Voici venu le moment de nous séparer ...
J’ai connu Didier il y a plus de cinquante ans. C’était à ma sortie de l’ENA. Je fus affecté en juin 1965 à la Direction des Relations Economiques extérieures, au bureau des Etudes. Le chef de bureau s’appelait Didier Motchane. Il était à peine rentré d’Iran où il avait été quelques années Conseiller Commercial. Il avait condensé son expérience dans l’austère revue à couverture vert sombre du Ministère de l’Economie et des Finances, sous un titre qui ne laissait pas d’interroger « Sur un marché persan ». La musique de Ketelbey accordée au pas du dromadaire montrait l’esprit facétieux du chamelier, à moins que ce ne fût celui du charmeur de serpents qui conclut ce morceau de bravoure.
Le travail du « bureau des Etudes » consistait à publier mensuellement les statistiques du commerce extérieur de la France en redressant les chiffres que nous communiquait la Direction générale des Douanes et en l’assortissant d’un commentaire avisé. Cette tâche redoutable nous laissait quelques loisirs que nous employâmes d’abord à prolonger les déjeuners dans les restaurants qui environnaient le Quai Branly, là où s’élève aujourd’hui les coupoles dorées de la Cathédrale Orthodoxe, dessinées et recouvertes d’or pâle par Wilmotte.
Je ne sais si l’inspiration divine était déjà là. Je venais d’adhérer avec Alain Gomez et Georges Sarre à la 14ème section de la Fédération de la Seine du parti socialiste. Didier était curieux. Le projet du Ceres encore balbutiant l’intéressait. Sa capacité d’abstraction lui en avait fait deviner les virtualités. Didier nous rejoignit donc à la 14ème section. Novembre 1965, François Mitterrand par la grâce de Waldeck Rochet, secrétaire général du PCF fut adoubé comme le « candidat unique de la gauche ». Il n’y avait pas grand monde autour de lui. Par l’intermédiaire de Pierre Soudet, un de mes anciens maîtres de conférences à l’ENA, nous voilà enrôlés comme petites plumes de François Mitterrand. Didier n’avait eu jusqu’alors qu’un rapport lointain à la politique. Ce qui l’intéressait c’était l’apparente folie du projet. Sa puissance d’abstraction lui faisait deviner les virtualités qu’il comportait pour une Histoire encore en gestation. Didier fit sien le projet du Ceres, lui donna sa formulation théorique et le développa partout avec cette forme d’éloquence créatrice d’énergie qui était sa marque.
J’ai connu Didier il y a plus de cinquante ans. C’était à ma sortie de l’ENA. Je fus affecté en juin 1965 à la Direction des Relations Economiques extérieures, au bureau des Etudes. Le chef de bureau s’appelait Didier Motchane. Il était à peine rentré d’Iran où il avait été quelques années Conseiller Commercial. Il avait condensé son expérience dans l’austère revue à couverture vert sombre du Ministère de l’Economie et des Finances, sous un titre qui ne laissait pas d’interroger « Sur un marché persan ». La musique de Ketelbey accordée au pas du dromadaire montrait l’esprit facétieux du chamelier, à moins que ce ne fût celui du charmeur de serpents qui conclut ce morceau de bravoure.
Le travail du « bureau des Etudes » consistait à publier mensuellement les statistiques du commerce extérieur de la France en redressant les chiffres que nous communiquait la Direction générale des Douanes et en l’assortissant d’un commentaire avisé. Cette tâche redoutable nous laissait quelques loisirs que nous employâmes d’abord à prolonger les déjeuners dans les restaurants qui environnaient le Quai Branly, là où s’élève aujourd’hui les coupoles dorées de la Cathédrale Orthodoxe, dessinées et recouvertes d’or pâle par Wilmotte.
Je ne sais si l’inspiration divine était déjà là. Je venais d’adhérer avec Alain Gomez et Georges Sarre à la 14ème section de la Fédération de la Seine du parti socialiste. Didier était curieux. Le projet du Ceres encore balbutiant l’intéressait. Sa capacité d’abstraction lui en avait fait deviner les virtualités. Didier nous rejoignit donc à la 14ème section. Novembre 1965, François Mitterrand par la grâce de Waldeck Rochet, secrétaire général du PCF fut adoubé comme le « candidat unique de la gauche ». Il n’y avait pas grand monde autour de lui. Par l’intermédiaire de Pierre Soudet, un de mes anciens maîtres de conférences à l’ENA, nous voilà enrôlés comme petites plumes de François Mitterrand. Didier n’avait eu jusqu’alors qu’un rapport lointain à la politique. Ce qui l’intéressait c’était l’apparente folie du projet. Sa puissance d’abstraction lui faisait deviner les virtualités qu’il comportait pour une Histoire encore en gestation. Didier fit sien le projet du Ceres, lui donna sa formulation théorique et le développa partout avec cette forme d’éloquence créatrice d’énergie qui était sa marque.
