L'Union: Vous sillonnez le pays (1) pour présenter votre dernier ouvrage « La France est-elle finie ? ». Est-ce aussi la tournée d’un futur candidat à l’élection présidentielle ?
Jean-Pierre Chevènement: Non. Pour l’instant, je suis encore dans la phase de promotion de mon livre. Mais, il est évident que ce dernier offre une grille de lecture de la crise de longue durée qui frappe la France et dont il faudra bien sortir. Je n’en suis qu’aux préliminaires. Je n’ai jamais été obsédé par le fait de devenir président de la République et je n’ai pas gouverné ma carrière pour le devenir. Je n’ai été candidat en 2002 qu’en désespoir de cause. Je ne prendrai ma décision qu’à l’aulne des intérêts de la France.
Pourriez-vous soutenir un candidat du PS ou issue d’une autre formation ?
Il est temps pour la gauche de reprendre ses esprits, de redéfinir un programme et de changer de logiciel. Je vais attendre de savoir ce que proposent les candidats potentiels. Ceux du PS semblent persévérer dans la voie de l’intégration européenne et du fédéralisme budgétaire. C’est une impasse. Si l’un d’entre eux infléchit sa ligne (changement de politique économique et monétaire, nouvelle politique européenne et retour à des valeurs républicaines solides) et offre la possibilité de sortir de la crise, je le soutiendrai. Pour l’instant, je ne le vois pas. Ils veulent tous « réduire la dette » sans s’aviser de la nécessité de redresser l’Europe pour en faire une zone de croissance. Dans ces conditions, il faudra envisager une candidature représentant l’espace allant de Mélenchon à Villepin. Ce qui est décisif aujourd’hui, c’est de faire le choix d’une politique alternative pour offrir au pays une autre perspective. C’est dans ce cadre que peut apparaître l’originalité de mon offre.
Les résultats des cantonales vous confortent-ils dans votre analyse ?
Il y a eu une forte abstention révélatrice d’un grand scepticisme des Français devant les solutions offertes par les partis politiques et une poussée du Front national qu’il faut cependant relativiser. Elle se produit à l’occasion de cantonales où, traditionnellement, le FN est peu présent. Il faut raison garder. Reste que les Français sentent intuitivement que l’Europe, telle qu’elle a été construite sur un logiciel néo-libéral, a conduit à l’abandon de notre politique monétaire, à la disparition de toute protection aux frontières et à la concurrence faussée de pays à bas coûts sans législation sociale ou environnementale.
Jean-Pierre Chevènement: Non. Pour l’instant, je suis encore dans la phase de promotion de mon livre. Mais, il est évident que ce dernier offre une grille de lecture de la crise de longue durée qui frappe la France et dont il faudra bien sortir. Je n’en suis qu’aux préliminaires. Je n’ai jamais été obsédé par le fait de devenir président de la République et je n’ai pas gouverné ma carrière pour le devenir. Je n’ai été candidat en 2002 qu’en désespoir de cause. Je ne prendrai ma décision qu’à l’aulne des intérêts de la France.
Pourriez-vous soutenir un candidat du PS ou issue d’une autre formation ?
Il est temps pour la gauche de reprendre ses esprits, de redéfinir un programme et de changer de logiciel. Je vais attendre de savoir ce que proposent les candidats potentiels. Ceux du PS semblent persévérer dans la voie de l’intégration européenne et du fédéralisme budgétaire. C’est une impasse. Si l’un d’entre eux infléchit sa ligne (changement de politique économique et monétaire, nouvelle politique européenne et retour à des valeurs républicaines solides) et offre la possibilité de sortir de la crise, je le soutiendrai. Pour l’instant, je ne le vois pas. Ils veulent tous « réduire la dette » sans s’aviser de la nécessité de redresser l’Europe pour en faire une zone de croissance. Dans ces conditions, il faudra envisager une candidature représentant l’espace allant de Mélenchon à Villepin. Ce qui est décisif aujourd’hui, c’est de faire le choix d’une politique alternative pour offrir au pays une autre perspective. C’est dans ce cadre que peut apparaître l’originalité de mon offre.
Les résultats des cantonales vous confortent-ils dans votre analyse ?
Il y a eu une forte abstention révélatrice d’un grand scepticisme des Français devant les solutions offertes par les partis politiques et une poussée du Front national qu’il faut cependant relativiser. Elle se produit à l’occasion de cantonales où, traditionnellement, le FN est peu présent. Il faut raison garder. Reste que les Français sentent intuitivement que l’Europe, telle qu’elle a été construite sur un logiciel néo-libéral, a conduit à l’abandon de notre politique monétaire, à la disparition de toute protection aux frontières et à la concurrence faussée de pays à bas coûts sans législation sociale ou environnementale.
Vous avez démissionné trois fois du gouvernement (2). Vous dites avoir semé des cailloux comme le petit Poucet. Si vous aviez été écouté à chaque fois, la gauche serait-elle encore au pouvoir ?
