Voici le verbatim de l'entretien :
Roselyne FEBVRE.- Bonjour et bienvenue dans « Politique » avec notre invité, aujourd'hui Jean-Pierre Chevènement. Bonjour, vous êtes sénateur du territoire de Belfort et président du MRC. Alors, l'actualité française. Il y aura deux parties dans cette émission. On va parler de politique intérieure et, bien sûr, de politique internationale, ce qui vous passionne, et en particulier de l'Europe et du nucléaire aussi. En ce qui concerne la France, mercredi, le projet de loi sur le port du voile intégral est présenté en conseil des ministres. Est-ce que vous dites, comme certains : « Enfin une loi » ?
Jean-Pierre CHEVENEMENT.- Disons que je ne suis pas absolument convaincu qu'une loi ait été nécessaire. On aurait pu utiliser la voie du règlement dans un certain nombre de services publics. Mais, puisque loi il y a, il faut dire les choses simplement, sur le territoire de la République chacun doit montrer son visage à découvert. Ça fait partie, je dirais, des bonnes règles de vie et mœurs et la France a le droit de faire respecter sur son territoire les valeurs républicaines qui sont les siennes. Donc ce n'est tourné contre aucune religion en particulier. La laïcité française est très respectueuse de toutes les religions mais il faut bien dire les choses telles qu'elles sont, il y a des comportements ou des attitudes qui, évidemment, sont contradictoires avec notre façon de vivre.
Roselyne FEBVRE.- Bonjour et bienvenue dans « Politique » avec notre invité, aujourd'hui Jean-Pierre Chevènement. Bonjour, vous êtes sénateur du territoire de Belfort et président du MRC. Alors, l'actualité française. Il y aura deux parties dans cette émission. On va parler de politique intérieure et, bien sûr, de politique internationale, ce qui vous passionne, et en particulier de l'Europe et du nucléaire aussi. En ce qui concerne la France, mercredi, le projet de loi sur le port du voile intégral est présenté en conseil des ministres. Est-ce que vous dites, comme certains : « Enfin une loi » ?
Jean-Pierre CHEVENEMENT.- Disons que je ne suis pas absolument convaincu qu'une loi ait été nécessaire. On aurait pu utiliser la voie du règlement dans un certain nombre de services publics. Mais, puisque loi il y a, il faut dire les choses simplement, sur le territoire de la République chacun doit montrer son visage à découvert. Ça fait partie, je dirais, des bonnes règles de vie et mœurs et la France a le droit de faire respecter sur son territoire les valeurs républicaines qui sont les siennes. Donc ce n'est tourné contre aucune religion en particulier. La laïcité française est très respectueuse de toutes les religions mais il faut bien dire les choses telles qu'elles sont, il y a des comportements ou des attitudes qui, évidemment, sont contradictoires avec notre façon de vivre.
Roselyne FEBVRE.- Est-ce que ça méritait tant de polémiques, de débats ?
Jean-Pierre CHEVENEMENT.- Selon moi, non. Mais voilà. On est partis. Le gouvernement nous l'impose.
Roselyne FEBVRE.- On sent que ça ne vous passionne pas.
Jean-Pierre CHEVENEMENT.- Ça ne me passionne pas outre mesure mais je la voterai, comme j'avais voté les dispositions sur la prohibition de signes ostensibles d'appartenance religieuse ou philosophique ou politique dans l'enceinte scolaire.
Roselyne FEBVRE.- Est-ce que vous pensez que ce sera comme le voile à l'école, où finalement la loi avait réglé le sujet. On n'en a plus parlé. Est-ce que cette loi va régler définitivement ce problème de voile intégral ?
Jean-Pierre CHEVENEMENT.- Disons que, sur cette question du voile intégral, du niqab, les Renseignements généraux en avaient d'abord défini le nombre observable. C'était quelques centaines, puis ensuite ils sont passés à deux mille. On n'est pas sûr qu'il y en ait tout à fait autant. Moi, je n'en ai jamais vu, par exemple. J'ai vu un jour une bonne sœur, j'ai cru que c'était ça mais c'était pas ça. Disons que ça me paraît un peu le marteau-pilon pour écraser une mouche. Mais bon, je dirais, nous avons des règles, nous avons des valeurs, il faut les respecter et il faut que chacun le comprenne. En particulier les étrangers, nombreux sur le territoire de la République, doivent savoir qu'il y a quelques codes à accepter.
Roselyne FEBVRE.- Vous connaissez bien le monde musulman. Vous voyagez beaucoup dans ces pays. A votre avis, comment la communauté musulmane, déjà en France et peut-être à l'étranger, va-t-elle prendre cette loi en France ?
