Le nouveau livre de Jean-Pierre Chevènement, sortie le 12 octobre 2016 (Editions Fayard, 464 pages, 20 euros).
Sidération. les attentats terroristes et le spectre de la guerre civile nous ont pris à l’improviste. Comme en 1870 et en 1940, la France se découvre un ennemi qu’elle n’avait pas vu venir et qu’elle peine d’ailleurs à définir.
D’abord comprendre : nommer les maux, mais avec de justes mots. La gravité des attentats tient aux faiblesses qu’ils révèlent et que nos élites ont laissé se creuser au fil des ans. Pour remonter aux causes, déplaçons notre regard du terrorisme djihadiste mondialisé vers une « globalisation » devenue folle. Cette globalisation a modifié la hiérarchie des puissances, créé les fractures sociales, géographiques, générationnelles, miné la démocratie, suscité frustrations et rejets, particulièrement dans le monde musulman. Elle a mis en crise le modèle républicain et périmé le projet européen initié par la France après 1945. Le fond de l’affaire ne serait-il pas que nous ne savons plus aujourd’hui qui nous sommes ni ce que nous voulons faire ? Face à une globalisation, mère d’un nouveau chaos mondial, la France a encore les moyens de faire face, en donnant vie, de concert avec l’Allemagne, au projet d’Europe européenne, de l’Atlantique à l’Oural, que le général de Gaulle avait conçu pour elle. Seul levier pour peser au xxie siècle entre les États-Unis et la Chine, et renouer avec l’universel en ouvrant au monde, y compris musulman, un horizon de progrès. Dans les épreuves, des forces de résilience insoupçonnées sont en train de surgir, qui sont aussi des forces spirituelles : regain d’un patriotisme républicain, à la fois de principes et enraciné dans toute notre histoire, laïcité éclairée par la Raison, universalisme du réel. Le bateau France a encore les moyens de se redresser. Jean-Pierre Chevènement dessine la carte d’une confiance retrouvée. Le bateau France n’a besoin que d’un cap : un projet politique qui soit aussi un projet de civilisation. Entretien de Jean-Pierre Chevènement à Causeur, propos recueillis par Elisabeth Lévy et Daoud Boughezala, septembre 2016.
Causeur. Vous présidez désormais la Fondation de l’islam de France. Les musulmans français aujourd’hui sont-ils prêts à regarder la réalité en face et à admettre que le djihadisme vient de leurs rangs et y suscite une sympathie beaucoup trop large, plutôt que de hurler à l’islamophobie et d’agiter la complainte victimaire et anticolonialiste avec le renfort de la gauche compassionnelle ?
Jean-Pierre Chevènement. Je crains qu’en pratiquant l’amalgame entre les terroristes « djihadistes » et la grande masse des musulmans de France qui n’aspirent qu’à pratiquer paisiblement leur culte, vous ne tombiez dans le piège de nos adversaires. Ces derniers ne se cachent pas de vouloir susciter une guerre civile en France en jouant sur les fractures trop réelles de notre société. Je vous le dis : il faut isoler les terroristes. C’est une règle de principe. Or l’« hystérisation » des problèmes ne peut qu’élargir leur cercle de sympathisants, aujourd’hui très réduit parmi les musulmans. Ceux-ci souffrent de ces amalgames précipités et injustes. L’islam de France est par définition un islam républicain. Son émergence est une tâche de longue haleine, mais si la voie est étroite, il n’y en a pas d’autre pour maintenir la paix civile. Bien entendu, il y a d’autres chantiers à ouvrir pour que reprenne le processus normal de l’intégration. Il nous faut « faire France » à nouveau. Cela ne peut se réaliser que sur un projet partagé. Évitez donc les caricatures ! Ouvrez des chemins qui rapprochent ! Rejetez la voie des surenchères qui fait le jeu de Daech ! Les médias et la gauche politique dénoncent volontiers l’islamophobie française (un des éléments de la « droitisation »). Ce qui est sûr, c’est que la méfiance envers l’islam grandit en France. Comment y