Jean-Pierre Chevènement entouré de Nicolas Dupont-Aignan et Marie-Noëlle Lienemann, dimanche 2 décembre 2007 à la Maison de la Chimie, à Paris
Le 29 mai 2005, le peuple français a rejeté le projet de Constitution européenne à 55 % des voix. De ce rejet les raisons sont de deux ordres :
- refus d’une Europe libérale, s’offrant, impotente, à tous les coups d’une concurrence faussée ;
- attachement à la souveraineté nationale, garante de la démocratie alors que maints hérauts du « oui » ne se cachaient pas de vouloir donner au traité constitutionnel la valeur d’une véritable Constitution européenne, l’emportant sur les Constitutions nationales. Ces deux ordres de raisons ne sont pas contradictoires. Ils sont complémentaires : l’étouffement de la démocratie et la régression sociale avancent de pair.
I – Le traité de Lisbonne est un déni de démocratie.
Ce coup de force à la fois contre la République et contre le monde du travail a été en partie déjoué puisque le mot de « Constitution » ne figure plus dans le texte du traité de Lisbonne.
Celui-ci n’en reprend pas moins sur le fond toutes les dispositions du projet de Constitution européenne. M. Sarkozy n’y a rien changé d’essentiel et il ne lui appartient pas de dire que la disparition du mot « Constitution » représente un changement suffisant pour réaliser le dépassement du « oui » et du « non » au référendum du 29 mai.
Les modifications apportées sont, comme l’a souligné M. Giscard d’Estaing le 17 juillet devant le Parlement européen, « purement cosmétiques ». « En termes de contenu –je le cite- les propositions demeurent largement inchangées. Elles sont juste présentées de façon différente … Les gouvernements européens se sont mis d’accord sur des changements cosmétiques à la Constitution pour qu’elle soit plus facile à avaler ». On ne peut exprimer plus clairement que par la bouche de l’ancien Président le mépris revanchard de nos élites pour la démocratie.
- refus d’une Europe libérale, s’offrant, impotente, à tous les coups d’une concurrence faussée ;
- attachement à la souveraineté nationale, garante de la démocratie alors que maints hérauts du « oui » ne se cachaient pas de vouloir donner au traité constitutionnel la valeur d’une véritable Constitution européenne, l’emportant sur les Constitutions nationales. Ces deux ordres de raisons ne sont pas contradictoires. Ils sont complémentaires : l’étouffement de la démocratie et la régression sociale avancent de pair.
I – Le traité de Lisbonne est un déni de démocratie.
Ce coup de force à la fois contre la République et contre le monde du travail a été en partie déjoué puisque le mot de « Constitution » ne figure plus dans le texte du traité de Lisbonne.
Celui-ci n’en reprend pas moins sur le fond toutes les dispositions du projet de Constitution européenne. M. Sarkozy n’y a rien changé d’essentiel et il ne lui appartient pas de dire que la disparition du mot « Constitution » représente un changement suffisant pour réaliser le dépassement du « oui » et du « non » au référendum du 29 mai.
Les modifications apportées sont, comme l’a souligné M. Giscard d’Estaing le 17 juillet devant le Parlement européen, « purement cosmétiques ». « En termes de contenu –je le cite- les propositions demeurent largement inchangées. Elles sont juste présentées de façon différente … Les gouvernements européens se sont mis d’accord sur des changements cosmétiques à la Constitution pour qu’elle soit plus facile à avaler ». On ne peut exprimer plus clairement que par la bouche de l’ancien Président le mépris revanchard de nos élites pour la démocratie.
M. Sarkozy se targue d’avoir fait disparaître la concurrence libre et non faussée des objectifs de l’Union mais celle-ci réapparaît dans le protocole n° 6 au rang des principes que l’Union doit faire respecter. C’est prendre les citoyens pour des gogos !
Si, comme s’en flatte le président de la République, une base juridique existe désormais pour une directive concernant les services d’intérêt général, la Commission vient de faire savoir qu’elle n’avait pas l’intention de prendre une telle directive ! Nouvelle mystification !