Jean-Pierre CHEVENEMENT.- Ecoutez, je souhaite qu'elle prenne ça avec le maximum de distance. Il faut qu'elle sache qu'il y a aussi en France des gens qui sont, par exemple, soucieux de favoriser l'exercice du culte, pour les musulmans comme d'ailleurs pour toute autre religion. Je l'ai fait moi-même quand j'étais maire de Belfort. J'ai favorisé la construction d'une mosquée. Disons qu'il n'y a pas d'islamophobie chez la majorité des Français, donc il ne faut pas croire cela.
Roselyne FEBVRE.- Deuxième question et on en finit avec la burqa. Le Conseil d'Etat a émis un deuxième avis défavorable sur une loi. Il y a, selon le Conseil d'Etat, des risques juridiques à mettre cette loi en place. Est-ce que le président de la République a raison de passer outre ? Est-il parfois nécessaire de désobéir ?
Jean-Pierre CHEVENEMENT.- Vous savez, désobéir est un mot qui ne convient pas parce que le Conseil d'Etat, comme son nom l'indique, donne des conseils au gouvernement. Par conséquent le Conseil d'Etat avait déjà donné un avis réservé sur le voile, je vous le rappelle, en 1989, à la demande du ministre de l'Education nationale de l'époque, qui avait un petit peu préorienté, en quelque sorte, l'avis qui lui a été donné.
Roselyne FEBVRE.- N'est-il pas trop prudent ? Nicolas Sarkozy rappelait qu'en 1962 il avait émis un avis défavorable sur l'élection du président de la République au suffrage universel direct, donc il n'était pas très en pointe, ce Conseil d'Etat.
Jean-Pierre CHEVENEMENT.- Le Conseil d'Etat donne des conseils à partir du droit.
Roselyne FEBVRE.- Est-ce que ce sont de bons conseils ?
Jean-Pierre CHEVENEMENT.- Souvent ce sont d'excellents conseils. Moi, j'ai beaucoup d'admiration pour le Conseil d'Etat mais on ne peut pas demander au Conseil d'Etat de trancher politiquement, ce n'est pas son rôle.
Roselyne FEBVRE.- On va parler des retraites. Le Parti socialiste a enfin présenté ses propositions mardi. Elles s'étaient fait attendre, il faut le reconnaître. Alors le maintien de l'âge légal à soixante ans et puis la taxation du capital. La durée de cotisation ne sera pas augmentée, si on entend les socialistes. Est-ce bien raisonnable ?
Jean-Pierre CHEVENEMENT.- La position du Parti socialiste n'est pas tout à fait celle-là si je peux le défendre. Je peux quand même faire valoir qu'il y a une incitation à prolonger la durée d'activité, à accumuler par conséquent des annuités supplémentaires pour bénéficier d'une surcote, donc il y a l'idée d'une retraite à la carte.
Roselyne FEBVRE.- Ce n'est pas un peu un sermon de jésuites ?
Jean-Pierre CHEVENEMENT.- Les jésuites ont aussi beaucoup de qualités. Je sais bien que c'est quelquefois considéré comme une injure de traiter quelqu'un de jésuite. Je pense, pour ce qui me concerne, qu'on n'évitera pas, la durée de la vie s'allongeant, d'augmenter la durée des années travaillées.
Roselyne FEBVRE.- Donc là, il y a un déni de réalité ?
Jean-Pierre CHEVENEMENT.- Alors il faut savoir où on s'arrête. L'idée d'une taxation des revenus du capital, du capital, des très hauts revenus est avancée par le gouvernements. Le Parti socialiste va certainement beaucoup plus loin que le gouvernement. Ça représente 25 milliards, d'après ce que j'ai lu. Maintenant, je demande à voir. Tout cela est encore très flou.
Roselyne FEBVRE.- Taxer les banques ? C'est ça, les 25 milliards ?
Jean-Pierre CHEVENEMENT.- Oui, on peut taxer les banques, mais tant qu'elles font des bénéfices. Si les risques que nous voyons à l'horizon sur les marchés financiers venaient à se concrétiser, disons que c'est une poire pour la soif qui manquerait.
Roselyne FEBVRE.- Ça va créer des distorsions de concurrence ?
Jean-Pierre CHEVENEMENT.- Non, je pense qu'il faut agir sur un grand nombre de variables et je dirais même sur toutes les variables, sauf le niveau des retraites qu'il ne faut pas abaisser.
Roselyne FEBVRE.- La capitalisation ?
Jean-Pierre CHEVENEMENT.- Vous savez, la capitalisation n'a pas donné de bons résultats compte tenu de l'évolution des marchés boursiers vers la baisse.
