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Une administration territoriale de l’Etat déséquilibrée


Intervention du sénateur Jean-Pierre Chevènement sur la réforme de l'administration territoriale de l’Etat, vendredi 5 décembre 2008.


Une administration territoriale de l’Etat déséquilibrée
Madame le Ministre,
Je veux exprimer ma profonde préoccupation devant l’application de la RGPP à l’Administration territoriale de l’Etat.

Le programme « Administration territoriale de l’Etat » doté de 1 673 milliards d’euros dans le projet de budget 2009 voit ses crédits progresser de 1,2 % seulement. Les 733 suppressions d’ETPT (équivalents temps plein travaillé) pèsent essentiellement sur l’Administration préfectorale. Celle-ci va subir, en fonction d’une logique d’économie financière à courte vue, une profonde restructuration qui mettra gravement en cause le service public.

Vous parlez, Madame le Ministre, de « modernisation » et de « meilleur service rendu au citoyen ». Vous alléguez le raccourcissement des distances et la dématérialisation des procédures pour occulter un fait simple : vous vous orientez vers la suppression du département en tant qu’échelon déconcentré de plein droit de l’Etat, pour le remplacer par la Région. La RGPP c’est cela : la régionalisation de l’Etat et la sous-préfectoralisation de tous les départements dont la ville chef-lieu n’est pas capitale de région.
Et parallèlement, des voix autorisées se font entendre pour dire qu’il existe un niveau de trop parmi les collectivités décentralisées. La Commission Attali l’avait déjà identifié : ce serait là encore le département, mais cette fois-ci non plus comme échelon déconcentré de l’Etat mais en tant que collectivité.

Cette vision est purement technocratique car je ne vois pas en quoi les compétences de proximité du département, notamment en matière sociale, seraient mieux exercées au niveau de la capitale, souvent distante de plus de cent kilomètres !

Mais revenons, puisque c’est l’objet du débat, à la RGPP, appliquée à l’Administration territoriale de l’Etat :
C’est le Préfet de Région qui devient le vrai patron dans tous les départements : l’essentiel des services de l’Etat est regroupé au niveau de la Région en huit nouvelles directions :
- La DRFP (finances publiques)
- La DRAAF (alimentation, agriculture et forêts)
- La DRAC (culture)
- La DREAL (environnement, aménagement et logement)
- la DERECCTE (entreprises, concurrence, consommation, travail, emploi)
- la DRJSCS (jeunesse, sports, cohésion sociale) curieux regroupement
- le Rectorat d’Académie
- l’ARS (Agence régionale de santé)

Ne subsisteront plus dans les autres départements que des « unités territoriales » chargées des territoires, ou de la protection des populations et là où cela sera jugé utile, cohésion sociale. Lorsque l’expérimentation a été faite dans le Territoire de Belfort je puis vous dire que le regroupement des moyens de la DDE et de la DDA fusionnées en une direction unique la DDEA s’est traduite par une déperdition de compétences qui conduit les communes à se tourner de plus en plus vers les bureaux d’études privés souvent plus chers. Mais peut-être était-ce le but recherché ? Ajoutons aux deux unités territoriales de plein droit ce qui restera des Inspections académiques dont les compétences sont de plus en plus absorbées par les Rectorats, un pôle « finances publiques » et un pôle « sécurité ». Bref, une restructuration violente, une véritable cure d’amaigrissement pour les personnels départementaux de l’Etat dont chacun ici tient à saluer, malgré la faiblesse déjà insigne de leurs moyens, le professionnalisme et l’esprit de service public.

Sur toutes les affaires des départements, le Préfet de Région aura un pouvoir d’évocation. Et le Préfet de Région restera préfet de son département, si j’ai bien compris, ce qui ne facilitera pas en règle générale les arbitrages impartiaux, tant il est vrai que l’on décide souvent selon les critères du lieu où l’on habite.

Ici, dans les chefs lieux de région, on construira des cités administratives et là dans les préfectures périphériques et bientôt déclassées, l’Etat vendra ses immeubles et regroupera ses services. Curieuse conception de l’aménagement du territoire et curieuse façon de faire des économies en commençant par dépenser plus.

Avez-vous réfléchi, Madame le Ministre, à la marginalisation de ces départements périphériques qui sont quand même plus de soixante-dix ! A ces départements reculés, de friches et de montagnes où la présence de l’Etat était ressentie comme une protection contre l’oubli et le délaissement ?

Il sera loin le temps où l’on pouvait dire après Napoléon : « De la création des Préfets date le bonheur des Français ». Car disons-le, le Préfet joue dans son département un rôle d’influence et d’équilibre que la décentralisation a rendu encore plus nécessaire. C’est lui qui réunit, sur tel ou tel dossier brûlant, toutes les parties prenantes, lui qui écoute et qui sait faire entendre de sages conseils, lui qui arbitre en cas de désaccord, avec l’accord de tous, tant son prestige reste grand. A condition qu’on ne lui retire pas tous ses moyens et qu’on ne le transforme pas en simple boîte postale de la Préfecture de Région ! La logique d’économies a évidemment prévalu sur la notion de service public. Le Préfet aménageur disparaîtra. Il restera le préfet policier, ce qui dans ma bouche n’est pas une injure.

