Monsieur le Président, Monsieur le Ministre, Mes chers collègues,
Cette réforme ne procède pas d’une pensée claire.
Son examen vient dans un ordre inverse à celui qu’eût inspiré la logique. Il eût fallu partir du rôle des collectivités territoriales et de leurs compétences, régler ensuite leur organisation, pourvoir enfin à leurs recettes. Or, c’est le contraire qui a été fait. Le problème des recettes a été traité mais pas réglé. Nous ne connaissons pas encore les compétences dans lesquelles seront enfermés les départements et les régions.
L’objectif premier, comme le Président de la République l’a d’ailleurs clairement déclaré, est d’associer les collectivités territoriales à la rigueur budgétaire. Les financements croisés seront interdits, sauf exceptions dont l’article 35 de ce projet de loi renvoie à un an la définition.
L’élection des conseillers territoriaux qui devraient remplacer les conseillers généraux et les conseillers régionaux aura lieu selon un mode de scrutin que nous ne connaissons pas. Elle fera régresser la parité et fera du problème des cumuls un véritable casse-tête. Ce projet porte la marque d’une excessive précipitation : « Qui trop embrasse, mal étreint ».
Le Sénat n’entend pas se laisser encore une fois mettre devant le fait accompli et se voir réduire au rôle d’une simple chambre d’enregistrement.
Cette réforme ne procède pas d’une pensée claire.
Son examen vient dans un ordre inverse à celui qu’eût inspiré la logique. Il eût fallu partir du rôle des collectivités territoriales et de leurs compétences, régler ensuite leur organisation, pourvoir enfin à leurs recettes. Or, c’est le contraire qui a été fait. Le problème des recettes a été traité mais pas réglé. Nous ne connaissons pas encore les compétences dans lesquelles seront enfermés les départements et les régions.
L’objectif premier, comme le Président de la République l’a d’ailleurs clairement déclaré, est d’associer les collectivités territoriales à la rigueur budgétaire. Les financements croisés seront interdits, sauf exceptions dont l’article 35 de ce projet de loi renvoie à un an la définition.
L’élection des conseillers territoriaux qui devraient remplacer les conseillers généraux et les conseillers régionaux aura lieu selon un mode de scrutin que nous ne connaissons pas. Elle fera régresser la parité et fera du problème des cumuls un véritable casse-tête. Ce projet porte la marque d’une excessive précipitation : « Qui trop embrasse, mal étreint ».
Le Sénat n’entend pas se laisser encore une fois mettre devant le fait accompli et se voir réduire au rôle d’une simple chambre d’enregistrement.
Mais il y a plus préoccupant encore, Monsieur le Ministre, le texte qui nous est proposé est gravement attentatoire aux principes de la République.
Aux termes de l’article premier de notre Constitution, notre République est en effet une République indivisible. Elle respecte le principe d’égalité. Son organisation est décentralisée.
Or, le projet de réforme des collectivités territoriales contrevient à ces principes. Il porte en lui l’extinction des communes existantes et des départements. Il saperait ensuite, s’il était adopté, l’unité de la République.
Les communes et les départements sont tous deux créations de la Révolution française. Celle-ci a créé les communes dans les limites des anciennes paroisses et les départements aux lieu et place des découpages hérités de l’ancien ordre féodal.
Comme l’écrivait Voltaire, à la fin du XVIIIe siècle : « En France on change plus souvent de lois que de cheval ». C'est à cela que la Révolution de 1789 a voulu mettre un terme pour assurer l’égalité des citoyens devant la loi. Il y a donc un lien entre le couple département-commune et la République une et indivisible. C’est ce lien que le projet de loi sur la réforme des collectivités territoriales entend rompre.
