L'ancien ministre de François Mitterrand aujourd'hui sénateur du Territoire de Belfort analyse les raisons qui ont conduit à la crise que traverse la zone euro, les faiblesses de la France et son rapport à l'Allemagne. Jean-Pierre Chevènement vient de publier "La France est-elle finie?" (Editions Fayard).
La Tribune: Comment analysez-vous la crise de l'Europe ?
Jean-Pierre Chevènement: La crise actuelle est une crise de la monnaie unique telle que l'a définie le traité de Maastricht. Car la zone euro est loin d'être une zone monétaire optimale. L'aliénation de la souveraineté monétaire de pays fort différents, tant économiquement que politiquement n'a pas conduit à une convergence des économies, mais bien au creusement des divergences. L'Allemagne a mené depuis 20 ans une politique de déflation salariale, tandis que d'autres pays, comme la Grèce, laissait filer les déficits. La France s'est située dans la moyenne de la zone euro, mais le déficit de compétitivité avec l'Allemagne s'est considérablement accru d'environ 10%.
Le problème se trouve donc à l'origine ?
Le vice de conception inhérent au traité de Maastricht était l'ignorance volontaire des réalités nationales. En fait, c'est le prolongement de la vision de Jean Monnet, qui prétendait construire l'Europe comme un grand marché où la Commission européenne est l'instance de définition de l'intérêt général et a le monopole de la proposition. C'est évidemment aberrant : comment 27 commissaires pourraient définir l'intérêt général européen ? Je ne conteste pas la finalité du projet, qui est le rapprochement entre les peuples d'Europe, mais il repose sur une vision du monde strictement "économiciste".
La Tribune: Comment analysez-vous la crise de l'Europe ?
Jean-Pierre Chevènement: La crise actuelle est une crise de la monnaie unique telle que l'a définie le traité de Maastricht. Car la zone euro est loin d'être une zone monétaire optimale. L'aliénation de la souveraineté monétaire de pays fort différents, tant économiquement que politiquement n'a pas conduit à une convergence des économies, mais bien au creusement des divergences. L'Allemagne a mené depuis 20 ans une politique de déflation salariale, tandis que d'autres pays, comme la Grèce, laissait filer les déficits. La France s'est située dans la moyenne de la zone euro, mais le déficit de compétitivité avec l'Allemagne s'est considérablement accru d'environ 10%.
Le problème se trouve donc à l'origine ?
Le vice de conception inhérent au traité de Maastricht était l'ignorance volontaire des réalités nationales. En fait, c'est le prolongement de la vision de Jean Monnet, qui prétendait construire l'Europe comme un grand marché où la Commission européenne est l'instance de définition de l'intérêt général et a le monopole de la proposition. C'est évidemment aberrant : comment 27 commissaires pourraient définir l'intérêt général européen ? Je ne conteste pas la finalité du projet, qui est le rapprochement entre les peuples d'Europe, mais il repose sur une vision du monde strictement "économiciste".
Paradoxalement, ce sont les marchés financiers qui poussent à une meilleure intégration dans la zone ?
Ces banques qui, rappelons-le, ont été sauvés de la crise par les Etats croient aujourd'hui tenir leurs sauveurs à leur merci. Cette pression va-t-elle pour autant conduire à une plus forte intégration ? J'en doute, car c'est l'ensemble de la politique économique qui est en cause, Le facteur budgétaire, déjà isolé par le pacte de stabilité de 1997, s'est avéré totalement insuffisant pour des pays comme l'Irlande et l'Espagne, qui étaient tout à fait en règle avec les critères de Maastricht, mais qui avaient laissé se créer des déséquilibres, notamment dans l'endettement des ménages ou des banques.
Cela a conduit à la divergence des taux que l'on constate aujourd'hui. Le système de l'euro est par nature instable car il procède, je le répète, d'un vice de conception. Et ce ne sont pas les concertations budgétaires en amont qui changeront quelque chose : les parlements nationaux votent les budgets mais ceux-ci ne sont qu'une partie du problème. Je crois, du reste, qu'une politique intégrée devrait tendre vers la croissance et non vers un concours de plans d'austérité menant à une stagnation, voire à une récession économique.
Une modification du mécanisme d'aide est en discussion. Qu'en pensez-vous ?
Concernant le fonds de stabilisation, il est manifestement sous-dimensionné. Car chaque pays emprunte encore aux taux du marché. Seuls la France, l'Allemagne et les Pays-Bas peuvent réellement y participer, ce qui représente quelque 225 milliards d'euros, pas plus. Il faudrait donc considérablement l'augmenter, mais les Allemands ne le veulent pas, puisqu'ils défendent un principe de responsabilité, le "no- bail out", qu'ils avaient tenu à inscrire dans les traités.
Ne serait-il pas plus simple de laisser la Banque centrale européenne (BCE) acheter massivement des titres de dettes publiques ? On a déjà contourné les règles qui interdisent à la BCE de faire des avances aux Etats, alors autant les changer purement et simplement en lui donnant la possibilité d'intervenir directement sur les marchés de la dette et de casser ainsi les reins à la spéculation.
Que pensez-vous de l'idée du gouvernement d'inscrire dans la constitution une limite au déficit public ?
Je raconte dans mon livre que lorsque j'ai demandé, en mai 2010, au président de la commission des Finances du Bundesrat pourquoi les Allemands n'avaient pas discuté de ce point avec nous avant de réformer la constitution fédérale, il m'a rétorqué qu'une telle discussion n'avait pas lieu d'être car cette inscription relevait du bon sens. C'était un simple mécanisme de désendettement. Cela ne se discutait pas.