Ce qui distinguait Didier de nos autres camarades, c’était l’extrême courtoisie dont il ne se départissait jamais. Pour autant il n’était pas bourgeois. Au contraire, il n’aimait pas les bourgeois. Cela nous rapprochait. Nous ignorions de quel monde venait Didier. Il n’était pas dans notre forme d’esprit de le lui demander. Je ne sus que longtemps plus tard que son père, Léon Motchane, était le créateur de l’Institut des Hautes Etudes Scientifiques de Bure sur Yvette qui a produit moult « médailles Fields » (l’équivalent du Prix Nobel pour les mathématiques) quand celui-ci est venu me voir avec Renaud de la Genière alors gouverneur de la Banque de France pour solliciter l’appui du ministère de la Recherche. Ce grand mathématicien me fit forte impression. J’avais appris qu’il était né en Russie où ses parents avaient travaillé à la construction des chemins de fer russes avant la guerre de 1914. Je savais vaguement parce que je m’intéressais à l’Histoire des religions que sa mère était une des nièces de Salomon Reinach.
Didier, chef de bureau, me laissait beaucoup de temps pour nourrir les Cahiers du Ceres auxquels il contribuait lui aussi. De cette époque date une amitié que soudait un même regard sur les choses et sur les êtres.
Ainsi, dans L’Enarchie paru en 1967 nous nous étions répartis les chapitres : « l’enarchisant » fut confié à Gomez, « l’enarchiste » à moi-même, « l’Enarque », c’est-à-dire la chrysalide devenue papillon, en fait sobriquet de dérision, à Didier. C’était le chapitre le plus drôle. Mais l’unité du style rendait indiscernable l’auteur de tel ou tel chapitre … Celui qui me fait le plus rire, c’est celui où Didier égale La Bruyère dans la description des anciens de l’ENA selon que leur carrière les a projetés à l’Elysée ou au contraire relégués dans les tréfonds d’une Administration oubliée :
« Dans l’entrebâillement de deux vestons attentifs, je reconnais Adraste, autrefois répandu dans les clubs où les fonctionnaires gauchissent leur conscience … Le sourire policé dont il ponctue et componctue ses phrases trahit pourtant quelque souffrance intime : n’a-t-il pas dû, pour servir l’Etat comme l’y obligeait son talent, faire litière de ses inclinations politiques, et moudre une farine dont il ne voulait pas manger le pain ? Mais il explique à qui veut l’entendre – et qui ne voudrait pas entendre un aussi jeune Directeur de Cabinet ? – qu’il n’attend de la gauche qu’une deuxième rencontre – celle du pouvoir assurément – pour s’abandonner à la fidélité souterraine et ininterrompue qui le porte incessamment vers elle.
Roquet, que j’avise, trois pas plus loin, est un spéléologue d’un autre genre. Voué aux profondeurs d’une administration quasiment inconnue, comme un Joseph Prudhomme que Prud’hon aurait peint, vivante allégorie de la hargne, du bagne et de l’épargne, il promène dans ce brillant conclave un corps farouche qui semble fait de trois gros cailloux superposés. Son visage celtique porte les stigmates de sa passion pour la sécurité. Fureteur, inquiet jusqu’à l’os, son regard jamais ne s’arrête, parcourant l’assistance comme une échelle d’indices. C’est lui, je crois, qui, remarquant par mégarde au sortir d’un examen une fille un peu jolie, et que l’un d’entre nous connaissait, me dit qu’elle l’était trop pour être épousable. » (1)
Nous étions unis comme les doigts de la main. Ce que nous avons fait ensemble politiquement, nul ne l’aurait fait séparément ; tant était forte la vision anticipatrice qui nous poussait vers l’avant et donnait sens à l’engagement de ceux qui nous avaient rejoints. Et, faut-il le dire, il y avait aussi l’amitié fraternelle qui nous portait l’un vers l’autre, aussi dissemblables que nous fussions, Didier Motchane, Georges Sarre, Pierre Guidoni et moi-même. Nous croyions détenir le secret de fabrication d’une gauche et d’une France régénérées, transcendées par l’union du Peuple et de l’Etat et ainsi lavées de leurs trop évidentes imperfections.
Le CERES prit en 1969 la Fédération de Paris grâce à Georges Sarre et à ses postiers socialistes – j’aperçois Michel Jaurrey dans la salle. C’est Didier avec je crois Paul Calendra qui le dote alors d’un emblème destiné à faire le tour du monde, le poing et la Rose, la force et la douceur. Au lendemain d’Epinay, deux ans plus tard, le parti socialiste prit l’emblème à son compte. C’était le désir de François Mitterrand. Nous n’avons pas demandé de droits d’auteur pour l’usage que le PS en fit : pas assez de force pour trop peu de douceur !
Didier meurt alors que vient de se clore définitivement pour la gauche le cycle ouvert à Epinay en 1971. Faut-il y voir un symbole ?
Didier a été d’abord un homme politique. Membre du Comité Directeur du PS en 1971, puis de son bureau exécutif. Secrétaire National en 1973 chargé des relations internationales avec le Tiers-Monde puis à la Formation. Député européen de 1979 à 1989. Didier n’a pas eu le destin politique qu’il méritait. Les marchés ne nous faisaient pas rêver.