Bien loin de simplifier le mille-feuilles, le projet de loi semble d’abord l’épaissir avec notamment la création des « métropoles » érigées en nouvelles féodalités. Mais le Président de la République continue d’agiter l’argument du mille-feuilles, comme il l’a encore fait lors de la présentation de ses vœux aux parlementaires, le 13 janvier dernier. Il y a donc une arrière-pensée. La vérité, je vais vous la dire. Vous prétendez vouloir instaurer un nouveau couple : commune-intercommunalité d’une part, département-région d’autre part. C’est une présentation fallacieuse. Dans ces deux binômes, les communes existantes et les départements ont vocation à s’effacer. Je vais le démontrer.
La commune d’abord. Comment ne pas voir en effet que des communes pourront disparaître sans le consentement ni des conseils municipaux ni de leur population au profit de « communes nouvelles » ? Celles-ci, aux termes de l’article 8 du projet de loi, pourront être créées à la place d’un établissement public de coopération intercommunale avec l’accord des deux tiers des communes représentant les deux tiers de la population, à l’initiative d’un préfet ou de l’EPCI lui-même. En clair, cela signifie que l’opposition du tiers des communes dans le ressort du périmètre de l’EPCI concerné ne suffirait pas à empêcher leur disparition pure et simple. C’est grave ! M. Braye ne me démentirait pas !
L’article 72 de la Constitution précise que les collectivités territoriales s’administrent librement, certes dans les conditions prévues par la loi. Mais la loi peut-elle aller jusqu’à faire disparaître des milliers de communes sans leur consentement ? N’est-ce pas là une atteinte fondamentale au principe selon lequel « l’organisation de la République est décentralisée » ?
Or la logique des « communes nouvelles », si elle était poussée à son terme –moyennant incitations financières - aboutirait à substituer à nos 36 600 communes, 2 600 communes nouvelles. Il suffirait que des majorités qualifiées des deux tiers des conseils municipaux et de la population des EPCI actuels soient d’accord pour une telle OPA inamicale sur des milliers de communes. Telle est, à terme, la logique de votre projet, inspiré de la réduction autoritaire et souvent drastique du nombre des communes opérée dans certains pays voisins, comme la Belgique ou l’Allemagne.
La création desdites « communes nouvelles » apparaît comme le moyen de pallier, quarante ans après, l’échec de la loi Marcellin sur les fusions de communes. Or la réussite de l’intercommunalité de projet, avec la mise en commun des compétences stratégiques des communes, a constitué un remède simple et pratique au très grand nombre de nos communes, 36 000, seule véritable spécificité française en Europe qui est aussi un atout pour la démocratie, par le formidable réseau de 500 000 élus de proximité, quasi bénévoles pour la plupart.
Il y a un rapport entre la liberté communale et la démocratie. Les règles de majorité qualifiée peuvent s’appliquer à l’intérieur de l’intercommunalité mais non à l’existence même des communes, échelons de base de la démocratie. C’est par la commune que la République et la Nation sont partout chez elles. Partout sur le territoire national, le maire et les conseils municipaux sont les échelons avancés de l’Etat républicain.
S’agissant de l’intercommunalité, dont je ne conteste pas qu’il faille achever la carte, je voudrais attirer l’attention du Sénat sur la transformation qualitative de celle-ci qu’impliqueraient les nouvelles modalités de désignation des conseillers communautaires ; sous le régime de la loi du 12 juillet 1999 que je suis bien placé pour connaître, l’intercommunalité est une coopérative de communes mettant en commun leurs compétences stratégiques. Avec ce projet de loi, vous allez créer, sans l’avoir véritablement voulu, un quatrième niveau de collectivités.
Dans le régime actuel, en effet, les conseillers communautaires sont élus par les conseils municipaux. Avec le projet de loi, ils seront élus au suffrage universel, selon le système du fléchage. Prenez-y garde : cette élection directe sapera considérablement la légitimité des maires en laquelle résidait l’alchimie qui avait permis la réussite de l’intercommunalité. Les conseillers communautaires, aujourd’hui élus par les Conseils municipaux, sont en fait largement choisis par les maires pour les seconder. La réunion des maires structure aujourd’hui la vie du conseil communautaire. Demain, élus au suffrage universel sur plusieurs listes, les conseillers communautaires importeront inévitablement au sein du Conseil communautaire les différences politiques et idéologiques qui les auront fait élire. La commune s’effacera ainsi discrètement avec la légitimité des maires.
