Monsieur le Président, Monsieur le Ministre, mes chers collègues,
Comme chaque année, l’examen des crédits de votre Ministère est l’occasion de nous interroger sur vos moyens et sur la manière dont vous les mettez en œuvre, à travers la politique étrangère de notre pays.
Comme vous l’avez-vous-même souligné devant la Commission des Affaires Etrangères et de la Défense, les effectifs de votre ministère diminueront de 2 %, soit près 255 emplois temps plein, pour n’atteindre plus que 15 564 et les moyens de fonctionnement, à Paris et dans les postes diplomatiques, diminueront également de 2 %. Vous parlez de « modernisation » : en fait, les réductions que vous opérez, ainsi pour raccourcir la liste des ambassades à missions spécifiques ou, paradoxalement, diminuer la taille des ambassades à missions élargies, ou encore les fusions censées faire naître une nouvelle Agence dédiée à l’expertise et à la mobilité internationales, à partir de trois structures, Campusfrance, FCI et Egide qui ont fait leurs preuves, ou encore d’une Agence interministérielle pour remplacer « Culturesfrance », ne peuvent donner que des résultats problématiques.
Comme chaque année, l’examen des crédits de votre Ministère est l’occasion de nous interroger sur vos moyens et sur la manière dont vous les mettez en œuvre, à travers la politique étrangère de notre pays.
Comme vous l’avez-vous-même souligné devant la Commission des Affaires Etrangères et de la Défense, les effectifs de votre ministère diminueront de 2 %, soit près 255 emplois temps plein, pour n’atteindre plus que 15 564 et les moyens de fonctionnement, à Paris et dans les postes diplomatiques, diminueront également de 2 %. Vous parlez de « modernisation » : en fait, les réductions que vous opérez, ainsi pour raccourcir la liste des ambassades à missions spécifiques ou, paradoxalement, diminuer la taille des ambassades à missions élargies, ou encore les fusions censées faire naître une nouvelle Agence dédiée à l’expertise et à la mobilité internationales, à partir de trois structures, Campusfrance, FCI et Egide qui ont fait leurs preuves, ou encore d’une Agence interministérielle pour remplacer « Culturesfrance », ne peuvent donner que des résultats problématiques.
La vérité c’est que vous êtes prisonnier de la RGPP et que vous ne pourrez maintenir, au fil des réductions qui se succèdent année après année, la présence universelle de notre diplomatie dont vous convenez vous-même qu’elle est encore l’un de ses principaux atouts. La légère progression de 413 à 420 millions d’euros des moyens accordés à l’Agence pour l’enseignement français à l’étranger ne peuvent compenser l’alourdissement de ses charges, du fait de l’augmentation des cotisations de retraite de ses employés. De même, il serait souhaitable de revenir sur l’engagement pris à la légère, de financer les frais de scolarité des lycéens français. Il y a d’autres priorités : ainsi les bourses accordées aux étudiants étrangers qui vont baisser très fortement.
Constatons enfin que vos crédits sont de plus en plus utilisés dans le cadre d’organisations internationales. Ces actions – notamment celles consacrées par l’ONU au maintien de la paix – gagneraient en légitimité si elles étaient mieux contrôlées. Nos participations internationales amputent les moyens dévolus aux actions bilatérales dont notre rapporteur, M. Trillard, a souligné justement qu’elles contribuaient de manière déterminante à notre rayonnement à l’étranger. Peut-on en dire autant de nos contributions financières aux tribunaux pénaux pour l’ex-Yougoslavie – 9,7 millions d’euros – ou pour le Rwanda 8,2 millions d’euros ? Ne serait-il pas temps de les réduire drastiquement ? De même un audit sur l’Institut universitaire européen de Florence (4,5 millions d’euros) permettrait-il sans doute de faire quelques économies bien utiles ailleurs, y compris dans le domaine de la recherche.
