Le passage de Jean-Pierre Chevènement peut être écouté en replay.
Verbatim
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- Patrick Simonin : Qui veut risquer sa vie la sauvera. Bonjour Jean-Pierre Chevènement.
Jean-Pierre Chevènement : Bonjour.
- Patrick Simonin : C’est un bonheur de vous recevoir ici. Vous publiez vos mémoires, un livre tellement attendu parce que votre vie est une aventure qui traverse les cinquante dernières années et la vie politique française. Vous avez même été surnommé « le Che ». Ça vous amusait qu’on dise ça ?
Jean-Pierre Chevènement : Cela m’a surpris car mon itinéraire n’est pas celui du Che argentin mais bien celui d’un petit franc-comtois qui monte à Paris et qui applique son intelligence à une société industrielle avancée, pas du tout à un pays du Tiers monde pouvant devenir un nouveau Vietnam. Mais je me suis fait à ce surnom qui n’était pas déshonorant.
- Patrick Simonin : Et en même temps, vous êtes l’homme qui a souvent dit « non » dans l’histoire. On vous retient comme ça.
Jean-Pierre Chevènement : J’aurais pu dire « non » à beaucoup de reprises car j’ai été dix ans ministre. J’ai démissionné trois fois mais j’aurais pu le faire mille fois. Je n’étais pas toujours d’accord avec les décisions prises mais je n’ai démissionné qu’à bon escient, chaque fois qu’était en cause l’intérêt de la France. J’ai démissionné sur la politique industrielle (on voit le résultat aujourd’hui !), je l’ai fait sur la guerre du Golfe (on a également vu le résultat avec Al-Qaïda et Daech) et je l’ai enfin fait sur la Corse car la gauche a manqué de sens de l’État.
- Patrick Simonin : La gauche, c’est votre camp. Ça commence, vous disiez dans votre enfance franc-comtoise. Vous allez être longtemps député du Doubs, de Belfort. Votre enfance vous révèle à la France. Vous comprenez que l’histoire de France est sacrée.
Jean-Pierre Chevènement : J’ai vécu dans la France occupée. Et il me semble que toute ma vie a été marquée par le tête à tête avec ma mère institutrice, pendant que mon père était prisonnier. Une catastrophe sans précédent est arrivée à notre pays et il fallait le relever. J’ai par conséquent très tôt conçu la politique comme un moyen de réparer ce que l’histoire pouvait avoir d’injuste.
- Patrick Simonin : La France, ça a du sens quand votre maison est brûlée, quand les Boches sont là ?
Jean-Pierre Chevènement : J’emploie cette expression car elle était usitée à l’époque. Je ne la reprends pas à mon compte aujourd’hui. Ils étaient installés à l’étage de la petite école que j’occupais avec ma mère au rez-de-chaussée. Je relativisais. Ma mère m’interdisait d’aller chercher des bonbons ou des fruits, et les Allemands avaient des mandarines. Ils m’en ont offert une. Ma mère m’avait dit que les Allemands empoisonnaient systématiquement les friandises qu’ils donnaient aux enfants. Mais j’ai alors compris que cela n’était pas juste et j’ai relativisé son anti-germanisme.
- Patrick Simonin : La politique, c’est une aventure de copains ?
Jean-Pierre Chevènement : L’amitié et la fidélité jouent en effet un grand rôle. Avec les hommes, mais aussi avec les femmes, car elles sont de plus en plus nombreuses en politique. Je crois beaucoup à la puissance de l’amitié qui permet de voir loin et d’inscrire son action dans le temps.
- Patrick Simonin : À l’heure où beaucoup ne croient plus à la politique, vous dites qu’il faut la réenchanter et redonner de l’espoir aux gens.
Jean-Pierre Chevènement : Cela passe par l’imagination et par la capacité de rebattre les cartes et de voir loin. La politique peut être une très belle chose dès lors qu’elle est un acte de création.
- Patrick Simonin : Le titre de votre livre est emprunté à Saint Matthieu. On est étonné.
Jean-Pierre Chevènement : Je n’étais plus croyant quand cette petite phrase m’est venue à l’esprit. Les SAS (sections administratives spécialisées) venaient d’être dissoutes et je rejoignais la fournaise d’Oran. J’ai pensé à cette phrase : « Qui veut sauver sa vie la perdra, qui veut risquer sa vie la sauvera. » et j’en ai gardé la deuxième partie. Je me suis exposé car l’engagement en Algérie m’a fait prendre des risques, mais le risque est pour moi le ressort du politique. J’ai pris beaucoup de risques, parfois vitaux, parfois énormes politiquement. Je mettais en jeu ma réputation et mon honneur, l’idée que beaucoup d’hommes et de femmes pouvaient se faire de moi. J’ai payé assez généreusement.
- Patrick Simonin : Y compris par des défaites. Vous vous présentez à l’élection présidentielle, vous êtes battu et cela semble ne pas vous atteindre, comme si vous vous disiez que le véritable enjeu n’était pas là.
Jean-Pierre Chevènement : Si, j’ai été atteint, je vais être très franc. Mais en même temps, je devais continuer. Les grilles d’analyses qui étaient les miennes se sont révélées exactes au fil des années. Donc je n’ai pas perdu le fil de mon discours et je demeure fier de mon acte. Celui-ci consistait à dire que l’alternance sans alternative était impossible, qu’il fallait ouvrir la voie d’un autre possible. Faire turbuler le système ne suffisait pas. Il fallait retrouver l’exigence de la République. C’est toujours ce que je propose aujourd’hui.
- Patrick Simonin : Vous citez dans votre livre Napoléon : « L’histoire est un mensonge qui n’est plus contesté. »
Jean-Pierre Chevènement : C’est une boutade évidemment. Elle vise à nous mettre en garde contre le conformisme qui imprègne la plume de certains historiens. Je cite également une autre belle phrase de Napoléon : « Je gagne mes batailles avec les rêves des soldats endormis.
- Patrick Simonin : C’est beau oui. Vous aimez l’histoire Jean-Pierre Chevènement. Quand vous regardez votre passé, vous vous dites que vous l’avez sauvée votre vie ? Vous avez été droit dans vos bottes et été l’homme que vous vouliez être ?
Jean-Pierre Chevènement : J’ai combattu, j’ai résisté. Je me tourne vers les jeunes générations pour leur dire qu’il y a tant de beaux combats qui s’ouvrent devant eux, pour redresser la France et lui redonner un horizon. Cet horizon est terriblement assombri par le Covid, par les plans sociaux, par l’islamisme, par la haine qui se voit maintenant au quotidien. Cela ne peut pas être notre destin. Nous devons nous reprendre, revenir aux sources de l’exigence républicaine et redresser la France.
- Patrick Simonin : Merci beaucoup, Jean-Pierre Chevènement, pour votre intervention et vos mémoires. C’est un livre exceptionnel.
Source : L'invité - TV5 Monde