En second lieu, le projet de loi ouvre la porte à des fusions autoritaires d’EPCI auxquelles il suffira, aux termes de l’article 20, que souscrive au moins un tiers des conseils municipaux des communes regroupées dans chaque EPCI. C’est un seuil très bas, un très faible barrage contre les regroupements autoritaires d’EPCI. Comment mieux manifester le peu de cas ainsi fait par le projet de loi de la liberté des communes ?
Il faut y réfléchir à deux fois avant de toucher à l’organisation territoriale de la République. Quelques mesures simples et pratiques auraient suffi. Ainsi à l’émiettement réel de nos communes, il a été remédié par la loi de 1999, votée à une quasi-unanimité du Parlement, par une intercommunalité de projets. C’est dans cette voie pragmatique qu’il eût fallu continuer, par petites touches, plutôt que de vouloir tout bouleverser, en substituant au couple républicain – commune-département – un couple post-républicain – intercommunalité érigée en nouvelle catégorie de collectivités d’une part, voire commune nouvelle, et région d’autre part.
Le projet de loi portant réforme des collectivités territoriales ne vise pas seulement à remettre en cause l’existence des communes existantes mais aussi celle des départements. M Balladur n’a pas fait mystère de ce que la création de conseillers territoriaux avait pour but de permettre « l’évaporation » des départements dans les régions. On admirera la subtilité qui, à défaut de pouvoir supprimer ouvertement le département, comme le proposait la commission Attali, les voue à une progressive « évaporation ». Or le département est, depuis la Révolution, l’organisation même de l’Etat sur le territoire, avec, depuis 1871, une assemblée élue au suffrage universel dans le cadre des cantons. Faut-il rappeler que la loi Treveneuc votée en 1872, à l’aube de la IIIe République, avait confié à la réunion de tous les conseillers généraux le soin d’assurer la continuité de l’Etat, en cas de force majeure interdisant le fonctionnement régulier des pouvoirs publics ? C'est dire si les départements portent en substance la légitimité républicaine. Vouloir les dissoudre, ou plus insidieusement les faire s’évaporer, c’est saper le fondement même de la République !
Ce travail de sape résulte de plusieurs dispositions du projet de loi :
La création des « métropoles », d’abord, porte une atteinte substantielle à la réalité des départements dont elles sont chefs lieux, et d’ailleurs aussi des régions dont elles sont les capitales. Quelle incohérence ! Les transferts de compétences opérés, ne subsisteront plus que des départements moignons et des régions décapitées. Les inégalités se creuseront entre les métropoles et leur environnement. La création des métropoles, concentrant potentiellement toutes les compétences, entraînera l’apparition de nouvelles féodalités.
Ainsi, le projet de loi attente-t-il gravement à l’organisation républicaine du territoire en voulant faire disparaître, à terme, les communes actuelles et les départements pour reconstituer, à la place du jardin à la française séparant clairement trois niveaux de collectivités, communes - départements – régions, un fouillis médiéval dont les métropoles et les « communes nouvelles » seront les nouveaux donjons.
Enfin, et ce sera mon troisième et dernier argument, plusieurs des dispositions du projet de loi remettent en cause l’unité de la République et la souveraineté du Peuple français exercée légitimement par le Parlement.
