Monsieur le Ministre,
Le Pentagone vient de souffler à EADS le contrat géant – 35 milliards de dollars – des 179 avions ravitailleurs de l’armée de l’air américaine, au bénéfice de Boeing. Le résultat était si peu attendu que le représentant démocrate de l’Etat de Washington où se trouvent, précisément à Seattle, les usines de Boeing, M. Jay Inslee, avait déjà dénoncé – par erreur – une décision néfaste et appelé à la remettre en cause !
Faut-il s’en étonner ? Pour un marché de défense de cette importance, le réflexe protectionniste a joué au plus haut niveau. Comme l’a fait justement remarquer le Président de notre Commission, M. Josselin de Rohan, le jeu n’est pas égal entre les deux rives de l’Atlantique : « Il n’y a pas d’équivalent en Europe du « Buy american Act ». La disproportion des moyens consacrés à la recherche constitue un handicap majeur … Les règles américaines sont telles qu’il faut, pour vendre un avion aux Etats-Unis, non seulement déployer sa production sur place mais disposer aussi sur le sol américain de filiales totalement contrôlées par des ressortissants américains – c’est la règle des ‘proxy boards’ ».
Le Pentagone vient de souffler à EADS le contrat géant – 35 milliards de dollars – des 179 avions ravitailleurs de l’armée de l’air américaine, au bénéfice de Boeing. Le résultat était si peu attendu que le représentant démocrate de l’Etat de Washington où se trouvent, précisément à Seattle, les usines de Boeing, M. Jay Inslee, avait déjà dénoncé – par erreur – une décision néfaste et appelé à la remettre en cause !
Faut-il s’en étonner ? Pour un marché de défense de cette importance, le réflexe protectionniste a joué au plus haut niveau. Comme l’a fait justement remarquer le Président de notre Commission, M. Josselin de Rohan, le jeu n’est pas égal entre les deux rives de l’Atlantique : « Il n’y a pas d’équivalent en Europe du « Buy american Act ». La disproportion des moyens consacrés à la recherche constitue un handicap majeur … Les règles américaines sont telles qu’il faut, pour vendre un avion aux Etats-Unis, non seulement déployer sa production sur place mais disposer aussi sur le sol américain de filiales totalement contrôlées par des ressortissants américains – c’est la règle des ‘proxy boards’ ».
Et c’est le moment que choisit le gouvernement pour présenter au Parlement un projet de loi visant à transposer deux directives européennes d’esprit fondamentalement libéral ! Le second surtout visant les marchés de défense tend à restreindre l’utilisation de l’article 346 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (ex article 296 du TCE) : or, c’est cet article qui permet à chaque Etat d’éviter de recourir à la concurrence chaque fois que ses intérêts essentiels en matière de sécurité sont en jeu. On croit rêver ! D’autant que la directive MPDS (marchés publics de défense et de sécurité) ne fait nullement mention d’une préférence communautaire.
Comment en sommes-nous arrivés là ?
Tout commence par une communication de la Commission européenne dont l’inspiration libre-échangiste n’est plus à démontrer, communication faite le 5 décembre 2007, avant donc la crise financière. La Présidence française de l’Union européenne, au second semestre 2008, a cru bon d’aller dans le même sens sous le prétexte qu’un marché unique de l’armement permettrait de renforcer « la base industrielle et technologique de défense européenne ».
Là-dessus, la Commission a publié deux directives : l’une sur les transferts intracommunautaires du 6 mai 2009, qui ne pose pas de problèmes majeurs car elle vise essentiellement à la simplification des procédures ; l’autre du 13 juillet 2009, communément appelée MPDS (marchés publics de défense et de sécurité). C’est cette deuxième directive dont la transposition soulève des interrogations majeures.
1. Tout d’abord, l’enfer est pavé de bonnes intentions : c’est sous prétexte d’ouvrir aux industries de défense françaises les marchés européens qui ne représentent que 20 % de nos exportations de matériel militaire, que la France a voulu restreindre l’utilisation de l’article 346, censé couvrir des pratiques protectionnistes chez certains Etats européens.
Mais force est de constater que les directives dites du « paquet défense », finalisées fin 2008 sous la Présidence française, n’imposent pas une clause de préférence communautaire pas plus qu’un principe de réciprocité dans les échanges avec des pays tiers. Tout se passe comme si dans un contexte de contrainte budgétaire, avait prévalu le choix de la « best value for money », concept britannique dont la base industrielle de défense de la Grande-Bretagne a fait les frais. Et cela à contretemps : au lendemain du krach du capitalisme financier mondialisé !
