Certes, dès 1978, François Furet la déclarait-elle « terminée », depuis qu’à la fin du XIXe siècle, la IIIe République avait été instituée sur des bases solides. Mais l’historiographie de gauche ne partageait pas ce point de vue : qu’elle fut communiste, socialiste, radicale et même mitterrandienne. 1989 fut aussi l’année de la chute du mur de Berlin, deux ans avant celle de l’URSS. Et la tentation était grande de faire de la défaite de la révolution d’octobre 1917, une défaite de la révolution française dans sa phase jacobine et terroriste. Un grand publiciste français dans la mouvance de François Furet déclara ainsi : « Je suis pour la Révolution française, jusqu’aux « Feuillants »».
Dans les années précédentes, le Professeur Ernst Nolte, dont je salue la présence, avait cherché à montrer que le national-socialisme ne pouvait se comprendre dans son époque que comme réplique au bolchevisme. A travers le concept de guerre civile européenne, il européise le national-socialisme en le rattachant au fascisme et même à l’Action française, omettant le fait que celle-ci n’a jamais pu l’emporter en France par la voie électorale, mais seulement de façon d’ailleurs partielle à la faveur d’une défaite et d’une capitulation, auxquelles elle s’était résignée de bon cœur, derrière son maître, Charles Maurras. Ce faisant Ernst Nolte évacue trop vite, à mon sens, la question de la filiation pangermaniste du national-socialisme. Il réduit celui-ci à un antibolchevisme et fait la part trop belle aux émotions bourgeoises et petites-bourgeoises qui pouvaient le faire comprendre, sinon le justifier.
Dans les années précédentes, le Professeur Ernst Nolte, dont je salue la présence, avait cherché à montrer que le national-socialisme ne pouvait se comprendre dans son époque que comme réplique au bolchevisme. A travers le concept de guerre civile européenne, il européise le national-socialisme en le rattachant au fascisme et même à l’Action française, omettant le fait que celle-ci n’a jamais pu l’emporter en France par la voie électorale, mais seulement de façon d’ailleurs partielle à la faveur d’une défaite et d’une capitulation, auxquelles elle s’était résignée de bon cœur, derrière son maître, Charles Maurras. Ce faisant Ernst Nolte évacue trop vite, à mon sens, la question de la filiation pangermaniste du national-socialisme. Il réduit celui-ci à un antibolchevisme et fait la part trop belle aux émotions bourgeoises et petites-bourgeoises qui pouvaient le faire comprendre, sinon le justifier.
Or il ne serait pas difficile de montrer que les principaux ingrédients du national-socialisme étaient déjà présents dans l’Allemagne d’avant 1914 bien que séparément : pangermanisme, désir de conquêtes quasi coloniales à l’Est de l’Europe perçues comme une légitime compensation à l’éviction de l’Allemagne du partage du monde, racialisme, antisémitisme, etc.
Certes ces éléments étaient séparés avant 1914 et leur cristallisation dans une idéologie totalitaire n’a pu s’opérer qu’à la faveur de la guerre, de la défaite et de l’ardent désir de revanche qui en était né, sans parler de la crise économique du début des années trente, qui éprouva particulièrement l’Allemagne, et fournit l’occasion de l’accession de Hitler au pouvoir.
Le rapprochement du bolchevisme et du national-socialisme peut bien sûr se fonder sur des traits communs mais méconnaît l’enracinement du premier dans une idéologie universaliste, à la différence du second, particularisme exacerbé, au nom de la race.
L’extermination des Juifs et la liquidation des « koulaks » en tant que classe, quelque horribles qu’aient pu en être les formes, ne peuvent être assimilées l’une à l’autre. Et il ne suffit pas d’extraire quelques citations de Zinoviev et de Trotski mettant le terrorisme au service de la Révolution pour établir un pendant convaincant avec l’antisémitisme d’extermination de Hitler, tel que formulé dans son discours du 15 janvier 1939, si ce n’est déjà dans Mein Kampf.
L’assimilation du communisme et du national-socialisme est tentante. Cette thèse, développée par E. Nolte, soutient le livre noir du communisme de Stéphane Courtois mais cette « réductio ad hitlerum », pour parler comme Pierre-André Taguieff, repose sur l’idée que le XXe siècle, de 1917 à 1991, n’aurait été qu’une parenthèse. Elle ne rétablit le temps long de l’Histoire que pour affirmer avec François Furet une filiation directe entre le jacobinisme et le bolchevisme. La thèse d’Ernst Nolte omet de rappeler que la première guerre mondiale a commencé en 1914 et qu’elle conclut ce qu’on a appelé la « première mondialisation ». Cette thèse identifiant les deux totalitarismes est démentie par les conditions tout à fait inédites de l’effondrement du communisme. Celui-ci procède en effet d’une remise en question radicale de ses postulats de base par les dirigeants communistes eux-mêmes.