Le projet de loi, tel que modifié par la Commission des Lois, veut étendre à la France métropolitaine le régime de l’Outre-Mer en prévoyant, dans l’article 13 bis, la création d’une collectivité à statut particulier se substituant à une région et aux départements qui la composent. Y a-t-on bien réfléchi, mes chers collègues ? S’agit-il de refaire le référendum corse de juillet 2003 en fusionnant les deux départements corses avec la collectivité territoriale de Corse ? Ou bien encore de créer, à la place de la région Alsace et des départements du Haut-Rhin et du Bas-Rhin, une sorte de territoire d’outre terre entre Vosges et Rhin, d’eurorégion entre la France et l’Allemagne ? M. Richert évoquait hier cette possibilité.
Et si on incite des départements à fusionner entre eux, ou à se retrouver dans une région voisine, comme par exemple la Loire-Atlantique dans la Bretagne, comment pourra-t-on s’opposer à la scission de départements comme les Pyrénées Atlantiques, pour permettre la création d’un département basque sur lequel l’ETA ne tarderait sans doute pas à exercer ses chantages ? S’agit-il là de craintes excessives ? Portons notre regard sur ce qui se passe en Belgique entre Flamands et Wallons, ou en Espagne avec la Catalogne. Veut-on que la France suive le même chemin et mettre la République à l’encan ?
Prenez garde qu’en ouvrant la boîte de Pandore des fusions et des regroupements départementaux et régionaux, vous ne réveilliez les vieux démons des régionalismes et des ethnicismes, contre lesquels la République une et indivisible avait justement institué les départements. Le gouvernement a-t-il tiré les leçons des référendums intervenus en Guyane et en Martinique où les populations ont manifesté leur attachement à la République à travers les départements ? Les problèmes du pays ne seront pas résolus par l’octroi de nouveaux statuts. Le gouvernement aperçoit-il les ferments de division dont il jette les germes pour l’avenir ? Est-il bien raisonnable d’ouvrir la voie à de multiples contestations territoriales ?
Certes, le gouvernement peut décider ou non de donner suite aux demandes formulées par les Assemblées délibérantes des départements et des régions. Mais en cas de délibérations concordantes, pourra-t-il s’y opposer, eu égard aux passions suscitées ? Evidement non. Et dans l’hypothèse inverse pourra-t-il résister longtemps à la demande de consultation formulée par des minorités actives ? La réponse est également non : l’expérience nous enseigne qu’il est pratiquement impossible de s’opposer à ces revendications qui partent d’une conception de la démocratie faussée. Ce ne sera plus en effet le peuple français qui décidera de son organisation territoriale, mais telle ou telle portion du peuple plus ou moins dressée contre l’autre.
L’organisation territoriale de la République ne peut être laissée à des arbitrages locaux. Elle doit procéder du peuple tout entier, c’est-à-dire d’abord de la loi votée par le Parlement ! Le Sénat, même s’il est le représentant des collectivités territoriales, a le souci de l’Etat comme en témoigne la galerie de tous ces personnages qui nous surplombent. L’Etat qui a structuré la France dans la durée.
Je sais bien que l’article 72-1 de la Constitution, révisée en 2004, autorisait, en vertu d’une loi, un référendum local, quand il s’agissait de créer une collectivité territoriale dotée d’un statut particulier. Il s’agissait, en l’occurrence, de l’avenir de la Corse. Il n’est pas sans intérêt de rappeler que nos compatriotes corses, en marquant par le référendum de juillet 2003, leur attachement aux deux départements de Haute-Corse et de Corse-du-Sud, ont entendu signifier leur appartenance à la nation française, communauté de citoyens, c’est-à-dire à la République, et leur refus d’être mis en coupe réglée au sein d’une collectivité à statut particulier par des minorités violentes, à forte tendance maffieuse. Cette affaire ayant été tranchée par nos concitoyens de Corse, est-il bon d’y revenir ?