répondre ? Que les attentats de 2015-2016 aient provoqué beaucoup d’inquiétude et d’interrogations chez nos concitoyens, qui ne le comprendrait ? Mais je ne constate pas le rejet de nos compatriotes musulmans dont la plupart n’ont rien à voir avec le salafisme qui est le terreau du djihadisme armé. Les Français sont un vieux peuple républicain. Ils ont montré beaucoup de maturité, à l’exception d’incidents isolés en Corse et hélas des propos de certains responsables politiques qui font de l’islam LE problème de la société française, alors qu’elle en a tant d’autres ! Les attentats terroristes ne sont vraiment une menace que parce que ces hommes politiques à courte vue, ayant abandonné depuis longtemps les véritables leviers de commande, ont laissé s’accumuler depuis trop longtemps des stocks de matières inflammables, notamment un chômage de masse dans la jeunesse, qui rendent en effet la situation très dangereuse. Ils savent pourtant que la plupart des victimes du terrorisme, de l’Irak à l’Algérie, de la Syrie et de la Turquie au Nigeria, sont des musulmans. L’islam est une mosaïque de sensibilités, et le fondamentalisme religieux dans le monde arabo-musulman ne l’a emporté sur le courant de la réforme – la Nahda – que depuis quatre décennies environ. Cela n’a rien d’irréversible ! Il faudrait que l’Occident fasse son examen de conscience dans le soutien à courte vue qu’il a apporté au fondamentalisme religieux. Je ne remonterai pas à la guerre du Golfe mais aujourd’hui encore j’entends des voix françaises prôner le soutien en Syrie aux rebelles islamistes et même à Al-Nosra, filiale d’Al-Qaïda ! On marche sur la tête ! Il faut condamner avec force les actes anti-musulmans, et votre journal devrait le faire plus nettement et plus souvent en montrant non seulement le caractère odieux et criminel de ces actes mais aussi leur bêtise. Vous évoquez l’islamophobie. C’est un mauvais mot. Aucune religion ne doit être à l’abri du débat. Mais il faut flétrir le racisme aussi inadmissible vis-à-vis des Maghrébins que des Juifs. L’islam doit être respecté comme la religion de 1,8 milliard d’êtres humains, une religion née il y a mille cinq cents ans et qui s’est incarnée dans des civilisations qui furent parmi les plus brillantes de l’humanité. La réponse à l’inquiétude légitime de nos concitoyens est dans l’application ferme et même sévère de la loi républicaine. La République rassemble. Le communautarisme, quelle qu’en soit la forme, encourage les replis identitaires. Je ne pense pas que votre but soit de créer en France une communauté de plus, les « souchiens ». Ce ne serait pas rendre service à notre pays ! Agenda et médiasJean-Pierre Chevènement était l'invité de Jean-Michel Aphatie sur France Info, mercredi 14 septembre 2016.
Lire le verbatim réalisé par France Info.
Dépêche AFP, mercredi 14 septembre 2016, 10h36.
Jean-Pierre Chevènement ex-élu de Belfort, demande que "l'Etat monte au capital d'Alstom" pour pouvoir retrouver "confiance" en ses dirigeants, voyant dans la menace sur l'avenir du site belfortain un nouvel épisode de la "saga de la désindustrialisation de la France".
"La nationalisation, dans certains cas, partielle, temporaire, ça peut être un moyen d'orienter une stratégie. Je demande donc que l'Etat monte au capital, remplace Bouygues, aille même un peu plus loin, c'est-à-dire à la minorité de blocage, de façon à ce que nous puissions avoir confiance dans la direction d'Alstom, que nous pussions penser qu'il y a quand même une once de patriotisme économique dans la tête de ses dirigeants", a déclaré l'ancien ministre sur France info. "Il ne suffit pas que (le PDG) M. Poupart-Lafarge dise qu'on va surseoir pendant dix jours. L'usine de Belfort est l'usine-mère du groupe Alstom. C'est là qu'on fabrique en France les locomotives depuis 1879. (...) Du point de vue du ressenti historique, Alstom c'est Belfort", a-t-il fait valoir.
