LE FIGARO : Le premier ministre Alexis Tsipras va soumettre le plan d'aide à la Grèce à référendum. Que vous inspire cette décision ?
JEAN-PIERRE CHEVÈNEMENT : Cela me paraît être une décision démocratique et légitime. Le plan d'aide est très critiquable. Les institutions de Bruxelles auraient pu bouger sur au moins deux volets. D'abord, le volet financier : le premier ministre grec demandait qu'on allonge de cinq à neuf mois la durée du plan d'aide actuel. Cela était tout à fait raisonnable. Ensuite, sur le volet de la dette. Des Prix Nobel d'économie comme Joseph Stiglitz ou Paul Krugman, mais aussi en France le directeur de la recherche et des études de Natixis, Patrick Artus, qui n'a rien d'un gauchiste, s'accordent à reconnaître que la dette grecque, qui représente 177 % du PIB, n'est pas soutenable ni donc remboursable. Il y a une volonté punitive dans ce « plan d'aide » : on voulait par avance donner une leçon au Portugal, à l'Espagne, à l'Italie, voire à la France. Plus largement, il est le symbole de l'échec de la « règle d'or » imposée en 2012 à tous les pays d'Europe après avoir été adoptée par l'Allemagne dès 2009. Mais ce qui vaut pour l'Allemagne ne peut pas valoir pour tous les autres. On touche au vice originel de la monnaie unique qui juxtapose des pays très hétérogènes et fait diverger leurs économies au lieu de les faire converger. Par un mécanisme bien connu, les zones les plus productives ont vu leur production croître tandis que les zones moins compétitives ont vu la leur décliner et se sont donc appauvries. Il y a un défaut de conception au départ dont le résultat était tout à fait prévisible.
Certains dirigeants européens se sont agacés de cette décision. Comprenez-vous cette réaction ?
Le président de la Commission européenne, Jean-Claude Juncker, a dit : « Il n'y a pas de démocratie en Europe en dehors des traités. » Or le traité de Lisbonne reprend la quasi-totalité, la « substance » comme l'a dit M me Merkel, du projet de « traité constitutionnel » qui avait justement été rejeté par le peuple français en 2005 par référendum. Par ailleurs, M. Juncker ne me paraît pas le mieux placé pour mener le combat du oui au référendum grec. En effet, il a été un excellent premier ministre luxembourgeois mais du point de vue du Luxembourg qu'il a organisé, avec succès, comme un véritable paradis fiscal ! Cela ne le qualifie pas pour prêcher la solidarité.
JEAN-PIERRE CHEVÈNEMENT : Cela me paraît être une décision démocratique et légitime. Le plan d'aide est très critiquable. Les institutions de Bruxelles auraient pu bouger sur au moins deux volets. D'abord, le volet financier : le premier ministre grec demandait qu'on allonge de cinq à neuf mois la durée du plan d'aide actuel. Cela était tout à fait raisonnable. Ensuite, sur le volet de la dette. Des Prix Nobel d'économie comme Joseph Stiglitz ou Paul Krugman, mais aussi en France le directeur de la recherche et des études de Natixis, Patrick Artus, qui n'a rien d'un gauchiste, s'accordent à reconnaître que la dette grecque, qui représente 177 % du PIB, n'est pas soutenable ni donc remboursable. Il y a une volonté punitive dans ce « plan d'aide » : on voulait par avance donner une leçon au Portugal, à l'Espagne, à l'Italie, voire à la France. Plus largement, il est le symbole de l'échec de la « règle d'or » imposée en 2012 à tous les pays d'Europe après avoir été adoptée par l'Allemagne dès 2009. Mais ce qui vaut pour l'Allemagne ne peut pas valoir pour tous les autres. On touche au vice originel de la monnaie unique qui juxtapose des pays très hétérogènes et fait diverger leurs économies au lieu de les faire converger. Par un mécanisme bien connu, les zones les plus productives ont vu leur production croître tandis que les zones moins compétitives ont vu la leur décliner et se sont donc appauvries. Il y a un défaut de conception au départ dont le résultat était tout à fait prévisible.