Le soutien au multilatéralisme dont vous vous réclamez n’est bien souvent qu’un des aspects de l’effacement de la France. La réduction de nos moyens propres traduit le rétrécissement de nos ambitions.
Deux grands évènements ont marqué l’année 2009. La réintégration par la France des structures militaires de l’OTAN et la ratification du traité de Lisbonne.
Ce furent deux marches que la France a descendues par rapport au point élevé où l’avait placée l’Histoire, la volonté de nos grands hommes d’Etat au siècle dernier – je pense particulièrement à Clémenceau et à De Gaulle – ainsi que l’effort et le sacrifice de millions de Français.
La réintégration des structures militaires de l’OTAN que personne ne nous demandait, n’a obéi qu’à la pulsion « occidentaliste » du Président de la République : selon lui, la France n’appartient pas d’abord à la famille des nations mais à celle des nations occidentales : c’est un moins, un manquement au principe d’universalité dont la France s’était faite historiquement le héraut. Cette réintégration est un frein au développement de nos relations avec les grands pays émergents dont le Président de la République ressent lui-même la nécessité comme en témoignent ses déplacements au Brésil par exemple, car là est l’avenir du monde, et par conséquent celui de la France.
Ce retour au bercail de l’OTAN s’est de surcroît fait à contretemps : comme j’ai déjà eu l’occasion de vous le dire, vous retardez d’un Président américain. Vous rêviez de Bush et vous avez rencontré Obama. Celui-ci entend, bien entendu, restaurer le leadership des Etats-Unis, mais il vous prend à contrepied en maints domaines :
- Le Proche-Orient d’abord, où le Président Obama avait pointé l’illégitimité des colonies israéliennes en Cisjordanie avant, il est vrai, de s’incliner devant le fait accompli. Sur ce sujet, on ne vous a guère entendu et pourtant vous savez bien que toute idée de réforme et de modernisation dans le monde musulman ne progressera que s’il est mis fin à la politique du « deux poids, deux mesures ». Mais il n’est pas trop tard pour faire entendre plus fermement que vous ne le faites la voix de la France et son refus du fait accompli de la colonisation permanente des territoires palestiniens. Ce serait une piqure de rappel utile, y compris par rapport aux engagements qu’avait pris le nouveau Président américain au lendemain de son élection.
Sur l’Iran, à l’inverse, on entend beaucoup trop dans votre bouche et dans celle du Président de la République le langage de la dramatisation et de la menace, comme si à chaque occasion, vous cherchiez à mettre de l’huile sur le feu. Vous n’avez - hélas - pas à craindre le succès de la voie diplomatique : l’aveuglement des dirigeants iraniens n’aura eu d’égal jusqu’ici que celui de l’Administration Bush refusant d’ouvrir le dialogue quand il en était temps avec le Président Khatami. Mme Clinton n’a pas complètement fermé la porte à la reprise du dialogue d’ici la fin de l’année, mais force est de constater que l’obstination des dirigeants iraniens à ne pas répondre aux demandes de l’AIEA conduira logiquement le Conseil de Sécurité à durcir sa position.
La question de l’ordre nucléaire mondial, tel que le TNP l’a défini est posée. La France doit défendre le TNP par des moyens qui laissent la porte ouverte à un changement d’attitude de Téhéran. Notre intérêt est dans la stabilité du Moyen-Orient. Nous devons prendre en compte aussi la société iranienne et pas seulement le régime qui apparemment trouve son intérêt dans la radicalisation du conflit. Le dossier nucléaire est un moyen de gesticulation à la fois interne et externe et c’est cette dimension que notre expression doit aussi – me semble-t-il – prendre en compte.
