Avec un budget militaire de 640 Milliards de dollars (plus de la moitié des budgets de défense à l’échelle mondiale), les Etats-Unis cherchent en Europe et en Asie des supplétifs. Cette situation est très dangereuse. Nous n’avons pas à nous mettre à la remorque d’une politique américaine sur laquelle nous n’exerçons aucun contrôle, comme le fait Nicolas Sarkozy en subordonnant notre défense à l’organisation militaire intégrée de l’OTAN. C’est seulement en restant indépendants ou en se donnant les moyens de le devenir, que la France et l’Europe se feront respecter et pourront modérer utilement et orienter l’usage de l’Hyperpuissance américaine. En effet, ce sont les règles du jeu à l’échelle mondiale qui doivent être modifiées, dans le cadre d’un monde multipolaire rendu d’ailleurs inévitable par la montée des grands pays émergents (Chine – Inde – Brésil, etc.) et le retour de la Russie. Là sont les rôles de l’Europe et de la France, levier de notre responsabilité au monde. Nous voulons rester les alliés des Etats-Unis. L’opinion publique européenne est éprise de paix. Elle souhaite que les Etats-Unis redeviennent la grande nation qu’ils sont, en acceptant la réalité d’un monde multipolaire nourri par le dialogue des cultures et régi par le droit. La crise de la « globalisation » bat en brèche les postulats libéraux auxquels la gauche française s’est heurtée depuis plus de deux décennies : ainsi le libre-échangisme, car personne, même à l’O.M.C, n’attend plus d’une nouvelle libéralisation des échanges un rebond de la croissance à l’échelle mondiale. Ainsi encore le refus des politiques industrielles au nom d’une conception idéologique de la concurrence libre qui a fini par paralyser l’action publique. Enfin, le refus de l’intervention des Etats, car même les pays les plus libéraux renflouent, sur fonds publics, leur système financier et même leurs grandes entreprises industrielles. Tout montre qu’après trois décennies de « globalisation » succédant aux « trente glorieuses » du New Deal, un nouveau cycle historique est près de s’ouvrir. II – Une nouvelle politique est possible C’est à l’échelle mondiale qu’il faut agir. A) Au niveau mondial Les désordres monétaires sont devenus insupportables. Des fourchettes de parités doivent être définies et défendues collectivement. Les Etats-Unis doivent rétablir leur épargne. Ils peuvent être aidés à retrouver l’équilibre de leur balance commerciale par une croissance concertée des autres parties du monde. Il faut aussi que les grands pays émergents prennent davantage en compte chez eux les besoins de leur population, ainsi que le respect, au Nord, des équilibres sociaux et, dans le monde, des exigences environnementales. C’est à ce prix seulement que les pays anciennement industrialisés pourront continuer à ouvrir leurs marchés à une concurrence qui repose sur l’avantage comparatif d’un très bas coût de main d’œuvre. Une régulation concertée des échanges internationaux est nécessaire. Elle devra ménager l’accès libre aux marchés des pays riches des produits des pays les moins avancés, et notamment de l’Afrique. Leurs productions, à l’inverse, doivent être protégées. L’aide publique au développement, scandaleusement négligée, devra être rétablie et accrue. Les institutions financières internationales devraient trouver une nouvelle vocation dans la correction des inégalités croissantes de développement. Cette nouvelle donne ne sera rendue possible que par une mobilisation de l’opinion mondiale et par la réunion de grandes conférences internationales sur le modèle de Bretton-Woods en 1944-45, et l’acceptation par tous de nouvelles règles d’organisation collectives. B) Au niveau européen La voix de l’Europe sera essentielle, en tant qu’elle donne l’exemple, malgré toutes ses imperfections, du dépassement d’animosités séculaires entre les peuples. Mais l’exemple de l’Europe ne sera convaincant que si elle-même se révèle capable d’organiser un modèle équilibré de développement. A cet égard l’instauration d’un gouvernement économique de la zone euro est un enjeu décisif. Une politique de change moins pénalisante pour l’activité, la mise en œuvre de politiques contracycliques fondées sur l’investissement et la Recherche, créeront un environnement propice pour l’harmonisation sociale et fiscale et la promotion des services publics. L’Europe ne peut se résumer à la mise en concurrence des systèmes sociaux. Il est temps de lui donner un contenu progressiste. Le rôle de l’Allemagne sera déterminant. Celui de la France n’est pas moins important pour réorienter la construction européenne dans le nouveau contexte mondial. Les institutions européennes ont l’impérieux devoir de réagir, en s’appuyant davantage sur les Etats qui restent les principaux acteurs de l’initiative publique. C) Au niveau national L’urgence première sera de faire face à la récession qui vient. Aucun moyen ne devra être négligé, y