Enfin si le traité de Lisbonne ne reprend pas la troisième partie du projet de Constitution relative au contenu des politiques, c’est tout simplement parce que les traités antérieurs auxquels il s’intègre, comportent par définition ces dispositions. Le corpus d’ensemble a la même valeur juridique, de Rome à Lisbonne, en passant par Luxembourg, Maastricht, Amsterdam et Nice. Qu’on ne nous fasse pas prendre des vessies pour des lanternes !
M. Sarkozy ne peut donc prétendre, comme il l’a fait dans son discours de Strasbourg, le 2 juillet 2007, avoir réalisé la synthèse du « oui » et du « non » et le dépassement des contradictions. Car il n’est pas vrai que dans le traité de Lisbonne, « l’Europe, comme il le prétend, se donne les moyens d’agir et de se protéger ». Au contraire ! M. Sarkozy, comme nous le verrons, a avalé la substance de la Constitution sans obtenir en échange aucune contrepartie ! M. Sarkozy n’est donc aucunement fondé à soutenir que son élection à la Présidence de la République, le 6 mai 2007, lui donne les mains libres pour réinterpréter – que dis-je ? – pour bafouer la volonté du peuple français, clairement exprimée le 29 mai 2005.
Au demeurant, aucune procédure de révision constitutionnelle n’est aussi contraignante que l’obligation de réunir l’unanimité des vingt-sept Etats signataires pour modifier le texte des traités. Nous sommes enfermés dans un carcan dont il ne sera pas possible de se défaire à moins d’une révolution bien improbable à l’échelle des vingt-sept, sauf à quitter l’Union européenne.
Pour faire accepter la ratification par la voie parlementaire du traité de Lisbonne qui reprend, comme l’avait souhaité Madame Merkel, la « substance de la Constitution », M. Sarkozy use d’un subterfuge grossier : il prétend avoir couvert par son élection à 53% de voix comme président de la République, le non-respect du parallélisme des formes : en effet ce qui a été rejeté par référendum ne devrait pouvoir être rétabli que par la voie du suffrage universel. Ainsi en est-il expressément stipulé par la Constitution italienne et même par celle de l’Etat de Californie. Telle n’est pas l’interprétation de M. Sarkozy. Celui-ci pendant la campagne présidentielle a bien annoncé l’adoption d’un traité simplifié par la voie parlementaire. C’est vrai ! Mais ce n’est pas un traité simplifié qu’il nous propose aujourd’hui : 256 pages au total, un empilement d’articles modifiant les traités existants. C’est un traité complexifié à l’excès, illisible même par des parlementaires chevronnés !
Le mot de traité simplifié n’est encore employé que par quelques thuriféraires zélés de l’actuelle majorité. Le Conseil européen, à juste titre, n’a pas utilisé cette expression mais celle de « traité modificatif ». M. Sarkozy annonçait un « mini traité » : c’est une maxi-traîtrise !
Il y a en effet une règle en démocratie : c’est la souveraineté du Peuple. Ne pas respecter la souveraineté populaire constitue un véritable déni de démocratie, l’équivalent de ce que le professeur Anne-Marie Le Pourhiet a appelé un « coup d’Etat ». Le Président de la République nous objecte que la voie parlementaire est employée dans la plupart des autres pays européens. Mais il n’y a qu’en France, aux Pays-Bas et en Espagne qu’on a précédemment demandé au peuple de se prononcer par la voie du référendum.
Assez de tours de passe-passe ! Le parallélisme des formes exige le référendum ! La seule question à se poser est de savoir s’il est possible d’imposer au Président de la République d’en passer par un référendum. La réponse s’impose à quiconque a examiné les textes et pris au sérieux les engagements des différents candidats à la récente élection présidentielle : oui cette possibilité existe !
II – Il est possible d’imposer à M. Sarkozy la voie du référendum.
L’article 88-1 a été révisé par prétérition pour permettre la ratification de la Constitution européenne depuis lors rejetée par le peuple. Le Conseil Constitutionnel avait considéré, par une décision du 19 novembre 2004, que de nombreuses clauses du traité constitutionnel « affectaient les conditions essentielles d’exercice de la souveraineté nationale », notamment des transferts de compétence en matière de contrôle aux frontières et de coopération judiciaire, civile ou pénale privant ainsi la France de tout pouvoir propre d’initiative, ou encore l’extension des domaines régis par le vote à la majorité qualifiée ou conférant une fonction décisionnelle au Parlement européen lequel –je cite– « n’est pas l’émanation de la souveraineté nationale ».