Je crains fort que les avantages escomptés ne se révèlent illusoires et que la directive MPDS, bien loin d’ouvrir les marchés européens à nos industries, ne renforce la pénétration étrangère sur notre propre marché.
2. Ensuite, nous prenons la tête de la transposition de la directive. Mais qui nous dit que les autres Etats européens joueront le jeu de manière aussi loyale et transparente que nous ? Nous sommes dans le wagon de tête. Mais sommes-nous suivis ? M. Gilles Briatta, secrétaire général aux Affaires européennes, reconnaît lui-même que « nous avons peu de visibilité sur l’état de la transposition chez nos partenaires européens ». Tout juste note-t-il qu’« en Grande Bretagne, le droit de recours des entreprises des pays tiers hors UE écartées d’un marché, semble moins large qu’en droit français. » Il est vrai que les Britanniques ont su préserver une large part de leur « droit coutumier » …
3. M. Juppé nous a assuré, lors de l’examen du rapport de notre Président, M. de Rohan, que : « Chacun des Etats membres continuera de pouvoir recourir à l’article 346 du TFUE, lorsque les dispositions issues de la directive ne seront pas suffisantes pour assurer la protection de nos intérêts essentiels de sécurité ».
Je ne partage pas cet optimisme. Quelles qu’aient été les précautions prises dans la négociation d’une directive marquée au sceau du compromis, nous ne pourrons maintenir l’article 346 que si la jurisprudence de la CJUE nous le permet. On peut faire confiance à la Commission pour interpréter les textes dans le sens du plus grand libre-échangisme. Et la Cour de Justice n’interprétera que les critères introduits dans la directive, pas ceux figurant dans la loi française. Or, le sens même de la nouvelle directive est de limiter l’usage de l’article 346 du traité en favorisant l’ouverture des marchés. Mais comme l’a reconnu devant la Commission des Affaires étrangères, de la Défense et des forces armées du Sénat, le Délégué général à l’Armement : « C’est bien la jurisprudence de la CJUE qui déterminera à l’avenir le champ de cette exception qu’est devenu l’article 346 ».
4. Les autres pays européens n’ont pas voulu de la mention expresse d’une préférence communautaire, soit parce qu’ils sont dépourvus d’une base industrielle de défense, soit par choix idéologique (c’est le cas de la Grande-Bretagne et de la Suède). Certes, le considérant 18 de l’exposé des motifs de la directive va dans le sens d’une préférence communautaire mais il n’a pas de valeur normative.
Le DGA a indiqué qu’il entendait profiter de la transposition pour inscrire dans le texte de loi des dispositions qui vont plus loin que le texte stricto sensu de la directive. Le fameux « considérant 18 » dit qu’il appartient aux pays tiers de laisser leurs pouvoirs adjudicateurs libres d’aller chercher des fournisseurs en dehors de l’Union européenne. Cette formulation positive est en elle-même inquiétante : certes, cela peut vouloir dire que les Etats peuvent autoriser cette pratique mais aussi l’interdire. Mais cela ne constitue pas une protection à l’échelle communautaire ! S’agissant de la France, elle réalisait ses achats pour l’essentiel dans le cadre du « décret défense » : dès qu’il y avait un « secret de défense », il était possible de limiter les acquisitions aux fournisseurs nationaux. Avec la transposition de la directive, le « décret défense » tombe. Il faut donc un texte pour empêcher l’application de l’article 1er du Code des marchés publics ouvrant tous les marchés à la compétition mondiale. D’où l’article 37-2 rédigé d’ailleurs de manière assez ambiguë parce qu’il se veut une transposition du considérant 18 ! Nous sommes victimes de ce qu’il n’y a pas un code spécifique des marchés de la défense.
Qui nous dit que la CJUE retiendra l’interprétation que nous faisons de l’article 37-2 ? La Commission des Affaires étrangères, de la Défense et des forces armées en est si peu convaincue qu’elle a jugé utile de renforcer ces fragiles « protections », si je puis dire. Mais j’observe que les amendements de notre Commission créant des articles 37-3, 37-4, 37-5 pour définir des critères que j’approuve par ailleurs peuvent ne pas être retenus par la CJUE au motif que ces critères - intérêts de la défense, sécurité d’approvisionnement, souci de la base industrielle et technologique de défense, etc. - vont au-delà de la directive. Comment sortir de là ?