Roselyne FEBVRE.- C'est assez risqué, oui.
Jean-Pierre CHEVENEMENT.- Disons que ceux qui avaient capitalisé ne se sont pas bien trouvés. Disons qu'il y a des formules mixtes. En France même, il y a la Préfon, qui est un régime pour les fonctionnaires. Mais, grosso modo, je reste attaché au système de la répartition. Evidemment, il faudra faire un effort supplémentaire parce que nous aurons davantage de retraités. Notre pays vieillit, comme tous les pays européens. Un peu moins d'ailleurs, mais il vieillit quand même. Par conséquent, à l'horizon 2050, il faudra trouver près d'une centaine de milliards.
Roselyne FEBVRE.- Est-ce que le Parti socialiste n'est pas, une fois de plus, enfermé dans ses dogmes ?
Jean-Pierre CHEVENEMENT.- Le Parti socialiste est prudent. Nous sommes à la veille d'une élection présidentielle, donc il ne veut pas trop en dire. Tous les partis sont comme ça, vous savez, ne jetons la pierre à personne.
Roselyne FEBVRE.- Mardi, l'assassin de Chapour Bakhtiar, l'Iranien Ali Vakili Rad, a été libéré. Il est rentré dans son pays. Une libération qui coïncide, dimanche, avec la libération de l'otage Clotilde Reiss. C'est un hasard heureux du calendrier, M. Chevènement ? Vous avez été ministre de l'Intérieur, vous connaissez bien ce milieu, on va dire.
Jean-Pierre CHEVENEMENT.- Vous savez, les rapports entre l'Intérieur et la Justice ne sont pas toujours faciles. Donc les décisions de justice, les décisions prises par les juges...
Roselyne FEBVRE.- Ou mais enfin là, en l'occurrence, pour la libération de cet homme-là, il fallait que le ministre de l'Intérieur, Brice Hortefeux, donne son aval pour qu'il parte.
Jean-Pierre CHEVENEMENT.- Il a signé un arrêté d'expulsion. C'est tout à fait différent. Mais, avant d'expulser quelqu'un qui est en taule, il faut d'abord le libérer. Or il se trouve que ce Monsieur dont j'ai oublié le nom a purgé la moitié de sa peine de sûreté et que, par conséquent, il était habilité à faire une demande de libération, qu'il a formulée devant le juge il y a plusieurs mois. Donc voilà. Le juge a rendu cette décision. Brice Hortefeux l'a expulsé.
Roselyne FEBVRE.- Comme par hasard.
Jean-Pierre CHEVENEMENT.- Est-ce qu'il y a un rapport ?
Roselyne FEBVRE.- Y a-t-il un rapport ?
Jean-Pierre CHEVENEMENT.- Je l'ignore. Si ça devait exister, je vous le dis franchement, ça ne me choquerait pas forcément. Je sais par habitude que...
Roselyne FEBVRE.- ... que ça se fait, tout le monde le sait. Il y a des tractations.
Jean-Pierre CHEVENEMENT.- J'ai été ministre de l'Intérieur, j'ai eu à traiter des problèmes d'otages en Tchétchénie et ailleurs, c'est toujours extrêmement délicat.
Roselyne FEBVRE.- Il y a toujours une contrepartie ? Souvent une contrepartie ? Un donnant-donnant ?
Jean-Pierre CHEVENEMENT.- Pas forcément parce qu'il y a souvent des aides qui vous sont apportées par des services étrangers. En l'occurrence, c'était le FSB. Le FSB nous a aidés à récupérer nos otages. Donc, en d'autres circonstances, il y aura un retour de commission, si je puis dire.
Roselyne FEBVRE.- On comprend que le modus operandi soit compliqué à expliquer à la presse, à être jeté en pâture à la presse. Mais, objectivement, pourquoi autant d'opacité ? Est-ce que, finalement, l'opinion, aujourd'hui, n'est pas mûre pour comprendre qu'il y a des négociations dans toute libération d'otages et qu'il y a un donnant-donnant ?
Jean-Pierre CHEVENEMENT.- Oui mais on ne sait jamais exactement dans quels termes ça se pose et puis, même s'il y avait, par exemple, une rançon, un Etat n'affiche jamais qu'il verse une rançon, sinon, ce serait une incitation aux preneurs de rançon. Il y a donc des choses qui doivent rester discrètes, excusez-moi.
Roselyne FEBVRE.- Donc quand on entend Benoît Hamon être très étonné de cela, est-ce qu'il joue un peu les vierges effarouchées ?