Le Conseil Constitutionnel avait donc exigé une révision préalable de la Constitution, révision à laquelle il a été procédé. Mais cette révision est devenue caduque par la volonté du peuple français, car elle visait expressément la Constitution européenne, je cite l’article 88-2, deuxième alinéa de notre Constitution : « La France peut participer à l’Union européenne dans les conditions prévues par le traité établissant une Constitution pour l’Europe signé le 29 octobre 2004 ». Patatras ! Le 29 mai 2005 le peuple français a mis bas ce bel édifice !
Il faut tout recommencer. Consulter d’abord le Conseil Constitutionnel sur le traité de Lisbonne. Il est fort à prévoir que pour les mêmes raisons que précédemment, le Conseil demandera la révision de la Constitution afin d’autoriser la ratification du traité de Lisbonne. C’est alors que le Président de la République devra convoquer les Assemblées parlementaires puis le Congrès pour modifier l’article 88-1.
Mais comme le stipule l’article 89 de la Constitution relatif à la révision, celle-ci - à défaut d’être approuvée par la voie référendaire qui est le mode normal de révision - doit réunir la majorité des trois cinquièmes des suffrages exprimés au Congrès. Les deux cinquièmes du Congrès, à supposer que tous les parlementaires votent, cela fait 363 voix. Or cette minorité de blocage existe si tous les parlementaires se souviennent des engagements qu’ils ont pris à travers les candidats qu’ils ont soutenus pendant la campagne présidentielle.
La gauche et les Verts ont 352 élus à l’Assemblée et au Sénat. Deux non inscrits à l’Assemblée appartenant à « Debout la République » et deux non-inscrits au Sénat, militant pour un référendum. Trois députés du Modem se souviendront que leur chef s’était lui aussi prononcé pour un référendum. Enfin, je n’ose pas croire que les sénateurs et députés de l’UMP qui se sont toujours dits « souverainistes » (je pense par exemple à MM. Pasqua, Guillet, Myard et d’autres encore) puissent se laisser aller à approuver un projet de révision constitutionnelle si contraire à la souveraineté nationale.
En comptant bien, j’ai trouvé les 363 parlementaires qui peuvent faire obstacle à cette révision. Les Républicains comptent sur eux. Nous comptons sur leur courage, sur leur respect de la démocratie. Nous ne leur demandons même pas ce qu’ils pensent sur le fond du traité. Là n’est pas la question qui sera posée aux Assemblées parlementaires et au Congrès réuni à Versailles. La question sera beaucoup plus simple, ce sera une question préjudicielle : la représentation nationale va-t-elle couvrir l’intention du Président de la République de s’asseoir sur le suffrage universel ? Va-t-elle à son tour piétiner la démocratie ?
A tous ces parlementaires, et aussi aux autres d’ailleurs, je demande : comment pourriez-vous demain déplorer la crise de la démocratie, le fossé entre le peuple et les élites, l’abaissement du Parlement, si vous deviez vous-mêmes consacrer par votre vote le droit du Président de la République de déclarer nul et non avenu un vote référendaire aussi explicite que celui du 29 mai 2005 ? Songez-y : à quelles crises futures exposeriez-vous ainsi la démocratie en France et à quel discrédit soumettriez-vous une construction européenne, non seulement coupée des peuples, mais retournée contre eux et particulièrement contre le peuple français et le peuple hollandais. Or ces deux peuples sont deux des six des peuples fondateurs ayant engagé en 1957, par le traité de Rome, cette construction européenne. Combien fragiliseriez-vous encore l’édifice !
Je sais bien que le bureau national du PS s’est prononcé au fond par une majorité nette mais nullement écrasante, tout en laissant la liberté de vote aux parlementaires. Mais ce n’est pas de cela qu’il s’agit : c’est une question préjudicielle qui est posée : « Faites-vous, ou non, fi de la démocratie telle qu’elle s’est exprimée par la voix du référendum populaire, c’est-à-dire par la voix du Souverain lui-même, le Peuple, dont vous êtes les représentants » ?
