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"Nous avons fait en Libye très exactement ce que nous reprochons aux Américains d'avoir fait en Irak en 2003"


Jean-Pierre Chevènement était l'invité d'Europe 1, dimanche 3 mai 2015. Il répondait aux questions de Sonia Mabrouk et Patrick Roger.


europe_1_dimanche_soir_sonia_mabrouk_et_patrick_roger_03_05_15_125131817.mp3 Europe 1 - E1 Dimanche Soir  (34.53 Mo)

Sur le Front National
  • Si Jean-Marie le Pen ne peut plus s'exprimer au nom du Front National, il s'exprimera comme Jean-Marie le Pen. Et entre Jean-Marie le Pen et le Front National, il y a quand même, dans la tête de tous les Français, un signe d'égalité. Donc je pense que les ennuis commencent pour le Front National.
  • Le FN était une petite entreprise familiale, qui capte des électorats extrêmement divers. A l'origine, c'était une sédimentation de toutes les extrêmes droites, rameutées par Jean-Marie le Pen, avec beaucoup d'excès. Ensuite, après la « parenthèse » libérale, ou le tournant de la rigueur, une partie de l'électorat populaire s'est détaché de la gauche, et est venu vers le Front National. Il y a là des déclassés, des gens qui ne savent plus très bien où ils sont, et qui, par colère, par frustration, votent pour un parti qui est très dangereux pour l'avenir, parce que naturellement, s'il devait un jour venir au pouvoir, ce ne serait pas bon pour la France, ni pour son image.
  • J'ai pensé à un moment à un jeu de rôle entre Marine le Pen et Jean-Marie le Pen, mais je crois que ce n'est pas une bonne hypothèse. Je pense qu'il y a, en effet, une divergence de fond : Jean-Marie le Pen ne voulait pas venir au pouvoir. Sa fille, elle, le veut. Il est évident que, si elle devait y parvenir un jour, ce serait avec la droite, ou une partie de la droite.
  • L'électorat du Front National est divers et friable. S'il y avait des gens qui proposaient vraiment une alternative à la politique qui est menée sans discontinuer par tous les gouvernements depuis trop longtemps, qui a gonflé le chômage, s'il y avait une politique qui donne à la jeunesse le moyen de se projeter vers l'avenir, alors, à ce moment-là, on verrait que le Front National peut se dissocier, et que son électorat n'est pas si solide que cela.
  • Florian Philippot m'utilise comme caution républicaine. Moi je ne le connais pas. Il y a plus de 1,5 millions de gens qui ont voté pour moi en 2002, et il m'a, paraît-il, soutenu. Il dit que je suis son mentor, mais j'ai sûrement eu sur lui une influence très faible, à en juger par son parcours ultérieur. Ce n'est pas un très bon élève, je n'ai pas envie de lui donner une bonne note voyez-vous !
[Par rapport aux débordements lors du rassemblement FN du 1er mai] Je ne vais pas m’immiscer dans cette affaire. Disons simplement que personne n'est véritablement dans son droit. Ni les Femen, ni le service d'ordre du FN, ni même l'hôtel. Mais c'est un fait divers qu'il ne faut pas grossir plus que cela. Je suis un vieil homme politique, j'ai l'habitude des réunions troublées !

Sur l'enquête à propos des viols d'enfants Centrafricains par des militaires français
  • Si ces faits étaient avérés, ils doivent être sévèrement sanctionnés, car on ne peut pas laisser porter atteinte à l'honneur du drapeau, l'honneur du soldat, comme l'a dit le ministre de la Défense, Jean-Yves le Drian.
  • J'ai été à Bangui pendant les premiers mois de l'opération Sangaris. C'était une opération extrêmement difficile, dans un pays où il y a eu des coups d'Etats mais jamais d'Etat, dans un pays en proie a quelque chose de plus atroce d'une guerre civile, la suspicion d'une communauté se disant chrétienne vis-à-vis d'une communauté se disant musulmane, en fait très proches l'une et l'autre de l'animisme ; aucune structure, aucun ordre, et pour les soldats qui devaient rétablir un minimum de concorde, c'était vraiment difficile, parce qu'ils étaient confrontés à des éléments incontrôlés, dans un contexte très dur. J'ai beaucoup admiré le travail des soldats.
  • Il faut que les faits soit reconnus, avérés. On est dans le temps de l'enquête. Essayons de bien voir ce dont il s'agit. Et surtout, laissons l'armée au-dessus de cela. L'armée rend beaucoup de services et s'acquitte avec beaucoup de professionnalisme des tâches qui lui sont confiées. Son intervention au Mali a permis qu'un grand pays, au cœur de l'Afrique de l'ouest, ne bascule pas dans le djihadisme.

