- Ernest : Pourquoi avoir ressenti le besoin de publier ce livre maintenant ?
Jean-Pierre Chevènement : Jean-Pierre Chevènement : C’est un livre d’histoire et de mémoire. J’espère que le récit de ce qu’est devenue la Gauche servira à une jeune génération pour qu’elle en fasse quelque chose quand je ne le pourrai plus.
- Ernest : Dans cet ouvrage, au-delà de votre parcours, il y a deux personnages qui sont présents, De Gaulle et Mitterrand. Je me suis demandé si dans le rapport que vous entretenez avec l’un comme avec l’autre une dimension liée aux côté littéraires des deux personnages avait pu vous guider. Mitterrand disait à Georges-Marc Benamou : « Après moi, il n’y aura plus que des petits présidents. » De Gaulle défendait la certaine idée de la France. La dimension littéraire de ces présidents a-t-elle accentué la relation que vous avez avec chacun d’entre eux.
Jean-Pierre Chevènement : Je pense que la dimension littéraire est plus présente chez De Gaulle que chez Mitterrand. Mitterrand aimait la littérature pour elle-même mais il n’a pas écrit de grands livres. Il a écrit des essais, des pamphlets, une correspondance. Ses mémoires s’appellent « Mémoires interrompus ». Mais incontestablement François Mitterrand avait un tempérament littéraire et il avait une plume qu’il mettait au service de son talent de polémiste. Le côté littéraire était aussi le moyen d’échapper au conformisme du « politique » mais cela ne doit pas faire oublier qu’il restera surtout comme un maître de la stratégie politique, dans l’art de conquérir et de conserver le Pouvoir. De Gaulle, lui, a fait Mémoires de guerre. J’ai découvert ce livre en 1957 au moment de sa parution, mais je n’en ai mesuré que plus tard la portée historique. Pour m’être beaucoup intéressé à de Gaulle, je considère qu’un livre comme La discorde chez l’ennemi est superbe dans sa concision, de même Le fil de l’épée qui est une autre œuvre de jeunesse. Ces livres qui portent la marque d’une pensée et en même temps participent à la création d’une œuvre littéraire.
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- Ernest : C’est quoi pour vous, une œuvre littéraire ?
Jean-Pierre Chevènement : C’est une œuvre qui se suffit à elle-même et qu’on admire non seulement pour son unité mais aussi parce que c’est beau. Dans Le fil de l’épée, par exemple. « L’autorité ne va pas sans prestige ni le prestige sans éloignement », il y a là une maxime digne de Chamfort ou de La Rochefoucauld. Elle dit tellement bien les choses au sujet de l’autorité. Mitterrand avait des goûts littéraires extraordinaires. Il m’a fait découvrir Marguerite Duras, et bien d’autres, Paul Guimard par exemple, dont j’ai apprécié Le mauvais temps. François Mitterrand avait une plume c’est incontestable, mais ce n’était pas un créateur du point de vue littéraire. Si on veut comparer de Gaulle et Mitterrand. Il faut les comparer à l’aune de ce à quoi ils voulaient être jugés. de Gaulle, la France. Mitterrand, en définitive, l’Europe. Avez-vous lu le livre de Michel Onfray sur ces deux personnages qui dominent, à coup sûr, la Ve République ?
- Ernest: … Pas encore malheureusement.
Jean-Pierre Chevènement : Il y a beaucoup de talent, comme toujours chez Onfray, mais une injustice, c’est qu’il ne juge pas Mitterrand à l’aune du projet européen qui à ses yeux justifiait tous ses choix en périmant les autres. Mais « la chose européenne » existe, même si François Mitterrand a oublié de nous laisser le mode d’emploi… J’ajoute, pour venir au renfort de Michel Onfray que le « projet européen » de François Mitterrand était en totale rupture avec le projet qu’il avait fait approuver par les électeurs en 1981. Il n’en va pas de même pour la « lettre » aux Français de 1988, qui a été son programme pour son second septennat. Mais qui s’en souvient ?
- Ernest : Pour vous, ce projet européen et la façon dont Mitterrand l’a mené était un abandon de ce que vous pensiez bon pour la France…
Jean-Pierre Chevènement : À coup sûr, car ce que je pensais bon pour la France avec la majorité des électeurs de 1981, n’était pas le néolibéralisme réel dissimulé dans un supranationalisme de pacotille. François Mitterrand a pensé que l’on ne pouvait faire progresser l’Europe qu’à travers un alignement sur le néolibéralisme qui avait triomphé en 1979-80 dans les pays anglo-saxons. Je ne suis pas du tout contre l’idée d’une Europe qui existerait par elle-même. Je suis pour la solidarité entre tous les grands peuples européens car c’est le seul moyen qu’ils ont de survivre dans l’Histoire. Parmi les grands peuples, je ne mets pas seulement la France, l’Allemagne, l’Angleterre, mais aussi l’Italie, l’Espagne, la Russie et la Pologne et beaucoup d’autres. Je pense donc que l’on peut être pour l’Europe des nations, une Europe confédérale et même pour une Europe qui accepte la délégation de certaines compétences dès lors que leur exercice pourrait être contrôlé par des instances démocratiques reconnues. Et qu’on le veuille ou non, pour cela, le sentiment d’appartenance n’est suffisamment puissant qu’au niveau des nations. Mais ce ne fut pas la direction choisie. Aujourd’hui nous sommes prisonniers du choix purement néo-libéral qui était celui des années 1983-1992, avec un zeste de supranationalité. Nous n’avons plus la clé de notre destin. Nous sommes partis en direction d’un port que l’on ne distingue toujours pas dans la brume qui est à l’horizon. C’est le vice de construction de la « chose européenne » dont nous avons hérité.
- Ernest : Dans le livre, vous racontez également votre formation intellectuelle et la construction de l’homme que vous êtes devenu. Quels ont été les romans, les fictions qui ont participé à celle-ci ?
Jean-Pierre Chevènement : Je suis fils d’instituteurs. Ma mère m’a élevé seule pendant les six premières années de ma vie car mon père était prisonnier de guerre. Plutôt que de me confier aux petites bonnes du village, ma mère a décidé de me prendre avec elle en classe. J’étais assis au fond et j’assistais aux cours qu’elle donnait aux différents niveaux puisque c’était une classe unique. Très vite, à quatre ans, j’ai su lire et écrire. Ma mère disait que j’étais trop en avance sur mon âge par rapport aux canons de la pédagogie.
Les premiers livres qui ont compté pour moi sont ceux de la bibliothèque rose. Je me rappelle des Malheurs de Sophie, mais très vite ils ont été remplacés par ceux de la bibliothèque verte. Ensuite, très vite, il y a eu comme tout le monde, Alexandre Dumas et les classiques.
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