Je ne vois pas par ailleurs comment on évitera les « faux nez européens » c’est-à-dire des entreprises non-européennes établissant le siège d’une filiale en Europe et recouvrant à des sous-traitances. Il faudra s’appuyer sur une directive européenne qui autorise les achats sur étagère, et dont au surplus, l’interprétation ne nous appartiendra pas. Peut-on amener nos partenaires européens à privilégier la constitution d’une base industrielle et technologique de défense européenne et à renoncer à se fournir aux Etats-Unis ? L’exemple du JSF35 montre qu’il n’y a pas de volonté politique en ce sens. La directive MPDS n’y changera rien. Cette directive proscrit théoriquement les compensations industrielles (« offsets ») en interdisant la sous-traitance nationale qui serait imposée pour le pouvoir adjudicateur à l’intérieur de l’Union européenne. Mais les pays ne disposant pas de base industrielle de défense l’entendront-ils de cette oreille ? Nos industries soutiennent non sans logique que l’interdiction des « offsets » au sein de l’Union européenne favorisera plutôt les industriels américains. C’est aux industriels français qu’il reviendra de faire valoir « leur bon droit » auprès de la CJUE, sans doute par l’intermédiaire de leurs organisations professionnelles car on voit mal une entreprise soumissionnaire attaquer en justice un Etat adjudicateur.
Comme l’a indiqué le Secrétaire Général aux Affaires Européennes, « la transposition est un exercice forcément contraint puisqu’il faut rester dans le cadre de la directive, sauf à introduire un important élément d’insécurité juridique. Il est indispensable d’utiliser les critères de la directive que tout juge national ou européen fera primer, en cas de discordance, sur les dispositions du projet de loi. » Fin de citation.
On ne saurait mieux illustrer la vanité de l’exercice de la transposition, qu’elle soit législative ou réglementaire. Nous savons que vous avez encore un grand nombre de décrets à nous soumettre.
La vérité est que le traité de marché commun préservait la souveraineté nationale. En croyant - pour des raisons mercantiles - favoriser nos industriels, le gouvernement français a, en fait, accepté à travers cette directive de la Commission, de soumettre les marchés de défense au droit communautaire. C’est un recul grave de la souveraineté nationale sur un point essentiel : nos approvisionnements en matériels de défense et notre politique extérieure en la matière. C’est la marque d’une politique à courte vue. La méconnaissance de nos intérêts nationaux et de l’intérêt bien compris de l’Europe qui eût conduit à l’affirmation explicite d’une préférence communautaire laisse aux juges européens le champ libre. M. Juppé a bien pu bien affirmer devant le CAEDFA son « volontarisme » pour doter l’Europe d’une base industrielle et technologique de défense indépendante. Nous quittons le terrain solide de l’article 346 qui préservait la souveraineté nationale pour entrer sans véritable précaution dans les sables mouvants de la jurisprudence européenne.
La pression des intérêts mercantiles et des lobbies très puissants à Bruxelles, la naïveté de ceux qui confondent l’Europe avec l’européisme, c’est-à-dire la dévolution d’immenses pouvoirs à une Commission européenne qui ne peut définir un intérêt général européen, l’enfermement de beaucoup de nos juristes dans leur spécialisation, le conformisme de la classe politique et de la plupart de nos hauts fonctionnaires, qu’ils soient ou non dans les cabinets ministériels, nous engagent sur une pente glissante.
Comme l’a fort bien dit M. Reiner, notre collègue : « Faute d’une clause de préférence communautaire, nous aurons bel et bien une dissymétrie de protection entre le marché nord américain et le marché européen. Ce n’est pas « la forteresse Europe », c’est la « passoire Europe » ».
Vous comprendre, Monsieur le Ministre, que je ne vote pas ce projet de loi même si j’en approuve le chapitre I. Plusieurs autres sénateurs du groupe RDSE me rejoindront dans cette abstention fortement motivée.
Comment en sommes-nous arrivés là ?
Tout commence par une communication de la Commission européenne dont l’inspiration libre-échangiste n’est plus à démontrer, communication faite le 5 décembre 2007, avant donc la crise financière. La Présidence française de l’Union européenne, au second semestre 2008, a cru bon d’aller dans le même sens sous le prétexte qu’un marché unique de l’armement permettrait de renforcer « la base industrielle et technologique de défense européenne ».
Là-dessus, la Commission a publié deux directives : l’une sur les transferts intracommunautaires du 6 mai 2009, qui ne pose pas de problèmes majeurs car elle vise essentiellement à la simplification des procédures ; l’autre du 13 juillet 2009, communément appelée MPDS (marchés publics de défense et de sécurité). C’est cette deuxième directive dont la transposition soulève des interrogations majeures.