Je rappelle aux parlementaires socialistes l’engagement pris par leur parti dans son projet adopté à l’unanimité en 2006 de soumettre tout nouveau traité institutionnel à référendum, engagement repris par leur candidate pendant la campagne présidentielle de 2007. On ne peut pas en appeler au peuple pour construire une opposition républicaine à M. Sarkozy et dans le même temps s’asseoir non seulement sur les engagements pris à son égard mais encore sur sa volonté même. Par son vote au Congrès le parti socialiste dira s’il est un parti d’opposition républicaine ou si MM. Kouchner et Jouyet n’étaient au fond que ses éclaireurs de pointe dans sa conversion au libéralisme. Je me refuse à croire que le PS fera ainsi la courte échelle à M. Sarkozy !
Ce rappel vaut aussi pour M. Bayrou et pour les parlementaires du Modem. Vous aussi vous préconisiez un nouveau référendum il y a sept mois de cela. L’auriez-vous oublié. Vous dites « vouloir l’Europe ». Mais voulez-vous l’Europe contre la démocratie ? Et croyez-vous ainsi pouvoir un jour constituer un recours ?
Le Comité national pour le Référendum et bien d’autres forces se sont réunis pour rappeler aux électeurs et par conséquent aux parlementaires que le peuple français a la mémoire longue. Il se souviendra de ceux qui l’auront respecté mais aussi de ceux qui lui auront manqué !
J’ose enfin espérer que beaucoup de parlementaires de la majorité, en conscience, ne prendront pas part au vote. Car la question préjudicielle qui est posée dépasse les clivages habituels : elle est, en effet, celle de la démocratie elle-même. Et si les courageux n’étaient pas assez nombreux pour réunir les deux cinquièmes des suffrages exprimés, j’ose espérer encore que, comme en juillet 1940, ils seraient plus que 80 à s’opposer !
III – Le fond : la France diminuée et ligotée, la démocratie garrottée, le monde du travail livré au capital financier.
Et voilà que je suis obligé d’en venir au fond car, à travers le traité de Lisbonne, c’est de l’indépendance nationale, de la démocratie, de la prospérité et de l’avenir même de notre pays qu’il s’agit. Il n’y a en effet aucune des critiques faites au défunt projet de Constitution européenne qui ne puisse être faite au traité de Lisbonne.
D’abord une chose qui n’est jamais dite, mais qui est peut-être la plus importante : la France, à compter de 2014, va perdre 25 % de son poids par rapport à l’Allemagne par le fait de la prise en compte de la démographie dans les votes au Conseil. Et cela au mépris de l’engagement initial pris par le Chancelier Adenauer en 1951 vis-à-vis de Jean Monnet. Celui-ci lui déclarait le 4 avril 1951 : « Je suis autorisé à vous proposer que les rapports entre la France et l’Allemagne soient régis par le principe d’égalité au Conseil comme à l’Assemblée et dans les institutions européennes actuelles ou ultérieures, que la France y entre seule ou avec l’Union française, que l’Allemagne soit celle de l’Ouest ou qu’elle soit réunifiée … L’esprit de discrimination a été la cause des plus grands malheurs du monde. La Communauté est un effort pour le faire reculer ».
« Vous savez, lui répondit le Chancelier Adenauer, combien je suis attaché à l’égalité des droits pour mon pays dans l’avenir, et quelle condamnation je porte sur les entreprises de domination où il a été entraîné par le passé. Je suis heureux de donner mon plein accord à votre proposition, car je ne conçois pas de Communauté hors de l’égalité totale ». Ces propos figurent dans les Mémoires de Jean Monnet, aux éditions Fayard, pages 414 et 415.