Didier était avant tout un écrivain, un penseur, un éducateur. L’éducateur d’une génération de militants.
Il est de la race des grands moralistes français mais il faisait sien le mot de Pascal : « La vraie morale se moque de la morale ». Il n’aimait pas la moraline.
Didier a beaucoup publié : Avec Alain Gomez et moi-même, « l’Enarchie » en 1967, « Socialisme ou social médiocratie » en 1969, et avec Pierre Guidoni, en 1983, « Le socialisme et la France », toujours sous le pseudonyme de Jacques Mandrin.
Sous son nom :
- en 1973, « Clés pour le socialisme », un manuel de régénération socialiste, entre Marx et Marcuse ;
- en 1979, « L’enlèvement de l’Europe », critique décapante de l’européisme, et apologie de l’Europe des nations ;
- en 1992, « Un atlantisme à la charentaise, de Jarnac à Maastricht, dix ans de politique étrangère », où il entrevoit clairement que c’est désormais du côté Sud du monde que viendront les plus grands défis de l’avenir (p. 39).
Didier, je l’ai dit, c’était d’abord un éducateur et un chercheur dont le verbe éclatant servait l’intelligence acharnée à serrer de près la mouvante réalité. Il fut l’infatigable directeur et rédacteur en chef de revues telles que « Frontières », « Repères », puis « Non », quand il fallut combattre le flot montant de ce que nous appelions la nouvelle petite bourgeoisie ou encore « la gauche américaine », c’est-à-dire l’abandon du social pour le sociétal, couverture du ralliement à l’hégémonie mondiale des Etats-Unis. Ce raidissement idéologique a reflété l’âpreté du combat. Il n’enlevait rien à l’exquise courtoisie de Didier, à son humour, à sa grande sensibilité nullement incompatible avec son côté farceur
Didier, après 2002, a pris du recul vis-à-vis d’une politique dont le parti socialiste, enkysté dans un pouvoir que n’arrivait pas à nimber sa religion européiste, bornait tristement l’horizon. Il a attendu 2010 pour publier « Voyage imaginaire à travers les mots du siècle » où il laisse libre cours à sa fantaisie.
Le cycle d’Epinay (1971) s’est définitivement clos en 2017.
Eclairons le rapport du pouvoir et du socialisme d’une anecdote : Un jour, c’était au lendemain des élections législatives de 1973, François Mitterrand m’a dit : « Des gens comme vous, j’en ai connus, qui se seraient fait tuer l’un pour l’autre, mais si je vous suivais, nous ne dépasserions pas cent cinquante députés. Nous n’aurions jamais le pouvoir. Or, le Pouvoir c’est la noblesse de la politique ». Il n’avait pas tort et le Ceres d’ailleurs fit preuve de beaucoup de flexibilité car nous n’avons jamais contesté la légitimité qu’avait François Mitterrand d’être notre candidat à la présidentielle.
Mais François Mitterrand n’avait pas tout à fait raison non plus, car « le pouvoir pour le pouvoir » n’a pas de sens, si on tourne le dos aux promesses fondatrices, fût-ce au prétexte d’une Europe éventée, je devrais dire, éventrée par le néolibéralisme. Le « dur désir de durer » dont parle, je crois, René Char, se transforme alors en sclérose progressive de la pensée et de l’action. Bien que François Mitterrand ait vu très tôt la « rente institutionnelle » dont les institutions de la Ve République allaient pourvoir le parti socialiste, comme d’ailleurs le RPR, parti dominant de la droite, le peuple français a fini par se lasser de l’« effet essuie-glaces » qui faisait se succéder le pareil et le même au gouvernement. Des traités européens - Acte Unique, Traité de Maastricht, traité budgétaire européen, etc. - découlait largement le reste. La concurrence était érigée en valeur paradigmatique d’un marché en voie de rapide mondialisation. Un paradigme, celui du vieil utilitarisme bourgeois, chassait l’autre, celui du « Changer la vie » qui impliquait la vertu, le dévouement à plus grand que soi, ou tout simplement le sens du service public.
