Carnet de Jean-Pierre Chevènement



Hommage à Didier Motchane, par Jean-Pierre Chevènement, mairie de Montreuil, jeudi 2 novembre 2017.


Voici venu le moment de nous séparer ...

J’ai connu Didier il y a plus de cinquante ans. C’était à ma sortie de l’ENA. Je fus affecté en juin 1965 à la Direction des Relations Economiques extérieures, au bureau des Etudes. Le chef de bureau s’appelait Didier Motchane. Il était à peine rentré d’Iran où il avait été quelques années Conseiller Commercial. Il avait condensé son expérience dans l’austère revue à couverture vert sombre du Ministère de l’Economie et des Finances, sous un titre qui ne laissait pas d’interroger « Sur un marché persan ». La musique de Ketelbey accordée au pas du dromadaire montrait l’esprit facétieux du chamelier, à moins que ce ne fût celui du charmeur de serpents qui conclut ce morceau de bravoure.

Le travail du « bureau des Etudes » consistait à publier mensuellement les statistiques du commerce extérieur de la France en redressant les chiffres que nous communiquait la Direction générale des Douanes et en l’assortissant d’un commentaire avisé. Cette tâche redoutable nous laissait quelques loisirs que nous employâmes d’abord à prolonger les déjeuners dans les restaurants qui environnaient le Quai Branly, là où s’élève aujourd’hui les coupoles dorées de la Cathédrale Orthodoxe, dessinées et recouvertes d’or pâle par Wilmotte.

Je ne sais si l’inspiration divine était déjà là. Je venais d’adhérer avec Alain Gomez et Georges Sarre à la 14ème section de la Fédération de la Seine du parti socialiste. Didier était curieux. Le projet du Ceres encore balbutiant l’intéressait. Sa capacité d’abstraction lui en avait fait deviner les virtualités. Didier nous rejoignit donc à la 14ème section. Novembre 1965, François Mitterrand par la grâce de Waldeck Rochet, secrétaire général du PCF fut adoubé comme le « candidat unique de la gauche ». Il n’y avait pas grand monde autour de lui. Par l’intermédiaire de Pierre Soudet, un de mes anciens maîtres de conférences à l’ENA, nous voilà enrôlés comme petites plumes de François Mitterrand. Didier n’avait eu jusqu’alors qu’un rapport lointain à la politique. Ce qui l’intéressait c’était l’apparente folie du projet. Sa puissance d’abstraction lui faisait deviner les virtualités qu’il comportait pour une Histoire encore en gestation. Didier fit sien le projet du Ceres, lui donna sa formulation théorique et le développa partout avec cette forme d’éloquence créatrice d’énergie qui était sa marque.
Mots-clés : ceres didier motchane

Rédigé par Jean Pierre Chevenement le 3 Novembre 2017 à 08:18 | Permalien | Commentaires (0)

Carnet de Jean-Pierre Chevènement



Didier Motchane était une figure exceptionnelle. Sa disparition coïncide avec la fin du cycle d’Epinay. Didier Motchane a été avec Georges Sarre, Pierre Guidoni et moi-même, l’un des fondateurs du CERES, au mitan des années 1960. Il en a été ensuite l’infatigable animateur, comme de Socialisme et République et du Mouvement des Citoyens.

Son intelligence supérieure, sa vaste culture - il était poète à ses heures, son caractère ont porté l’exigence de notre mouvement et l’élan qu’il a donné à la gauche au-dessus de la grisaille de la « petite politique ».

Depuis plus de cinquante ans, Didier Motchane a été à mes côtés une conscience exigeante et fidèle. Ses vues profondes ont éclairé notre chemin. Toute sa vie, il a été un bloc de courage, un homme magnifique. Cette grande âme a affronté la mort comme il avait mené sa vie, sans ciller.

Sa mort me bouleverse profondément.
Mots-clés : ceres didier motchane

Rédigé par Jean Pierre Chevenement le 29 Octobre 2017 à 21:43 | Permalien | Commentaires (0)

Communiqué de Jean-Pierre Chevènement, ancien ministre.