Or cette égalité entre la France et l’Allemagne est dans l’intérêt de l’Europe elle-même. La relation franco-allemande est fondamentale. Mais pour aller de l’avant, elle doit être équilibrée. Car cette relation indispensable n’est pas aussi facile que le disent les faiseurs de chimères. Faut-il évoquer les relations industrielles ? Elles sont tapissées de conflits : Sanofi-Aventis, EADS, Siemens-Alstom, Galileo. La politique monétaire ? La politique budgtétaire ? Madame Merkel, peu après son arrivée à la Chancellerie, a déclaré vouloir « mettre l’Allemagne au sommet de l’Europe ». De son côté, M. Sarkozy, dans son discours de Strasbourg du 2 juillet dernier, nous conte maintes fariboles sur l’euro cher, le gouvernement économique de la zone euro ou sur la protection communautaire. Ces fariboles l’autorisent – croit-il – à proclamer : « La France est de retour ! ». En réalité, M. Sarkozy a lâché la proie pour l’ombre.
Ajouterai-je qu’à partir de 2014, la France pourra se voir privée de représentant à la Commission, en vertu du « principe de rotation strictement égalera entre les Etats » pour la désignation des Commissaires ? La France égale Malte ! Et tout cela, toutes ces réformes institutionnelles sous le fallacieux prétexte de sortir du traité de Nice pour adopter le fonctionnement des institutions européennes à l’Europe élargie à vingt-sept ! Mais si tout cela était vrai, on n’aurait pas remis à 2014 la pondération démographique des votes au Conseil. Ou alors faut-il croire qu’on a pris son parti de l’immobilisme pendant les six prochaines années et peut-être même jusqu’en 2017 ? L’hypocrisie triomphe : en réalité, le traité de Nice a bon dos : ses pires détracteurs sont paradoxalement ceux qui l’ont signé. Nos dirigeants n’ont pas osé s’appuyer sur le « non » du peuple français pour défendre ses intérêts légitimes. Tout cela a un nom : cela s’appelle le renoncement de la France.
Le traité de Lisbonne fait reculer la France et il fait reculer la démocratie. Les nouvelles compétences partagées définies par les articles 3 à 6 le sont inégalement. Il est clairement énoncé qu’en ces domaines, très nombreux et importants, les Etats membres exercent leurs compétences quand l’Union a cessé d’exercer les siennes ou a décidé de ne plus les exercer. D’immenses domaines relèveront désormais de deux instances oligarchiques : la Commission à laquelle nous abandonnerons plus encore le droit d’initiative et la Cour de Justice chargée d’interpréter la Charte des droits fondamentaux, au détriment pour l’essentiel du Parlement français.
Dans quarante nouveaux domaines, le vote au Conseil interviendra à la majorité qualifiée et sera couvert par l’illusoire co-décision d’un Parlement fantôme, dépourvu de légitimité, en l’absence d’un peuple européen.
Avec la démocratie, ce sont les droits des travailleurs qui reculent. La logique du capitalisme financier aujourd’hui dominant dans le système de la globalisation est naturellement contraire à l’intérêt des peuples européens. La mise en concurrence des territoires et des mains d’œuvre qui est le cœur de la philosophie des traités européens à l’intérieur comme vis-à-vis des pays tiers, entraîne délocalisations, chômage, stagnation des salaires et du pouvoir d’achat, démantèlement de la protection sociale. En échange de toutes les concessions qu’il a faites, M. Sarkozy n’a rien obtenu à Lisbonne.
Où a-t-il vu, comme il le déclarait à Strasbourg le 2 juillet dernier, que l’Europe à Lisbonne se soit donné « les moyens d’agir et de se protéger » ? « De ne pas accepter sa désindustrialisation, de ne pas rester les bras croisés devant les délocalisations, de lutter contre les dumpings, d’instaurer une préférence communautaire, de mettre en œuvre des politiques industrielles » ?
M. Sarkozy dit avoir fait la synthèse entre le « oui » et le « non », « en mettant l’euro au service de la croissance et de l’économie. » « Nous n’avons pas créé la deuxième monnaie du monde – je le cite – pour ne pas nous en servir ». Mais tout le monde peut constater que depuis que M. Sarkozy a été élu, l’euro s’est renchéri de dix centimes de dollars, passant de 1,38 à 1,48 dollar. Or que dit le traité de Lisbonne à ce sujet ? Rien de neuf s’agissant de la Banque Centrale européenne qui guerroie toujours - en toute indépendance - contre les moulins de l’inflation et maintient ses taux d’intérêt tandis que le Federal Reserve Board baisse les siens de manière répétée. Et l’Eurogroupe ? Le traité de Lisbonne, comme la Constitution européenne, le définit toujours comme « instance informelle », seulement habilitée à « discuter » -je cite- les questions relatives à la monnaie unique qui n’incombent pas à la Banque Centrale, c’est-à-dire sur rien. Là est la vraie, l’immense contradiction du Président Sarkozy, le volontarisme en bandoulière mais pieds et poings liés par un traité de Lisbonne dont je me demande s’il l’a jamais lu. A vrai dire, je ne me le demande pas : il est illisible. Ainsi le désastre social est-il à l’horizon !