La fermeture par Alstom de l’usine de locomotives de Belfort qui y existe depuis plus de 140 ans, intervient au lendemain du départ de M. Macron. Celui-ci, en 2015, avait pris devant les salariés d’Alstom des engagements solennels en vue d’assurer le plan de charge de l’usine à travers notamment le programme « TGV du futur ».
Il ne sera pas moins nécessaire demain qu’hier à la SNCF d’acheter des locomotives de fret et des locomotives TGV. La cession d’Alstom-Power à General Electric en 2014 était censée renforcer Alstom-Transport. Celui-ci vient d’emporter un contrat de 2 milliards de dollars aux Etats-Unis mais les emplois créés seront tous américains. On attend du gouvernement de la France qu’il défende les usines françaises avec autant d’énergie que le gouvernement américain en mai pour promouvoir l’emploi industriel aux Etats-Unis. Particulièrement à Belfort où le taux de chômage est supérieur de trois points à la moyenne nationale. Quel symbole ce serait que la disparition de l’usine mère de Belfort ! Je demande au gouvernement et au Président de la République qui connait bien le dossier Alstom de faire en sorte que cette entreprise présente sans tarder un plan alternatif. Entretien de Jean-Pierre Chevènement à la Revue internationale et stratégique de l'IRIS, propos recueillis par Didier Billion et Marc Verzeroli, numéro 102, été 2016.
Revue Internationale et Stratégique: La défense de la nation républicaine constitue l’un des socles de votre positionnement politique. Comment la définissez-vous ?
Jean-Pierre Chevènement: La nation républicaine se définit comme une communauté de citoyens. La République est, depuis deux siècles, le nom moderne de la France. J’insiste donc sur cette identité républicaine, ce qui ne signifie pas que la France n’a pas existé avant la proclamation de la souveraineté nationale par la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen en 1789 – « le principe de toute souveraineté réside en la Nation ». C’est en français que les États généraux, la Constituante, puis l’Assemblée législative ont élaboré les éléments de ce qui allait fonder le contrat social républicain. Mais comment imaginer que la Révolution puisse être comprise si l’on fait abstraction du siècle des Lumières, de Rousseau, de Voltaire, de Montesquieu, de Montaigne et de combien d’autres ? La France est un long fleuve qui prend ses sources très loin dans le passé. Au VIe siècle, la coagulation entre l’Église, qui incarne ce qui reste du monde gallo-romain, et les tribus franques, dont Clovis est le chef, marque un point de départ. Le partage de l’empire de Charlemagne dessine également les contours de l’Europe future et, au XIIIe siècle, du règne de Philippe Auguste à celui de Louis IX, se dessine une première unité française à l’ombre des cathédrales et sous le chêne de Vincennes, où Saint Louis tient ses lits de justice. Il n’est ainsi pas douteux qu’après la croisade des Albigeois, qui rattache la France d’oc et la France d’oil, le règne de Saint Louis apparaisse comme un formidable cautérisant par rapport aux plaies durables qu’auraient pu engendrer cette croisade. Saint Louis a donc créé le royaume de France dans les cœurs, dans les âmes, et pas seulement par le fer. En outre, il faut toujours revenir à cette idée qu’émettait Napoléon : un pays a la politique de sa géographie. La France est un isthme entre la Méditerranée et la mer du Nord, et il n’y a de France sans un pouvoir qui tient bien arrimées cette France du Nord et cette France du Sud. La France est aussi un cap, celui de l’Eurasie, et, par conséquent, un pays de mélange et de métissage, puisque tous les flux humains finissent par y aboutir. J’ajoute que la France se définit par son indépendance, aussi bien à l’égard de l’Allemagne que de l’Angleterre, avec lesquelles elle aurait pu être fusionnée : l’Allemagne dans le cadre du Saint Empire romain germanique, dont la limite touchait la Meuse, la Saône et le Rhône mais dont les prétentions allaient bien au-delà ; Or le roi de France se voulant empereur en son royaume et ne reconnaissait donc pas la prétention à l’universalité du Saint-Empire. Par ailleurs, l’Angleterre avait une dynastie française : les Plantagenêt qui avaient d’immenses possessions en France, de l’Anjkou à l’Aquitaine. Le roi d’Angleterre se voulant roi de France, il fallut attendre Jeanne d’Arc et la bataille de Castillon pour que « l’Anglais soit bouté hors de France ». Tribune de Jean-Pierre Chevènement parue dans Le Monde, édition du vendredi 2 septembre 2016.