Jean-Pierre CHEVENEMENT.- Jouer les vierges effarouchées. Oui, c'est une expression judicieuse - pour une fois - employée par Daniel Cohn-Bendit, qui ne veut pas jouer les vierges. D'ailleurs, il aurait de la difficulté à le faire.
Roselyne FEBVRE.- On se souvient que Pierre Joxe raconte ses cas de conscience dans son livre sur le Conseil constitutionnel. Il raconte qu'il avait menti à François Mitterrand sur la libération d'un des terroristes d'Abou Nidal. Il avait même menti au président de la République. Est-ce que, parfois, on est obligé aussi de faire de telles choses ?
Jean-Pierre CHEVENEMENT.- Je n'ai pas le souvenir de ce passage. Disons que ce n'est pas bien de mentir au président de la République. Moi, je ne me souviens pas lui avoir jamais menti. Je ne vois pas pourquoi on lui mentirait, d'ailleurs.
Roselyne FEBVRE.- Je ne sais pas. C'est ce qu'il explique dans son livre, que j'ai lu. Vous devriez le lire.
Jean-Pierre CHEVENEMENT.- Mais il devait avoir une bonne raison.
Roselyne FEBVRE.- Oui, c'était pour éviter les attentats à Paris à l'époque. Dernière question avant de passer à l'international : la mission d'enquête sur l'attentat de Karachi en 2002 et le lien des contrats d'armement avec la France. Il y a eu des suspicions de rétrocommissions qui auraient servi à financer la campagne d'Edouard Balladur en 1995. Cette mission parlementaire a échoué. Le rapport n'est qu'une série d'interrogations, de points d'interrogation. Est-ce que c'était un peu la commission Théodule ? Est-ce que les parlementaires n'arrivent pas à faire ce travail parce que les portes sont bloquées, il y a obstruction du pouvoir politique ? Qu'est-ce que vous en pensez ?
Jean-Pierre CHEVENEMENT.- On peut imaginer que cette affaire gêne beaucoup le pouvoir, c'est certain. Le travail des journalistes a été remarquable. Je n'en dirai pas autant du travail des parlementaires. Visiblement, ils n'ont pas voulu mettre en difficulté le gouvernement qu'ils soutiennent.
Roselyne FEBVRE.- Mais il y avait des parlementaires de l'opposition aussi, dont le rapporteur, d'ailleurs.
Jean-Pierre CHEVENEMENT.- Le rapporteur était également un parlementaire de l'opposition ?
Roselyne FEBVRE.- Bernard Cazeneuve.
Jean-Pierre CHEVENEMENT.- Ecoutez, je pense qu'il y aurait eu quelques vérifications à faire quand même.
Roselyne FEBVRE.- Des vérifications à faire ? Vous pensez qu'il y a eu rétrocommissions qui auraient pu financer cette campagne et qui mettaient à l'époque des personnages de l'Etat, comme François Léotard, ministre de la Défense...
Jean-Pierre CHEVENEMENT.- Si tel est le cas, je le réprouve et je trouve cette pratique inadmissible, surtout si elle a pour but de financer des partis politiques. Quand, ensuite, se greffent sur ce genre d'affaires des règlements de comptes à l'intérieur même de la majorité de l'époque - entre M. Chirac et M. Balladur - et que cela peut mettre en danger la vie de nos coopérants techniques, c'est inacceptable.
Roselyne FEBVRE.- Mais vous savez que ça ne concerne pas qu'un seul gouvernement. Ce sont des pratiques de tous les gouvernements, y compris celui de François Mitterrand. Il y a eu des commissions, des financements...
Jean-Pierre CHEVENEMENT.- Moi, je n'en ai pas connaissance.
Roselyne FEBVRE.- Vous ne pouvez pas l'ignorer.
Jean-Pierre CHEVENEMENT.- J'étais ministre de la Défense. On a beaucoup parlé, par exemple, de l'affaire des frégates.
Roselyne FEBVRE.- Les frégates de Taïwan, absolument.
Jean-Pierre CHEVENEMENT.- Même si on levait le secret défense, on saurait à qui on a versé des commissions mais ce sont des officiers taïwanais ou des hommes politiques taïwanais. On ne saurait pas à qui on aurait versé les rétrocommissions, si tant est qu'il y a eu rétrocommissions. Donc voilà un terrain sur lequel je ne m'avancerai pas parce qu'il n'y a pas de preuves possibles.
Roselyne FEBVRE.- Mais vous avez quand même de fortes suspicions ? En tout cas, dans le cas d'Edouard Balladur, ça a pu se passer, comme certains le suspectent ?