Certains dirigeants européens se sont agacés de cette décision. Comprenez-vous cette réaction ?
Le président de la Commission européenne, Jean-Claude Juncker, a dit : « Il n'y a pas de démocratie en Europe en dehors des traités. » Or le traité de Lisbonne reprend la quasi-totalité, la « substance » comme l'a dit M me Merkel, du projet de « traité constitutionnel » qui avait justement été rejeté par le peuple français en 2005 par référendum. Par ailleurs, M. Juncker ne me paraît pas le mieux placé pour mener le combat du oui au référendum grec. En effet, il a été un excellent premier ministre luxembourgeois mais du point de vue du Luxembourg qu'il a organisé, avec succès, comme un véritable paradis fiscal ! Cela ne le qualifie pas pour prêcher la solidarité.
Pourquoi ces démocrates revendiqués semblent-ils redouter le choix du peuple ?
L'Europe s'est construite par effraction et l'essence du système européen est oligarchique. Le Conseil européen des chefs d'État est la seule institution légitime, mais ne se réunit que périodiquement et ne dispose pas d'outils pour traduire ses impulsions. La Commission européenne est composée de hauts fonctionnaires qui ne sont pas élus mais nommés de manière très opaque. Comme l'affirme la Cour constitutionnelle allemande de Karlsruhe, le Parlement européen n'est pas un parlement. Il ne peut pas l'être car il n'y a pas de peuple européen, mais une trentaine de peuples différents. Dès le départ, l'Europe repose sur un postulat non vérifié : on a voulu faire l'Europe contre les nations ; on pensait qu'elle pouvait s'y substituer. Or les nations sont le cadre d'expression de la démocratie. Il faut désormais aller sur la voie de l'Europe confédérale, la seule qui soit légitime et démocratique : celle qu'avait proposée le général de Gaulle en 1962 avec le plan Fouchet. Seule une Europe à géométrie variable, souple envers chaque pays, pourra avancer. Cette nouvelle Europe aurait vocation à déboucher sur une « Europe européenne » et non inféodée. Le traité transatlantique, s'il était adopté, serait un nouveau coup porté à ce qui reste de notre souveraineté. Celui-ci ne comporte pas d'avantages évidents pour la France et nous soumettrait à des normes et juridictions influencées par les États-Unis. J'attends que la France fasse entendre sa voix sur un sujet qui, du temps du général de Gaulle, ne serait pas passé inaperçu.
Sur le fond, êtes-vous favorable au oui ou au non comme Alexis Tsipras ?
Je n'ai pas à me prononcer à la place du peuple grec qui doit prendre ses responsabilités. C'est un peuple courageux. Il l'a montré à plusieurs reprises dans son histoire : dans sa guerre d'indépendance puis, en 1940, face à l'Italie fasciste qu'il a fait reculer et face à l'invasion nazie en 1941. Traditionnellement, il y a un sentiment philhéllène qui s'exprime en France. Je me compte d'ailleurs parmi les gens qui aiment la Grèce car pour moi ce pays représente aussi l'Antiquité, le grec ancien, la démocratie. Ne serait-ce que pour avoir eu jadis un accessit au concours général de version grecque, je ne peux pas leur en vouloir ! Sans la Grèce, il manquerait quelque chose d'essentiel à l'Europe.
Pour le président la Commission européenne, un non voudrait dire, indépendamment de la question posée, que la Grèce dit non à l'Europe. Partagez-vous ce point de vue ?