C’est le ralliement de Gorbatchev aux valeurs universelles et la fin du monopole accordé au PCUS qui ont entraîné la dissociation de l’Etat soviétique. Cette contradiction interne entre les objectifs et la réalité n’existait pas dans le national-socialisme qui se voulait une subversion complète des valeurs judéo-chrétiennes laïcisées qu’on appelle en France les valeurs républicaines et ailleurs les valeurs libérales. Il est vrai que ces deux appellations ne recouvrent pas tout à fait les mêmes réalités conceptuelles. La République, en France, comporte deux ailes : une aile au repos qu’on peut qualifier de libérale, celle qui considère la Révolution comme terminée, et une aile marchante, pour laquelle la Révolution garde une valeur d’annonciation. Ainsi Clemenceau, peu suspect de tendresse pour le bolchevisme, déclarait-il de la Révolution qu’elle était « un bloc » et de la République « une idée toujours neuve ».
Clemenceau se disait anti-collectiviste, mais se réclamait d’un socialisme individualiste, au moins dans la période qui va de 1871 à 1914. Longtemps rejeté du Panthéon de la gauche, tant que celle-ci n’avait pu connaître une expérience longue du pouvoir, en gros jusqu’en 1981, il est aujourd’hui en voie de réhabilitation, comme le montre le livre récent de Michel Winnock. Le combat des historiens est une forme raffinée de guerre civile. Le déroulement des évènements met en valeur tantôt l’une ou l’autre thèse. Après 1991, l’historien américain Francis Fukuyama a proclamé « la fin de l’Histoire » et le triomphe définitif du libéralisme. On a vu, avec l’autonomisation des pays émergents, à la fin de la décennie 1990, avec la crise américaine en 2000, le 11 septembre 2001, et avec l’invasion de l’Irak en 2003, débouchant sur « un clash de civilisations » et sur une crise profonde à la fois de la globalisation et de l’Hyperpuissance qui la soutient, que la thèse d’Huntington était plus opératoire que celle de Fukuyama.
Le retour de la Russie n’a rien à voir avec celui de l’URSS mais la Russie actuelle est loin de disqualifier entièrement l’héritage soviétique. A certains égards l’analyse de l’historien américain Moshe Lewin sur « le siècle soviétique » permet de séparer le bon grain de l’ivraie dans une histoire qui a duré quand même soixante-treize ans. Il y a une nostalgie de la social-démocratie d’Etat que Poutine cherche à satisfaire. Chaque pays dans son histoire a connu une période de violence révolutionnaire comme l’Angleterre au XVIIe siècle, la France au XVIIIe et XIXe siècles, et la Russie au XXe, ou contre-révolutionnaire comme l’Allemagne de 1933 à 1945, ou les deux comme l’Italie, du Risorgimento au fascisme.
*
L’idée d’égalité ne s’est pas imposée facilement dans l’Histoire humaine parce qu’elle est contraire à l’apparence. L’idée de différence est beaucoup plus accessible et potentiellement plus dangereuse. Si l’égalité des citoyens existait dans la cité grecque ou dans la République romaine, elle laissait de côté les métèques et les esclaves. C’est le christianisme qui a donné à l’idée de l’égalité cette force propulsive universelle qui existe aussi dans l’Islam, mais l’égalité des musulmans ne vaut que dans « l’Oumma » alors que c’est la Révolution française qui a laïcisé l’idée chrétienne en disposant que tous les Hommes, partout, naissent libres et égaux en droit.
Par définition, l’égalité est toujours à réaliser, même si on ne parle que de l’égalité en droit. Les conditions de départ n’étant pas les mêmes pour les uns et pour les autres, des mesures correctrices s’imposent même, s’il doit être établi que chacun doit pouvoir aller au bout de toutes ses capacités. C’est ce que j’avais appelé en 1984 « l’élitisme républicain », qui ne faisait au fond que reprendre le mot d’ordre de Paul Langevin s’agissant des missions de l’Ecole : « assurer la promotion de tous et la sélection des meilleurs ».
Cette conception de l’égalité s’oppose bien évidemment à l’égalitarisme niveleur et à l’idéologie de la communauté éducative dite pédagogiste qui voudrait empêcher les uns de progresser de manière à ne pas faire sentir aux autres leur retard. Cette conception de l’éducation n’a évidemment rien à voir avec l’idéal républicain des Lumières. Elle lui tourne le dos en proclamant plus désirable l’égalité dans l’obscurantisme que les lumières offertes à tous.