    Budget de la Défense
  • Le Président de la République vient de rendre un arbitrage budgétaire qui était important. Il a pris une sage décision compte tenu de ce qu'on demande aussi à nos armées. Depuis la suppression du service national, notre armée est devenue une armée de projection. Ce système est efficace, encore faut-il que les décisions d'intervention soient prises à bon escient.

    Intervention en Libye
  • Un exemple de mauvaise décision : la Libye. L'intervention a été mal conduite, parce qu'elle avait un objectif précis, qui était la protection des populations de Benghazi. Il suffisait d'arrêter les colonnes de Kadhafi – c'était le mandat de l'ONU – mais nous n'étions pas mandaté pour renverser le régime de Kadhafi.
  • Nous avons fait en Libye très exactement ce que nous reprochons aux Américains d'avoir fait en Irak en 2003.

    Lutte contre le terrorisme
  • Affecter en permanence, dans le cadre du plan Vigipirate, 7000 hommes à la défense de tous les points sensibles, de tous les édifices religieux, pose un problème d'efficacité. Est-on sûr d'exercer une action réellement dissuasive ? Je me permets d'exprimer un certain doute. Bien sûr, il faut que la présence de l'armée soit visible. C'est rassurant pour la population. Mais je pense que l'essentiel des moyens doit-être consacré au renseignement, à la police – c'est d'ailleurs ce que le gouvernement est en train de faire avec le projet de loi sur le renseignement. Je pense que ce projet de loi est nécessaire. Naturellement, il faut veiller à ce que cela se fasse dans le respect des libertés républicaines, et par conséquent il faut un contrôle sur l'action qui est exercée par les services. Au moins les services ne pourront pas faire n'importe quoi : c'est dans un cadre légal qu'ils devront agir.

    Exportation des Rafales
  • La vente des Rafales à l'exportation ne saurait que me réjouir, car j'ai été un de ceux qui ont défendu le Rafale. J'étais ministre de la Défense au moment où le Premier ministre n'était pas d'accord. Maintenant cet avion se vend : on voit que des avions comme cela peuvent durer très longtemps et peuvent être très utiles dans certains types d'opérations.

    Sur la situation au Moyen-Orient
  • Je suis favorable à ce qu'il y ait un équilibre de sécurité au Moyen-Orient, entre l'Arabie Saoudite et ses alliés, et puis l'Iran.
  • Depuis l'intervention américaine en Irak, on s'est mis dans cette région du monde à la remorque des Américains, qui eux-mêmes ont avec un pacte avec l'Arabie Saoudite depuis 1945.
  • Aujourd'hui les Américains cherchent à promouvoir un accord avec l'Iran sur le nucléaire, et naturellement, cela provoque un certain agacement à Riyad.

    Sur le dossier ukrainien
  • Les Américains ont, au sein de l'UE a 28, des pays qui soutiennent leur politique. Ce sont les pays voisins de la Russie, la Grande-Bretagne, et quelques autres. D'autres pays traînent un peu les pieds parce que, malgré tout, il y a un intérêt majeur à ce que se développent de bonnes relations, économiques, énergétiques, politiques, entre l'Europe occidentale et la Russie.
  • Le peuple russe est un grand peuple européen : qui pourrait le contester ? Son apport à la culture, à la civilisation, est tout à fait considérable.
  • Je souffre, et même quelques fois j'ai honte, de voir la russophobie tout à fait excessive, caricaturale, délirante, de certains médias.
  • On ne peut pas demander à la Russie, qui était encore un pays communiste en 1991, de franchir en 25 ans le chemin que nous avons mis deux siècles à parcourir.
  • L'erreur a été de mettre l'Ukraine devant un choix impossible, un dilemme : ou bien vous êtes avec l'Europe, ou bien vous êtes avec la Russie. Or l'Ukraine est un pays composite avec beaucoup de minorités. L'Europe et la Russie devraient coopérer pour aider l'Ukraine à surmonter ses problèmes, qui sont énormes, sur le plan économique : chômage, déficit, inflation, endettement...