1. Tout d’abord, l’enfer est pavé de bonnes intentions : c’est sous prétexte d’ouvrir aux industries de défense françaises les marchés européens qui ne représentent que 20 % de nos exportations de matériel militaire, que la France a voulu restreindre l’utilisation de l’article 346, censé couvrir des pratiques protectionnistes chez certains Etats européens.
Mais force est de constater que les directives dites du « paquet défense », finalisées fin 2008 sous la Présidence française, n’imposent pas une clause de préférence communautaire pas plus qu’un principe de réciprocité dans les échanges avec des pays tiers. Tout se passe comme si dans un contexte de contrainte budgétaire, avait prévalu le choix de la « best value for money », concept britannique dont la base industrielle de défense de la Grande-Bretagne a fait les frais. Et cela à contretemps : au lendemain du krach du capitalisme financier mondialisé !
Je crains fort que les avantages escomptés ne se révèlent illusoires et que la directive MPDS, bien loin d’ouvrir les marchés européens à nos industries, ne renforce la pénétration étrangère sur notre propre marché.
2. Ensuite, nous prenons la tête de la transposition de la directive. Mais qui nous dit que les autres Etats européens joueront le jeu de manière aussi loyale et transparente que nous ? Nous sommes dans le wagon de tête. Mais sommes-nous suivis ? M. Gilles Briatta, secrétaire général aux Affaires européennes, reconnaît lui-même que « nous avons peu de visibilité sur l’état de la transposition chez nos partenaires européens ». Tout juste note-t-il qu’« en Grande Bretagne, le droit de recours des entreprises des pays tiers hors UE écartées d’un marché, semble moins large qu’en droit français. » Il est vrai que les Britanniques ont su préserver une large part de leur « droit coutumier » …
3. M. Juppé nous a assuré, lors de l’examen du rapport de notre Président, M. de Rohan, que : « Chacun des Etats membres continuera de pouvoir recourir à l’article 346 du TFUE, lorsque les dispositions issues de la directive ne seront pas suffisantes pour assurer la protection de nos intérêts essentiels de sécurité ».
Je ne partage pas cet optimisme. Quelles qu’aient été les précautions prises dans la négociation d’une directive marquée au sceau du compromis, nous ne pourrons maintenir l’article 346 que si la jurisprudence de la CJUE nous le permet. On peut faire confiance à la Commission pour interpréter les textes dans le sens du plus grand libre-échangisme. Et la Cour de Justice n’interprétera que les critères introduits dans la directive, pas ceux figurant dans la loi française. Or, le sens même de la nouvelle directive est de limiter l’usage de l’article 346 du traité en favorisant l’ouverture des marchés. Mais comme l’a reconnu devant la Commission des Affaires étrangères, de la Défense et des forces armées du Sénat, le Délégué général à l’Armement : « C’est bien la jurisprudence de la CJUE qui déterminera à l’avenir le champ de cette exception qu’est devenu l’article 346 ».
4. Les autres pays européens n’ont pas voulu de la mention expresse d’une préférence communautaire, soit parce qu’ils sont dépourvus d’une base industrielle de défense, soit par choix idéologique (c’est le cas de la Grande-Bretagne et de la Suède). Certes, le considérant 18 de l’exposé des motifs de la directive va dans le sens d’une préférence communautaire mais il n’a pas de valeur normative.
Le DGA a indiqué qu’il entendait profiter de la transposition pour inscrire dans le texte de loi des dispositions qui vont plus loin que le texte stricto sensu de la directive. Le fameux « considérant 18 » dit qu’il appartient aux pays tiers de laisser leurs pouvoirs adjudicateurs libres d’aller chercher des fournisseurs en dehors de l’Union européenne. Cette formulation positive est en elle-même inquiétante : certes, cela peut vouloir dire que les Etats peuvent autoriser cette pratique mais aussi l’interdire. Mais cela ne constitue pas une protection à l’échelle communautaire ! S’agissant de la France, elle réalisait ses achats pour l’essentiel dans le cadre du « décret défense » : dès qu’il y avait un « secret de défense », il était possible de limiter les acquisitions aux fournisseurs nationaux. Avec la transposition de la directive, le « décret défense » tombe. Il faut donc un texte pour empêcher l’application de l’article 1er du Code des marchés publics ouvrant tous les marchés à la compétition mondiale. D’où l’article 37-2 rédigé d’ailleurs de manière assez ambiguë parce qu’il se veut une transposition du considérant 18 ! Nous sommes victimes de ce qu’il n’y a pas un code spécifique des marchés de la défense.
