Entretien de Jean-Pierre Chevènement au magazine l'Expansion, propos recueillis par Bernard Poulet, 6 juin 2011
Pourquoi les socialistes se sont-ils convertis au néolibéralisme peu après être arrivés au pouvoir, en 1981, se demande Jean-Pierre Chevènement dans son dernier livre, La France est-elle finie ? (Fayard, 315 pages, 19 euros). A l'approche de la présidentielle, l'ancien ministre socialiste explique pour L'Expansion les raisons de ce tournant dont ses anciens camarades ne sont jamais revenus. Au passage, il en étrille quelques-uns.
L'Expansion : Pourquoi pensez-vous que la gauche doit réévaluer l'histoire du tournant économique du début des années 80 ? Jean-Pierre Chevènement : A chaque étape, la gauche n'est repartie qu'en se mettant au clair avec elle-même. Or, en 1981, à l'instar de Christophe Colomb, la gauche française a cru découvrir les Indes - le socialisme -, et elle doit réaliser qu'elle a trouvé l'Amérique - le néolibéralisme. Même si l'environnement international n'était pas favorable, rien n'obligeait les socialistes français à opérer ce tournant néolibéral, ni à aller aussi loin : l'Acte unique européen, négocié par Roland Dumas, et la libération totale des mouvements de capitaux, y compris vis-à-vis de pays tiers, ou l'abandon de la clause d'harmonisation fiscale préalable qui figurait dans le traité de Luxembourg. Ou encore le Matif [Marché à terme international de France], créé en 1984, et la loi de libéralisation financière, en 1985. Tout cela était une manière de mettre Margaret Thatcher au coeur de la construction européenne, d'accepter d'abandonner l'Europe, pieds et poings liés, au capitalisme financier. En critiquant ces choix, je n'ignore pas l'existence du monde extérieur, mais on n'était pas obligé d'appliquer toutes les règles de la doxa néolibérale. On aurait pu maintenir quelque chose ressemblant à une économie mixte. L'Etat pouvait garder la maîtrise de quelques mécanismes de régulation essentiels. L'idéologie néolibérale a fait admettre comme vérité d'évangile que, grâce à la désintermédiation bancaire, les entreprises s'alimenteraient à plus faible coût sur les marchés financiers. L'entrée dans une mécanique irréversible en souscrivant à toutes les dérégulations prévues par l'Acte unique, la libéralisation des mouvements de capitaux, l'interdiction des politiques industrielles et des aides d'Etat, l'introduction de la concurrence dans les services publics, tout cela, personne ne nous le demandait vraiment.
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Rédigé par Chevenement.fr le 6 Juin 2011 à 15:46
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Commentaires (2)
La décision de sortir du nucléaire, que les Verts veulent imposer au PS, serait suicidaire pour la France. J’attends du candidat socialiste, quel qu’il soit, une fermeté exemplaire sur ce sujet qui concerne au premier chef l’intérêt national : celui de notre approvisionnement énergétique et celui d’une des rares filières technologiques d’excellence, où la France se trouve au premier rang mondial, bref un sujet-clé pour l’indépendance nationale.
Fukushima a d’abord été un accident naturel lié à la vague du tsunami qui a noyé les centrales de refroidissement. Aucune décision ne peut être prise en la matière sous le coup d’une émotion même légitime. Le choix de l’Allemagne est désastreux pour l’Europe et d’abord pour elle-même. C’est le charbon qui va remplacer le nucléaire. Bonjour le CO2 ! Je demande un débat républicain dans les deux chambres du Parlement sur ce sujet capital.
Il y a six ans, le peuple français rejetait par 55% des voix le projet de Constitution européenne. Il voyait clair.