Je ne suis pas si loin de mon sujet qu’il apparaît : La Révolution française s’est heurtée dès le départ à une pensée contre-révolutionnaire organisée : Burke et Maistre. La Révolution française ne s’est pas arrêtée avec le triomphe des Républicains en 1877-1881. La conquête de la République sociale restait à réaliser. Tel était le sens de la synthèse jaurésienne, de l’« histoire socialiste de la Révolution française » et de sa définition du socialisme comme « la République accomplie jusqu’au bout ». La révolution d’octobre et l’Union soviétique ont éclipsé pendant le court XXe siècle la force de l’idée républicaine, telle que l’a décrite et illustrée Claude Nicolet. Celle-ci est cependant restée vivante dans la gauche socialiste et radicale et dans le gaullisme. C’est à partir du milieu des années 1970 que se développe la contre-offensive des idées dites libérales, mais en réalité contre-révolutionnaires – car elles allaient bien au-delà d’une critique du communisme et renouaient avec une critique beaucoup plus ancienne de la Révolution française. On ne peut abstraire ce moment idéologique de la victoire du courant néo-conservateur et libéral dans le monde anglo-saxon et de la « globalisation » subséquente. Soljenitsyne, François Furet, Ernst Nolte pour ne pas parler des pseudos « nouveaux philosophes » en France ou des publicistes néo-conservateurs aux Etats-Unis appartiennent à un moment idéologique aujourd’hui en voie de dépassement. Car l’Histoire continue. La globalisation financière est entrée en crise. Le programme de néo-conservatisme libéral comme retour à un monde d’avant 1914 que l’histoire n’aurait jamais dû quitter apparaît comme une illusion.
La seconde mondialisation, sous égide américaine, révèle sa fragilité. L’avènement d’un monde multipolaire, gros de tensions, semble inévitable. Dans ce contexte la lutte pour l’égalité entre puissances installées et puissances émergentes, élites mondialisées et couches populaires assignées au local n’a nullement perdu de son acuité. De nouveaux équilibres et de nouvelles règles du jeu doivent être trouvés.
Le XXe siècle a ébranlé en profondeur la domination de l’Occident sur le monde. Dans la fin des empires coloniaux européens et dans l’avènement du communisme en Chine, l’URSS a joué un rôle déterminant. Vu de ce qu’on appelait autrefois le Tiers-monde, notre court vingtième siècle ne s’est pas borné à l’affrontement de deux totalitarismes.
La victoire de l’URSS en 1945 a déplacé très sensiblement le rapport des forces sociales et politiques dans le monde entier. La classe ouvrière d’Europe occidentale en a d’ailleurs bénéficié, elle aussi, de 1945 à 1974 car elle a pu négocier le Welfare State grâce à la peur du communisme. Après le cycle du New-Deal, celui des trente glorieuses est venu un autre cycle, celui du néo conservatisme libéral et de la globalisation financière. Moins de vingt ans séparent la chute de Saïgon en 1975 et la chute de l’URSS en 1991. Mais il est probable que nous apercevons les prémices de la fin de ce cycle, dont la philosophie, à la différence du précédent, était et reste imprégnée de valeurs inégalitaires.
Au fond, c’est bien de l’égalité qu’il s’agit et des valeurs que l’Ecole a pour rôle de transmettre. Dans l’héritage de la Révolution française, la valeur d’égalité est centrale, même si elle ne doit pas être confondue avec ses déviations égalitaristes. Je ne souhaite pas pour ma part que la critique abusive de deux Révolutions injustement confondues, aboutisse à miner les croyances qui sous-tendent l’Ecole républicaine car on n’enseigne que ce à quoi on croit, comme l’a souligné avec force Hannah Arendt dans « Crise de la culture ». L’Histoire a certes toujours besoin d’être revisitée et je suis pour la liberté de la recherche dans ce domaine comme dans tous les autres, mais ce qu’on appelle révisionnisme au sens d’entreprise généralisée de remise en cause des valeurs nées de la Révolution française, doit trouver sa limite dans la résistance des valeurs républicaines que les enseignants, depuis Jules Ferry, ont la charge de faire vivre. De l’interprétation de l’Histoire depuis 1789 découle bien évidemment une conception de l’Ecole.