Qui nous dit que la CJUE retiendra l’interprétation que nous faisons de l’article 37-2 ? La Commission des Affaires étrangères, de la Défense et des forces armées en est si peu convaincue qu’elle a jugé utile de renforcer ces fragiles « protections », si je puis dire. Mais j’observe que les amendements de notre Commission créant des articles 37-3, 37-4, 37-5 pour définir des critères que j’approuve par ailleurs peuvent ne pas être retenus par la CJUE au motif que ces critères - intérêts de la défense, sécurité d’approvisionnement, souci de la base industrielle et technologique de défense, etc. - vont au-delà de la directive. Comment sortir de là ?
Je ne vois pas par ailleurs comment on évitera les « faux nez européens » c’est-à-dire des entreprises non-européennes établissant le siège d’une filiale en Europe et recouvrant à des sous-traitances. Il faudra s’appuyer sur une directive européenne qui autorise les achats sur étagère, et dont au surplus, l’interprétation ne nous appartiendra pas. Peut-on amener nos partenaires européens à privilégier la constitution d’une base industrielle et technologique de défense européenne et à renoncer à se fournir aux Etats-Unis ? L’exemple du JSF35 montre qu’il n’y a pas de volonté politique en ce sens. La directive MPDS n’y changera rien. Cette directive proscrit théoriquement les compensations industrielles (« offsets ») en interdisant la sous-traitance nationale qui serait imposée pour le pouvoir adjudicateur à l’intérieur de l’Union européenne. Mais les pays ne disposant pas de base industrielle de défense l’entendront-ils de cette oreille ? Nos industries soutiennent non sans logique que l’interdiction des « offsets » au sein de l’Union européenne favorisera plutôt les industriels américains. C’est aux industriels français qu’il reviendra de faire valoir « leur bon droit » auprès de la CJUE, sans doute par l’intermédiaire de leurs organisations professionnelles car on voit mal une entreprise soumissionnaire attaquer en justice un Etat adjudicateur.
Comme l’a indiqué le Secrétaire Général aux Affaires Européennes, « la transposition est un exercice forcément contraint puisqu’il faut rester dans le cadre de la directive, sauf à introduire un important élément d’insécurité juridique. Il est indispensable d’utiliser les critères de la directive que tout juge national ou européen fera primer, en cas de discordance, sur les dispositions du projet de loi. » Fin de citation.
On ne saurait mieux illustrer la vanité de l’exercice de la transposition, qu’elle soit législative ou réglementaire. Nous savons que vous avez encore un grand nombre de décrets à nous soumettre.
La vérité est que le traité de marché commun préservait la souveraineté nationale. En croyant - pour des raisons mercantiles - favoriser nos industriels, le gouvernement français a, en fait, accepté à travers cette directive de la Commission, de soumettre les marchés de défense au droit communautaire. C’est un recul grave de la souveraineté nationale sur un point essentiel : nos approvisionnements en matériels de défense et notre politique extérieure en la matière. C’est la marque d’une politique à courte vue. La méconnaissance de nos intérêts nationaux et de l’intérêt bien compris de l’Europe qui eût conduit à l’affirmation explicite d’une préférence communautaire laisse aux juges européens le champ libre. M. Juppé a bien pu bien affirmer devant le CAEDFA son « volontarisme » pour doter l’Europe d’une base industrielle et technologique de défense indépendante. Nous quittons le terrain solide de l’article 346 qui préservait la souveraineté nationale pour entrer sans véritable précaution dans les sables mouvants de la jurisprudence européenne.
La pression des intérêts mercantiles et des lobbies très puissants à Bruxelles, la naïveté de ceux qui confondent l’Europe avec l’européisme, c’est-à-dire la dévolution d’immenses pouvoirs à une Commission européenne qui ne peut définir un intérêt général européen, l’enfermement de beaucoup de nos juristes dans leur spécialisation, le conformisme de la classe politique et de la plupart de nos hauts fonctionnaires, qu’ils soient ou non dans les cabinets ministériels, nous engagent sur une pente glissante.
Comme l’a fort bien dit M. Reiner, notre collègue : « Faute d’une clause de préférence communautaire, nous aurons bel et bien une dissymétrie de protection entre le marché nord américain et le marché européen. Ce n’est pas « la forteresse Europe », c’est la « passoire Europe » ».
Vous comprendre, Monsieur le Ministre, que je ne vote pas ce projet de loi même si j’en approuve le chapitre I. Plusieurs autres sénateurs du groupe RDSE me rejoindront dans cette abstention fortement motivée.