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N’insultons pas les Jacobins


Intervention de Jean-Pierre Chevènement lors du débat sur la suppression de la taxe professionnelle, jeudi 19 novembre 2009.


N’insultons pas les Jacobins
Monsieur le Président, Madame et Monsieur les Ministres, mes chers collègues,

Il est paradoxal de commencer une réforme des collectivités territoriales par la suppression de leur principale recette. Le gouvernement met la charrue avant les bœufs. Il eût fallu commencer par les règles d’organisation et les compétences des collectivités et conclure par les recettes. Le fait que vous inversiez cet ordre logique contribue inévitablement à susciter la méfiance des élus.

Le Conseil économique et social avait proposé à l’unanimité, il y a peine deux ans, un vaste plan de réforme et de remise en ordre de la fiscalité locale, un plan rationnel et progressif restaurant la lisibilité perdue de l’impôt payé à la commune, au département ou à la Région. Et au lieu de cela, vous nous proposez une réforme bâclée comportant la suppression d’une recette représentant près de la moitié des ressources des collectivités, en l’absence de toute simulation et sans que ces collectivités sachent, chacune pour ce qui la concerne, comment cette recette manquante pourra être compensée : La visibilité n’est pas au rendez-vous. La cotisation complémentaire sur la valeur ajoutée sera-t-elle déductible comme l’est la TVA, notamment à l’exportation ? Pourquoi exonérer 90 % des entreprises si c’est pour réintégrer ensuite leurs bases dans le calcul de ce que recevront les collectivités ? N’y a-t-il pas là une considérable entorse au principe de la territorialisation ? Comment le coût pour les Finances publiques va-t-il passer en deux ans de plus de 12 milliards d’euros à 4,7 milliards seulement ?

Nous sommes dans le bleu, Madame et Monsieur les Ministres !

Je ne veux pas faire l’éloge de la fiscalité locale existante : c’est un fouillis. Mais à un fouillis vous substituez un autre fouillis.

I – L’argument de la compétitivité avancée par le Président de la République pour justifier la suppression de la taxe professionnelle ne tient pas la route. Vous l’avez dit, Monsieur le Ministre des Comptes, il s’agit de retirer un alibi aux entreprises qui délocalisent : mais elles en trouveront d’autres ! Madame Lagarde nous a expliqué qu’il ne fallait pas décourager l’investissement des entreprises. Mais le montant de la taxe professionnelle n’est pas la principale motivation de l’investissement et de loin. Toutes les enquêtes réalisées montrent qu’il n’intervient qu’en septième ou huitième position dans les motivations des chefs d’entreprises.

L’allègement des charges induit que la réforme sera, au-delà de 2010 et après acquittement de l’impôt sur les sociétés, ramené à 4,3 milliards d’euros par an au bénéfice des entreprises. Quand on sait que nos exportations annuelles atteignent 400 milliards d’euros, on voit que le regain de compétitivité ainsi obtenu sera marginal par rapport à la perte de compétitivité consécutive à la surévaluation croissante de l’euro par rapport au dollar, au yuan et à la livre britannique. Les dévaluations compétitives de nos concurrents portent une atteinte autrement plus grave à notre compétitivité que la taxe professionnelle, « l’impôt le plus imbécile du monde, aurait dit Churchill, à l’exception de tous les autres ». Prétendre ainsi lutter contre les délocalisations industrielles n’est qu’un effet de manche !

Le problème de la compétitivité de nos entreprises est réel par rapport à la concurrence déloyale des économies à bas coût salarial et à celle du dollar et des monnaies qui lui sont rattachées. Vouloir traiter ce problème des délocalisations industrielles à travers la suppression de la taxe professionnelle c’est au mieux voir les choses par le petit bout de la lorgnette ou plus prosaïquement vouloir satisfaire une clientèle !

Pour ce qui est de l’industrie, ce sera cautère sur jambe de bois ! L’entreprise mondialisée va là où sont les marchés du futur et la France fait de moins en moins partie de son horizon. Voyez Renault qui fabrique plus des deux tiers de ses voitures à l’étranger et Peugeot qui en réalise encore la moitié mais qui vient d’annoncer la suppression de 6 000 emplois en France. Est-ce là la contrepartie du Plan automobile qui a alloué 3 milliards d’euros de crédits publics à ces deux entreprises ? Seul le rétablissement d’une concurrence équitable entre l’Europe et ses concurrents américain et asiatique est de nature à restaurer la compétitivité de nos entreprises et à redynamiser notre économie.