Jean-Pierre CHEVENEMENT.- Oui mais je ne fais pas état de mes suspicions. Je dirais que je fais état des preuves que je peux détenir. Disons que le livre des deux journalistes, dont je conseille d'ailleurs la lecture, est quand même assez rude.
Roselyne FEBVRE.- Pourquoi le pouvoir politique, qui a tous pouvoirs, devient d'un seul coup sourd, muet et aveugle quand il enquête ? Chacun se tient les coudes ? Chacun se tient par la barbichette ?
Jean-Pierre CHEVENEMENT.- Pas forcément. Je pense qu'il y a des hommes politiques courageux qui sont capables d'aller au bout d'un dossier, de poser des questions indiscrètes, de mettre en cause des hommes politiques, même s'ils ne sont plus en fonction, s'ils ont vraiment accepté des pratiques qui sont tout à fait inadmissibles.
Roselyne FEBVRE.- Vous êtes pour la levée du secret défense ?
Jean-Pierre CHEVENEMENT.- Mais je vous ai expliqué que ça ne servirait à rien.
Roselyne FEBVRE.- Mais quand même. Au moins pour la galerie.
Jean-Pierre CHEVENEMENT.- Je suis pour des investigations serrées, des investigations menées par des juges, des juges indépendants, des juges qui auraient effectivement mission d'enquêter pour aller voir et pour comprendre.
Roselyne FEBVRE.- Merci Jean-Pierre Chevènement. Merci d'avoir été l'invité de France 24.
Source : site de France 24
Jean-Pierre CHEVENEMENT.- Selon moi, non. Mais voilà. On est partis. Le gouvernement nous l'impose.
Roselyne FEBVRE.- On sent que ça ne vous passionne pas.
Jean-Pierre CHEVENEMENT.- Ça ne me passionne pas outre mesure mais je la voterai, comme j'avais voté les dispositions sur la prohibition de signes ostensibles d'appartenance religieuse ou philosophique ou politique dans l'enceinte scolaire.
Roselyne FEBVRE.- Est-ce que vous pensez que ce sera comme le voile à l'école, où finalement la loi avait réglé le sujet. On n'en a plus parlé. Est-ce que cette loi va régler définitivement ce problème de voile intégral ?
Jean-Pierre CHEVENEMENT.- Disons que, sur cette question du voile intégral, du niqab, les Renseignements généraux en avaient d'abord défini le nombre observable. C'était quelques centaines, puis ensuite ils sont passés à deux mille. On n'est pas sûr qu'il y en ait tout à fait autant. Moi, je n'en ai jamais vu, par exemple. J'ai vu un jour une bonne sœur, j'ai cru que c'était ça mais c'était pas ça. Disons que ça me paraît un peu le marteau-pilon pour écraser une mouche. Mais bon, je dirais, nous avons des règles, nous avons des valeurs, il faut les respecter et il faut que chacun le comprenne. En particulier les étrangers, nombreux sur le territoire de la République, doivent savoir qu'il y a quelques codes à accepter.
Roselyne FEBVRE.- Vous connaissez bien le monde musulman. Vous voyagez beaucoup dans ces pays. A votre avis, comment la communauté musulmane, déjà en France et peut-être à l'étranger, va-t-elle prendre cette loi en France ?
Jean-Pierre CHEVENEMENT.- Ecoutez, je souhaite qu'elle prenne ça avec le maximum de distance. Il faut qu'elle sache qu'il y a aussi en France des gens qui sont, par exemple, soucieux de favoriser l'exercice du culte, pour les musulmans comme d'ailleurs pour toute autre religion. Je l'ai fait moi-même quand j'étais maire de Belfort. J'ai favorisé la construction d'une mosquée. Disons qu'il n'y a pas d'islamophobie chez la majorité des Français, donc il ne faut pas croire cela.
Roselyne FEBVRE.- Deuxième question et on en finit avec la burqa. Le Conseil d'Etat a émis un deuxième avis défavorable sur une loi. Il y a, selon le Conseil d'Etat, des risques juridiques à mettre cette loi en place. Est-ce que le président de la République a raison de passer outre ? Est-il parfois nécessaire de désobéir ?
Jean-Pierre CHEVENEMENT.- Vous savez, désobéir est un mot qui ne convient pas parce que le Conseil d'Etat, comme son nom l'indique, donne des conseils au gouvernement. Par conséquent le Conseil d'Etat avait déjà donné un avis réservé sur le voile, je vous le rappelle, en 1989, à la demande du ministre de l'Education nationale de l'époque, qui avait un petit peu préorienté, en quelque sorte, l'avis qui lui a été donné.