Didier était un polémiste né. Le réquisitoire prend sous sa plume l’éclat de la foudre céleste frappant ceux qui ont tourné le dos aux promesses fondatrices :
« Chaque fois que se laisse enfler en majuscule
Le trou tonitruant d’une idée sans ferveur
Pire que de plier un genou sans rotule
De vos dévotions s’évente la saveur
Vous les rentiers gluants de la pensée des autres
Qui n’en prennent l’habit que pour le déchirer
Vieux chantres assourdis à bout de patenôtres
Déglutisseurs de mots très sinistres curés
Faites ici silence et ce matin peut-être
La vérité des cœurs se fera reconnaître »
Didier Motchane et Pierre Guidoni avaient écrit ensemble en 1983, sous le pseudonyme de Jacques Mandrin, un ouvrage intitulé « Le socialisme et la France ». Ils y mettaient en garde la gauche contre le désir de plaire car, « dès lors qu’on a décidé de séduire à tout prix, le prix ne cesse de s’élever, jusqu’au jour où la gauche, ayant adopté le programme de la droite, ses idées, ses méthodes, on peut alors la renvoyer. Qui, à ce moment, quand elle s’est déjà reniée, souhaiterait la défendre ? Ballet mélancolique »... Didier et Pierre résumaient, au moment où s’ouvrait la parenthèse libérale, le quart de siècle qui suivit. C’est en 1983 que Didier et Pierre concluaient leur livre : « Au cœur de notre action, il y a cette valeur qui a toujours été une des valeurs fondamentales de la gauche mais qui prend aujourd’hui tout son sens : le patriotisme. »
Ecoutez cette « Ode à la France » que je tire du « Voyage imaginaire » et qui éclaire l’histoire et la personnalité de Didier mieux que je ne saurais le faire :
« Tous les chemins mènent en France ; en cela aussi cette nation reste fille de Rome et fille de la République. Lieu commun que de rappeler que la République, refondatrice de la nation s’identifie à une France qui ne sera jamais terminée. … Le nom de la France est par tous les mots de sa langue ce qui fait ma patrie. Non pas la langue de mes pères, mais celle dans laquelle j’ai ouvert les yeux, la langue dans laquelle le monde m’a parlé. C’est la langue française qui montre le mieux que la Cité et le Verbe sont consubstantiels ; elle est en moi l’opération la plus pure de leur transsubstantiation. Les deux extrémités d’une chaîne, le bout Julien Benda (La France est une victoire de l’abstraction sur le concret) et le bout Michelet (la France est une personne). Mémoire d’une France invincible : invincible mémoire de la France ...
Cloué dans mon lit jusqu’à mes quatorze ans, je m’imagine rétrospectivement et à tort comme un enfant sans enfance, dans cette situation qui faisait précéder pour moi dans une large mesure l’appréhension sensuelle de l’univers par la découverte intellectuelle du monde. Je me souviens surtout du jour auquel je pense encore comme celui de ma découverte, de ma vraie découverte du monde : celui où, pour la première fois depuis mes huit ans – j’en avais quatorze ce jour-là il me semble – , je pus sortir de ma chambre et marcher à l’air libre, respirer librement à pleins poumons. Je m’en souviens vraiment, de ces premiers pas dans la rue et de l’exaltation qui m’a saisi à me sentir brusquement assailli par l’inépuisable profusion du monde. Ce monde tel qu’il est né à ma conscience et dont chaque parcelle a la couleur d’un mot français, il me semble encore aujourd’hui ne pouvoir le parler que dans leur langue. Non que je ne me sois astreint plus tard, souvent avec plaisir, à le lire comme par les yeux d’un autre dans d’autres langages, mais sans guère pouvoir jamais m’empêcher d’en faire instantanément et malgré moi la traduction. Alpha et Oméga de ma patrie, le langage français tel que je l’entends est doué de cette grâce inhérente à la langue qui continue d’opérer en moi la création du monde, sa poésie. »
Didier Motchane laissera une trace profonde. Son beau visage exprimait toute la noblesse d’un homme qui avait su surmonter l’épreuve cruelle d’une enfance fracassée et l’avait sublimée dans la recherche de la beauté et dans l’exigence de la vérité et de la justice. Nous lui devons, je lui dois, beaucoup.
Didier était à mes côtés une conscience exigeante mais fidèle. Il n’était pas homme à faire des concessions. Mais il acceptait aussi, sans jamais renier rien de ce qu’il pensait, de ne pas avoir raison tout seul. Il fallait pour cela une grande confiance que nous nous faisions mutuellement. Nous n’étions pas spontanément d’accord sur tout mais nous finissions toujours par y arriver. Ou presque toujours. En 1995, il fallut un vote du Conseil National du MDC pour nous départager sur le soutien qu’il fallait – ou non – apporter à la candidature de Lionel Jospin. Mais si je souhaitais le faire, c’était bien sûr pour infléchir sa ligne. Didier l’a accepté dès lors qu’il savait que je resterais fidèle à notre engagement fondateur.
Après 2002, il a jugé, à juste titre, qu’on ne pouvait pas refaire le MDC. Il avait tout à fait raison. Il fallait maintenir la ligne du « Pôle républicain ». Mais on ne peut pas le faire tout seul. Et il n’était pas possible de laisser sur le côté de vieux camarades qui nous avaient suivis sans toujours comprendre qu’« au-dessus de la droite et de la gauche telles qu’elles sont devenues, il y a la République ».
Quinze ans après, il faut reconnaître deux mérites à Emmanuel Macron. Par son élection, il a renvoyé aux oubliettes de l’Histoire un bipartisme qui depuis longtemps n’avait plus de sens. Il a ensuite réhabilité la décision politique et le mouvement, rompant ainsi avec l’immobilisme des trois héritiers de M. Queuille qu’ont été très consciemment François Mitterrand, Jacques Chirac et François Hollande.