L'islam de France m'a toujours paru être une grande cause nationale. Avec 4,1 millions de fidèles, selon l'Institut national d'études démographiques (INED), il constitue la deuxième religion de France. Certes, tous les immigrés d'origine maghrébine, africaine ou turque, et pour la plupart de nationalité française, ne sont pas musulmans, mais ils le sont majoritairement.
Ils ont le droit de pratiquer leur culte. C'est pour favoriser leur intégration qu'en 1999 j'ai lancé une consultation réunissant les grandes sensibilités de l'islam présentes en France. Cette -consultation a permis d'élaborer une déclaration de principes afin de préciser les rapports entre les pouvoirs publics et le culte musulman. Les principes républicains ont été rappelés sans exclusive et le recensement a été fait de tout ce qu'ils permettaient. C'est sur cette base qu'a pu être créé en 2003 le Conseil français du culte musulman, Jacques Chirac étant président de la République et Nicolas Sarkozy, ministre de l'intérieur. J'ai moi-même approuvé cette création dont le bilan est souvent excessivement décrié, mais qui a l'immense mérite d'exister et qui a condamné fermement et publiquement les attentats terroristes en novembre 2015 par une déclaration lue dans toutes les mosquées de France. Le ministre de l'intérieur d'au-jourd'hui, Bernard Cazeneuve, dont j'apprécie la maîtrise qu'il a à la fois de ses dossiers et de sa parole, a souhaité relancer le processus initié il y a bientôt dix-sept ans, en créant une instance de dialogue permanente et en relançant la Fondation pour les œuvres de l'islam de France créée en 2005 par Dominique de Villepin, afin de surmonter les blocages qui l'avaient empêchée jusqu'à maintenant de fonctionner. Il m'a pressenti pour en prendre la présidence. Que s'agit-il de faire ? Dépêche AFP, mardi 30 août 2016.
Jean-Pierre Chevènement balaie les critiques sur sa nomination attendue à la tête de la Fondation pour l'islam de France et ses récentes déclarations, dénonçant des "procès d'intention fielleux" souvent mus par une "philosophie communautariste" dans un entretien au Figaro à paraître mercredi.
Après avoir invité les musulmans à la "discrétion", l'ancien ministre de l'Intérieur, âgé de 77 ans, a provoqué le trouble en affirmant sur France Inter qu'il y avait "à Saint-Denis, par exemple, 135 nationalités, mais il y en a une qui a quasiment disparu", alimentant selon ses détracteurs la théorie du "grand remplacement". "La plupart de ces critiques ont un arrière-plan politique : elles procèdent d'une philosophie communautariste que j'ai toujours combattue en tant que républicain laïc", réplique-t-il. Il s'agit de "procès d'intention fielleux qui me sont faits par quelques snipers de plume et de micro dont je suis la cible depuis très longtemps", ajoute-t-il. A propos de ces déclarations à France Inter, Jean-Pierre Chevènement dit avoir déploré le communautarisme et la disparition de la "classe ouvrière française", un "puissant facteur d'intégration". "Notamment à travers ses organisations politiques et syndicales ou à travers l'école où la maîtrise de la langue française n'est plus assurée dans les petites classes", justifie-t-il. |
Derniers tweets
Abonnez-vous à la newsletter
Dernières notes
Appel aux dons de la Fondation Res Publica
07/11/2024
Hommage à Jean-Paul Escande
19/10/2024
Actes du colloque de la Fondation Res Publica : "Laïcité : défis internes, défis externes"
09/09/2024
Hommage à Gérard Cureau
02/09/2024
Hommage à Louis Mermaz
19/08/2024
Derniers commentaires
Mots-clés des 30 derniers jours
|