Je ne reviendrai pas sur la question de l’Afghanistan. Je regrette seulement que la France n’ait pas su trouver l’occasion d’une expression autonome. Le gouvernement nous a si souvent assurés que la réintégration de l’OTAN ne nuirait pas à l’autonomie des décisions de la France que je m’étonne encore que, dans cette affaire, vous ayez donné l’impression d’un suivisme complet. Il y avait place pour une expression mesurée de la France, tant que le débat traversait l’Administration américaine. Il est évident qu’en Afghanistan la solution est politique. Or, les objectifs politiques de l’intervention de l’OTAN ne sont pas clairement définis. Ce ne peut être l’exportation de la démocratie, thèse bushiste dont on voit les conséquences en Irak. Ce ne peut être que l’éradication d’Al Quaïda. L’indépendance de l’Afghanistan devrait être une cause nationale, propre à susciter le patriotisme chez les forces nationales afghanes qui ne manquent pas seulement d’« esprit régimentaire », comme vous le dites ce matin dans Le Figaro. Cette clarté dans la définition des objectifs, nous la devons aussi à nos soldats, dont je tiens à saluer le courage et le stoïcisme.
Vous avez-vous-même exprimé la contradiction dans laquelle nous sommes d’avoir à soutenir un gouvernement dont le crédit est usé. J’ose simplement espérer que la complète réintégration de l’organisation militaire de l’OTAN ne vous conduira pas à augmenter le contingent français aujourd’hui aventuré dans une affaire que nous ne maîtrisons pas. Le sort du conflit se joue d’ailleurs plus probablement aujourd’hui au Pakistan, où l’armée pakistanaise semble avoir pris la mesure de la réorientation nécessaire de ce grand pays qu’il nous appartient aussi de soutenir, à la mesure de nos moyens. Il s’agit de faire rentrer dans sa boite le diable, c’est-à-dire le terrorisme djihadiste, qu’une politique à courte vue inspirée par les Etats-Unis avait fait sortir il y a de cela trois décennies. La France peut et doit aider le Pakistan démocratique. C’est un enjeu décisif !
Sur ces trois dossiers, Monsieur le Ministre, l’administration Obama joue aujourd’hui une partie difficile. L’intérêt de la France est dans sa réussite, sachant que le déblocage du dossier iranien est de nature à faciliter le retrait américain d’Irak et la solution du problème afghan, avec le concours de tous ses voisins, sans exception. A partir de là aussi, l’administration américaine pourrait reprendre la main pour aider à la création d’un Etat palestinien viable. A défaut de ce cercle vertueux, il n’y a de place que pour la surenchère des extrémismes. Dans la crise où le monde est plongé, la fuite en avant dans la guerre est une tentation à laquelle des gouvernements aux abois peuvent, hélas, succomber.
Je crains, pour tout dire, que la réintégration de l’organisation militaire de l’OTAN ne crée un réflexe conditionné d’alignement sur une position belliciste, qui n’est certes pas à l’ordre du jour, mais qui peut le devenir, dans cet écheveau de crises dont chacune interréagit avec toutes les autres En rentrant dans un mécanisme d’alignement automatique vous n’avez pas – selon moi – servi les intérêts de la France. Depuis que celle-ci est rentrée dans le rang, le Président Obama n’a pas marqué pour elle et pour l’Europe en général grand intérêt. La France ne peut faire entendre utilement sa voix qu’en préservant jalousement son indépendance. Quel avantage la réintégration de l’OTAN nous apporte-t-elle ? Vingt-cinq étoiles, nous a dit le général Georgelin. Mais le général Abrial, commandant pour la « transformation de l’Alliance », pourrait-il se prononcer au nom de la France sur l’avenir des armes nucléaires tactiques américaines stationnées en Europe ou sur le déploiement – ou le non-déploiement - d’un bouclier antimissiles dit de théâtre sous l’égide de l’OTAN ? Ces questions seront sans doute abordées entre Moscou et Washington à l’occasion des négociations post-Start ou plutôt de celles qui les suivront. Elles le seront sans doute au prochain sommet de l’OTAN à Lisbonne. Mais la France a-t-elle une position sur ces questions qui intéressent évidemment l’équilibre et la paix de l’Europe ?