L’esprit dialectique de Didier n’aurait pas manqué d’interroger le troisième mouvement qui découle de l’« en même temps ». Didier était un dialecticien et un créateur. L’invention de l’avenir l’a toujours motivé. Comme il doit motiver les jeunes générations que nous avons entendu s’exprimer. Je veux saluer, outre le maire de Montreuil, M. Patrice Bessac, que je veux remercier vivement pour son accueil, Gaël Brustier, Philippe Corcuff, Dominique Garabiol, Didier Leschi, Laurent Roth. Je veux aussi remercier de leur présence Messieurs Arnaud Montebourg et Alexis Corbière.
Le long combat que nous avons entrepris, il y a plus de cinquante ans, n’aura pas été vain si dans un contexte radicalement nouveau, dans un monde qui, en quarante ans, a profondément changé, cette même valeur du patriotisme peut encore guider nos pas non vers la Terre promise que nous n’avons jamais foulée, mais vers une France libre et juste dans une Europe européenne. Dans une de nos dernières conversations – il y a moins de quinze jours – Didier m’a dit qu’il était heureux. Il pensait comme moi que ce que nous avions semé pendant cinquante ans, germerait dans les cinquante ans qui viennent. Pas plus que l’idéal de la liberté, l’idéal de la justice ne peut mourir.
Didier était un créateur et il aimait les créateurs, n’est-ce pas Dominique ? Didier avait un talent que les éditeurs d’aujourd’hui ne reconnaissent plus : il était poète. Et il l’était naturellement. Il écrivait des poèmes à l’âge de quatorze ans. Celui-ci, de 1945, prémonitoire :
« Qu’allais-je faire un jour de cette rime éparse
Que je viens de jeter en travers du papier
Promesse du futur s’élevant jusqu’au pied
Du cortège d’un rêve où finissent mes farces
Reprenant tour à tour un visage qui spasm-
Odiquement retombe au fond de ce panier
A salade ou à son si vous le désirez
Pour régenter les fous j’imiterai Erasme »
Et celui, révolutionnaire, du 15 février 2010 :
« J’aime la musique ferroviaire
Dont les trains qui partent
N’arrivent jamais
Que ce soit mon unique et profane prière
Rebattre les cartes
Quand Dieu n’y peut mais »
Didier était un homme magnifique. Il a donné une haute idée de la grandeur humaine. Sa noblesse d’âme se voyait sur son visage. Sa perte est pour moi celle d’un ami incomparable et irremplaçable.
Ai-je besoin de dire à Dominique, sa femme, à Jean-Frédéric et à Emmanuel ses fils, à Jean-Loup son frère, à sa famille, à Anne, à tous ses proches, qu’ils ne sont pas seuls à le pleurer …
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1) Ces citations n’ont pas été prononcées à Montreuil.
Nota Bene: Ce discours n’a pas été intégralement prononcé à la cérémonie de Montreuil. Par ailleurs, je me suis écarté à plusieurs reprises de ce texte qui n’en traduit pas moins ma pensée.
Didier, chef de bureau, me laissait beaucoup de temps pour nourrir les Cahiers du Ceres auxquels il contribuait lui aussi. De cette époque date une amitié que soudait un même regard sur les choses et sur les êtres.
Ainsi, dans L’Enarchie paru en 1967 nous nous étions répartis les chapitres : « l’enarchisant » fut confié à Gomez, « l’enarchiste » à moi-même, « l’Enarque », c’est-à-dire la chrysalide devenue papillon, en fait sobriquet de dérision, à Didier. C’était le chapitre le plus drôle. Mais l’unité du style rendait indiscernable l’auteur de tel ou tel chapitre … Celui qui me fait le plus rire, c’est celui où Didier égale La Bruyère dans la description des anciens de l’ENA selon que leur carrière les a projetés à l’Elysée ou au contraire relégués dans les tréfonds d’une Administration oubliée :
« Dans l’entrebâillement de deux vestons attentifs, je reconnais Adraste, autrefois répandu dans les clubs où les fonctionnaires gauchissent leur conscience … Le sourire policé dont il ponctue et componctue ses phrases trahit pourtant quelque souffrance intime : n’a-t-il pas dû, pour servir l’Etat comme l’y obligeait son talent, faire litière de ses inclinations politiques, et moudre une farine dont il ne voulait pas manger le pain ? Mais il explique à qui veut l’entendre – et qui ne voudrait pas entendre un aussi jeune Directeur de Cabinet ? – qu’il n’attend de la gauche qu’une deuxième rencontre – celle du pouvoir assurément – pour s’abandonner à la fidélité souterraine et ininterrompue qui le porte incessamment vers elle.