    Commémoration par la Russie des 70 ans de la victoire des troupes soviétiques sur l'Allemagne nazie
  • Ce n'est pas à moi de dire si Hollande ou Merkel devaient y aller ou pas. Ce que j'observe, c'est que Vladimir Poutine est venue pour la cérémonie anniversaire du débarquement en Normandie. Cela a été très utile puisque cela a permis de mettre sur pied le format quadripartite de négociation qui a débouché sur les accords de Minsk II. Depuis, il ne s'est pas passé quoi que ce soit qui justifierait une sorte de mise à l'écart de la Russie.
  • Qui peut contester que la victoire sur l'Allemagne nazie ait d'abord été obtenue par les troupes soviétiques ? Je pense qu'il faut savoir comprendre ce que signifie la Deuxième Guerre mondiale pour la Russie, et notamment ses 25 millions de morts. Comment n'aurions-nous pas un minimum de respect ?
  • Il y aura, à l'occasion de ces commémorations, un responsable français de très haut niveau, mais ce n'est pas à moi de vous dire qui.

    Affaire de la « jupe trop longue »
  • Je ne suis pas naïf. La loi interdit les signes ostentatoires d'appartenance religieuse. Ces gamines sont très malignes. Il y a un petit côté provocation.
  • L'islamisme est capable de déplacer la manière dont il nous défie : nous, la République, la France.
  • Ne rentrons pas dans une surenchère : il ne faut pas revoir la loi, il faut l'appliquer.
  • Je ne serais pas contre un retour de l'uniforme à l'école. Cela avait du bon en mettant tout le monde sur un pied d'égalité. Mais, j'admets que peut-être les mœurs ont tellement évoluées que cela serait difficile à appliquer. Donc je ne fais pas de propositions irréalistes.

    Réforme du collège
  • Beaucoup de gens, y compris de gauche, sont très inquiets de cette réforme des collèges. Je ne sais pas qui compose ce Conseil National des Programmes, mais vous connaissez cette affaire : quand on dit à une commission « dessinez moi un cheval », elle vous dessine un dromadaire ! C'est exactement ce qu'il vient d'arriver.
  • Dans un langage abscons, on supprime l'enseignement de certaines tranches de l'histoire. Il est temps de revenir à une version non-pénitentielle de notre histoire. On peut être fiers d'être Français ! Il suffit quand même de montrer ceux qui n'ont pas failli et pas toujours ceux qui ont failli ! Il n'y a pas que des horreurs dans l'histoire de France ! Et nous pouvons être fiers d'être le pays qui a fait la Révolution française, qui a été la matrice du monde moderne, à l'échelle mondiale !
  • Pour aider les élèves à faire leur chemin dans un monde très complexe, il faut aussi demander un certain effort à l'élève.
  • Les fondamentaux à l'école sont la base à partir de quoi on peut construire la liberté de penser par soi-même et de comprendre ce qui vous entoure.
  • On vous dit que la querelle des républicains et des pédagogistes est dépassée, mais lisez les 500 pages épouvantables de charabia sur la réforme des programmes et vous comprendrez qu'elle n'est pas dépassée, que ce sont toujours les mêmes qui sévissent !
  • Je suis pour l'interdisciplinarité, comme on dit, mais à condition que les fondements disciplinaires soient bien assurés, parce que l'interdisciplinarité sur la base de rien, c'est également rien.
  • A l'école, on devrait s'intéresser plus aux grandes œuvres. Il n'en est pas du tout fait mention dans ces nouveaux programmes. Une pièce de Molière, de Racine, une fable de la Fontaine, un texte de Maupassant, de Mérimée, de Victor Hugo, c'est formidable, et cela fait rentrer l'élève dans un monde merveilleux, celui de la fiction.
  • Ce n'est pas l'administration qui commande rue de Grenelle : c'est un réseau dans l'administration qui fait que, quelque que soit le gouvernement, progresse toujours la même conception assez débile des choses.
  • Si je pouvais donner un conseil à Najat Vallaud-Belkacem, ce serait : ces programmes, qu'elle n'a pas commandé, qui viennent d'arriver, j'aimerais qu'elle les retire, pour se donner le temps de la réflexion. Qu'elle reprenne l'affaire en main !