Je voudrais vous accorder un bon point quand même : c’est le resserrement de nos relations avec la Russie dans le domaine énergétique mais aussi industriel, illustré par le récent voyage de M. Poutine à Paris. Le partenariat stratégique de l’Europe et de la Russie est au fondement d’une paix durable sur notre continent.
Malheureusement la ratification du traité de Lisbonne va non pas renforcer la capacité de l’Europe à desserrer l’étau où nous mettent la concurrence déloyale du dollar et celle des pays à bas coût salarial comme la Chine. Elle va, au contraire, nous rendre encore plus prisonniers d’un mécanisme d’impuissance, je veux parler de l’Europe de Lisbonne. Celle-ci est fondée sur une contradiction : rien ne l’illustre mieux que les deux désignations qui viennent d’intervenir : celle de M. Van Rompuy comme Président « stable » du Conseil Européen et celle de Mme Ashton comme Haute Représentante pour les Affaires Etrangères et la politique de sécurité de l’Union européenne. Le mérite de ces deux personnalités n’est pas en cause. Ce qui pose problème, c’est leur choix même, fondé sur leur complète absence de notoriété.
En réalité le traité de Lisbonne a repris les dispositions d’esprit fédéraliste qui étaient celles de la Constitution européenne, rejetée le 29 mai 2005 par le peuple français. Mais comme aucun gouvernement d’un grand pays ne veut véritablement s’effacer au profit d’instances fédérales, les Chefs d’Etat et de gouvernement se sont mis d’accord sur des personnalités qui ne sauraient leur faire de l’ombre. Certes il existe des sensibilités, la vôtre, celle de M. Giscard d’Estaing ou celle de M. Bourlange, qui n’ont pas renoncé à faire prévaloir un jour leur dessein d’établir une Fédération européenne. Cette position est irréaliste dans une Europe à vingt-sept, si tant est qu’elle le fut jamais. Et vous venez d’en faire une éclatante démonstration à travers ces deux désignations qui devraient décevoir d’abord ceux qui attendaient du traité de Lisbonne monts et merveilles.
Un service européen pour l’action extérieure va être mis sur pied, sous l’autorité de Madame Ashton connue pour son militantisme dans les associations antinucléaires. Puis-je vous réitérer le conseil que je vous donnais lors du débat qui nous réunissait, le 27 octobre dernier, à la veille du sommet européen des 29 et 30 octobre : pour ce service, « l’ambition minimale, le format le plus modeste possible et surtout les primes les plus réduites ». N’écrémez pas de ses meilleurs éléments ce qui reste de la diplomatie française. Ne faites pas éclore une bureaucratie supplémentaire, n’ajoutez pas une couche, si mince soit-elle, au millefeuille européen, où les conflits de compétence, déjà se multiplient. M. Kissinger feignait de demander pour l’Europe un numéro de téléphone. Vous lui en donnez trois pour le moins. Rompez, Monsieur le Ministre, avec cette politique d’illusions qui ne peut qu’étouffer notre voix et accélérer notre déclin.
Revenez à la France, Monsieur le Ministre, revenez-nous ! Revenez à vous ! Revenez à l’identité nationale, dont le gouvernement auquel vous appartenez fait grand cas en paroles mais si peu dans sa politique extérieure, domaine pourtant emblématique de l’existence d’une nation, et a fortiori d’une nation comme la nôtre !
Constatons enfin que vos crédits sont de plus en plus utilisés dans le cadre d’organisations internationales. Ces actions – notamment celles consacrées par l’ONU au maintien de la paix – gagneraient en légitimité si elles étaient mieux contrôlées. Nos participations internationales amputent les moyens dévolus aux actions bilatérales dont notre rapporteur, M. Trillard, a souligné justement qu’elles contribuaient de manière déterminante à notre rayonnement à l’étranger. Peut-on en dire autant de nos contributions financières aux tribunaux pénaux pour l’ex-Yougoslavie – 9,7 millions d’euros – ou pour le Rwanda 8,2 millions d’euros ? Ne serait-il pas temps de les réduire drastiquement ? De même un audit sur l’Institut universitaire européen de Florence (4,5 millions d’euros) permettrait-il sans doute de faire quelques économies bien utiles ailleurs, y compris dans le domaine de la recherche.