Pour que la France reste une terre de production il faut réunir d’autres conditions : une concurrence rendue enfin équitable d’abord par une réforme du système monétaire international, et ensuite par des clauses anti-dumping en matière sociale et environnementale.

Cette suppression de la taxe professionnelle revendiquée comme la sienne par le Président de la République est en réalité une mesure voulue depuis toujours par le MEDEF. Or même du point de vue des entreprises, elle n’est pas judicieuse.

La cotisation territoriale constituera un lien beaucoup plus ténu entre l’entreprise et le territoire. Qui ne voit aussi bien que les entreprises ont besoin de services publics de qualité ? Les services risquent fort de se trouver, en définitive, pénalisés par votre réforme. Est-il bien opportun de surtaxer ainsi le développement du secteur tertiaire, le plus créateur d’emplois ?


II – J’en viens maintenant aux Collectivités territoriales.

Il n’est pas convenable de vouloir supprimer la taxe professionnelle sans leur avoir au préalable assuré un juste système de remplacement. Il est trop facile de remettre à plus tard la définition précise des règles fiscales en fonction des compétences qui seront ou non transférées et de laisser au Parlement le soin de préciser les mécanismes de répartition entre les différents niveaux de collectivités. Quoi qu’en ait dit Monsieur le Premier ministre devant le Congrès de l’AMF, il n’y a rien non plus de très précis dans votre projet sur les mécanismes de péréquation que l’Etat républicain doit aux collectivités les moins bien dotées.

Vous réformez en aveugle. Vous l’avez dit vous-même, Monsieur le Ministre, « La répartition entre niveaux de collectivités, n’est pas, à compétences inchangées, arrivée à son terme. La loi sur les compétences viendra après. Il faudra alors faire jouer le curseur des compétences ». Je vous ai cité ! Comment mieux établir que votre projet marche sur la tête en faisant dépendre les compétences de ressources que vous ne connaissez pas encore ?

Ainsi, le gouvernement prend le gage : il supprime la taxe professionnelle et il renvoie au Parlement le soin de définir à quelle sauce les collectivités vont être mangées. Celles-ci ne manqueront pas de se déchirer. Devant le spectacle de ces déchirements, le gouvernement pourra se frotter les mains. Mais cette méthode est peu respectueuse de la dignité des élus et du consensus qu’il eût fallu rechercher, aux dires mêmes du Président de la République, pour réussir cette réforme. C’est pourquoi, comme vous l’ont suggéré deux anciens Premier ministres, MM. Juppé et Raffarin, nous voterons contre cette réforme, en l’état.

Faut-il associer, comme le suggère le Président de la République, les collectivités territoriales à l’effort de maîtrise budgétaire entrepris, selon lui, par l’Etat ? La dette des collectivités locales n’est que le dixième de la dette publique totale. Les collectivités territoriales votent leur budget en équilibre. Faut-il casser, pour un si médiocre résultat prévisible, l’investissement des collectivités locales ? C’est-à-dire 75 % de l’investissement public ? Cet investissement contribue à la compétitivité du territoire français, à la qualité de la vie et même à notre bon taux de natalité.

Vouloir casser l’élan des collectivités locales, c’est revenir sur quatre décennies de décentralisation réussie. Que de réalisations ! Le patrimoine de nos lycées, de nos collèges, les transports régionaux, le visage de nos villes et de nos villages, l’accueil faite à la petite enfance à travers crèches, haltes-garderies, maternelles, la conciliation améliorée du travail des femmes et de leur épanouissement personnel, bref notre haut taux de natalité, est-ce cela que vous voulez casser ?

La suppression de la taxe professionnelle ne sera pas intégralement compensée. Soit que les nouveaux impôts n’aient pas des bases évoluant de manière aussi dynamique que celles de la taxe professionnelle, soit que leur taux ou leur assiette soit insuffisant, soit que les dotations censées compenser les moins values fiscales se trouvent rapidement indexées sur la DGF, dont le taux de progression est inférieur à celui de l’inflation.

La suppression de la taxe professionnelle fera mal aux collectivités. Elle défera surtout le filet de sécurité offert à nos concitoyens par les politiques locales devant vos méthodes. Certains, même dans la majorité, crient au jacobinisme. Mais le jacobinisme était progressiste alors que votre réforme tend à la régression. N’insultons pas les Jacobins !