François Furet, Ernst Nolte ont certes nourri le débat d’idées au tournant des années quatre-vingt. Mais qui dit débat dit forcément contradiction. Ce ne serait pas servir l’Ecole de la République que d’étouffer cette contradiction motrice. Je suis sûr que l’IUFM de Franche-Comté saura replacer cette controverse dans le cadre d’une réflexion philosophique et historique approfondie avec le souci de demeurer fidèle aux valeurs que les Pères fondateurs de l’Ecole républicaine lui ont donné mission de transmettre.
--------------
Annexes
I.
Je ne résiste pas au plaisir d’une citation :
(Préface au « Siècle de l’avènement républicain » - 1983 Gallimard)
François Furet et M. Ozouf, présentent une histoire de nos Républiques et concluent :
« Il arrive pourtant à nouveau qu’on use du mot République comme d’un mot-programme, d’un mot combat supposé réveiller et galvaniser les énergies. Se dire républicain, c’est alors bien plus que donner son assentiment au régime … C’est dans un monde hédoniste, individualiste, menacé d’engourdissement civique et de platitude, manifester son attachement à un modèle de participation politique et d’intégrité morale que diffusait l’Ecole des hussards noirs et faire fond à nouveau sur une pédagogie délibérément normative. C’est célébrer la communion sociale et poursuivre la critique du libéralisme si centrale dans la politique française ».
Il ajoute, il est vrai :
« C’est au moment où s’éteint la culture révolutionnaire, tenter d’en tisonner encore les centres. Car l’idée républicaine, autrefois considérée comme tout juste bonne à asseoir et à camoufler la domination bourgeoise, symbole même du passé à dépasser par l’idée socialiste paraît en préparer aujourd’hui l’avenir …
Ironie de l’histoire …
Ignorance de l’Histoire, tant les valeurs invoquées s’alimentent à une représentation largement imaginaire de la IIIe République. On peut enfin douter des chances de succès d’une idée si visiblement défensive et substitutive. Mais dans ces textes neufs de l’idée républicaine, on retrouve toujours une vieille étoffe : l’idée de Révolution qui, même discréditée, même vaincue, continue de mettre sur l’idée républicaine en France une marque inimitable ».
Mes observations :
1. Qui disait la Révolution comme discréditée, vaincue ? F. Furet et M. Ozouf
2. Tous deux méconnaissent l’exigence républicaine, présente chez les Pères fondateurs même sous la Ve République avec le général de Ga ulle, présente chez Mendès-France et encore aujourd’hui chez d’autres.
3. Il est vrai que l’idée républicaine telle que je l’ai conçue correspondait dans les années soixante-dix à une stratégie gramscienne : gagner à la gauche du PCG (socialistes et communistes) les « autres » et d’abord les gaullistes. Puis au fil du temps elle est devenue une exigence opposée à l’opportunisme de la gauche, en ce sens seulement « défensive ».
II.
Alain Joxe montre que dans le peuple russe après 1991, adepte d’une stratégie à la Koutousof, il demeure une nostalgie de la social-démocratie d’Etat que lui assurait le régime soviétique et que Poutine va peu à peu et partiellement reconstituer grâce au rétablissement de l’économie à partir de l’an 2000.
Nostalgie aussi sans doute de la grandeur russe, et du respect que le monde éprouvait vis-à-vis de l’URSS. Poutine ne peut reconstituer la puissance de l’URSS encore moins l’URSS mais il peut refaire de la Russie une grande nation respectée et ayant retrouvé le sens de sa dignité.
En ce sens le peuple russe n’est pas dans la situation du peuple allemand qui doit annuler l’épisode national-socialiste, comme s’il n’avait pas existé. Le peuple russe peut « traiter » sa révolution, en faire une partie de sa mémoire, trier le bon grain de l’ivraie. Le PC de Russie reste la deuxième force politique avec 17 % des voix. Le peuple russe reste avec la Révolution d’Octobre dans un rapport beaucoup plus proche de la manière dont la France au XIXe siècle a traité la Révolution française.
Le socialisme a été une illusion, mais il a été aussi une réalité : sinon un raccourci du moins une méthode d’industrialisation, d’urbanisation, d’accès à la modernité (Raymond Aron – Charles Morazé).
L’idée d’un peuple tirant de ses propres forces la capacité de transformer sa société au prix de souffrances inhumaines mais qui se sépare de son régime non pas sans douleur car la décennie Eltsine sera terrible mais presque sans effusion de sang (si on excepte l’affaire tchétchène).