Le soutien au multilatéralisme dont vous vous réclamez n’est bien souvent qu’un des aspects de l’effacement de la France. La réduction de nos moyens propres traduit le rétrécissement de nos ambitions.
Deux grands évènements ont marqué l’année 2009. La réintégration par la France des structures militaires de l’OTAN et la ratification du traité de Lisbonne.
Ce furent deux marches que la France a descendues par rapport au point élevé où l’avait placée l’Histoire, la volonté de nos grands hommes d’Etat au siècle dernier – je pense particulièrement à Clémenceau et à De Gaulle – ainsi que l’effort et le sacrifice de millions de Français.
La réintégration des structures militaires de l’OTAN que personne ne nous demandait, n’a obéi qu’à la pulsion « occidentaliste » du Président de la République : selon lui, la France n’appartient pas d’abord à la famille des nations mais à celle des nations occidentales : c’est un moins, un manquement au principe d’universalité dont la France s’était faite historiquement le héraut. Cette réintégration est un frein au développement de nos relations avec les grands pays émergents dont le Président de la République ressent lui-même la nécessité comme en témoignent ses déplacements au Brésil par exemple, car là est l’avenir du monde, et par conséquent celui de la France.
Ce retour au bercail de l’OTAN s’est de surcroît fait à contretemps : comme j’ai déjà eu l’occasion de vous le dire, vous retardez d’un Président américain. Vous rêviez de Bush et vous avez rencontré Obama. Celui-ci entend, bien entendu, restaurer le leadership des Etats-Unis, mais il vous prend à contrepied en maints domaines :
- Le Proche-Orient d’abord, où le Président Obama avait pointé l’illégitimité des colonies israéliennes en Cisjordanie avant, il est vrai, de s’incliner devant le fait accompli. Sur ce sujet, on ne vous a guère entendu et pourtant vous savez bien que toute idée de réforme et de modernisation dans le monde musulman ne progressera que s’il est mis fin à la politique du « deux poids, deux mesures ». Mais il n’est pas trop tard pour faire entendre plus fermement que vous ne le faites la voix de la France et son refus du fait accompli de la colonisation permanente des territoires palestiniens. Ce serait une piqure de rappel utile, y compris par rapport aux engagements qu’avait pris le nouveau Président américain au lendemain de son élection.
Sur l’Iran, à l’inverse, on entend beaucoup trop dans votre bouche et dans celle du Président de la République le langage de la dramatisation et de la menace, comme si à chaque occasion, vous cherchiez à mettre de l’huile sur le feu. Vous n’avez - hélas - pas à craindre le succès de la voie diplomatique : l’aveuglement des dirigeants iraniens n’aura eu d’égal jusqu’ici que celui de l’Administration Bush refusant d’ouvrir le dialogue quand il en était temps avec le Président Khatami. Mme Clinton n’a pas complètement fermé la porte à la reprise du dialogue d’ici la fin de l’année, mais force est de constater que l’obstination des dirigeants iraniens à ne pas répondre aux demandes de l’AIEA conduira logiquement le Conseil de Sécurité à durcir sa position.
La question de l’ordre nucléaire mondial, tel que le TNP l’a défini est posée. La France doit défendre le TNP par des moyens qui laissent la porte ouverte à un changement d’attitude de Téhéran. Notre intérêt est dans la stabilité du Moyen-Orient. Nous devons prendre en compte aussi la société iranienne et pas seulement le régime qui apparemment trouve son intérêt dans la radicalisation du conflit. Le dossier nucléaire est un moyen de gesticulation à la fois interne et externe et c’est cette dimension que notre expression doit aussi – me semble-t-il – prendre en compte.