Cela lui aurait permis de montrer une autre direction, de tracer un chemin qui lui aurait permis de revenir au pouvoir. Cela aurait été le choix de l’industrie, des emplois, d’une liaison plus étroite entre l’enseignement supérieur, la recherche et l’économie, des choix porteurs conformes à nos engagements de 1981, bref un « mix » d’économie de marché et d’économie dirigée. Mais je ne jette la pierre à personne. Le rapport de forces ne nous a pas été favorable. Thatcher et Reagan ont imposé leur politique sur le continent à travers l’Acte unique qui instaurait partout la dérégulation, essence même du néo-libéralisme.
La résilience (3) de l’Europe est au cœur de votre réflexion. Le couple franco-allemand est-il toujours d’actualité ?
La France et l’Allemagne doivent évidemment continuer à travailler ensemble. Mais dans une perspective nouvelle et en modifiant les règles de l’Euro. Cette monnaie est aujourd’hui surévaluée et le seul objectif de la banque centrale européenne indépendante est de lutter contre l’inflation. La zone euro va connaître des secousses. Je regrette que peu d’hommes d’État proposent le rachat des titres de dettes par la banque centrale. Ma vision européenne part d’un constat : l’Europe qui a dominé le monde, ne le dominera évidemment plus. Mais l’Europe doit redevenir une nouvelle zone de croissance à l’échelle mondiale. Face à la « Chinamérique », il faut desserrer les tenailles du G2 et se redonner des perspectives de croissance. Il faut notamment assouplir les règles de l’euro. Si nous ne parvenons pas à l’obtenir des Allemands, il faudra imaginer un plan B…
Et encourager les Allemands dans le nucléaire ?
Conserver le nucléaire civil, ce serait leur intérêt. L’annonce de la fermeture de sept centrales a obéi à des considérations essentiellement électoralistes. La bonne voie, c’est le « retrofit », c’est-à-dire la rénovation complète des vieilles centrales. Mais, on ne peut pas faire l’impasse sur l’énergie nucléaire. Les autres sources d’énergie sont plus chères et elles ne sont pas plus sûres. Toutes les autres industries ont fait des morts. La chimie a tué à Toulouse et à Bhompal… et les victimes se comptent par milliers dans les mines de charbon. Le risque est inhérent à l’activité humaine et il ne faut pas céder aux peurs millénaristes. Le principe de précaution n’a rien de scientifique. Il ne dit rien de plus que le proverbe de nos grands-mères : « Deux précautions valent mieux qu’une ». J’y adhère.
Côté économie vous insistez beaucoup sur la réindustrialisation sans parler de l’environnement social comme les retraites.
Le problème des retraites a été très mal posé. On n’a parlé que de l’âge de la retraite alors que la véritable variable c’est le nombre de cotisants qui a baissé de 600 000 entre 2008 et 2010. C’est pour qu’il augmente qu’il faut retrouver la croissance. Et cela passe par la réindustrialisation. Celle-ci permettra aussi de redonner un avenir à notre jeunesse. Dans les années 70, il s’écoulait six mois entre la sortie des études et la première embauche. Le délai actuel est de vingt à trente mois… Je pense à la Picardie. Il y a trente ans, l’industrie y était florissante. Ce n’est plus le cas aujourd’hui. Désindustrialisation et fermetures de sites ne l’ont pas épargnée. L’avenir de notre jeunesse a été laissé en déshérence. Chaque génération vit plus mal que la précédente. Il y a un déclassement générationnel qui finira par aboutir à un déclassement systémique de toute la société. Nous devons reconquérir notre avenir. Il faut reconstituer notre tissu économique et industriel en s’appuyant sur les technologies modernes.
Enfin vous plaidez pour que la gauche se réapproprie les valeurs de l’école républicaine, des valeurs de transmission que vous considérez être celles du vivre ensemble.
L’autorité du maître, la valeur de la connaissance et de l’effort, l’amour du travail bien fait, le civisme, la bonne éducation, tout cela ce ne sont pas des valeurs de droite. A l’époque de Jules Ferry et de Paul Bert, c’étaient des valeurs républicaines. Je crois que cette dérive est liée à l’idéologie libérale-libertaire qui a explosé après mai 68. Elle a contaminé non seulement la gauche mais aussi une partie de la droite. Heureusement, de nombreux élus socialistes et de gauche sont d’accord avec moi lorsque j’évoque la nécessaire réappropriation de ces valeurs républicaines ou lorsque j’affirme qu’une sécurité égale pour tous est un droit républicain qui intéresse d’abord les plus défavorisés.
(1) Jean-Pierre Chevènement était avant-hier à Sup de co Amiens. Son emploi du temps ne prévoit pas actuellement de date en Champagne-Ardenne. (2) En 1983, pour protester contre un tournant libéral du PS, en 1991 en opposition avec la guerre du Golfe et en 2000 au nom de la défense de la République et de ses principes. (3) En économie, revenir à une trajectoire de croissance après avoir encaissé un choc.
