Carnet de Jean-Pierre Chevènement

A propos du « candidat du capital financier mondialisé » : courtoise réponse à Madame Parisot


Mme Laurence Parisot répondant ce matin à Nicolas Demorand, sur France Inter, a déclaré à propos de ma caractérisation de Nicolas Sarkozy comme «candidat du capital financier mondialisé» : «C’est une phrase qu’on aurait pu entendre il y a vingt ou trente ans».


Madame Parisot est pourtant bien placée comme Président du MEDEF pour mesurer :
1. En premier lieu, le poids croissant du capital étranger dans l’économie française, qu’il s’agisse d’investissements directs ou de prises de participation dans le capital de nos entreprises. Je ne lui apprendrai certes pas que les fonds d’investissement, principalement anglo-saxons, détiennent près de la moitié du capital des quarante plus grandes entreprises françaises, celles du CAC 40.
2. En second lieu, Madame Parisot ne peut ignorer que nos entreprises réalisent une part toujours croissante de leurs chiffres d’affaires, de leurs investissements et de leurs profits à l’étranger, notamment hors d’Europe, que ce soit aux Etats-Unis ou dans les grands pays émergents.

En 1987 et à plus forte raison en 1977, les mouvements de capitaux n’étaient pas libres. Le capital de nos grandes entreprises n’était pas détenu, comme il l’est aujourd’hui, par des fonds spéculatifs. Ce n’est pas à Madame Parisot que j’apprendrai ce qu’est la théorie reine du capitalisme financier mondialisé : l’acquisition de la valeur par l’actionnaire. Nos grandes entreprises sont de plus en plus soumises au diktat d’un actionnariat dont la nationalité n’est pas française. Faisant de plus en plus leurs bénéfices à l’étranger, elles se soucient de moins en moins du territoire national et de ceux qui y travaillent, sauf quand il s’agit de trouver un appui en cas de coup dur.

Prenons ainsi le cas d’Alstom qui, sans l’intervention de M. Chirac, en 2003, pour mobiliser les soixante banques créancières et introduire l’Etat au capital, aurait mis la clé sous la porte. Suite au calamiteux rachat d’ABB en 1999, Alstom ne fabrique plus ses turbines à gaz en France mais en Suisse. Les chantiers de l’Atlantique ont été vendus par Alstom au norvégien Aker Yards pour moins qu’une bouchée de pain, afin de satisfaire aux exigences de la Commission européenne. Enfin, Alstom qui vient de remporter un contrat de centrales à vapeur au Vietnam, a tout aussitôt indiqué qu’elles seraient fabriquées à 100 % à partir de ses usines chinoises.

Madame Parisot ne disconviendra pas que depuis vingt ou trente ans, le capitalisme français s’est à la fois financiarisé et mondialisé. Ses patrons n’obéissent plus à la même logique, car leurs actionnaires, devenus omnipotents, leur demandent de faire beaucoup plus de profits, ce qui les amènent à rechercher la main d’œuvre la moins chère, dans les pays où l’existence d’une immense « armée de réserve industrielle » (pour parler comme Marx) maintient durablement des salaires à moins de cent euros par mois, et bien entendu sans charges sociales.

Nos grands patrons ont parfaitement intégré ce système. Ils n’en imaginent d’ailleurs pas d’autre. M. Lachmann, PDG de Schneider Electric, expliquait, il y a deux ans, qu’il n’investirait plus un euro dans la zone euro. Et M. Tchuruk, PDG d’Alcatel, ne se faisait-il pas, il y a quelques années, le thuriféraire de « l’entreprises sans usines » ?

Qui peut nier sérieusement que M. Sarkozy soit le candidat de ces patrons-là ? Il peut bien, de temps à autre, verser une larme sur le capitalisme familial de papa, par exemple sur les meubles Parisot dans la Haute-Saône proche.

Mais M. Sarkozy est un homme moderne : il est du côté des actionnaires, du côté de ce fameux « capitalisme patrimonial » chanté par M. Minc, qui d’ailleurs le soutient et tape avec entrain sur Ségolène. CQFD.