Vers la réconciliation des deux grands peuples européens que sont le peuple allemand et le peuple russe, réconciliation qui ne peut se faire en renvoyant dos à dos l’utopie communiste et la folie de conquête et de domination, au nom de la race, du national-socialisme. Cette réconciliation ne peut se faire, selon moi, que sur une base socialiste ou social-démocrate (critique de la révolution bolchevique comme aventuriste, méconnaissant la réalité du sous-développement économique et social de la Russie mais rejet absolu du national-socialisme (ce qui ne signifie pas du peuple allemand).
III.
Il y a quelque chose d’émouvant chez Ernst Nolte et à certains égards de bien compréhensible, la souffrance que peut éprouver un Allemand à devoir supporter l’assimilation de l’Allemagne au national-socialisme.
Sans doute une partie des forces politiques allemandes peut-être exonérée des crimes du nazisme : les partis de gauche et même le Zentrum .
Mais la droite dite nationale, en fait nationaliste, même si elle a, sur la fin, répudié le nazisme (Stauffenberg) porte comme une tunique de Nessus d’avoir appelé Hitler au pouvoir.
Quand au peuple allemand, ses vertus même ont été détournées au service du mal, ce qui l’interpelle encore aujourd’hui sur les valeurs dont il se sent, et à juste titre, historiquement porteur.
L’enracinement du national-socialisme dans l’Histoire allemande n’est sans doute pas le déterminant unique du national-socialisme mais il en est le principal :
-Idéologie völkisch
-Antisémitisme
-Pangermanisme
Ajoutons que la guerre de 1914-1918 a agi comme facteur de « brutalisation » (George Mosse)
Mais le peuple allemand ne saurait être identifié au national-socialisme.
Certes ces éléments étaient séparés avant 1914 et leur cristallisation dans une idéologie totalitaire n’a pu s’opérer qu’à la faveur de la guerre, de la défaite et de l’ardent désir de revanche qui en était né, sans parler de la crise économique du début des années trente, qui éprouva particulièrement l’Allemagne, et fournit l’occasion de l’accession de Hitler au pouvoir.
Le rapprochement du bolchevisme et du national-socialisme peut bien sûr se fonder sur des traits communs mais méconnaît l’enracinement du premier dans une idéologie universaliste, à la différence du second, particularisme exacerbé, au nom de la race.
L’extermination des Juifs et la liquidation des « koulaks » en tant que classe, quelque horribles qu’aient pu en être les formes, ne peuvent être assimilées l’une à l’autre. Et il ne suffit pas d’extraire quelques citations de Zinoviev et de Trotski mettant le terrorisme au service de la Révolution pour établir un pendant convaincant avec l’antisémitisme d’extermination de Hitler, tel que formulé dans son discours du 15 janvier 1939, si ce n’est déjà dans Mein Kampf.
L’assimilation du communisme et du national-socialisme est tentante. Cette thèse, développée par E. Nolte, soutient le livre noir du communisme de Stéphane Courtois mais cette « réductio ad hitlerum », pour parler comme Pierre-André Taguieff, repose sur l’idée que le XXe siècle, de 1917 à 1991, n’aurait été qu’une parenthèse. Elle ne rétablit le temps long de l’Histoire que pour affirmer avec François Furet une filiation directe entre le jacobinisme et le bolchevisme. La thèse d’Ernst Nolte omet de rappeler que la première guerre mondiale a commencé en 1914 et qu’elle conclut ce qu’on a appelé la « première mondialisation ». Cette thèse identifiant les deux totalitarismes est démentie par les conditions tout à fait inédites de l’effondrement du communisme. Celui-ci procède en effet d’une remise en question radicale de ses postulats de base par les dirigeants communistes eux-mêmes.
C’est le ralliement de Gorbatchev aux valeurs universelles et la fin du monopole accordé au PCUS qui ont entraîné la dissociation de l’Etat soviétique. Cette contradiction interne entre les objectifs et la réalité n’existait pas dans le national-socialisme qui se voulait une subversion complète des valeurs judéo-chrétiennes laïcisées qu’on appelle en France les valeurs républicaines et ailleurs les valeurs libérales. Il est vrai que ces deux appellations ne recouvrent pas tout à fait les mêmes réalités conceptuelles. La République, en France, comporte deux ailes : une aile au repos qu’on peut qualifier de libérale, celle qui considère la Révolution comme terminée, et une aile marchante, pour laquelle la Révolution garde une valeur d’annonciation. Ainsi Clemenceau, peu suspect de tendresse pour le bolchevisme, déclarait-il de la Révolution qu’elle était « un bloc » et de la République « une idée toujours neuve ».