La Constitution, telle qu’elle a été révisée en 2004, prévoit donc une loi pour autoriser les référendums locaux. Le projet de loi qui nous est soumis ne met plus aucune barrière de cette sorte à la consultation des populations. Selon l’article 13, un décret en Conseil d’Etat suffit. C’est une grave atteinte aux prérogatives de la Haute Assemblée et plus généralement du Parlement qui devrait avoir le dernier mot sur l’organisation de la France en départements et en régions.
Menacer les communes, mes chers collègues, c’est renier la Révolution. Menacer le département, c’est renier la République ! Ouvrir la voie à la création, sur le sol même de la métropole, à des collectivités à statut particulier et chambouler notre organisation en départements et en régions en vertu de référendums locaux, c’est porter atteinte à l’unité du Peuple français.
Ce projet de loi mettrait en cause le principe d’égalité, en creusant les différences entre les territoires et les inégalités entre les citoyens. Il serait un mauvais coup porté à l’unité de la République et au couple républicain communes-département. Bref, il doit être profondément repensé. Le gouvernement doit prendre le temps de s’expliquer davantage et de revoir son texte, qui, en l’état, porte de graves risques d’inconstitutionnalité.
C’est pourquoi je demande à la Haute Assemblée, en application de l’article 44 de notre règlement, de décider le renvoi à la Commission des lois, du projet de loi de réforme des collectivités territoriales. L’organisation territoriale du pays est une chose trop sérieuse, au cœur même des prérogatives du Sénat, pour que celui-ci se laisse bousculer et placer devant le fait accompli !
Aux termes de l’article premier de notre Constitution, notre République est en effet une République indivisible. Elle respecte le principe d’égalité. Son organisation est décentralisée.
Or, le projet de réforme des collectivités territoriales contrevient à ces principes. Il porte en lui l’extinction des communes existantes et des départements. Il saperait ensuite, s’il était adopté, l’unité de la République.
Les communes et les départements sont tous deux créations de la Révolution française. Celle-ci a créé les communes dans les limites des anciennes paroisses et les départements aux lieu et place des découpages hérités de l’ancien ordre féodal.
Comme l’écrivait Voltaire, à la fin du XVIIIe siècle : « En France on change plus souvent de lois que de cheval ». C'est à cela que la Révolution de 1789 a voulu mettre un terme pour assurer l’égalité des citoyens devant la loi. Il y a donc un lien entre le couple département-commune et la République une et indivisible. C’est ce lien que le projet de loi sur la réforme des collectivités territoriales entend rompre.
Bien loin de simplifier le mille-feuilles, le projet de loi semble d’abord l’épaissir avec notamment la création des « métropoles » érigées en nouvelles féodalités. Mais le Président de la République continue d’agiter l’argument du mille-feuilles, comme il l’a encore fait lors de la présentation de ses vœux aux parlementaires, le 13 janvier dernier. Il y a donc une arrière-pensée. La vérité, je vais vous la dire. Vous prétendez vouloir instaurer un nouveau couple : commune-intercommunalité d’une part, département-région d’autre part. C’est une présentation fallacieuse. Dans ces deux binômes, les communes existantes et les départements ont vocation à s’effacer. Je vais le démontrer.
La commune d’abord. Comment ne pas voir en effet que des communes pourront disparaître sans le consentement ni des conseils municipaux ni de leur population au profit de « communes nouvelles » ? Celles-ci, aux termes de l’article 8 du projet de loi, pourront être créées à la place d’un établissement public de coopération intercommunale avec l’accord des deux tiers des communes représentant les deux tiers de la population, à l’initiative d’un préfet ou de l’EPCI lui-même. En clair, cela signifie que l’opposition du tiers des communes dans le ressort du périmètre de l’EPCI concerné ne suffirait pas à empêcher leur disparition pure et simple. C’est grave ! M. Braye ne me démentirait pas !
L’article 72 de la Constitution précise que les collectivités territoriales s’administrent librement, certes dans les conditions prévues par la loi. Mais la loi peut-elle aller jusqu’à faire disparaître des milliers de communes sans leur consentement ? N’est-ce pas là une atteinte fondamentale au principe selon lequel « l’organisation de la République est décentralisée » ?