Je ne reviendrai pas sur la question de l’Afghanistan. Je regrette seulement que la France n’ait pas su trouver l’occasion d’une expression autonome. Le gouvernement nous a si souvent assurés que la réintégration de l’OTAN ne nuirait pas à l’autonomie des décisions de la France que je m’étonne encore que, dans cette affaire, vous ayez donné l’impression d’un suivisme complet. Il y avait place pour une expression mesurée de la France, tant que le débat traversait l’Administration américaine. Il est évident qu’en Afghanistan la solution est politique. Or, les objectifs politiques de l’intervention de l’OTAN ne sont pas clairement définis. Ce ne peut être l’exportation de la démocratie, thèse bushiste dont on voit les conséquences en Irak. Ce ne peut être que l’éradication d’Al Quaïda. L’indépendance de l’Afghanistan devrait être une cause nationale, propre à susciter le patriotisme chez les forces nationales afghanes qui ne manquent pas seulement d’« esprit régimentaire », comme vous le dites ce matin dans Le Figaro. Cette clarté dans la définition des objectifs, nous la devons aussi à nos soldats, dont je tiens à saluer le courage et le stoïcisme.
Vous avez-vous-même exprimé la contradiction dans laquelle nous sommes d’avoir à soutenir un gouvernement dont le crédit est usé. J’ose simplement espérer que la complète réintégration de l’organisation militaire de l’OTAN ne vous conduira pas à augmenter le contingent français aujourd’hui aventuré dans une affaire que nous ne maîtrisons pas. Le sort du conflit se joue d’ailleurs plus probablement aujourd’hui au Pakistan, où l’armée pakistanaise semble avoir pris la mesure de la réorientation nécessaire de ce grand pays qu’il nous appartient aussi de soutenir, à la mesure de nos moyens. Il s’agit de faire rentrer dans sa boite le diable, c’est-à-dire le terrorisme djihadiste, qu’une politique à courte vue inspirée par les Etats-Unis avait fait sortir il y a de cela trois décennies. La France peut et doit aider le Pakistan démocratique. C’est un enjeu décisif !
Sur ces trois dossiers, Monsieur le Ministre, l’administration Obama joue aujourd’hui une partie difficile. L’intérêt de la France est dans sa réussite, sachant que le déblocage du dossier iranien est de nature à faciliter le retrait américain d’Irak et la solution du problème afghan, avec le concours de tous ses voisins, sans exception. A partir de là aussi, l’administration américaine pourrait reprendre la main pour aider à la création d’un Etat palestinien viable. A défaut de ce cercle vertueux, il n’y a de place que pour la surenchère des extrémismes. Dans la crise où le monde est plongé, la fuite en avant dans la guerre est une tentation à laquelle des gouvernements aux abois peuvent, hélas, succomber.
Je crains, pour tout dire, que la réintégration de l’organisation militaire de l’OTAN ne crée un réflexe conditionné d’alignement sur une position belliciste, qui n’est certes pas à l’ordre du jour, mais qui peut le devenir, dans cet écheveau de crises dont chacune interréagit avec toutes les autres En rentrant dans un mécanisme d’alignement automatique vous n’avez pas – selon moi – servi les intérêts de la France. Depuis que celle-ci est rentrée dans le rang, le Président Obama n’a pas marqué pour elle et pour l’Europe en général grand intérêt. La France ne peut faire entendre utilement sa voix qu’en préservant jalousement son indépendance. Quel avantage la réintégration de l’OTAN nous apporte-t-elle ? Vingt-cinq étoiles, nous a dit le général Georgelin. Mais le général Abrial, commandant pour la « transformation de l’Alliance », pourrait-il se prononcer au nom de la France sur l’avenir des armes nucléaires tactiques américaines stationnées en Europe ou sur le déploiement – ou le non-déploiement - d’un bouclier antimissiles dit de théâtre sous l’égide de l’OTAN ? Ces questions seront sans doute abordées entre Moscou et Washington à l’occasion des négociations post-Start ou plutôt de celles qui les suivront. Elles le seront sans doute au prochain sommet de l’OTAN à Lisbonne. Mais la France a-t-elle une position sur ces questions qui intéressent évidemment l’équilibre et la paix de l’Europe ?