Clemenceau se disait anti-collectiviste, mais se réclamait d’un socialisme individualiste, au moins dans la période qui va de 1871 à 1914. Longtemps rejeté du Panthéon de la gauche, tant que celle-ci n’avait pu connaître une expérience longue du pouvoir, en gros jusqu’en 1981, il est aujourd’hui en voie de réhabilitation, comme le montre le livre récent de Michel Winnock. Le combat des historiens est une forme raffinée de guerre civile. Le déroulement des évènements met en valeur tantôt l’une ou l’autre thèse. Après 1991, l’historien américain Francis Fukuyama a proclamé « la fin de l’Histoire » et le triomphe définitif du libéralisme. On a vu, avec l’autonomisation des pays émergents, à la fin de la décennie 1990, avec la crise américaine en 2000, le 11 septembre 2001, et avec l’invasion de l’Irak en 2003, débouchant sur « un clash de civilisations » et sur une crise profonde à la fois de la globalisation et de l’Hyperpuissance qui la soutient, que la thèse d’Huntington était plus opératoire que celle de Fukuyama.
Le retour de la Russie n’a rien à voir avec celui de l’URSS mais la Russie actuelle est loin de disqualifier entièrement l’héritage soviétique. A certains égards l’analyse de l’historien américain Moshe Lewin sur « le siècle soviétique » permet de séparer le bon grain de l’ivraie dans une histoire qui a duré quand même soixante-treize ans. Il y a une nostalgie de la social-démocratie d’Etat que Poutine cherche à satisfaire. Chaque pays dans son histoire a connu une période de violence révolutionnaire comme l’Angleterre au XVIIe siècle, la France au XVIIIe et XIXe siècles, et la Russie au XXe, ou contre-révolutionnaire comme l’Allemagne de 1933 à 1945, ou les deux comme l’Italie, du Risorgimento au fascisme.
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L’idée d’égalité ne s’est pas imposée facilement dans l’Histoire humaine parce qu’elle est contraire à l’apparence. L’idée de différence est beaucoup plus accessible et potentiellement plus dangereuse. Si l’égalité des citoyens existait dans la cité grecque ou dans la République romaine, elle laissait de côté les métèques et les esclaves. C’est le christianisme qui a donné à l’idée de l’égalité cette force propulsive universelle qui existe aussi dans l’Islam, mais l’égalité des musulmans ne vaut que dans « l’Oumma » alors que c’est la Révolution française qui a laïcisé l’idée chrétienne en disposant que tous les Hommes, partout, naissent libres et égaux en droit.
Par définition, l’égalité est toujours à réaliser, même si on ne parle que de l’égalité en droit. Les conditions de départ n’étant pas les mêmes pour les uns et pour les autres, des mesures correctrices s’imposent même, s’il doit être établi que chacun doit pouvoir aller au bout de toutes ses capacités. C’est ce que j’avais appelé en 1984 « l’élitisme républicain », qui ne faisait au fond que reprendre le mot d’ordre de Paul Langevin s’agissant des missions de l’Ecole : « assurer la promotion de tous et la sélection des meilleurs ».
Cette conception de l’égalité s’oppose bien évidemment à l’égalitarisme niveleur et à l’idéologie de la communauté éducative dite pédagogiste qui voudrait empêcher les uns de progresser de manière à ne pas faire sentir aux autres leur retard. Cette conception de l’éducation n’a évidemment rien à voir avec l’idéal républicain des Lumières. Elle lui tourne le dos en proclamant plus désirable l’égalité dans l’obscurantisme que les lumières offertes à tous.
Je ne suis pas si loin de mon sujet qu’il apparaît : La Révolution française s’est heurtée dès le départ à une pensée contre-révolutionnaire organisée : Burke et Maistre. La Révolution française ne s’est pas arrêtée avec le triomphe des Républicains en 1877-1881. La conquête de la République sociale restait à réaliser. Tel était le sens de la synthèse jaurésienne, de l’« histoire socialiste de la Révolution française » et de sa définition du socialisme comme « la République accomplie jusqu’au bout ». La révolution d’octobre et l’Union soviétique ont éclipsé pendant le court XXe siècle la force de l’idée républicaine, telle que l’a décrite et illustrée Claude Nicolet. Celle-ci est cependant restée vivante dans la gauche socialiste et radicale et dans le gaullisme. C’est à partir du milieu des années 1970 que se développe la contre-offensive des idées dites libérales, mais en réalité contre-révolutionnaires – car elles allaient bien au-delà d’une critique du communisme et renouaient avec une critique beaucoup plus ancienne de la Révolution française. On ne peut abstraire ce moment idéologique de la victoire du courant néo-conservateur et libéral dans le monde anglo-saxon et de la « globalisation » subséquente. Soljenitsyne, François Furet, Ernst Nolte pour ne pas parler des pseudos « nouveaux philosophes » en France ou des publicistes néo-conservateurs aux Etats-Unis appartiennent à un moment idéologique aujourd’hui en voie de dépassement. Car l’Histoire continue. La globalisation financière est entrée en crise. Le programme de néo-conservatisme libéral comme retour à un monde d’avant 1914 que l’histoire n’aurait jamais dû quitter apparaît comme une illusion.