compris l’intervention de fonds d’épargne publics, pour préserver le tissu industriel. L’éducation, la recherche, et plus généralement une politique d’investissements seront favorisées. La cohésion sociale, l’activation du sentiment républicain, la solidarité civique face à toutes les formes de communautarisme seront constamment recherchées. Une véritable écologie, au service de l’humanité tout entière, ne saurait s’enraciner que sur le terreau des Lumières, rejetant toutes les formes d’obscurantisme. Tel est notamment le cas pour ce qui est de la lutte contre le réchauffement climatique et pour un développement durable. La science et la culture doivent, en effet, rester au cœur de notre action. Pour porter cette ambition pour la France, pour une Europe européenne et pour un monde plus humain, il nous faut, sans tarder, en réunir les moyens. La gauche française ne peut forcer l’avenir qu’en dépassant ses tropismes. Il est urgent pour elle de prendre un nouveau départ et pour cela d’organiser « l’évènement » qui, trente-sept ans après Epinay, permettra une nouvelle refondation, comme elle a su le faire à chaque étape de son histoire. Cet évènement ne saurait être que la création d’un grand rassemblement de toute la gauche, ouvert à toutes ses sensibilités, radicales voire utopiques ou au contraire plus gestionnaires. La question n’est pas de savoir jusqu’où ira le rassemblement. L’impératif c’est le rassemblement lui-même qui doit se faire avec l’ensemble des hommes et des femmes de gauche et de progrès, mais en conservant la visée unitaire qui a toujours permis les grandes avancées de la gauche. Beaucoup des clivages hérités du passé ont été tranchés par l’Histoire. D’autres se sont déplacés et doivent être résolus par le débat. Ce serait faire un énorme cadeau à la droite conservatrice que de vouloir camper côte à côte un parti social-libéral tourné vers le centre et un parti se disant révolutionnaire cherchant à capter, sans vue d’ensemble, toutes les contestations quelle qu’en soit la nature. Une grande fédération de toute la gauche doit se définir, d’une part, à travers une analyse du monde et précisément de la globalisation libérale et, d’autre part, à travers un projet comportant des éléments programmatiques réalisables. Avant de se poser le problème des alliances, la gauche doit savoir où elle habite. Elle vise à rassembler le monde du travail sur un projet humaniste. Elle porte l’héritage républicain qui, à partir de la notion d’intérêt général, permet le dépassement des intérêts particuliers, des égoïsmes, des corporatismes et des communautarismes. La pluralité d’appartenances conduit à définir une multiplicité d’intérêts généraux qu’il faudra savoir hiérarchiser, à travers un projet nouant ensemble l’intérêt national, l’intérêt européen et les intérêts de l’humanité dans son ensemble. Rien là qui ne soit conforme au patriotisme républicain et à l’internationalisme, dont Jaurès avait su montrer la complémentarité. La valorisation du travail, la recherche de l’égalité et d’un progrès mieux partagé, l’épanouissement individuel prenant tout son sens dans un dessin de réussite collective, la promotion du sens des responsabilités, bref du civisme, constituent un socle de valeurs pour l’édification d’une République moderne, démocratique et sociale. A partir de ces orientations, nous proposons que toutes les organisations et toutes les personnalités de gauche et de progrès qui le voudront réunissent dans tous les départements des forums de l’Unité. Ces forums, largement ouverts, auront à traiter quelques sujets clés : - l’analyse de la globalisation et des conséquences à en tirer pour l’action de la gauche ; - la valorisation du travail ; - l’avenir de la protection sociale ; - les enjeux de l’éducation et de la recherche ; - la forme du nouveau rassemblement à créer. Ces forums pourraient déboucher sur des Assises de la gauche en 2009 qui prépareraient, sur la base d’un projet clair, un Congrès de la fédération de toute la gauche anticipant sur le possible grand parti qu’il nous faudra créer. C’est à l’occasion de ce moment que serait élu, au suffrage universel des militants, le candidat de la gauche à l’élection présidentielle de 2012. Ce candidat ne serait pas seul. Il serait porté par un projet collectif et par un élan qu’il nous appartient de faire lever sans attendre dans le pays.
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Rédigé par Jean-Pierre Chevènement le 2 Octobre 2008 à 12:40
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Commentaires (15)
Voici la déclaration politique du groupe du Sénat dont Jean-Pierre Chevènement, sénateur du Territoire de Belfort, est le vice-président.
Fondé voici plus de cent dix ans, héritier des grandes traditions républicaines, hostile à tout dogmatisme, notre Groupe a pour règle d’assurer à tous ses membres une totale liberté d’expression, de décision et de vote.