C'est absurde ! Comment un président de la Commission européenne peut-il parler ainsi ? Il confond la zone euro qui compte dix-huit membres et l'Union européenne qui en regroupe vingt-huit. Il existe donc dix pays qui ne sont pas dans l'union monétaire et qui sont dans l'Union européenne. La Grèce restera dans l'Europe. Et si elle doit sortir de l'euro, nous devons l'aider à le faire dans des conditions qui ne soient pas trop douloureuses. Si la Grèce sort de l'euro, elle dévaluera sa monnaie qu'on pourrait appeler l'euro-drachme et rester attachée à l'euro dans un rapport stable de l'ordre de 70 %. Il faudrait restructurer la dette à due proportion. Cette hypothèse est réaliste et remettrait la Grèce sur un sentier de croissance. Elle rendrait le pays encore plus attractif pour les touristes. Elle permettrait à la balance agricole grecque de redevenir excédentaire, ce qu'elle était avant l'euro, et de développer une économie de services notamment dans la logistique et les transports. C'est un pays magnifique, l'un des plus beaux endroits du monde, qui bénéficie d'une véritable attractivité sur le plan géographique et d'un patrimoine historique pratiquement sans équivalent. La Grèce a les moyens de se redresser.
Au-delà du cas grec, l'éclatement voire la disparition de la monnaie unique sont-ils inévitables ?
La monnaie unique a énormément accru les divergences de compétitivité entre pays européens. Prenons le cas de l'économie française. Elle avait un déficit commercial par rapport à l'Allemagne de 28 milliards de francs en 1983. Aujourd'hui, le déficit de la France sur l'Allemagne serait selon certaines sources (Eurostat) de 35 milliards d'euros. Comme l'euro représente six fois et demie le franc, le déficit a au moins quadruplé en tenant compte de l'inflation depuis 1983. La monnaie unique, qui a définitivement empêché la France de dévaluer, nous met une sorte de noeud coulant qui se resserre. Nous sommes désormais tombés au niveau d'industrialisation de la Grèce (12 % du PIB). Nos fleurons du CAC 40 se développent, mais à l'étranger.
Une sortie ordonnée de la zone euro ou du moins de la monnaie unique est-elle possible ?
Lorsqu'on a fait fausse route, il faut savoir revenir à la bifurcation et prendre la bonne direction. La monnaie commune pourrait être celle-ci. L'euro perdurerait comme symbole de notre volonté d'aller vers une Europe toujours plus unie, mais deviendrait monnaie commune et non plus unique. Elle serait valable dans les échanges internationaux en gardant des subdivisions nationales : l'euro-drachme, l'euro-lire, l'euro-mark, l'euro-franc, etc. Certains pays pourraient augmenter de quatre ou cinq pour cent la valeur de leur monnaie interne, d'autres la garder stable et certains, comme la Grèce, la diminuer. Tous les deux ou trois ans, on pourrait procéder à de légers ajustements pour tenir compte des compétitivités relatives qui permettraient de tenir dans la durée. Cette monnaie commune serait le panier des subdivisions nationales. Elle serait cotée sur le marché mondial des devises. Rien de plus simple ; le monde est flexible. Il y aurait une cotation qui interviendrait tous les jours et une certaine stabilité s'installerait entre cette monnaie commune, le dollar et le yuan. Derrière tout cela se profile la réorganisation du système monétaire international profondément malade.
Après les attentats de janvier, la France a une nouvelle fois été victime du terrorisme. Avons-nous sous-estimé la menace ?
Elle était tout à fait prévisible. J'ai dit à l'époque au président de la République que nous allions avoir devant nous des décennies de terrorisme. Aucune démocratie n'a chaviré à cause de celui-ci. Il s'agit d'une réalité douloureuse, mais auquel un grand État doit savoir faire face. Pour réduire le terrorisme, il faut garder son sang-froid, avoir une vue large et longue, une parole publique claire. Le but des islamistes est de créer un affrontement du monde musulman tout entier contre l'Occident. Ils veulent le choc des civilisations, mais nous ne devons pas tomber dans ce piège. Il faut assécher le terreau sur lequel le terrorisme djihadiste se développe. C'est beaucoup plus difficile qu'à l'époque d'Action directe car ce mouvement terroriste n'avait absolument aucun soutien dans la classe ouvrière française, alors qu'aujourd'hui un certain nombre de jeunes « paumés » peuvent être tentés par une démarche de radicalisation. Mais il faut rejeter par avance toute culture de l'excuse !