L’intercommunalité, en mettant en commun les compétences stratégiques des communes, leur a donné les moyens de les exercer. Le Président de la République s’est étonné, dans son discours de Saint-Dizier, que les effectifs des EPCI aient crû de 64 % depuis dix ans, c’est-à-dire depuis 1999. Mais c’est la preuve de la réussite, parce qu’à l’époque l’intercommunalité urbaine n’existait quasiment pas, en dehors d’une douzaine de communautés urbaines et de cinq communautés de ville, alors que depuis cette date, se sont créées pas moins de 174 communautés d’agglomération de plus de 50 000 habitants et trois communautés urbaines supplémentaires par rapport aux douze existantes de plus de 500 000 habitants : Marseille, Nantes et Nice.

Ces communautés exercent aujourd’hui dans des domaines stratégiques – développement économique, habitat, transports, etc. – des compétences que les communes adhérentes n’exerçaient pas ou exerçaient mal. Simplement, vous allez les priver de la ressource correspondante, la taxe professionnelle unique qui allait de pair avec la mise en commun des compétences et permettait leur exercice. La taxe professionnelle unique représentait la quasi-totalité des ressources de cette intercommunalité très intégrée. Ce qui va la remplacer – la cotisation foncière et 20 % de la cotisation sur la valeur ajoutée – représentera une recette très notablement inférieure. Comment imaginer que les dynamiques engagées puissent se poursuivre, sinon par le recours accru à la fiscalité additionnelle pesant sur les ménages ?

Les ménages seront les grands perdants. Il est donc tout à fait légitime de s’interroger sur la pertinence de certains cadeaux supplémentaires faits aux entreprises :

1. Par exemple la taxe professionnelle à taux unique, au moins à l’échelle de la commune ou de l’agglomération, sera remplacée par une cotisation complémentaire à un taux progressif qui, compte tenu de l’abattement de 1000 euros pour les PME, laissera 90 % des entreprises en dehors du champ d’application du nouvel impôt. Pourquoi vouloir faire payer les ménages et pas les entreprises ? Un juste équilibre est nécessaire

2. Le projet d’abaisser le seuil d’exonération de cotisation complémentaire de 500 000 à 152 000 euros va dans le sens d’un élargissement de l’assiette du nouvel impôt, d’un meilleur rendement et d’une plus grande équité. Il faut le rétablir.

3. Ainsi convient-il, à mon sens, de supprimer la disposition qui plafonne à 3% de la valeur ajoutée le montant de la cotisation économique territoriale. 3,5 % c’était déjà beaucoup !

4. Pourquoi enfin vouloir plafonner l’assiette taxable à 80 % du chiffre d’affaires ?

5. Et pour la taxe foncière, pourquoi l’amendement de notre Commission des Finances veut-il diminuer de 15 % de la valeur locative des immobilisations industrielles ?

Toutes ces dispositions doivent être supprimées car elles sont autant de cadeaux fiscaux arbitraires faits à certaines catégories. Oui à l’effort, Madame et Monsieur les Ministres, mais à l’effort équitablement partagé !

La suppression de la taxe professionnelle, en l’absence de simulations sur les effets de son remplacement, est enfin très inopportune. Elle va créer un réflexe d’attente dans les collectivités. Celles-ci, avant de lancer de nouvelles opérations d’investissement, voudront connaître le montant de leurs ressources futures.

Il y a quelques mois le gouvernement lançait un plan de relance de l’économie. Là c’est un formidable coup de frein qui va être donné à l’investissement public.

Il est paradoxal de voir le gouvernement et sa majorité à la fois proposer un budget en déséquilibre massif, bouclier fiscal et exonérations abusives aidant, et prononcer des vœux de continence à perpétuité à l’usage des collectivités locales. Le péché et la contrition se donnant en spectacle simultané, les prédications de MM. Arthuis et Marini couvrant les dérèglements véritablement affreux au regard de l’orthodoxie de Mme Lagarde et de M. Woerth. C’est vraiment du grand Mauriac !


Rédigé par Jean-Pierre Chevènement le Jeudi 19 Novembre 2009 à 23:58 | Lu 5305 fois



1.Posté par Claire le 23/11/2009 11:24
Allusion littéraire amusante quoique la situation soit grave pour la France...

Moi j'aurais dit : " Macbeth, à côté, c'est de la roupie de sansonnet!"

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