Roquet, que j’avise, trois pas plus loin, est un spéléologue d’un autre genre. Voué aux profondeurs d’une administration quasiment inconnue, comme un Joseph Prudhomme que Prud’hon aurait peint, vivante allégorie de la hargne, du bagne et de l’épargne, il promène dans ce brillant conclave un corps farouche qui semble fait de trois gros cailloux superposés. Son visage celtique porte les stigmates de sa passion pour la sécurité. Fureteur, inquiet jusqu’à l’os, son regard jamais ne s’arrête, parcourant l’assistance comme une échelle d’indices. C’est lui, je crois, qui, remarquant par mégarde au sortir d’un examen une fille un peu jolie, et que l’un d’entre nous connaissait, me dit qu’elle l’était trop pour être épousable. » (1)
Nous étions unis comme les doigts de la main. Ce que nous avons fait ensemble politiquement, nul ne l’aurait fait séparément ; tant était forte la vision anticipatrice qui nous poussait vers l’avant et donnait sens à l’engagement de ceux qui nous avaient rejoints. Et, faut-il le dire, il y avait aussi l’amitié fraternelle qui nous portait l’un vers l’autre, aussi dissemblables que nous fussions, Didier Motchane, Georges Sarre, Pierre Guidoni et moi-même. Nous croyions détenir le secret de fabrication d’une gauche et d’une France régénérées, transcendées par l’union du Peuple et de l’Etat et ainsi lavées de leurs trop évidentes imperfections.
Le CERES prit en 1969 la Fédération de Paris grâce à Georges Sarre et à ses postiers socialistes – j’aperçois Michel Jaurrey dans la salle. C’est Didier avec je crois Paul Calendra qui le dote alors d’un emblème destiné à faire le tour du monde, le poing et la Rose, la force et la douceur. Au lendemain d’Epinay, deux ans plus tard, le parti socialiste prit l’emblème à son compte. C’était le désir de François Mitterrand. Nous n’avons pas demandé de droits d’auteur pour l’usage que le PS en fit : pas assez de force pour trop peu de douceur !
Didier meurt alors que vient de se clore définitivement pour la gauche le cycle ouvert à Epinay en 1971. Faut-il y voir un symbole ?
Didier a été d’abord un homme politique. Membre du Comité Directeur du PS en 1971, puis de son bureau exécutif. Secrétaire National en 1973 chargé des relations internationales avec le Tiers-Monde puis à la Formation. Député européen de 1979 à 1989. Didier n’a pas eu le destin politique qu’il méritait. Les marchés ne nous faisaient pas rêver.
Didier était avant tout un écrivain, un penseur, un éducateur. L’éducateur d’une génération de militants.
Il est de la race des grands moralistes français mais il faisait sien le mot de Pascal : « La vraie morale se moque de la morale ». Il n’aimait pas la moraline.
Didier a beaucoup publié : Avec Alain Gomez et moi-même, « l’Enarchie » en 1967, « Socialisme ou social médiocratie » en 1969, et avec Pierre Guidoni, en 1983, « Le socialisme et la France », toujours sous le pseudonyme de Jacques Mandrin.
Sous son nom :
- en 1973, « Clés pour le socialisme », un manuel de régénération socialiste, entre Marx et Marcuse ;
- en 1979, « L’enlèvement de l’Europe », critique décapante de l’européisme, et apologie de l’Europe des nations ;
- en 1992, « Un atlantisme à la charentaise, de Jarnac à Maastricht, dix ans de politique étrangère », où il entrevoit clairement que c’est désormais du côté Sud du monde que viendront les plus grands défis de l’avenir (p. 39).
Didier, je l’ai dit, c’était d’abord un éducateur et un chercheur dont le verbe éclatant servait l’intelligence acharnée à serrer de près la mouvante réalité. Il fut l’infatigable directeur et rédacteur en chef de revues telles que « Frontières », « Repères », puis « Non », quand il fallut combattre le flot montant de ce que nous appelions la nouvelle petite bourgeoisie ou encore « la gauche américaine », c’est-à-dire l’abandon du social pour le sociétal, couverture du ralliement à l’hégémonie mondiale des Etats-Unis. Ce raidissement idéologique a reflété l’âpreté du combat. Il n’enlevait rien à l’exquise courtoisie de Didier, à son humour, à sa grande sensibilité nullement incompatible avec son côté farceur
Didier, après 2002, a pris du recul vis-à-vis d’une politique dont le parti socialiste, enkysté dans un pouvoir que n’arrivait pas à nimber sa religion européiste, bornait tristement l’horizon. Il a attendu 2010 pour publier « Voyage imaginaire à travers les mots du siècle » où il laisse libre cours à sa fantaisie.
Le cycle d’Epinay (1971) s’est définitivement clos en 2017.
Eclairons le rapport du pouvoir et du socialisme d’une anecdote : Un jour, c’était au lendemain des élections législatives de 1973, François Mitterrand m’a dit : « Des gens comme vous, j’en ai connus, qui se seraient fait tuer l’un pour l’autre, mais si je vous suivais, nous ne dépasserions pas cent cinquante députés. Nous n’aurions jamais le pouvoir. Or, le Pouvoir c’est la noblesse de la politique ». Il n’avait pas tort et le Ceres d’ailleurs fit preuve de beaucoup de flexibilité car nous n’avons jamais contesté la légitimité qu’avait François Mitterrand d’être notre candidat à la présidentielle.