Rédigé par Jean-Pierre Chevènement le Lundi 5 Février 2007 à 17:45 | Lu 9108 fois



1.Posté par stephane.grim le 05/02/2007 20:53
Je partage votre analyse et de cette interview je note au moins quelques perles particulièrement brillantes :

Comme vous le sous entendez avec humour, entendre dans la bouche de madame Parisot, le mot "moderne" qui n'a en soi aucune valeur positive, pour l'opposer à un prétendu archaïsme, c'est un bon gag. On est bien là sur de la pure réthorique qui prétend définir une situation contemporaine comme forcément supérieure à une situation plus ancienne. C'est soit avoir une "langue fourchue" comme dans les bons vieux westerns, soit passer sous silence les aléas historiques. Si nous la suivons, il était plus moderne de croire la terre plate au 13 eme siècle, plutôt que de la croire sphérique comme l'avançait Eratosthène au IIIe siècle avant J.C. lorsqu'il mesura le méridien terrestre.

Autre point, renvoyer son adversaire à un raisonnement du type : "vous êtes contre l'économie de marché"... ha ben ça première nouvelle et merci madame Parisot, je dois donc comprendre grâce à cet éclairage subtil qu'il n'existe que 2 systèmes : on refuse l'économie de marché où on fonctionne exactement comme vous... Quel vaste choix !

Ensuite, cette 'idée que Nicolas Demorand, le journaliste, avait peut être pour réussir une émission de qualité, une rémunération adaptée en fonction de son audience. La réponse étant négative, madame Parisot en conclut cependant que ce serait le fonctionnement le plus efficace !
Désarmant (et limpide ?) sur les valeurs qu'elle porte aux actes des individus et l'inconscience de tout impact autre que l'économique à très court terme... le tout économique en action.

Poursuivons avec le caractère "normal" d'avoir, selon elle, des revenus "élevés" c'est à dire pharaoniques lorsque la performance est présente dans l'entreprise... outre que cette performance est souvent discutable, que les employés sont eux pressés en termes de salaires, il reste l'argument de J.F. Kahn qui rejoint le votre lorsque vous citez Rockefeller ; croire "normal", car cela se fait ailleurs en pire, d'avoir de tels salaires, d'être licencié avec de telles sommes, c'est ne pas prendre en compte le niveau de déconnection pour ne pas dire de folie atteint par ces dirigeants.
De plus, avoir peur de les voir quitter la France, c'est les croire irremplacables... vu les résultats on en doute souvent, et Vivendi ou le Crédit Lyonnais ne sont que des exemples parmis d'autres. D'ailleurs répondre comme elle que ce qui rend ces sommes acceptable c'est leur existence dans le contrat de travail, c'est un argument équivalent à zéro.

Enfin, clou du spectacle, la condamnation absolue de toute forme de protectionnisme qui ne correspond à aucune période croissance selon elle. Pour se faire une autre idée, il est intéressant d'aller flâner sur http://www.protectionnisme.eu.

Après tout mon blabla, je m'en voudrais d'oublier ceci :
Un grand merci à vous Monsieur Chevènement pour une chose avant tout : la qualité humaine, par le fait de rester sur l'argumentation et non l'invective, de ne jamais participer à des meutes, de reconnaître des valeurs aux actions de l'autre, de garder ce recul teinté d'humour. On peut parler d'honnêteté intellectuelle mais ce serait trop froid.
Ca ne signifie pas absence de calculs, de stratégie politique, de capacité à ferrailler sur les idées ou une blancheur immaculée mais je ne suis pas bien sûr de voir ce comportement souvent.

Merci aussi pour le plaisir que j'ai pris à lire "Défi républicain". Je partage souvent vos idées... je diverge sur l'environnement. Ce serait pourtant un bel attelage : écologiste, républicain, social et humaniste, un nouveau CNR doté d'une nouvelle composante, écologiste.
De la part d'un électeur vert depuis 20 ans... comme quoi toutes les synthèses sont envisageables :-)

2.Posté par Chevillette le 06/02/2007 00:05
Votre constat est encore une fois limpide. La majeure partie des électeurs de Gauche au sens large partagent votre avis. Mais il faut convaincre!

En quoi, la canidature de Ségolène Royal se présente en alternative au projet sarkozyste Medefien soit disant inéluctable?

Insistez sur ce point afin de convaincre les indécis! Les voix de gauche, les déçus de la mondialisation, la France qui souffre doivent être entendues par la candidate!

C'est le seul moyen d'avoir une présidente de gauche en 2007!