Roselyne FEBVRE.- N'est-il pas trop prudent ? Nicolas Sarkozy rappelait qu'en 1962 il avait émis un avis défavorable sur l'élection du président de la République au suffrage universel direct, donc il n'était pas très en pointe, ce Conseil d'Etat.
Jean-Pierre CHEVENEMENT.- Le Conseil d'Etat donne des conseils à partir du droit.
Roselyne FEBVRE.- Est-ce que ce sont de bons conseils ?
Jean-Pierre CHEVENEMENT.- Souvent ce sont d'excellents conseils. Moi, j'ai beaucoup d'admiration pour le Conseil d'Etat mais on ne peut pas demander au Conseil d'Etat de trancher politiquement, ce n'est pas son rôle.
Roselyne FEBVRE.- On va parler des retraites. Le Parti socialiste a enfin présenté ses propositions mardi. Elles s'étaient fait attendre, il faut le reconnaître. Alors le maintien de l'âge légal à soixante ans et puis la taxation du capital. La durée de cotisation ne sera pas augmentée, si on entend les socialistes. Est-ce bien raisonnable ?
Jean-Pierre CHEVENEMENT.- La position du Parti socialiste n'est pas tout à fait celle-là si je peux le défendre. Je peux quand même faire valoir qu'il y a une incitation à prolonger la durée d'activité, à accumuler par conséquent des annuités supplémentaires pour bénéficier d'une surcote, donc il y a l'idée d'une retraite à la carte.
Roselyne FEBVRE.- Ce n'est pas un peu un sermon de jésuites ?
Jean-Pierre CHEVENEMENT.- Les jésuites ont aussi beaucoup de qualités. Je sais bien que c'est quelquefois considéré comme une injure de traiter quelqu'un de jésuite. Je pense, pour ce qui me concerne, qu'on n'évitera pas, la durée de la vie s'allongeant, d'augmenter la durée des années travaillées.
Roselyne FEBVRE.- Donc là, il y a un déni de réalité ?
Jean-Pierre CHEVENEMENT.- Alors il faut savoir où on s'arrête. L'idée d'une taxation des revenus du capital, du capital, des très hauts revenus est avancée par le gouvernements. Le Parti socialiste va certainement beaucoup plus loin que le gouvernement. Ça représente 25 milliards, d'après ce que j'ai lu. Maintenant, je demande à voir. Tout cela est encore très flou.
Roselyne FEBVRE.- Taxer les banques ? C'est ça, les 25 milliards ?
Jean-Pierre CHEVENEMENT.- Oui, on peut taxer les banques, mais tant qu'elles font des bénéfices. Si les risques que nous voyons à l'horizon sur les marchés financiers venaient à se concrétiser, disons que c'est une poire pour la soif qui manquerait.
Roselyne FEBVRE.- Ça va créer des distorsions de concurrence ?
Jean-Pierre CHEVENEMENT.- Non, je pense qu'il faut agir sur un grand nombre de variables et je dirais même sur toutes les variables, sauf le niveau des retraites qu'il ne faut pas abaisser.
Roselyne FEBVRE.- La capitalisation ?
Jean-Pierre CHEVENEMENT.- Vous savez, la capitalisation n'a pas donné de bons résultats compte tenu de l'évolution des marchés boursiers vers la baisse.
Roselyne FEBVRE.- C'est assez risqué, oui.
Jean-Pierre CHEVENEMENT.- Disons que ceux qui avaient capitalisé ne se sont pas bien trouvés. Disons qu'il y a des formules mixtes. En France même, il y a la Préfon, qui est un régime pour les fonctionnaires. Mais, grosso modo, je reste attaché au système de la répartition. Evidemment, il faudra faire un effort supplémentaire parce que nous aurons davantage de retraités. Notre pays vieillit, comme tous les pays européens. Un peu moins d'ailleurs, mais il vieillit quand même. Par conséquent, à l'horizon 2050, il faudra trouver près d'une centaine de milliards.
Roselyne FEBVRE.- Est-ce que le Parti socialiste n'est pas, une fois de plus, enfermé dans ses dogmes ?
Jean-Pierre CHEVENEMENT.- Le Parti socialiste est prudent. Nous sommes à la veille d'une élection présidentielle, donc il ne veut pas trop en dire. Tous les partis sont comme ça, vous savez, ne jetons la pierre à personne.
Roselyne FEBVRE.- Mardi, l'assassin de Chapour Bakhtiar, l'Iranien Ali Vakili Rad, a été libéré. Il est rentré dans son pays. Une libération qui coïncide, dimanche, avec la libération de l'otage Clotilde Reiss. C'est un hasard heureux du calendrier, M. Chevènement ? Vous avez été ministre de l'Intérieur, vous connaissez bien ce milieu, on va dire.