Pour tous ceux qui se font une certaine idée de la France, enracinés dans la certitude maintes fois vérifiée qu’elle est presque par nature dressée contre toute hégémonie, parce qu’elle s’appelle liberté, comment le traité de Lisbonne ne les ferait-il pas frémir ? Il faudrait donc qu’avant toute initiative sur la scène internationale - article 17 bis - la France consulte le Conseil Européen ou le Conseil des ministres des Affaires Etrangères présidé par le « Haut représentant » de l’Union pour la politique étrangère et de sécurité ? De même - article 19 - faudrait-il demander au Conseil de Sécurité de l’ONU l’audition du « Haut représentant » avant que la France fasse connaître sa position ?
Ainsi corsetée, notre diplomatie serait réduite au silence ! Imagine-t-on qu’en 2003, par exemple, ligotée dans l’Europe à vingt-sept par de telles obligations, la France eût pu faire connaître son opposition à l’invasion de l’Irak ? Non, évidemment la France n’aurait pas pu aller ainsi, à la fois contre les Etats-Unis et contre l’Union européenne. A quoi riment donc ces dispositions, sinon à faire taire la voix de la France ? C’est de cela dont les Etats-Unis ont besoin : d’une Europe soumise et d’une France réduite au silence. Et c’est cela que M. Sarkozy accorde à l’Hyperpuissance, non pas seulement un alignement de principe, toujours réversible dans un pays démocratique mais beaucoup plus que cela : c’est l’assurance d’un acquiescement automatique de l’Union européenne à toutes les décisions américaines dans un monde que les Etats-Unis ne peuvent plus dominer seuls. Soyons clairs : dans l’Europe de Lisbonne, il n’y aura plus de place pour la voix d’une France libre et indépendante. Si les Etats-Unis décident demain de frapper l’Iran, l’Union européenne bénira !
Lisons plus avant le traité de Lisbonne, article 23 : la défense européenne n’existera que « conforme aux engagements souscrits dans le cadre de l’OTAN par les pays qui en sont membres et qui ont choisi d’en faire le cadre d’élaboration de leur défense et l’instance de sa mise en œuvre ». Ce texte a au moins un mérite : il est cohérent avec le souhait formulé par M. Sarkozy de faire réintégrer par la France les structures militaires de l’OTAN, dont le général de Gaulle nous avait fait sortir en 1964.
Or, la France a-t-elle moins besoin aujourd’hui qu’hier d’une défense indépendante, dans un monde devenu multipolaire et pas simplement bipolaire ? Certainement pas ! Plus que jamais nous avons besoin de ne pas nous laisser entraîner dans des guerres qui ne seraient pas les nôtres. Evidemment tout cela ne rime pas avec la diplomatie de l’ingérence, soi-disant humanitaire mais si souvent inhumanitaire. Et comme on n’a jamais vu les faibles s’ingérer dans les affaires des forts, nous voici mis à la remorque de l’Hyperpuissance. M. Sarkozy pendant la campagne nous a beaucoup parlé de Guy Mocquet, ce héros de la Résistance, mais c’était pour nous faire oublier de Gaulle et pour nous faire découvrir l’Amérique, ou plutôt l’Euramérique, bref l’Europe des Etats-Unis à laquelle rêvent depuis si longtemps nos élites fatiguées.
Voilà donc le traité de Lisbonne : la France diminuée, ligotée, la démocratie garrottée, le monde du travail livré sans défense au capital financier. Ce destin est-il fatal ? L’Europe précipitée au siècle dernier de son piédestal, est-elle vouée à un déclin irrémédiable que ne camouflera pas longtemps une servitude volontaire ?