Manuel Valls a eu tort d'utiliser le terme de « choc de civilisation »...
Il faudrait lui donner le temps de s'expliquer. Samuel Huntington, lui-même, n'employait pas ce mot pour le recommander, mais pour montrer qu'il était à l'horizon. Je réfute l'idée du choc des civilisations : c'est ce que veut Daech. Ne tombons pas dans ce piège. Mais la menace de ruptures majeures pour la France vient incontestablement non pas de l'Est, mais du Sud, notamment pour des raisons démographiques. Dans l'Afrique subsahélienne, il existe des pays dont le taux de fécondité va jusqu'à sept enfants par femme. Il sera impossible de promouvoir le développement dans ces pays s'ils ne font pas l'effort de se responsabiliser et si les religions ne nous y aident pas.
Notre pays est en proie à une crise économique et sociale, mais aussi à une crise identitaire profonde. Ce type d'attentat peut-il déstabiliser la société en profondeur ?
Nous avons des tensions liées à la situation économique et des tensions qui résultent de la concentration de populations immigrées dans certains quartiers ou dans certaines zones, comme la Seine-Saint-Denis ou les quartiers Nord de Marseille. Tout cela témoigne d'une grande cécité historique de la part des pouvoirs publics. Il faut mener une politique d'intégration, mais cela suppose d'abord que la France s'aime assez elle-même pour donner envie à ses enfants de s'intégrer à elle.
Un mot sur Charles Pasqua...
Il a marqué la Place Beauvau comme ministre de l'Intérieur. Charles Pasqua était un homme qui avait été formé dans la Résistance et qui avait sans doute gardé de cette période des méthodes pas toujours très orthodoxes. On le lui a reproché. Mais cela ne doit pas masquer l'essentiel : il était un patriote et un grand serviteur de l'État. À titre personnel, je n'ai pas oublié qu'en 1992, nous avons livré un combat commun contre le traité de Maastricht, puis, en 2005, contre le traité constitutionnel européen. J'appréciais aussi l'acteur qu'il était dans tous les sens du terme. Il a puissamment animé notre scène politique, si bien que même ses adversaires ne pouvaient pas le détester.
Source : LE FIGARO
L'Europe s'est construite par effraction et l'essence du système européen est oligarchique. Le Conseil européen des chefs d'État est la seule institution légitime, mais ne se réunit que périodiquement et ne dispose pas d'outils pour traduire ses impulsions. La Commission européenne est composée de hauts fonctionnaires qui ne sont pas élus mais nommés de manière très opaque. Comme l'affirme la Cour constitutionnelle allemande de Karlsruhe, le Parlement européen n'est pas un parlement. Il ne peut pas l'être car il n'y a pas de peuple européen, mais une trentaine de peuples différents. Dès le départ, l'Europe repose sur un postulat non vérifié : on a voulu faire l'Europe contre les nations ; on pensait qu'elle pouvait s'y substituer. Or les nations sont le cadre d'expression de la démocratie. Il faut désormais aller sur la voie de l'Europe confédérale, la seule qui soit légitime et démocratique : celle qu'avait proposée le général de Gaulle en 1962 avec le plan Fouchet. Seule une Europe à géométrie variable, souple envers chaque pays, pourra avancer. Cette nouvelle Europe aurait vocation à déboucher sur une « Europe européenne » et non inféodée. Le traité transatlantique, s'il était adopté, serait un nouveau coup porté à ce qui reste de notre souveraineté. Celui-ci ne comporte pas d'avantages évidents pour la France et nous soumettrait à des normes et juridictions influencées par les États-Unis. J'attends que la France fasse entendre sa voix sur un sujet qui, du temps du général de Gaulle, ne serait pas passé inaperçu.