Jean-Pierre CHEVENEMENT.- Vous savez, les rapports entre l'Intérieur et la Justice ne sont pas toujours faciles. Donc les décisions de justice, les décisions prises par les juges...
Roselyne FEBVRE.- Ou mais enfin là, en l'occurrence, pour la libération de cet homme-là, il fallait que le ministre de l'Intérieur, Brice Hortefeux, donne son aval pour qu'il parte.
Jean-Pierre CHEVENEMENT.- Il a signé un arrêté d'expulsion. C'est tout à fait différent. Mais, avant d'expulser quelqu'un qui est en taule, il faut d'abord le libérer. Or il se trouve que ce Monsieur dont j'ai oublié le nom a purgé la moitié de sa peine de sûreté et que, par conséquent, il était habilité à faire une demande de libération, qu'il a formulée devant le juge il y a plusieurs mois. Donc voilà. Le juge a rendu cette décision. Brice Hortefeux l'a expulsé.
Roselyne FEBVRE.- Comme par hasard.
Jean-Pierre CHEVENEMENT.- Est-ce qu'il y a un rapport ?
Roselyne FEBVRE.- Y a-t-il un rapport ?
Jean-Pierre CHEVENEMENT.- Je l'ignore. Si ça devait exister, je vous le dis franchement, ça ne me choquerait pas forcément. Je sais par habitude que...
Roselyne FEBVRE.- ... que ça se fait, tout le monde le sait. Il y a des tractations.
Jean-Pierre CHEVENEMENT.- J'ai été ministre de l'Intérieur, j'ai eu à traiter des problèmes d'otages en Tchétchénie et ailleurs, c'est toujours extrêmement délicat.
Roselyne FEBVRE.- Il y a toujours une contrepartie ? Souvent une contrepartie ? Un donnant-donnant ?
Jean-Pierre CHEVENEMENT.- Pas forcément parce qu'il y a souvent des aides qui vous sont apportées par des services étrangers. En l'occurrence, c'était le FSB. Le FSB nous a aidés à récupérer nos otages. Donc, en d'autres circonstances, il y aura un retour de commission, si je puis dire.
Roselyne FEBVRE.- On comprend que le modus operandi soit compliqué à expliquer à la presse, à être jeté en pâture à la presse. Mais, objectivement, pourquoi autant d'opacité ? Est-ce que, finalement, l'opinion, aujourd'hui, n'est pas mûre pour comprendre qu'il y a des négociations dans toute libération d'otages et qu'il y a un donnant-donnant ?
Jean-Pierre CHEVENEMENT.- Oui mais on ne sait jamais exactement dans quels termes ça se pose et puis, même s'il y avait, par exemple, une rançon, un Etat n'affiche jamais qu'il verse une rançon, sinon, ce serait une incitation aux preneurs de rançon. Il y a donc des choses qui doivent rester discrètes, excusez-moi.
Roselyne FEBVRE.- Donc quand on entend Benoît Hamon être très étonné de cela, est-ce qu'il joue un peu les vierges effarouchées ?
Jean-Pierre CHEVENEMENT.- Jouer les vierges effarouchées. Oui, c'est une expression judicieuse - pour une fois - employée par Daniel Cohn-Bendit, qui ne veut pas jouer les vierges. D'ailleurs, il aurait de la difficulté à le faire.
Roselyne FEBVRE.- On se souvient que Pierre Joxe raconte ses cas de conscience dans son livre sur le Conseil constitutionnel. Il raconte qu'il avait menti à François Mitterrand sur la libération d'un des terroristes d'Abou Nidal. Il avait même menti au président de la République. Est-ce que, parfois, on est obligé aussi de faire de telles choses ?
Jean-Pierre CHEVENEMENT.- Je n'ai pas le souvenir de ce passage. Disons que ce n'est pas bien de mentir au président de la République. Moi, je ne me souviens pas lui avoir jamais menti. Je ne vois pas pourquoi on lui mentirait, d'ailleurs.
Roselyne FEBVRE.- Je ne sais pas. C'est ce qu'il explique dans son livre, que j'ai lu. Vous devriez le lire.
Jean-Pierre CHEVENEMENT.- Mais il devait avoir une bonne raison.