Je voudrais vous accorder un bon point quand même : c’est le resserrement de nos relations avec la Russie dans le domaine énergétique mais aussi industriel, illustré par le récent voyage de M. Poutine à Paris. Le partenariat stratégique de l’Europe et de la Russie est au fondement d’une paix durable sur notre continent.
Malheureusement la ratification du traité de Lisbonne va non pas renforcer la capacité de l’Europe à desserrer l’étau où nous mettent la concurrence déloyale du dollar et celle des pays à bas coût salarial comme la Chine. Elle va, au contraire, nous rendre encore plus prisonniers d’un mécanisme d’impuissance, je veux parler de l’Europe de Lisbonne. Celle-ci est fondée sur une contradiction : rien ne l’illustre mieux que les deux désignations qui viennent d’intervenir : celle de M. Van Rompuy comme Président « stable » du Conseil Européen et celle de Mme Ashton comme Haute Représentante pour les Affaires Etrangères et la politique de sécurité de l’Union européenne. Le mérite de ces deux personnalités n’est pas en cause. Ce qui pose problème, c’est leur choix même, fondé sur leur complète absence de notoriété.
En réalité le traité de Lisbonne a repris les dispositions d’esprit fédéraliste qui étaient celles de la Constitution européenne, rejetée le 29 mai 2005 par le peuple français. Mais comme aucun gouvernement d’un grand pays ne veut véritablement s’effacer au profit d’instances fédérales, les Chefs d’Etat et de gouvernement se sont mis d’accord sur des personnalités qui ne sauraient leur faire de l’ombre. Certes il existe des sensibilités, la vôtre, celle de M. Giscard d’Estaing ou celle de M. Bourlange, qui n’ont pas renoncé à faire prévaloir un jour leur dessein d’établir une Fédération européenne. Cette position est irréaliste dans une Europe à vingt-sept, si tant est qu’elle le fut jamais. Et vous venez d’en faire une éclatante démonstration à travers ces deux désignations qui devraient décevoir d’abord ceux qui attendaient du traité de Lisbonne monts et merveilles.
Un service européen pour l’action extérieure va être mis sur pied, sous l’autorité de Madame Ashton connue pour son militantisme dans les associations antinucléaires. Puis-je vous réitérer le conseil que je vous donnais lors du débat qui nous réunissait, le 27 octobre dernier, à la veille du sommet européen des 29 et 30 octobre : pour ce service, « l’ambition minimale, le format le plus modeste possible et surtout les primes les plus réduites ». N’écrémez pas de ses meilleurs éléments ce qui reste de la diplomatie française. Ne faites pas éclore une bureaucratie supplémentaire, n’ajoutez pas une couche, si mince soit-elle, au millefeuille européen, où les conflits de compétence, déjà se multiplient. M. Kissinger feignait de demander pour l’Europe un numéro de téléphone. Vous lui en donnez trois pour le moins. Rompez, Monsieur le Ministre, avec cette politique d’illusions qui ne peut qu’étouffer notre voix et accélérer notre déclin.
Revenez à la France, Monsieur le Ministre, revenez-nous ! Revenez à vous ! Revenez à l’identité nationale, dont le gouvernement auquel vous appartenez fait grand cas en paroles mais si peu dans sa politique extérieure, domaine pourtant emblématique de l’existence d’une nation, et a fortiori d’une nation comme la nôtre !