3.Posté par deslilas le 06/02/2007 16:07
A droite toute !
Nous avons affaire à une Présidente du MEDEF décomplexée qui à quelques jours de l'enterrement de l'abbé Pierre, justifie les rémunérations des "grands patrons" et les inégalités énormes dans la distribuition des richesses.
Nous avons affaire à un Président de l'UMP, sans complexe et sans vergogne, qui présente un programme d'alignement sur les recettes de la droite américaine au profit des plus fortunés en l'habillant de citations issues de l'histoire de la Gauche.
Espérons que les analyses de JP Chevènement seront présentes dans les discours de la candidate du PS !

4.Posté par emilien lhote le 06/02/2007 23:28
Juste une question à Mr Chevénement : pourquoi cette engouement des Français pour acquérir des actions?
Je suis un ex-militant socialiste déçu par votre soi-disante gauche, j'achéte des actions et je l'avoue ,j'aime les voir grimper!! Ou est le mal?
Jurez moi qu'aucuns parlementaires socialistes ou assimilés n'en possédent et je les brûlent illico.

5.Posté par Jean-Yves le 07/02/2007 10:46
Une piste sérieuse pour contrer le pouvoir démesuré de la finance a été exposée ce mois-ci dans le monde diplomatique de ce mois-ci (février 2007 N° 635 pages 4&5) par M. Frédéric FRODON.
Le principe est de taxer les plus-values financières dépassant les limites du tolérable. Ce tolérable étant fixé en lien avec le niveau des taux d'intérêts et d'une prime de risque «raisonnable». Le surplus étant intégralement prélevé par l'État. Une conséquence prévisible est une fuite des capitaux, c'est certain. Seuls resteraient les fonds «étiques» et les investisseurs à long terme (5ans, 10 ans, 20 ans...), nous serions débarassés des fonds que l'on peut qualifier de «presse-citron» des entreprises. La proposition demande sûrement à être affinée, adaptée, mais je trouve que le principe est excellent.

L'instauration d'une loi selon ces principes aurait des conséquences intéressantes: Débarassées d'une certaine façon du poids des actionnaires, les sociétés auraient davantage d'argent à consacrer à la recherche et à l'investissement et aussi à ses salariés.

Il est tout à fait envisageable que seule la France adopte un texte là dessus dans un premier temps.

Ensuite, devant la réussite économique (et sociale) de cette idée, d'autres pays pourraient s'y intéresser, pourquoi pas en Europe où la France pourrait redevenir une force de proposition. Cela pourrait conduire à la rédaction d'un texte (pourquoi pas un traité) qui cette fois montrerait clairement que l'on se soucie d'abord de l'Homme et de son travail avant de parler argent.

cordialement,
Jean-Yves LE GOFF

6.Posté par Elie Arié le 07/02/2007 17:33
Il serait quand même bon que ces propos soient repris un jour (et même deux) par Ségolène Royal, car (hélas!) la candidate, c'est elle, pas lui!

À moins qu'il ne soit encore temps de revenir en arrière? (humour amer, aigri, etc.).

7.Posté par MERCIER Jean-louis le 07/02/2007 18:02
Cette chère Madame Parisot, qui me rappelle vestimentairement les années 39/45 a une vue réservée à une "élite" dont nous ne faisons pas partie. Parler aux Français comme vous le faites, Cher Ami, Cher Monsieur Chevènement, est la marque d'une profonde droiture, toujours dans l'intérêt des vrais Français et des Français à tous les échelons de notre société.
Merci Cher Ami. Si vous le voulez bien: continuez à vous battre... cela maintient en forme et fait du bien à notre Club de gens quelques fois désabusés.

8.Posté par Jean-Yves le 08/02/2007 04:28
décidément ....je tente de corriger une erreur sans grand succès !

L'économiste dont il est question s'appelle M. Frédéric LORDON.
Vous pouvez aussi consulter l'émission "là-bas si j'y suis" de ce mercredi en présence de M. LORDON

cordialement,
Jean-Yves LE GOFF

9.Posté par bouchard le 11/02/2007 21:59
Il y a un point à souligner Si les entreprises françaises ont des difficultés pour financer les retraites des salariés français , elles accepttent sans broncher de financer les retraites des salariés américains par le biais de la part croissante des fonds de pensions américains dans leur capital.


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