    Dialogue avec l'acteur Jacques Weber
  • Il y a deux choses dans ce que dit Jacques Weber : d'abord, le fatalisme, la résignation, un monde où s'est installé des millions de chômeurs, une pauvreté, une précarité insupportable que nous ne voulons pas voir. Madame Thatcher avait résumé cela dans une formule, « TINA » : « There Is No Alternative » (il n'y a pas d'autres politiques possibles). Moi j'ai toujours pensé le contraire.

    Réfugiés, Afrique et co-développement
  • Il y a un homme politique qui a dit que la France ne peut pas accueillir toute la misère du monde, mais il faut prendre le problème autrement : comment l'Afrique peut-elle se stabiliser dans la durée ?
  • Nous savons que l'Afrique est malheureusement accablée par une croissance démographique excessive, qui crée des déséquilibres très profonds. Pourtant il y a un courant dit « afro-optimiste » : l'Afrique a toutes ses chances, elle a beaucoup de terres, de richesses, il y a des classes moyennes qui se forment...
  • Je sais par expérience que, sans Etat, il n'y a pas de développement. Pas d'Etat, donc pas de sécurité. Si l'armée française a une petite justification, dans le cadre de l'ONU et de l'Union africaine, c'est effectivement de préserver les conditions de paix et de stabilité qui permettront le développement.
  • C'est l'affaire des Africains de se développer et nous de les aider à le faire. J'avais inventé un concept de « co-développement », qui vaut ce qu'il vaut car il faudra le mettre en pratique. Mais je pense qu'il faut essayer de penser l'Afrique sur le siècle qui vient – ce sera difficile – et se délivrer d'obsessions qui n'ont pas de raison d'être : on ne va pas arrêter l'immigration ! On peut la réguler, cela est nécessaire.

    A propos du changement de nom de l'UMP
  • Si on est vraiment républicain, il faut considérer que tous les citoyens ont le droit de se dire républicain. Si on veut faire appel à leur esprit républicain, on ne peut pas dire qu'on sera un parti qui au nom de la République, serait déjà la République !
  • Je pense qu'il y a une espèce d'imitation un peu bête de ce qui se fait en Amérique : appelons-les « the Americans » ou « the Republicans » !
  • Cette proposition de nom est la négation même de la République. C'est franchement ridicule.

    Sur une vie politique
  • Je n'ai pas voulu être Président de la République. J'ai aidé F. Mitterrand à devenir Premier secrétaire du Parti Socialiste et j'ai essayé de pousser dans la direction que je croyais juste. En 2002, j'ai jeté quelques jalons qui valent toujours pour aujourd'hui. A mon avis, ces idées progressent : tout le monde se dit républicain aujourd'hui. Mais qui comprend vraiment l'exigence de ce que cela représente ?


le Lundi 4 Mai 2015 à 11:21 | Lu 11863 fois



1.Posté par Jp JP le 04/05/2015 14:05
Selon JPChevènement : « L'électorat du Front National est divers et friable. S'il y avait des gens qui proposaient vraiment une alternative à la politique qui est menée sans discontinuer par tous les gouvernements depuis trop longtemps, qui a gonflé le chômage, s'il y avait une politique qui donne à la jeunesse le moyen de se projeter vers l'avenir, alors, à ce moment-là…. »
FBayrou, avec un programme adapté, pourrait remplir cette mission de réveil réaliste et salutaire pour le pays mais il est trop entouré de conseillers à la noix de coco !...JPChevènemenent devrait lui donner un coup de main !!! Cependant, FBayrou est à la fois voyant…et aveugle !...il peut monter au zénith auprès de la population et…se ramasser une (voire plusieurs !) gamelles lors des élections. Vu les caractéristiques du personnage, brillant mais solitaire, l’avenir pour le voir un jour diriger le pays est…..très incertain ! En fait, tout dépend de ce qui se passe dans le ciel…. et ce n’est pas entre nos mains (heureusement… !).

2.Posté par Jp JP le 04/05/2015 15:27
Selon JPChevènement : « …on supprime l'enseignement de certaines tranches de l'histoire. Il est temps de revenir à une version non-pénitentielle de notre histoire. On peut être fiers d'être Français !... »
D’accord, mais JPChevènement devrait d’abord demander à Charles Martel qu’est-ce qui s’est réellement passé afin de voir si cette tranche de l’histoire est digne d’enseignement à notre époque !

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