Voyons les choses en dynamique : il est évident que dans le contexte financier actuel, une logique budgétaire implacable déplacera insensiblement le curseur vers les chefs-lieux de Région : les directeurs régionaux aspireront vers eux les personnels et ne laisseront que de moins en moins de moyens dans les « unités territoriales » des départements périphériques voués à devenir coquilles vides. Comment alors pourront être résolus les conflits sociaux éclatant à l’autre bout de la Région ? Le détricotage du réseau des préfectures ne manquera pas d’influer négativement sur la cohésion sociale !

Et en même temps que s’opérera la sous-préfectoralisation des préfectures, on va naturellement supprimer des sous-préfectures. Des conseillers d’administration remplaceront les sous-préfets. On croira faire des économies en fermant et en vendant des immeubles sous-préfectoraux qui contribuaient à la disponibilité des sous-préfets et matérialisaient la présence de l’Etat dans tant de villes moyennes voire petites, qui se sentaient revalorisées par leur rang de sous-préfecture.

Et on centralisera parallèlement le contrôle de légalité vers les Préfets de chefs-lieux au risque de l’affaiblir grandement. Car les Préfets sont déjà incités pour ce qui concerne le contrôle de légalité à se consacrer à l’essentiel : la commande publique, l’environnement, l’urbanisme. Mais il n’y a pas que cela, Madame le Ministre, dans un Etat de droit et qui entend le rester ! Croyez-vous que dans certains départements que je ne veux pas nommer, il ne faut pas encore veiller à ce que certains décideurs publics n’en prennent pas trop à leur aise avec la loi ?

La vigilance voudrait, Madame le Ministre, qu’on ne détricote pas trop vite le réseau des préfectures et des sous-préfectures qui sont au contact du terrain et qu’on ne substitue pas un vague conseil à la procédure du contrôle de légalité. La France était et reste connue pour être un Etat de droit sérieux, où la corruption et les passe-droits sont moins répandus que dans d’autres pays malheureusement de plus en plus nombreux, y compris en Europe. Ce danger ne nous épargnera pas, si la vigilance de l’Etat se relâche.

Les restructurations prévues par la RGPP dans l’Administration territoriale doivent s’effectuer en 2009 pour entrer en vigueur le 1er janvier 2010. Elle n’a rien d’irréversible contrairement à ce qu’a déclaré M. Woerth, ministre des Comptes en Conseil des ministres. Il n’est pas trop tard, Madame le Ministre, pour freiner le zèle de hauts-fonctionnaires qui ne raisonnent qu’en termes d’économies budgétaires au risque de perdre de vue le sens du service public et celui même de l’Etat. Il faut imaginer des garde-fous, des règles protectrices, ne pas tout régionaliser au prétexte de « mutualiser ».

Certes, il y a un travail excellent qui est fait par ailleurs dans votre ministère pour mener à bien la nécessaire réforme de l’Etat – je pense aux titres sécurisés, à l’informatisation des procédures, à la formation des personnels. Mais ne gâchez pas ce travail fécond par une réforme précipitée, inspirée par des considérations budgétaires à courte vue.

Je n’ai jamais douté de votre sens de l’Etat. Sincèrement, je crois qu’il a matière à s’appliquer pour qu’un œil politique, celui du ministère de l’Intérieur, ministère qui est par excellence celui de l’Etat, veille à ce que la présence de celui-ci sur tout le territoire nationale ne soit pas mise en cause par des décisions hâtives qu’on regretterait bien vite !


Rédigé par Jean-Pierre Chevènement le Samedi 6 Décembre 2008 à 11:31 | Lu 5022 fois



1.Posté par furaxauboulot le 07/12/2008 00:18
L'intervention de JPC dans cette matière un peu ardue m'a beaucoup intéressé. Je me permettrai d'évoquer trois points que je ne développerai pas :

1. La (relative) perversité de la décentralisation , créatrice de fiefs à l'inverse de la déconcentration.

2. L'impossibilité pour des techniciens du Droit issus du privé de postuler dans l'administration sur dossier

3. Le dessein qui se profile d'une europe des régions au mépris de la souveraineté nationale.

2.Posté par arnautic le 08/12/2008 20:41
Néo-fonctionnaire, je ne peux que partager votre sentiment: dans la tempête des réformes, un rappel au sens de l'Etat et aux valeurs républicaines est indispensable pour leur éviter de sombrer. Ils sont déjà suffisamment proches de la limite de flottaison, les républicains de droite doivent en avoir conscience. Bien cordialement.

3.Posté par furaxauboulot le 10/12/2008 21:12
arnautic , je ne sais pas si vous êtes d'accord avec JPC ou avec ce que j'ai pu dire notamment sur l'impossible pour les techniciens du Droit issus du privé de pouvoir enfin se consacrer au Service Public. L'Etat se prive actuellement du concours de vrais Républicains purs et durs au seul motif d'une absence de passerelle , c'est extrèmement dommageable. Un vrai gachis.

4.Posté par maël le 12/12/2008 12:12
Encore une fois, une excellente intervention de J.P Chevènement qui, visiblement, prend très au sérieux sa fonction de Sénateur.
Il est dommage que ces questions et ces débats, dont l'enjeux est crucial pour la cohésion nationale, est totalement occulté par les médias. Dommage.


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