Or la logique des « communes nouvelles », si elle était poussée à son terme –moyennant incitations financières - aboutirait à substituer à nos 36 600 communes, 2 600 communes nouvelles. Il suffirait que des majorités qualifiées des deux tiers des conseils municipaux et de la population des EPCI actuels soient d’accord pour une telle OPA inamicale sur des milliers de communes. Telle est, à terme, la logique de votre projet, inspiré de la réduction autoritaire et souvent drastique du nombre des communes opérée dans certains pays voisins, comme la Belgique ou l’Allemagne.
La création desdites « communes nouvelles » apparaît comme le moyen de pallier, quarante ans après, l’échec de la loi Marcellin sur les fusions de communes. Or la réussite de l’intercommunalité de projet, avec la mise en commun des compétences stratégiques des communes, a constitué un remède simple et pratique au très grand nombre de nos communes, 36 000, seule véritable spécificité française en Europe qui est aussi un atout pour la démocratie, par le formidable réseau de 500 000 élus de proximité, quasi bénévoles pour la plupart.
Il y a un rapport entre la liberté communale et la démocratie. Les règles de majorité qualifiée peuvent s’appliquer à l’intérieur de l’intercommunalité mais non à l’existence même des communes, échelons de base de la démocratie. C’est par la commune que la République et la Nation sont partout chez elles. Partout sur le territoire national, le maire et les conseils municipaux sont les échelons avancés de l’Etat républicain.
S’agissant de l’intercommunalité, dont je ne conteste pas qu’il faille achever la carte, je voudrais attirer l’attention du Sénat sur la transformation qualitative de celle-ci qu’impliqueraient les nouvelles modalités de désignation des conseillers communautaires ; sous le régime de la loi du 12 juillet 1999 que je suis bien placé pour connaître, l’intercommunalité est une coopérative de communes mettant en commun leurs compétences stratégiques. Avec ce projet de loi, vous allez créer, sans l’avoir véritablement voulu, un quatrième niveau de collectivités.
Dans le régime actuel, en effet, les conseillers communautaires sont élus par les conseils municipaux. Avec le projet de loi, ils seront élus au suffrage universel, selon le système du fléchage. Prenez-y garde : cette élection directe sapera considérablement la légitimité des maires en laquelle résidait l’alchimie qui avait permis la réussite de l’intercommunalité. Les conseillers communautaires, aujourd’hui élus par les Conseils municipaux, sont en fait largement choisis par les maires pour les seconder. La réunion des maires structure aujourd’hui la vie du conseil communautaire. Demain, élus au suffrage universel sur plusieurs listes, les conseillers communautaires importeront inévitablement au sein du Conseil communautaire les différences politiques et idéologiques qui les auront fait élire. La commune s’effacera ainsi discrètement avec la légitimité des maires.
En second lieu, le projet de loi ouvre la porte à des fusions autoritaires d’EPCI auxquelles il suffira, aux termes de l’article 20, que souscrive au moins un tiers des conseils municipaux des communes regroupées dans chaque EPCI. C’est un seuil très bas, un très faible barrage contre les regroupements autoritaires d’EPCI. Comment mieux manifester le peu de cas ainsi fait par le projet de loi de la liberté des communes ?
Il faut y réfléchir à deux fois avant de toucher à l’organisation territoriale de la République. Quelques mesures simples et pratiques auraient suffi. Ainsi à l’émiettement réel de nos communes, il a été remédié par la loi de 1999, votée à une quasi-unanimité du Parlement, par une intercommunalité de projets. C’est dans cette voie pragmatique qu’il eût fallu continuer, par petites touches, plutôt que de vouloir tout bouleverser, en substituant au couple républicain – commune-département – un couple post-républicain – intercommunalité érigée en nouvelle catégorie de collectivités d’une part, voire commune nouvelle, et région d’autre part.