Sur le fond, êtes-vous favorable au oui ou au non comme Alexis Tsipras ?
Je n'ai pas à me prononcer à la place du peuple grec qui doit prendre ses responsabilités. C'est un peuple courageux. Il l'a montré à plusieurs reprises dans son histoire : dans sa guerre d'indépendance puis, en 1940, face à l'Italie fasciste qu'il a fait reculer et face à l'invasion nazie en 1941. Traditionnellement, il y a un sentiment philhéllène qui s'exprime en France. Je me compte d'ailleurs parmi les gens qui aiment la Grèce car pour moi ce pays représente aussi l'Antiquité, le grec ancien, la démocratie. Ne serait-ce que pour avoir eu jadis un accessit au concours général de version grecque, je ne peux pas leur en vouloir ! Sans la Grèce, il manquerait quelque chose d'essentiel à l'Europe.
Pour le président la Commission européenne, un non voudrait dire, indépendamment de la question posée, que la Grèce dit non à l'Europe. Partagez-vous ce point de vue ?
C'est absurde ! Comment un président de la Commission européenne peut-il parler ainsi ? Il confond la zone euro qui compte dix-huit membres et l'Union européenne qui en regroupe vingt-huit. Il existe donc dix pays qui ne sont pas dans l'union monétaire et qui sont dans l'Union européenne. La Grèce restera dans l'Europe. Et si elle doit sortir de l'euro, nous devons l'aider à le faire dans des conditions qui ne soient pas trop douloureuses. Si la Grèce sort de l'euro, elle dévaluera sa monnaie qu'on pourrait appeler l'euro-drachme et rester attachée à l'euro dans un rapport stable de l'ordre de 70 %. Il faudrait restructurer la dette à due proportion. Cette hypothèse est réaliste et remettrait la Grèce sur un sentier de croissance. Elle rendrait le pays encore plus attractif pour les touristes. Elle permettrait à la balance agricole grecque de redevenir excédentaire, ce qu'elle était avant l'euro, et de développer une économie de services notamment dans la logistique et les transports. C'est un pays magnifique, l'un des plus beaux endroits du monde, qui bénéficie d'une véritable attractivité sur le plan géographique et d'un patrimoine historique pratiquement sans équivalent. La Grèce a les moyens de se redresser.
Au-delà du cas grec, l'éclatement voire la disparition de la monnaie unique sont-ils inévitables ?
La monnaie unique a énormément accru les divergences de compétitivité entre pays européens. Prenons le cas de l'économie française. Elle avait un déficit commercial par rapport à l'Allemagne de 28 milliards de francs en 1983. Aujourd'hui, le déficit de la France sur l'Allemagne serait selon certaines sources (Eurostat) de 35 milliards d'euros. Comme l'euro représente six fois et demie le franc, le déficit a au moins quadruplé en tenant compte de l'inflation depuis 1983. La monnaie unique, qui a définitivement empêché la France de dévaluer, nous met une sorte de noeud coulant qui se resserre. Nous sommes désormais tombés au niveau d'industrialisation de la Grèce (12 % du PIB). Nos fleurons du CAC 40 se développent, mais à l'étranger.
Une sortie ordonnée de la zone euro ou du moins de la monnaie unique est-elle possible ?