Propos recueillis par Jean-Michel Roustand
Source : L'Union
Cela lui aurait permis de montrer une autre direction, de tracer un chemin qui lui aurait permis de revenir au pouvoir. Cela aurait été le choix de l’industrie, des emplois, d’une liaison plus étroite entre l’enseignement supérieur, la recherche et l’économie, des choix porteurs conformes à nos engagements de 1981, bref un « mix » d’économie de marché et d’économie dirigée. Mais je ne jette la pierre à personne. Le rapport de forces ne nous a pas été favorable. Thatcher et Reagan ont imposé leur politique sur le continent à travers l’Acte unique qui instaurait partout la dérégulation, essence même du néo-libéralisme.
La résilience (3) de l’Europe est au cœur de votre réflexion. Le couple franco-allemand est-il toujours d’actualité ?
La France et l’Allemagne doivent évidemment continuer à travailler ensemble. Mais dans une perspective nouvelle et en modifiant les règles de l’Euro. Cette monnaie est aujourd’hui surévaluée et le seul objectif de la banque centrale européenne indépendante est de lutter contre l’inflation. La zone euro va connaître des secousses. Je regrette que peu d’hommes d’État proposent le rachat des titres de dettes par la banque centrale. Ma vision européenne part d’un constat : l’Europe qui a dominé le monde, ne le dominera évidemment plus. Mais l’Europe doit redevenir une nouvelle zone de croissance à l’échelle mondiale. Face à la « Chinamérique », il faut desserrer les tenailles du G2 et se redonner des perspectives de croissance. Il faut notamment assouplir les règles de l’euro. Si nous ne parvenons pas à l’obtenir des Allemands, il faudra imaginer un plan B…
Et encourager les Allemands dans le nucléaire ?
Conserver le nucléaire civil, ce serait leur intérêt. L’annonce de la fermeture de sept centrales a obéi à des considérations essentiellement électoralistes. La bonne voie, c’est le « retrofit », c’est-à-dire la rénovation complète des vieilles centrales. Mais, on ne peut pas faire l’impasse sur l’énergie nucléaire. Les autres sources d’énergie sont plus chères et elles ne sont pas plus sûres. Toutes les autres industries ont fait des morts. La chimie a tué à Toulouse et à Bhompal… et les victimes se comptent par milliers dans les mines de charbon. Le risque est inhérent à l’activité humaine et il ne faut pas céder aux peurs millénaristes. Le principe de précaution n’a rien de scientifique. Il ne dit rien de plus que le proverbe de nos grands-mères : « Deux précautions valent mieux qu’une ». J’y adhère.
Côté économie vous insistez beaucoup sur la réindustrialisation sans parler de l’environnement social comme les retraites.
Le problème des retraites a été très mal posé. On n’a parlé que de l’âge de la retraite alors que la véritable variable c’est le nombre de cotisants qui a baissé de 600 000 entre 2008 et 2010. C’est pour qu’il augmente qu’il faut retrouver la croissance. Et cela passe par la réindustrialisation. Celle-ci permettra aussi de redonner un avenir à notre jeunesse. Dans les années 70, il s’écoulait six mois entre la sortie des études et la première embauche. Le délai actuel est de vingt à trente mois… Je pense à la Picardie. Il y a trente ans, l’industrie y était florissante. Ce n’est plus le cas aujourd’hui. Désindustrialisation et fermetures de sites ne l’ont pas épargnée. L’avenir de notre jeunesse a été laissé en déshérence. Chaque génération vit plus mal que la précédente. Il y a un déclassement générationnel qui finira par aboutir à un déclassement systémique de toute la société. Nous devons reconquérir notre avenir. Il faut reconstituer notre tissu économique et industriel en s’appuyant sur les technologies modernes.
Enfin vous plaidez pour que la gauche se réapproprie les valeurs de l’école républicaine, des valeurs de transmission que vous considérez être celles du vivre ensemble.
L’autorité du maître, la valeur de la connaissance et de l’effort, l’amour du travail bien fait, le civisme, la bonne éducation, tout cela ce ne sont pas des valeurs de droite. A l’époque de Jules Ferry et de Paul Bert, c’étaient des valeurs républicaines. Je crois que cette dérive est liée à l’idéologie libérale-libertaire qui a explosé après mai 68. Elle a contaminé non seulement la gauche mais aussi une partie de la droite. Heureusement, de nombreux élus socialistes et de gauche sont d’accord avec moi lorsque j’évoque la nécessaire réappropriation de ces valeurs républicaines ou lorsque j’affirme qu’une sécurité égale pour tous est un droit républicain qui intéresse d’abord les plus défavorisés.
(1) Jean-Pierre Chevènement était avant-hier à Sup de co Amiens. Son emploi du temps ne prévoit pas actuellement de date en Champagne-Ardenne. (2) En 1983, pour protester contre un tournant libéral du PS, en 1991 en opposition avec la guerre du Golfe et en 2000 au nom de la défense de la République et de ses principes. (3) En économie, revenir à une trajectoire de croissance après avoir encaissé un choc.
Propos recueillis par Jean-Michel Roustand
Source : L'Union