Le projet de loi portant réforme des collectivités territoriales ne vise pas seulement à remettre en cause l’existence des communes existantes mais aussi celle des départements. M Balladur n’a pas fait mystère de ce que la création de conseillers territoriaux avait pour but de permettre « l’évaporation » des départements dans les régions. On admirera la subtilité qui, à défaut de pouvoir supprimer ouvertement le département, comme le proposait la commission Attali, les voue à une progressive « évaporation ». Or le département est, depuis la Révolution, l’organisation même de l’Etat sur le territoire, avec, depuis 1871, une assemblée élue au suffrage universel dans le cadre des cantons. Faut-il rappeler que la loi Treveneuc votée en 1872, à l’aube de la IIIe République, avait confié à la réunion de tous les conseillers généraux le soin d’assurer la continuité de l’Etat, en cas de force majeure interdisant le fonctionnement régulier des pouvoirs publics ? C'est dire si les départements portent en substance la légitimité républicaine. Vouloir les dissoudre, ou plus insidieusement les faire s’évaporer, c’est saper le fondement même de la République !
Ce travail de sape résulte de plusieurs dispositions du projet de loi :
La création des « métropoles », d’abord, porte une atteinte substantielle à la réalité des départements dont elles sont chefs lieux, et d’ailleurs aussi des régions dont elles sont les capitales. Quelle incohérence ! Les transferts de compétences opérés, ne subsisteront plus que des départements moignons et des régions décapitées. Les inégalités se creuseront entre les métropoles et leur environnement. La création des métropoles, concentrant potentiellement toutes les compétences, entraînera l’apparition de nouvelles féodalités.
Ainsi, le projet de loi attente-t-il gravement à l’organisation républicaine du territoire en voulant faire disparaître, à terme, les communes actuelles et les départements pour reconstituer, à la place du jardin à la française séparant clairement trois niveaux de collectivités, communes - départements – régions, un fouillis médiéval dont les métropoles et les « communes nouvelles » seront les nouveaux donjons.
Enfin, et ce sera mon troisième et dernier argument, plusieurs des dispositions du projet de loi remettent en cause l’unité de la République et la souveraineté du Peuple français exercée légitimement par le Parlement.
Le projet de loi, tel que modifié par la Commission des Lois, veut étendre à la France métropolitaine le régime de l’Outre-Mer en prévoyant, dans l’article 13 bis, la création d’une collectivité à statut particulier se substituant à une région et aux départements qui la composent. Y a-t-on bien réfléchi, mes chers collègues ? S’agit-il de refaire le référendum corse de juillet 2003 en fusionnant les deux départements corses avec la collectivité territoriale de Corse ? Ou bien encore de créer, à la place de la région Alsace et des départements du Haut-Rhin et du Bas-Rhin, une sorte de territoire d’outre terre entre Vosges et Rhin, d’eurorégion entre la France et l’Allemagne ? M. Richert évoquait hier cette possibilité.
Et si on incite des départements à fusionner entre eux, ou à se retrouver dans une région voisine, comme par exemple la Loire-Atlantique dans la Bretagne, comment pourra-t-on s’opposer à la scission de départements comme les Pyrénées Atlantiques, pour permettre la création d’un département basque sur lequel l’ETA ne tarderait sans doute pas à exercer ses chantages ? S’agit-il là de craintes excessives ? Portons notre regard sur ce qui se passe en Belgique entre Flamands et Wallons, ou en Espagne avec la Catalogne. Veut-on que la France suive le même chemin et mettre la République à l’encan ?