Mais François Mitterrand n’avait pas tout à fait raison non plus, car « le pouvoir pour le pouvoir » n’a pas de sens, si on tourne le dos aux promesses fondatrices, fût-ce au prétexte d’une Europe éventée, je devrais dire, éventrée par le néolibéralisme. Le « dur désir de durer » dont parle, je crois, René Char, se transforme alors en sclérose progressive de la pensée et de l’action. Bien que François Mitterrand ait vu très tôt la « rente institutionnelle » dont les institutions de la Ve République allaient pourvoir le parti socialiste, comme d’ailleurs le RPR, parti dominant de la droite, le peuple français a fini par se lasser de l’« effet essuie-glaces » qui faisait se succéder le pareil et le même au gouvernement. Des traités européens - Acte Unique, Traité de Maastricht, traité budgétaire européen, etc. - découlait largement le reste. La concurrence était érigée en valeur paradigmatique d’un marché en voie de rapide mondialisation. Un paradigme, celui du vieil utilitarisme bourgeois, chassait l’autre, celui du « Changer la vie » qui impliquait la vertu, le dévouement à plus grand que soi, ou tout simplement le sens du service public.
Didier était un polémiste né. Le réquisitoire prend sous sa plume l’éclat de la foudre céleste frappant ceux qui ont tourné le dos aux promesses fondatrices :
« Chaque fois que se laisse enfler en majuscule
Le trou tonitruant d’une idée sans ferveur
Pire que de plier un genou sans rotule
De vos dévotions s’évente la saveur
Vous les rentiers gluants de la pensée des autres
Qui n’en prennent l’habit que pour le déchirer
Vieux chantres assourdis à bout de patenôtres
Déglutisseurs de mots très sinistres curés
Faites ici silence et ce matin peut-être
La vérité des cœurs se fera reconnaître »
Didier Motchane et Pierre Guidoni avaient écrit ensemble en 1983, sous le pseudonyme de Jacques Mandrin, un ouvrage intitulé « Le socialisme et la France ». Ils y mettaient en garde la gauche contre le désir de plaire car, « dès lors qu’on a décidé de séduire à tout prix, le prix ne cesse de s’élever, jusqu’au jour où la gauche, ayant adopté le programme de la droite, ses idées, ses méthodes, on peut alors la renvoyer. Qui, à ce moment, quand elle s’est déjà reniée, souhaiterait la défendre ? Ballet mélancolique »... Didier et Pierre résumaient, au moment où s’ouvrait la parenthèse libérale, le quart de siècle qui suivit. C’est en 1983 que Didier et Pierre concluaient leur livre : « Au cœur de notre action, il y a cette valeur qui a toujours été une des valeurs fondamentales de la gauche mais qui prend aujourd’hui tout son sens : le patriotisme. »
Ecoutez cette « Ode à la France » que je tire du « Voyage imaginaire » et qui éclaire l’histoire et la personnalité de Didier mieux que je ne saurais le faire :
« Tous les chemins mènent en France ; en cela aussi cette nation reste fille de Rome et fille de la République. Lieu commun que de rappeler que la République, refondatrice de la nation s’identifie à une France qui ne sera jamais terminée. … Le nom de la France est par tous les mots de sa langue ce qui fait ma patrie. Non pas la langue de mes pères, mais celle dans laquelle j’ai ouvert les yeux, la langue dans laquelle le monde m’a parlé. C’est la langue française qui montre le mieux que la Cité et le Verbe sont consubstantiels ; elle est en moi l’opération la plus pure de leur transsubstantiation. Les deux extrémités d’une chaîne, le bout Julien Benda (La France est une victoire de l’abstraction sur le concret) et le bout Michelet (la France est une personne). Mémoire d’une France invincible : invincible mémoire de la France ...
Cloué dans mon lit jusqu’à mes quatorze ans, je m’imagine rétrospectivement et à tort comme un enfant sans enfance, dans cette situation qui faisait précéder pour moi dans une large mesure l’appréhension sensuelle de l’univers par la découverte intellectuelle du monde. Je me souviens surtout du jour auquel je pense encore comme celui de ma découverte, de ma vraie découverte du monde : celui où, pour la première fois depuis mes huit ans – j’en avais quatorze ce jour-là il me semble – , je pus sortir de ma chambre et marcher à l’air libre, respirer librement à pleins poumons. Je m’en souviens vraiment, de ces premiers pas dans la rue et de l’exaltation qui m’a saisi à me sentir brusquement assailli par l’inépuisable profusion du monde. Ce monde tel qu’il est né à ma conscience et dont chaque parcelle a la couleur d’un mot français, il me semble encore aujourd’hui ne pouvoir le parler que dans leur langue. Non que je ne me sois astreint plus tard, souvent avec plaisir, à le lire comme par les yeux d’un autre dans d’autres langages, mais sans guère pouvoir jamais m’empêcher d’en faire instantanément et malgré moi la traduction. Alpha et Oméga de ma patrie, le langage français tel que je l’entends est doué de cette grâce inhérente à la langue qui continue d’opérer en moi la création du monde, sa poésie. »
Didier Motchane laissera une trace profonde. Son beau visage exprimait toute la noblesse d’un homme qui avait su surmonter l’épreuve cruelle d’une enfance fracassée et l’avait sublimée dans la recherche de la beauté et dans l’exigence de la vérité et de la justice. Nous lui devons, je lui dois, beaucoup.