Je m’inquiète des inflexions données à la politique familiale à travers la baisse de l’allocation de base de la Paje (Prestation d’accueil du jeune enfant) et des projets dont le rapporteur général Olivier Véran (LREM) a fait état. Ce n’est pas un signe opportun alors que la natalité française décline fortement, elle est passée de 832 800 naissances en 2010 à 785 000 naissances en 2016 (chiffres de l’Insee). Le taux de fécondité qui était de 2 en 2014 est à 1,93 en 2016.

La France risque de perdre l’avantage comparatif que lui donnait une démographie robuste en Europe par rapport à l’Italie, l’Allemagne, l’Espagne, la Pologne et même la Russie, déjà entrées dans un ‘hiver démographique’ lourd de conséquences à venir. Si la tendance française se confirme, seule la Grande-Bretagne semble pouvoir échapper à terme à un vieillissement rapide de la population européenne par rapport à celle des autres régions du monde.

le 26 Octobre 2017 à 16:40 | Permalien | Commentaires (0)

Jean-Pierre Chevènement était l'invité de Rebecca Fitoussi dans "On va plus loin" sur Public Sénat, mardi 24 octobre 2017.


Entretien de Jean-Pierre Chevènement à la revue Charles, propos recueillis par Loris Boichot, octobre 2017.


"La guerre a fait de moi un homme"
Revue Charles: Vous naissez le 9 mars 1939 à Belfort, six mois avant l’invasion de la Pologne par l’Allemagne qui marque le début de la Seconde Guerre mondiale. Vous effectuez ensuite votre service militaire en Algérie à la fin de la guerre d’indépendance. Diriez-vous que la guerre, la conscience du tragique qui résulte de l’expérience d’un conflit, est ce qui sépare votre génération de celle d’un Emmanuel Macron ?
Jean-Pierre Chevènement:
Devenir Président de la République à trente-neuf ans, c’est une expérience qui vaut mieux que l’expérience de la guerre. La guerre change profondément les hommes. En bien ou en mal. Quelquefois les deux.

Et vous, comment vous a-t-elle changé ?
Oh, elle a fait de moi un homme. Je n’étais pas un homme quand je suis parti en Algérie. J’étaisun grand adolescent à peine sorti de la belle bibliothèque de Sciences Po. L’essentiel de mon temps, je l’avais consacré à la rédaction d’un mémoire sur « La droite nationaliste française et l’Allemagne de 1870 à 1960 ». C’était pour moi, petit provincial sociologiquement « de gauche » un moyen de connaître la droite et ses différentes familles de pensée. Mais je n’avais que 21 ans. Quand je suis rentré deux ans et demi plus tard d’Algérie, j’avais été façonné par une expérience qui m’avait mis au cœur d’évènements où j’avais vu des gens tués près de moi et une société basculer. J’avais vu le massacre de Saint-Denis-du-Sig (un massacre de harkis le 19 mars 1962 suivi d’une « reprise en mains » sanglante, NDLR). Pendant l’insurrection de l’Organisation de l’armée secrète (OAS), j’avais vu des femmes de ménage algériennes assassinées dans la rue, le port d’Oran bombardé puis incendié. J’avais vu des officiers français assassinés par l’OAS : le général Ginestet et le colonel Randon. J’avais vu beaucoup de choses de très près… Quand on a fait la guerre, on est moins manichéen et en même temps on acquiert un certain sens de l’Histoire. On relativise et en même temps on anticipe mieux les choses … C’est ce que j’ai voulu faire à mon retour d’Algérie en 1963 en préparant « l’après de Gaulle », tout en essayant de conserver de son héritage ce qui méritait de l’être...

Intervention de Jean-Pierre Chevènement, ancien ministre au Colloque de la Fondation pour la Recherche Stratégique, « Résistance et Dissuasion », tenu le 5 octobre 2017 à la Bibliothèque Nationale de France.