Car le vent de la révolte se lèvera ! C’est pourquoi, aujourd’hui, il faut qu’il y ait une résistance ! C’est pourquoi il est important que des républicains unissent leurs forces par-delà les sectarismes pour dire non à la Constitution bis, non à l’esbroufe, non à ceux qui veulent bafouer la démocratie.
Ce n’est pas avec le traité de Lisbonne que nous ouvrirons la voie d’une France libre et juste, pour construire une Europe européenne, c’est-à-dire indépendante. En gardant la confiance du peuple, nous bâtirons au contraire un recours républicain. D’autres configurations apparaîtront en France et en Europe. C’est avec notre volonté que nous bâtirons ces nouvelles configurations au service d’une Europe européenne, avec la confiance retrouvée du peuple dans son destin, dans la démocratie et dans les destinées de la France, avec la République ! Rien n’est réglé ! Tout commence !
Si, comme s’en flatte le président de la République, une base juridique existe désormais pour une directive concernant les services d’intérêt général, la Commission vient de faire savoir qu’elle n’avait pas l’intention de prendre une telle directive ! Nouvelle mystification !
Enfin si le traité de Lisbonne ne reprend pas la troisième partie du projet de Constitution relative au contenu des politiques, c’est tout simplement parce que les traités antérieurs auxquels il s’intègre, comportent par définition ces dispositions. Le corpus d’ensemble a la même valeur juridique, de Rome à Lisbonne, en passant par Luxembourg, Maastricht, Amsterdam et Nice. Qu’on ne nous fasse pas prendre des vessies pour des lanternes !
M. Sarkozy ne peut donc prétendre, comme il l’a fait dans son discours de Strasbourg, le 2 juillet 2007, avoir réalisé la synthèse du « oui » et du « non » et le dépassement des contradictions. Car il n’est pas vrai que dans le traité de Lisbonne, « l’Europe, comme il le prétend, se donne les moyens d’agir et de se protéger ». Au contraire ! M. Sarkozy, comme nous le verrons, a avalé la substance de la Constitution sans obtenir en échange aucune contrepartie ! M. Sarkozy n’est donc aucunement fondé à soutenir que son élection à la Présidence de la République, le 6 mai 2007, lui donne les mains libres pour réinterpréter – que dis-je ? – pour bafouer la volonté du peuple français, clairement exprimée le 29 mai 2005.
Au demeurant, aucune procédure de révision constitutionnelle n’est aussi contraignante que l’obligation de réunir l’unanimité des vingt-sept Etats signataires pour modifier le texte des traités. Nous sommes enfermés dans un carcan dont il ne sera pas possible de se défaire à moins d’une révolution bien improbable à l’échelle des vingt-sept, sauf à quitter l’Union européenne.
Pour faire accepter la ratification par la voie parlementaire du traité de Lisbonne qui reprend, comme l’avait souhaité Madame Merkel, la « substance de la Constitution », M. Sarkozy use d’un subterfuge grossier : il prétend avoir couvert par son élection à 53% de voix comme président de la République, le non-respect du parallélisme des formes : en effet ce qui a été rejeté par référendum ne devrait pouvoir être rétabli que par la voie du suffrage universel. Ainsi en est-il expressément stipulé par la Constitution italienne et même par celle de l’Etat de Californie. Telle n’est pas l’interprétation de M. Sarkozy. Celui-ci pendant la campagne présidentielle a bien annoncé l’adoption d’un traité simplifié par la voie parlementaire. C’est vrai ! Mais ce n’est pas un traité simplifié qu’il nous propose aujourd’hui : 256 pages au total, un empilement d’articles modifiant les traités existants. C’est un traité complexifié à l’excès, illisible même par des parlementaires chevronnés !
Le mot de traité simplifié n’est encore employé que par quelques thuriféraires zélés de l’actuelle majorité. Le Conseil européen, à juste titre, n’a pas utilisé cette expression mais celle de « traité modificatif ». M. Sarkozy annonçait un « mini traité » : c’est une maxi-traîtrise !