En France, on ne pourra inscrire cette disposition dans la Constitution, d'abord parce que c'est un mécanisme beaucoup trop rigide et ensuite parce qu'il n'y aura jamais de majorité dans un Parlement réuni en congrès à Versailles pour y procéder. Seul un gouvernement de gauche complètement inféodé à l'Establishment financier pourrait le faire ! Après tout, le PS n'a-t-il pas par le passé fait voter l'Acte unique ou le traité de Maastricht avec le soutien de la droite ?
Une partie de nos élites plébiscite aujourd'hui le modèle allemand. Pourquoi ?
C'est une nouvelle illustration de leur fascination pour la discipline allemande. Elles comptent sur l'Allemagne pour faire supporter au peuple français une rigueur dont elles s'exemptent elle-même. C'était d'ailleurs le dessein de Jacques Delors lorsqu'il était président de la Commission : faire accepter aux Français, par le biais de l'Europe, une discipline, notamment salariale, qu'ils auraient refusé autrement. Un de ses livres s'intitule "la France par l'Europe".
Pour ma part, je préfèrerais insister sur l'esprit républicain, c'est-à-dire l'esprit de responsabilité, pour que la France trouve par elle même des voies et moyens adaptés au tempérament national afin de stopper la désindustrialisation, le fait majeur de ces trois dernières décennies en France. Aujourd'hui, l'industrie en Allemagne pèse 30% du PIB et seulement 13% chez nous.
Propos recueillis par Robert Jules
Source: LaTribune.fr
Ces banques qui, rappelons-le, ont été sauvés de la crise par les Etats croient aujourd'hui tenir leurs sauveurs à leur merci. Cette pression va-t-elle pour autant conduire à une plus forte intégration ? J'en doute, car c'est l'ensemble de la politique économique qui est en cause, Le facteur budgétaire, déjà isolé par le pacte de stabilité de 1997, s'est avéré totalement insuffisant pour des pays comme l'Irlande et l'Espagne, qui étaient tout à fait en règle avec les critères de Maastricht, mais qui avaient laissé se créer des déséquilibres, notamment dans l'endettement des ménages ou des banques.
Cela a conduit à la divergence des taux que l'on constate aujourd'hui. Le système de l'euro est par nature instable car il procède, je le répète, d'un vice de conception. Et ce ne sont pas les concertations budgétaires en amont qui changeront quelque chose : les parlements nationaux votent les budgets mais ceux-ci ne sont qu'une partie du problème. Je crois, du reste, qu'une politique intégrée devrait tendre vers la croissance et non vers un concours de plans d'austérité menant à une stagnation, voire à une récession économique.
Une modification du mécanisme d'aide est en discussion. Qu'en pensez-vous ?
Concernant le fonds de stabilisation, il est manifestement sous-dimensionné. Car chaque pays emprunte encore aux taux du marché. Seuls la France, l'Allemagne et les Pays-Bas peuvent réellement y participer, ce qui représente quelque 225 milliards d'euros, pas plus. Il faudrait donc considérablement l'augmenter, mais les Allemands ne le veulent pas, puisqu'ils défendent un principe de responsabilité, le "no- bail out", qu'ils avaient tenu à inscrire dans les traités.
Ne serait-il pas plus simple de laisser la Banque centrale européenne (BCE) acheter massivement des titres de dettes publiques ? On a déjà contourné les règles qui interdisent à la BCE de faire des avances aux Etats, alors autant les changer purement et simplement en lui donnant la possibilité d'intervenir directement sur les marchés de la dette et de casser ainsi les reins à la spéculation.
Que pensez-vous de l'idée du gouvernement d'inscrire dans la constitution une limite au déficit public ?
Je raconte dans mon livre que lorsque j'ai demandé, en mai 2010, au président de la commission des Finances du Bundesrat pourquoi les Allemands n'avaient pas discuté de ce point avec nous avant de réformer la constitution fédérale, il m'a rétorqué qu'une telle discussion n'avait pas lieu d'être car cette inscription relevait du bon sens. C'était un simple mécanisme de désendettement. Cela ne se discutait pas.
En France, on ne pourra inscrire cette disposition dans la Constitution, d'abord parce que c'est un mécanisme beaucoup trop rigide et ensuite parce qu'il n'y aura jamais de majorité dans un Parlement réuni en congrès à Versailles pour y procéder. Seul un gouvernement de gauche complètement inféodé à l'Establishment financier pourrait le faire ! Après tout, le PS n'a-t-il pas par le passé fait voter l'Acte unique ou le traité de Maastricht avec le soutien de la droite ?
Une partie de nos élites plébiscite aujourd'hui le modèle allemand. Pourquoi ?
C'est une nouvelle illustration de leur fascination pour la discipline allemande. Elles comptent sur l'Allemagne pour faire supporter au peuple français une rigueur dont elles s'exemptent elle-même. C'était d'ailleurs le dessein de Jacques Delors lorsqu'il était président de la Commission : faire accepter aux Français, par le biais de l'Europe, une discipline, notamment salariale, qu'ils auraient refusé autrement. Un de ses livres s'intitule "la France par l'Europe".
Pour ma part, je préfèrerais insister sur l'esprit républicain, c'est-à-dire l'esprit de responsabilité, pour que la France trouve par elle même des voies et moyens adaptés au tempérament national afin de stopper la désindustrialisation, le fait majeur de ces trois dernières décennies en France. Aujourd'hui, l'industrie en Allemagne pèse 30% du PIB et seulement 13% chez nous.
Propos recueillis par Robert Jules
Source: LaTribune.fr