Lorsqu'on a fait fausse route, il faut savoir revenir à la bifurcation et prendre la bonne direction. La monnaie commune pourrait être celle-ci. L'euro perdurerait comme symbole de notre volonté d'aller vers une Europe toujours plus unie, mais deviendrait monnaie commune et non plus unique. Elle serait valable dans les échanges internationaux en gardant des subdivisions nationales : l'euro-drachme, l'euro-lire, l'euro-mark, l'euro-franc, etc. Certains pays pourraient augmenter de quatre ou cinq pour cent la valeur de leur monnaie interne, d'autres la garder stable et certains, comme la Grèce, la diminuer. Tous les deux ou trois ans, on pourrait procéder à de légers ajustements pour tenir compte des compétitivités relatives qui permettraient de tenir dans la durée. Cette monnaie commune serait le panier des subdivisions nationales. Elle serait cotée sur le marché mondial des devises. Rien de plus simple ; le monde est flexible. Il y aurait une cotation qui interviendrait tous les jours et une certaine stabilité s'installerait entre cette monnaie commune, le dollar et le yuan. Derrière tout cela se profile la réorganisation du système monétaire international profondément malade.
Après les attentats de janvier, la France a une nouvelle fois été victime du terrorisme. Avons-nous sous-estimé la menace ?
Elle était tout à fait prévisible. J'ai dit à l'époque au président de la République que nous allions avoir devant nous des décennies de terrorisme. Aucune démocratie n'a chaviré à cause de celui-ci. Il s'agit d'une réalité douloureuse, mais auquel un grand État doit savoir faire face. Pour réduire le terrorisme, il faut garder son sang-froid, avoir une vue large et longue, une parole publique claire. Le but des islamistes est de créer un affrontement du monde musulman tout entier contre l'Occident. Ils veulent le choc des civilisations, mais nous ne devons pas tomber dans ce piège. Il faut assécher le terreau sur lequel le terrorisme djihadiste se développe. C'est beaucoup plus difficile qu'à l'époque d'Action directe car ce mouvement terroriste n'avait absolument aucun soutien dans la classe ouvrière française, alors qu'aujourd'hui un certain nombre de jeunes « paumés » peuvent être tentés par une démarche de radicalisation. Mais il faut rejeter par avance toute culture de l'excuse !
Manuel Valls a eu tort d'utiliser le terme de « choc de civilisation »...
Il faudrait lui donner le temps de s'expliquer. Samuel Huntington, lui-même, n'employait pas ce mot pour le recommander, mais pour montrer qu'il était à l'horizon. Je réfute l'idée du choc des civilisations : c'est ce que veut Daech. Ne tombons pas dans ce piège. Mais la menace de ruptures majeures pour la France vient incontestablement non pas de l'Est, mais du Sud, notamment pour des raisons démographiques. Dans l'Afrique subsahélienne, il existe des pays dont le taux de fécondité va jusqu'à sept enfants par femme. Il sera impossible de promouvoir le développement dans ces pays s'ils ne font pas l'effort de se responsabiliser et si les religions ne nous y aident pas.
Notre pays est en proie à une crise économique et sociale, mais aussi à une crise identitaire profonde. Ce type d'attentat peut-il déstabiliser la société en profondeur ?
Nous avons des tensions liées à la situation économique et des tensions qui résultent de la concentration de populations immigrées dans certains quartiers ou dans certaines zones, comme la Seine-Saint-Denis ou les quartiers Nord de Marseille. Tout cela témoigne d'une grande cécité historique de la part des pouvoirs publics. Il faut mener une politique d'intégration, mais cela suppose d'abord que la France s'aime assez elle-même pour donner envie à ses enfants de s'intégrer à elle.
Un mot sur Charles Pasqua...
Il a marqué la Place Beauvau comme ministre de l'Intérieur. Charles Pasqua était un homme qui avait été formé dans la Résistance et qui avait sans doute gardé de cette période des méthodes pas toujours très orthodoxes. On le lui a reproché. Mais cela ne doit pas masquer l'essentiel : il était un patriote et un grand serviteur de l'État. À titre personnel, je n'ai pas oublié qu'en 1992, nous avons livré un combat commun contre le traité de Maastricht, puis, en 2005, contre le traité constitutionnel européen. J'appréciais aussi l'acteur qu'il était dans tous les sens du terme. Il a puissamment animé notre scène politique, si bien que même ses adversaires ne pouvaient pas le détester.
Source : LE FIGARO