La seconde mondialisation, sous égide américaine, révèle sa fragilité. L’avènement d’un monde multipolaire, gros de tensions, semble inévitable. Dans ce contexte la lutte pour l’égalité entre puissances installées et puissances émergentes, élites mondialisées et couches populaires assignées au local n’a nullement perdu de son acuité. De nouveaux équilibres et de nouvelles règles du jeu doivent être trouvés.
Le XXe siècle a ébranlé en profondeur la domination de l’Occident sur le monde. Dans la fin des empires coloniaux européens et dans l’avènement du communisme en Chine, l’URSS a joué un rôle déterminant. Vu de ce qu’on appelait autrefois le Tiers-monde, notre court vingtième siècle ne s’est pas borné à l’affrontement de deux totalitarismes.
La victoire de l’URSS en 1945 a déplacé très sensiblement le rapport des forces sociales et politiques dans le monde entier. La classe ouvrière d’Europe occidentale en a d’ailleurs bénéficié, elle aussi, de 1945 à 1974 car elle a pu négocier le Welfare State grâce à la peur du communisme. Après le cycle du New-Deal, celui des trente glorieuses est venu un autre cycle, celui du néo conservatisme libéral et de la globalisation financière. Moins de vingt ans séparent la chute de Saïgon en 1975 et la chute de l’URSS en 1991. Mais il est probable que nous apercevons les prémices de la fin de ce cycle, dont la philosophie, à la différence du précédent, était et reste imprégnée de valeurs inégalitaires.
Au fond, c’est bien de l’égalité qu’il s’agit et des valeurs que l’Ecole a pour rôle de transmettre. Dans l’héritage de la Révolution française, la valeur d’égalité est centrale, même si elle ne doit pas être confondue avec ses déviations égalitaristes. Je ne souhaite pas pour ma part que la critique abusive de deux Révolutions injustement confondues, aboutisse à miner les croyances qui sous-tendent l’Ecole républicaine car on n’enseigne que ce à quoi on croit, comme l’a souligné avec force Hannah Arendt dans « Crise de la culture ». L’Histoire a certes toujours besoin d’être revisitée et je suis pour la liberté de la recherche dans ce domaine comme dans tous les autres, mais ce qu’on appelle révisionnisme au sens d’entreprise généralisée de remise en cause des valeurs nées de la Révolution française, doit trouver sa limite dans la résistance des valeurs républicaines que les enseignants, depuis Jules Ferry, ont la charge de faire vivre. De l’interprétation de l’Histoire depuis 1789 découle bien évidemment une conception de l’Ecole.
François Furet, Ernst Nolte ont certes nourri le débat d’idées au tournant des années quatre-vingt. Mais qui dit débat dit forcément contradiction. Ce ne serait pas servir l’Ecole de la République que d’étouffer cette contradiction motrice. Je suis sûr que l’IUFM de Franche-Comté saura replacer cette controverse dans le cadre d’une réflexion philosophique et historique approfondie avec le souci de demeurer fidèle aux valeurs que les Pères fondateurs de l’Ecole républicaine lui ont donné mission de transmettre.
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Annexes
I.
Je ne résiste pas au plaisir d’une citation :
(Préface au « Siècle de l’avènement républicain » - 1983 Gallimard)
François Furet et M. Ozouf, présentent une histoire de nos Républiques et concluent :
« Il arrive pourtant à nouveau qu’on use du mot République comme d’un mot-programme, d’un mot combat supposé réveiller et galvaniser les énergies. Se dire républicain, c’est alors bien plus que donner son assentiment au régime … C’est dans un monde hédoniste, individualiste, menacé d’engourdissement civique et de platitude, manifester son attachement à un modèle de participation politique et d’intégrité morale que diffusait l’Ecole des hussards noirs et faire fond à nouveau sur une pédagogie délibérément normative. C’est célébrer la communion sociale et poursuivre la critique du libéralisme si centrale dans la politique française ».