Didier était à mes côtés une conscience exigeante mais fidèle. Il n’était pas homme à faire des concessions. Mais il acceptait aussi, sans jamais renier rien de ce qu’il pensait, de ne pas avoir raison tout seul. Il fallait pour cela une grande confiance que nous nous faisions mutuellement. Nous n’étions pas spontanément d’accord sur tout mais nous finissions toujours par y arriver. Ou presque toujours. En 1995, il fallut un vote du Conseil National du MDC pour nous départager sur le soutien qu’il fallait – ou non – apporter à la candidature de Lionel Jospin. Mais si je souhaitais le faire, c’était bien sûr pour infléchir sa ligne. Didier l’a accepté dès lors qu’il savait que je resterais fidèle à notre engagement fondateur.
Après 2002, il a jugé, à juste titre, qu’on ne pouvait pas refaire le MDC. Il avait tout à fait raison. Il fallait maintenir la ligne du « Pôle républicain ». Mais on ne peut pas le faire tout seul. Et il n’était pas possible de laisser sur le côté de vieux camarades qui nous avaient suivis sans toujours comprendre qu’« au-dessus de la droite et de la gauche telles qu’elles sont devenues, il y a la République ».
Quinze ans après, il faut reconnaître deux mérites à Emmanuel Macron. Par son élection, il a renvoyé aux oubliettes de l’Histoire un bipartisme qui depuis longtemps n’avait plus de sens. Il a ensuite réhabilité la décision politique et le mouvement, rompant ainsi avec l’immobilisme des trois héritiers de M. Queuille qu’ont été très consciemment François Mitterrand, Jacques Chirac et François Hollande.
L’esprit dialectique de Didier n’aurait pas manqué d’interroger le troisième mouvement qui découle de l’« en même temps ». Didier était un dialecticien et un créateur. L’invention de l’avenir l’a toujours motivé. Comme il doit motiver les jeunes générations que nous avons entendu s’exprimer. Je veux saluer, outre le maire de Montreuil, M. Patrice Bessac, que je veux remercier vivement pour son accueil, Gaël Brustier, Philippe Corcuff, Dominique Garabiol, Didier Leschi, Laurent Roth. Je veux aussi remercier de leur présence Messieurs Arnaud Montebourg et Alexis Corbière.
Le long combat que nous avons entrepris, il y a plus de cinquante ans, n’aura pas été vain si dans un contexte radicalement nouveau, dans un monde qui, en quarante ans, a profondément changé, cette même valeur du patriotisme peut encore guider nos pas non vers la Terre promise que nous n’avons jamais foulée, mais vers une France libre et juste dans une Europe européenne. Dans une de nos dernières conversations – il y a moins de quinze jours – Didier m’a dit qu’il était heureux. Il pensait comme moi que ce que nous avions semé pendant cinquante ans, germerait dans les cinquante ans qui viennent. Pas plus que l’idéal de la liberté, l’idéal de la justice ne peut mourir.
Didier était un créateur et il aimait les créateurs, n’est-ce pas Dominique ? Didier avait un talent que les éditeurs d’aujourd’hui ne reconnaissent plus : il était poète. Et il l’était naturellement. Il écrivait des poèmes à l’âge de quatorze ans. Celui-ci, de 1945, prémonitoire :
« Qu’allais-je faire un jour de cette rime éparse
Que je viens de jeter en travers du papier
Promesse du futur s’élevant jusqu’au pied
Du cortège d’un rêve où finissent mes farces
Reprenant tour à tour un visage qui spasm-
Odiquement retombe au fond de ce panier
A salade ou à son si vous le désirez
Pour régenter les fous j’imiterai Erasme »
Et celui, révolutionnaire, du 15 février 2010 :
« J’aime la musique ferroviaire
Dont les trains qui partent
N’arrivent jamais
Que ce soit mon unique et profane prière
Rebattre les cartes
Quand Dieu n’y peut mais »
Didier était un homme magnifique. Il a donné une haute idée de la grandeur humaine. Sa noblesse d’âme se voyait sur son visage. Sa perte est pour moi celle d’un ami incomparable et irremplaçable.
Ai-je besoin de dire à Dominique, sa femme, à Jean-Frédéric et à Emmanuel ses fils, à Jean-Loup son frère, à sa famille, à Anne, à tous ses proches, qu’ils ne sont pas seuls à le pleurer …
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1) Ces citations n’ont pas été prononcées à Montreuil.
Nota Bene: Ce discours n’a pas été intégralement prononcé à la cérémonie de Montreuil. Par ailleurs, je me suis écarté à plusieurs reprises de ce texte qui n’en traduit pas moins ma pensée.