Il entend que l’esprit de tolérance et de compréhension préside à toutes ses délibérations, ce qui n’exclut pas, le cas échéant, des prises de position d’une grande fermeté à titre individuel ou collectif. En particulier son Président doit exprimer, à la Conférence des Présidents, quand une décision politique importante se présente, la sensibilité majoritaire du groupe réuni au préalable (*). L'émission dure 15 minutes et est podcastée ci-dessous.Jean-Pierre Chevènement est l'invité de Michel Field dans son émission Oui Non (durée : 13 minutes).
Mots-clés :
lci
Poursuite du cycle de colloques de la Fondation Res Publica lundi 29 septembre 2008 à 18h à la Maison de la Chimie (28, rue Saint Dominique 75007 Paris). En voici le programme ci-dessous.
Avec la participation de :
Dépêche AFP, mercredi 24 septembre 2008, 21h02.
Jean-Pierre Chevènement, élu dimanche sénateur, a affirmé que le groupe RDSE au Sénat ne saurait "s'assimiler à un parti politique quel qu'il soit", en réponse à Jean-Michel Baylet, président du PRG, qui affirmait que l'ancien ministre rejoignait "les radicaux de gauche".
Le président du Mouvement Républicain et Citoyen (MRC) a précisé dans un communiqué publié mercredi qu'il souhaitait que le groupe RDSE (Rassemblement démocratique social européen - radicaux de gauche et de droite) au Sénat, "en cours de reconstitution, reste fidèle au pluralisme politique et à son esprit traditionnel". "L'entière liberté de vote des parlementaires qui le constituent qui doivent pouvoir s'exprimer et voter selon leur conscience. Un tel groupe ne saurait donc s'assimiler à un parti politique quel qu'il soit", poursuit l'ancien ministre Le président du PRG et sénateur du Tarn-et-Garonne, Jean-Michel Baylet, a assuré mercredi à l'AFP que l'ancien ministre "rejoint les radicaux de gauche" au Sénat. Dépêche AFP, mercredi 24 septembre 2008, 11h50.
Le président du Mouvement républicain et citoyen (MRC) Jean-Pierre Chevènement a critiqué "l'inspiration pédagogiste" du film de Laurent Cantet "Entre les murs", qui sort mercredi sur les écrans, estimant qu'"à l'école on doit parler le langage du travail".
"Laurent Cantet a beaucoup de talent mais la base" de son film, "c'est un livre (de François Bégaudeau, ndlr) dont l'inspiration est quand même globalement l'inspiration pédagogiste", a déclaré l'ancien ministre de l'Education sur i-Télé à propos des théories plaçant l'élève au coeur de l'école. C'est "une inspiration qui a conduit l'école là où elle est aujourd'hui". "L'école n'a pas été cadrée, on ne lui a pas fixé ses objectifs. Moi je crois à l'institution", a-t-il ajouté. Interrogé sur le fait de savoir s'il était d'accord avec la politique suivie par le ministre de l'Education nationale Xavier Darcos, M. Chevènement a répondu : "Pour ce qui est du retour aux fondamentaux, aux apprentissages de base, oui certainement. Sauf que moi je n'aurais pas supprimé" les heures de classe le samedi matin car "je ne pense pas qu'on puisse apprendre mieux en travaillant moins". "Il faut travailler, à l'école on doit parler le langage du travail, du mérite, de la discipline", a insisté le nouveau sénateur de Belfort. Dépêche AFP, mercredi 24 septembre 2008, 10h27.
Le président du Mouvement républicain et citoyen Jean-Pierre Chevènement a déclaré mercredi qu'il ne voyait "pas très bien la différence" entre les quatre grandes motions du PS pour le congrès de Reims, hormis celle de "Benoît Hamon et ses amis qui sont clairement anti-libéraux".
"Je ne vois pas très bien la différence entre eux, sauf peut-être chez Benoît Hamon et ses amis qui sont clairement anti-libéraux. Tous les autres pensent la même chose", a affirmé le nouveau sénateur de Belfort sur i-télé à propos des motions déposées mardi par Bertrand Delanoë, Martine Aubry et Ségolène Royal. "Le vrai problème c'est la désignation du candidat à la présidentielle" de 2012, a-t-il estimé en prônant l'organisation "de primaires ouvertes à toute la gauche, avec tous les militants, tous les sympathisants". Selon M. Chevènement, il faut que "le Parti socialiste s'ouvre" et "cesse de s'enfermer dans ses querelles de chefs soutenus par des baronnies", d'être "un parti d'élus et d'affidés". |
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