Pour les peuples, la guerre est toujours le moment de la Vérité. C’est-dire qu’elles se gagnent ou se perdent longtemps à l’avance, en fonction des doctrines stratégiques, de l’effort consenti pour faire face aux menaces, de la qualité des hommes, de l’adéquation des systèmes d’armes et, plus que tout, d’un « vouloir vivre national ».

I. Si j’insiste sur ce dernier point, c’est qu’il ne peut pas y avoir de bonne défense pour un peuple qui se défait. Le patriotisme n’est pas seulement le ressort de l’esprit de sacrifice qu’on attend des soldats. Il est l’ultime garantie que la France saura surmonter demain les épreuves qui sont sur sa route, comme il permit hier à une petite élite exemplaire d’incarner la France Libre et de maintenir la République française au rang des vainqueurs de la Seconde guerre mondiale.

A. La dissuasion a ainsi été forgée par l’effort de tous ceux qui avaient ressenti la brûlure de 1940. C’est dans le souvenir du grand effondrement de notre pays que celui-ci a puisé la volonté de se doter d’un outil militaire qui lui permettrait de ne jamais plus connaître la honte de la capitulation ourdie par ceux que Marc Bloch appelait « les nouveaux Bazaine ».

« Jamais plus 1940 ! » voilà le cri silencieux des patriotes dans les générations qui ont suivi la Seconde guerre mondiale. Mais avec le temps qui passe, les souvenirs s’effacent.

De là à voir dans la dissuasion, comme l’écrit le philosophe allemand Sloterdijk, un simple « symptôme contraphobique », il n’y a qu’un pas que je ne franchirai pas, car la dissuasion est d’abord à mes yeux un outil politique, moyen pour la France de ne pas être entraînée dans « une guerre qui ne serait pas la sienne ».

Rédigé par Jean Pierre Chevenement le 14 Octobre 2017 à 08:21 | Permalien | Commentaires (4)

Les actes du colloque du 22 mai 2017 sont disponibles en ligne sur le site de la Fondation Res Publica.


Actes du colloque de la Fondation Res Publica: "Civilisation, avec ou sans s?"
  • Intervention de Régis Debray, Écrivain, philosophe, fondateur et directeur de la revue « Médium », auteur de « Civilisation. Comment nous sommes devenus américains » (Gallimard, mai 2017)

le 11 Octobre 2017 à 23:35 | Permalien | Commentaires (0)

Intervention de Jean-Pierre Chevènement, ancien ministre, au colloque organisé par la Fondation Charles de Gaulle dans le cadre du Festival du livre d’Histoire à Blois, le 6 octobre 2017.


Comme l’a montré le Professeur Philippe Raynaud dans « l’Esprit de la Vème République » (1), celle-ci est passée par plusieurs phases :

De la « République consulaire » (1958-1962) à la République présidentielle, dominée d’abord par un « quadrille bipolaire » (1962-1981) puis par un bipartisme de fait, amorcé en 1965 puis quasi institutionnalisé à partir des années 1980.

Ce bipartisme apparemment consensuel (sur les traités européens, de 1987 à 1992 et sur les orientations politiques qui en découlent) est cependant miné par la désaffection croissante des citoyens (recherche d’une alternative « citoyenne » et à défaut montée des extrêmes et de l’abstention).

Les deux partis de gouvernement (PS et RPR devenu UMP en 2002) bénéficient tous deux de la « rente institutionnelle » que procure le mode de scrutin majoritaire. « L’effet essuie-glaces » résume la vie politique de 1986 à 2012.

Mais ce système s’érode de l’intérieur quand la désaffection des électeurs l’emporte sur le vote habituel d’allégeance. C’est ainsi que le candidat du PS, Benoît Hamon, ne recueille plus que 6.33% des voix au premier tour des présidentielles de 2017. La percée d’Emmanuel Macron (24% des voix au premier tour) fait tomber dans la trappe le candidat de la droite (20%). Emmanuel Macron réussit à éliminer dès le premier tour les deux partis de gouvernement, ce à quoi j’ose dire que j’avais frayé la voie en 2002.

Rédigé par Jean Pierre Chevenement le 10 Octobre 2017 à 17:05 | Permalien | Commentaires (0)
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