Il ajoute, il est vrai :
« C’est au moment où s’éteint la culture révolutionnaire, tenter d’en tisonner encore les centres. Car l’idée républicaine, autrefois considérée comme tout juste bonne à asseoir et à camoufler la domination bourgeoise, symbole même du passé à dépasser par l’idée socialiste paraît en préparer aujourd’hui l’avenir …
Ironie de l’histoire …
Ignorance de l’Histoire, tant les valeurs invoquées s’alimentent à une représentation largement imaginaire de la IIIe République. On peut enfin douter des chances de succès d’une idée si visiblement défensive et substitutive. Mais dans ces textes neufs de l’idée républicaine, on retrouve toujours une vieille étoffe : l’idée de Révolution qui, même discréditée, même vaincue, continue de mettre sur l’idée républicaine en France une marque inimitable ».
Mes observations :
1. Qui disait la Révolution comme discréditée, vaincue ? F. Furet et M. Ozouf
2. Tous deux méconnaissent l’exigence républicaine, présente chez les Pères fondateurs même sous la Ve République avec le général de Ga ulle, présente chez Mendès-France et encore aujourd’hui chez d’autres.
3. Il est vrai que l’idée républicaine telle que je l’ai conçue correspondait dans les années soixante-dix à une stratégie gramscienne : gagner à la gauche du PCG (socialistes et communistes) les « autres » et d’abord les gaullistes. Puis au fil du temps elle est devenue une exigence opposée à l’opportunisme de la gauche, en ce sens seulement « défensive ».
II.
Alain Joxe montre que dans le peuple russe après 1991, adepte d’une stratégie à la Koutousof, il demeure une nostalgie de la social-démocratie d’Etat que lui assurait le régime soviétique et que Poutine va peu à peu et partiellement reconstituer grâce au rétablissement de l’économie à partir de l’an 2000.
Nostalgie aussi sans doute de la grandeur russe, et du respect que le monde éprouvait vis-à-vis de l’URSS. Poutine ne peut reconstituer la puissance de l’URSS encore moins l’URSS mais il peut refaire de la Russie une grande nation respectée et ayant retrouvé le sens de sa dignité.
En ce sens le peuple russe n’est pas dans la situation du peuple allemand qui doit annuler l’épisode national-socialiste, comme s’il n’avait pas existé. Le peuple russe peut « traiter » sa révolution, en faire une partie de sa mémoire, trier le bon grain de l’ivraie. Le PC de Russie reste la deuxième force politique avec 17 % des voix. Le peuple russe reste avec la Révolution d’Octobre dans un rapport beaucoup plus proche de la manière dont la France au XIXe siècle a traité la Révolution française.
Le socialisme a été une illusion, mais il a été aussi une réalité : sinon un raccourci du moins une méthode d’industrialisation, d’urbanisation, d’accès à la modernité (Raymond Aron – Charles Morazé).
L’idée d’un peuple tirant de ses propres forces la capacité de transformer sa société au prix de souffrances inhumaines mais qui se sépare de son régime non pas sans douleur car la décennie Eltsine sera terrible mais presque sans effusion de sang (si on excepte l’affaire tchétchène).
Vers la réconciliation des deux grands peuples européens que sont le peuple allemand et le peuple russe, réconciliation qui ne peut se faire en renvoyant dos à dos l’utopie communiste et la folie de conquête et de domination, au nom de la race, du national-socialisme. Cette réconciliation ne peut se faire, selon moi, que sur une base socialiste ou social-démocrate (critique de la révolution bolchevique comme aventuriste, méconnaissant la réalité du sous-développement économique et social de la Russie mais rejet absolu du national-socialisme (ce qui ne signifie pas du peuple allemand).
III.
Il y a quelque chose d’émouvant chez Ernst Nolte et à certains égards de bien compréhensible, la souffrance que peut éprouver un Allemand à devoir supporter l’assimilation de l’Allemagne au national-socialisme.
Sans doute une partie des forces politiques allemandes peut-être exonérée des crimes du nazisme : les partis de gauche et même le Zentrum .
Mais la droite dite nationale, en fait nationaliste, même si elle a, sur la fin, répudié le nazisme (Stauffenberg) porte comme une tunique de Nessus d’avoir appelé Hitler au pouvoir.
Quand au peuple allemand, ses vertus même ont été détournées au service du mal, ce qui l’interpelle encore aujourd’hui sur les valeurs dont il se sent, et à juste titre, historiquement porteur.
L’enracinement du national-socialisme dans l’Histoire allemande n’est sans doute pas le déterminant unique du national-socialisme mais il en est le principal :
-Idéologie völkisch
-Antisémitisme
-Pangermanisme
Ajoutons que la guerre de 1914-1918 a agi comme facteur de « brutalisation » (George Mosse)
Mais le peuple allemand ne saurait être identifié au national-socialisme.