Prenez garde qu’en ouvrant la boîte de Pandore des fusions et des regroupements départementaux et régionaux, vous ne réveilliez les vieux démons des régionalismes et des ethnicismes, contre lesquels la République une et indivisible avait justement institué les départements. Le gouvernement a-t-il tiré les leçons des référendums intervenus en Guyane et en Martinique où les populations ont manifesté leur attachement à la République à travers les départements ? Les problèmes du pays ne seront pas résolus par l’octroi de nouveaux statuts. Le gouvernement aperçoit-il les ferments de division dont il jette les germes pour l’avenir ? Est-il bien raisonnable d’ouvrir la voie à de multiples contestations territoriales ?
Certes, le gouvernement peut décider ou non de donner suite aux demandes formulées par les Assemblées délibérantes des départements et des régions. Mais en cas de délibérations concordantes, pourra-t-il s’y opposer, eu égard aux passions suscitées ? Evidement non. Et dans l’hypothèse inverse pourra-t-il résister longtemps à la demande de consultation formulée par des minorités actives ? La réponse est également non : l’expérience nous enseigne qu’il est pratiquement impossible de s’opposer à ces revendications qui partent d’une conception de la démocratie faussée. Ce ne sera plus en effet le peuple français qui décidera de son organisation territoriale, mais telle ou telle portion du peuple plus ou moins dressée contre l’autre.
L’organisation territoriale de la République ne peut être laissée à des arbitrages locaux. Elle doit procéder du peuple tout entier, c’est-à-dire d’abord de la loi votée par le Parlement ! Le Sénat, même s’il est le représentant des collectivités territoriales, a le souci de l’Etat comme en témoigne la galerie de tous ces personnages qui nous surplombent. L’Etat qui a structuré la France dans la durée.
Je sais bien que l’article 72-1 de la Constitution, révisée en 2004, autorisait, en vertu d’une loi, un référendum local, quand il s’agissait de créer une collectivité territoriale dotée d’un statut particulier. Il s’agissait, en l’occurrence, de l’avenir de la Corse. Il n’est pas sans intérêt de rappeler que nos compatriotes corses, en marquant par le référendum de juillet 2003, leur attachement aux deux départements de Haute-Corse et de Corse-du-Sud, ont entendu signifier leur appartenance à la nation française, communauté de citoyens, c’est-à-dire à la République, et leur refus d’être mis en coupe réglée au sein d’une collectivité à statut particulier par des minorités violentes, à forte tendance maffieuse. Cette affaire ayant été tranchée par nos concitoyens de Corse, est-il bon d’y revenir ?
La Constitution, telle qu’elle a été révisée en 2004, prévoit donc une loi pour autoriser les référendums locaux. Le projet de loi qui nous est soumis ne met plus aucune barrière de cette sorte à la consultation des populations. Selon l’article 13, un décret en Conseil d’Etat suffit. C’est une grave atteinte aux prérogatives de la Haute Assemblée et plus généralement du Parlement qui devrait avoir le dernier mot sur l’organisation de la France en départements et en régions.
Menacer les communes, mes chers collègues, c’est renier la Révolution. Menacer le département, c’est renier la République ! Ouvrir la voie à la création, sur le sol même de la métropole, à des collectivités à statut particulier et chambouler notre organisation en départements et en régions en vertu de référendums locaux, c’est porter atteinte à l’unité du Peuple français.
Ce projet de loi mettrait en cause le principe d’égalité, en creusant les différences entre les territoires et les inégalités entre les citoyens. Il serait un mauvais coup porté à l’unité de la République et au couple républicain communes-département. Bref, il doit être profondément repensé. Le gouvernement doit prendre le temps de s’expliquer davantage et de revoir son texte, qui, en l’état, porte de graves risques d’inconstitutionnalité.
C’est pourquoi je demande à la Haute Assemblée, en application de l’article 44 de notre règlement, de décider le renvoi à la Commission des lois, du projet de loi de réforme des collectivités territoriales. L’organisation territoriale du pays est une chose trop sérieuse, au cœur même des prérogatives du Sénat, pour que celui-ci se laisse bousculer et placer devant le fait accompli !