Le traité de Lisbonne, voté en 2008 par la majorité UMP appuyée par une majorité de parlementaires socialistes a repris la substance du projet constitutionnel. Cette forfaiture à l’égard du Peuple français s’est doublée d’une erreur majeure : quand quelques mois plus tard, la crise fut venue, l’Europe se trouva fort dépourvue. La crise financière touche aujourd’hui le système de l’euro. Cette crise était contenue dans le vice de conception initial. Le traité de Maastricht a méconnu la réalité irréductible des nations en voulant leur imposer le carcan de la monnaie unique. Celle-ci était une mauvaise réponse à la réunification allemande. Le mark-bis qu’est l’euro convient à l’Allemagne. Il ne convient pas aux autres pays européens. Le traité de Lisbonne a persévéré dans l’erreur. On le constate aujourd’hui : l’attentat contre la démocratie a été doublé d’un contresens historique. Intervention de Jean-Pierre Chevènement lors de la Journée d’hommage à Claude Nicolet organisée sous le patronage de la Sorbonne (Paris I), de l’Ecole pratique des Hautes Etudes, de l’Ecole française de Rome et de l’Académie des Inscriptions et Belles Lettres, samedi 28 mai 2011
Claude Nicolet nous a quittés le 24 décembre 2010. À travers toute son œuvre d’historien et en particulier à travers ce livre majeur qu’a été, en 1982, « l’Idée républicaine en France », écrit, en fait, dès la fin des années soixante-dix, Claude Nicolet restera comme l’un des rares penseurs qui, enjambant les siècles, réussira, j’en suis convaincu, à éclairer ce XXIe siècle commençant, à proportion de l’exigence républicaine que fait naître la crise du néolibéralisme. L’Humanité a besoin de repères. Ceux que fournit la République sont pour les hommes que nous sommes des repères plus sûrs que la confiance naïve dans la main invisible de marchés devenus fous ou l’espérance messianique d’un monde délivré des classes.
I – Il a fait revivre l’idée républicaine à l’orée du XXe siècle Devançant d’une décennie la chute de l’URSS, Claude Nicolet, en formulant, selon son expression, « une histoire critique de l’idéologie républicaine » dans une période qui va de 1789 à 1924, a su faire briller d’un éclat renouvelé l’idée même de la République, alors même que la gauche française, en 1981, venait de parvenir au pouvoir. Claude Nicolet rappelait, au moment où les dès roulaient encore, l’exigence de la raison républicaine s’exerçant collectivement. C’est pourquoi son livre a eu l’écho profond et toujours plus puissant que nous lui connaissons. Je ne voudrais par faire de Claude Nicolet le portrait d’un penseur qui se serait voulu prémonitoire. Il l’était, mais presque à son insu. Il croyait à la République comme à un système logique et cohérent, certes, mais ouvert au débat et donc à l’invention collective. Cette foi républicaine, il est juste de le dire, a été immensément fortifiée dans ses débuts par la grande figure tutélaire de Pierre Mendès-France au cabinet duquel Claude Nicolet a participé. Il n’a pas été non plus par hasard le rédacteur en chef des « Cahiers de la République ». Curieusement, Pierre Mendès-France est mort l’année même où paraissait « l’Idée républicaine en France », témoignage de l’empreinte durable que son action et sa pensée avaient laissée, comme pour un passage de relais. Agenda et médiasJean-Pierre Chevènement était l'invité des 4 Vérités sur France 2, lundi 30 mai 2011.
Verbatim Express :
Les actes du colloque du 7 février 2011 sont disponibles en ligne sur le site de la Fondation Res Publica.
Entretien de Jean-Pierre Chevènement avec Le Bien Public, propos recueillis par Emmanuel Hasle, dimanche 29 mai 2011.
Le Bien Public : L'affaire Dominique Strauss-Kahn. Comment l'avez-vous vécu à titre personnel?