Roselyne FEBVRE.- Oui, c'était pour éviter les attentats à Paris à l'époque. Dernière question avant de passer à l'international : la mission d'enquête sur l'attentat de Karachi en 2002 et le lien des contrats d'armement avec la France. Il y a eu des suspicions de rétrocommissions qui auraient servi à financer la campagne d'Edouard Balladur en 1995. Cette mission parlementaire a échoué. Le rapport n'est qu'une série d'interrogations, de points d'interrogation. Est-ce que c'était un peu la commission Théodule ? Est-ce que les parlementaires n'arrivent pas à faire ce travail parce que les portes sont bloquées, il y a obstruction du pouvoir politique ? Qu'est-ce que vous en pensez ?
Jean-Pierre CHEVENEMENT.- On peut imaginer que cette affaire gêne beaucoup le pouvoir, c'est certain. Le travail des journalistes a été remarquable. Je n'en dirai pas autant du travail des parlementaires. Visiblement, ils n'ont pas voulu mettre en difficulté le gouvernement qu'ils soutiennent.
Roselyne FEBVRE.- Mais il y avait des parlementaires de l'opposition aussi, dont le rapporteur, d'ailleurs.
Jean-Pierre CHEVENEMENT.- Le rapporteur était également un parlementaire de l'opposition ?
Roselyne FEBVRE.- Bernard Cazeneuve.
Jean-Pierre CHEVENEMENT.- Ecoutez, je pense qu'il y aurait eu quelques vérifications à faire quand même.
Roselyne FEBVRE.- Des vérifications à faire ? Vous pensez qu'il y a eu rétrocommissions qui auraient pu financer cette campagne et qui mettaient à l'époque des personnages de l'Etat, comme François Léotard, ministre de la Défense...
Jean-Pierre CHEVENEMENT.- Si tel est le cas, je le réprouve et je trouve cette pratique inadmissible, surtout si elle a pour but de financer des partis politiques. Quand, ensuite, se greffent sur ce genre d'affaires des règlements de comptes à l'intérieur même de la majorité de l'époque - entre M. Chirac et M. Balladur - et que cela peut mettre en danger la vie de nos coopérants techniques, c'est inacceptable.
Roselyne FEBVRE.- Mais vous savez que ça ne concerne pas qu'un seul gouvernement. Ce sont des pratiques de tous les gouvernements, y compris celui de François Mitterrand. Il y a eu des commissions, des financements...
Jean-Pierre CHEVENEMENT.- Moi, je n'en ai pas connaissance.
Roselyne FEBVRE.- Vous ne pouvez pas l'ignorer.
Jean-Pierre CHEVENEMENT.- J'étais ministre de la Défense. On a beaucoup parlé, par exemple, de l'affaire des frégates.
Roselyne FEBVRE.- Les frégates de Taïwan, absolument.
Jean-Pierre CHEVENEMENT.- Même si on levait le secret défense, on saurait à qui on a versé des commissions mais ce sont des officiers taïwanais ou des hommes politiques taïwanais. On ne saurait pas à qui on aurait versé les rétrocommissions, si tant est qu'il y a eu rétrocommissions. Donc voilà un terrain sur lequel je ne m'avancerai pas parce qu'il n'y a pas de preuves possibles.
Roselyne FEBVRE.- Mais vous avez quand même de fortes suspicions ? En tout cas, dans le cas d'Edouard Balladur, ça a pu se passer, comme certains le suspectent ?
Jean-Pierre CHEVENEMENT.- Oui mais je ne fais pas état de mes suspicions. Je dirais que je fais état des preuves que je peux détenir. Disons que le livre des deux journalistes, dont je conseille d'ailleurs la lecture, est quand même assez rude.
Roselyne FEBVRE.- Pourquoi le pouvoir politique, qui a tous pouvoirs, devient d'un seul coup sourd, muet et aveugle quand il enquête ? Chacun se tient les coudes ? Chacun se tient par la barbichette ?
Jean-Pierre CHEVENEMENT.- Pas forcément. Je pense qu'il y a des hommes politiques courageux qui sont capables d'aller au bout d'un dossier, de poser des questions indiscrètes, de mettre en cause des hommes politiques, même s'ils ne sont plus en fonction, s'ils ont vraiment accepté des pratiques qui sont tout à fait inadmissibles.
Roselyne FEBVRE.- Vous êtes pour la levée du secret défense ?
Jean-Pierre CHEVENEMENT.- Mais je vous ai expliqué que ça ne servirait à rien.
Roselyne FEBVRE.- Mais quand même. Au moins pour la galerie.
Jean-Pierre CHEVENEMENT.- Je suis pour des investigations serrées, des investigations menées par des juges, des juges indépendants, des juges qui auraient effectivement mission d'enquêter pour aller voir et pour comprendre.
Roselyne FEBVRE.- Merci Jean-Pierre Chevènement. Merci d'avoir été l'invité de France 24.
Source : site de France 24