Jean-Pierre Chevènement : D'emblée, cette affaire m'a paru tellement extravagante que j'ai réservé toutes les hypothèses. La présomption d'innocence doit être défendue. Or le système judiciaire américain de type "accusatoire" ne le permet pas. Maintenant, si les faits imputés à Dominique Strauss-Kahn étaient avérés, je serais très déçu car il y aurait eu double violence. Comment avez-vous ressenti le traitement médiatique sur cette affaire? En a-t-on trop fait? La chute d'un puissant cristallise toujours les pulsions et les passions. Les candidatures pour la succession de DSK sont ouvertes. Que pensez-vous de celle de Christine Lagarde? Faut-il la soutenir, avec ce risque d'une "affaire Tapie"? Soyons tout à fait clair : je considère que l'action de Dominique Strauss-Kahn à la tête du FMI a consisté à appliquer des politiques d'austérité renforcée, notamment en Europe. Et je ne suis pas dans le cortège des laudateurs. Je distingue le fond politique et les aspects humains : sur le fond politique, je fais confiance à madame Lagarde pour continuer à impulser la même politique d'austérité renforcée Merkel/Sarkozy, puisqu'en définitive, c'est l'Allemagne qui dicte au reste de l'Europe ces politiques de restrictions budgétaires et salariales. Et monsieur Sarkozy ne fait qu'apposer sa signature, il se porte caution pour donner un vernis européen à ces politiques, que commencent à rejeter le peuple grec, le peuple portugais, le peuple espagnol, le peuple irlandais, et peut-être demain le peuple français. En ce qui concerne la candidature de madame Lagarde : j'ai de l'estime pour elle, c'est une femme intelligente, je pourrais dire compétente, mais compétente pour quoi faire ? Je vous ai répondu là, elle est compétente pour continuer une politique que je n'approuve pas. Il faut imaginer et mettre en oeuvre une sortie de crise sous le signe de la croissance et non de l'austérité. Cela dit, Madame Lagarde aurait dû attendre la réunion de la commission des requêtes de la Cour de justice de la République qui a été saisie et qui doit se réunir le 10 juin. Elle éviterait de prendre un risque inutile. Entretien de Jean-Pierre Chevènement avec La Voix du Nord, dimanche 29 mai 2011.
> L'affaire Strauss Kahn:
J'ai dit qu'après cette affaire plus rien ne serait comme avant parce que cela va changer beaucoup de choses en matière de politique intérieure. Mais je ne peux pas le mesurer car je ne connais pas la suite du dossier. On a vécu deux épisodes douloureux avec un accusé présumé innoccent et une victime qui doit être présumée comme telle. On a connu quelque chose de très violent. La chute d'un puissant cristallise toujours beaucoup de passion. Il faut que la justice fasse son travail, et nous, que nous tournions la page, que l'on s'occupe des problèmes de fond. > Les présidentielles et le PS: Je ne vois pas beucoup de différences de pensées entre Martine Aubry, François Hollande et Dominique Strauss-Kahn en matière de capitalisme financier et de crise de l'euro. Je mettrai de côté Arnaud Montebourg. Il faut se mettre à la hauteur du défi que représente la domination des marchés financiers et la nécessité d'un protectionnisme européen. Si on ne change pas les règles vis-à-vis de l'euro, on va à l'explosion. Il faut poser les vrais problèmes quitte à se fâcher avec la chancelière allemande : les statuts de la Banque centrale européenne, lever l'interdiction de lancer un emprunt européen, et ne plus simplement parler de budget mais d'économie. Je n'ai pas partagé les options de Dominique Strauss Kahn à la tête du Fonds monétaire international, qui consistaient en des plans d'austérité. > La tentation du vote extrême après l'affaire DSK : Il faut lutter contre cette tentation et contre l'assimilation de toute la classe politique. Il s'agit d'un comportement individuel. Je pense qu'après la période de Sarkozy, on a besoin de se reposer. Le président a voulu entreprendre beaucoup trop de réformes mal pensées et notamment celle concernant les collectivités locales qui a créé un pataquès inutile. Source : La Voix du Nord |
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