Il y a en effet une règle en démocratie : c’est la souveraineté du Peuple. Ne pas respecter la souveraineté populaire constitue un véritable déni de démocratie, l’équivalent de ce que le professeur Anne-Marie Le Pourhiet a appelé un « coup d’Etat ». Le Président de la République nous objecte que la voie parlementaire est employée dans la plupart des autres pays européens. Mais il n’y a qu’en France, aux Pays-Bas et en Espagne qu’on a précédemment demandé au peuple de se prononcer par la voie du référendum.
Assez de tours de passe-passe ! Le parallélisme des formes exige le référendum ! La seule question à se poser est de savoir s’il est possible d’imposer au Président de la République d’en passer par un référendum. La réponse s’impose à quiconque a examiné les textes et pris au sérieux les engagements des différents candidats à la récente élection présidentielle : oui cette possibilité existe !
II – Il est possible d’imposer à M. Sarkozy la voie du référendum.
L’article 88-1 a été révisé par prétérition pour permettre la ratification de la Constitution européenne depuis lors rejetée par le peuple. Le Conseil Constitutionnel avait considéré, par une décision du 19 novembre 2004, que de nombreuses clauses du traité constitutionnel « affectaient les conditions essentielles d’exercice de la souveraineté nationale », notamment des transferts de compétence en matière de contrôle aux frontières et de coopération judiciaire, civile ou pénale privant ainsi la France de tout pouvoir propre d’initiative, ou encore l’extension des domaines régis par le vote à la majorité qualifiée ou conférant une fonction décisionnelle au Parlement européen lequel –je cite– « n’est pas l’émanation de la souveraineté nationale ».
Le Conseil Constitutionnel avait donc exigé une révision préalable de la Constitution, révision à laquelle il a été procédé. Mais cette révision est devenue caduque par la volonté du peuple français, car elle visait expressément la Constitution européenne, je cite l’article 88-2, deuxième alinéa de notre Constitution : « La France peut participer à l’Union européenne dans les conditions prévues par le traité établissant une Constitution pour l’Europe signé le 29 octobre 2004 ». Patatras ! Le 29 mai 2005 le peuple français a mis bas ce bel édifice !
Il faut tout recommencer. Consulter d’abord le Conseil Constitutionnel sur le traité de Lisbonne. Il est fort à prévoir que pour les mêmes raisons que précédemment, le Conseil demandera la révision de la Constitution afin d’autoriser la ratification du traité de Lisbonne. C’est alors que le Président de la République devra convoquer les Assemblées parlementaires puis le Congrès pour modifier l’article 88-1.
Mais comme le stipule l’article 89 de la Constitution relatif à la révision, celle-ci - à défaut d’être approuvée par la voie référendaire qui est le mode normal de révision - doit réunir la majorité des trois cinquièmes des suffrages exprimés au Congrès. Les deux cinquièmes du Congrès, à supposer que tous les parlementaires votent, cela fait 363 voix. Or cette minorité de blocage existe si tous les parlementaires se souviennent des engagements qu’ils ont pris à travers les candidats qu’ils ont soutenus pendant la campagne présidentielle.
La gauche et les Verts ont 352 élus à l’Assemblée et au Sénat. Deux non inscrits à l’Assemblée appartenant à « Debout la République » et deux non-inscrits au Sénat, militant pour un référendum. Trois députés du Modem se souviendront que leur chef s’était lui aussi prononcé pour un référendum. Enfin, je n’ose pas croire que les sénateurs et députés de l’UMP qui se sont toujours dits « souverainistes » (je pense par exemple à MM. Pasqua, Guillet, Myard et d’autres encore) puissent se laisser aller à approuver un projet de révision constitutionnelle si contraire à la souveraineté nationale.
En comptant bien, j’ai trouvé les 363 parlementaires qui peuvent faire obstacle à cette révision. Les Républicains comptent sur eux. Nous comptons sur leur courage, sur leur respect de la démocratie. Nous ne leur demandons même pas ce qu’ils pensent sur le fond du traité. Là n’est pas la question qui sera posée aux Assemblées parlementaires et au Congrès réuni à Versailles. La question sera beaucoup plus simple, ce sera une question préjudicielle : la représentation nationale va-t-elle couvrir l’intention du Président de la République de s’asseoir sur le suffrage universel ? Va-t-elle à son tour piétiner la démocratie ?
A tous ces parlementaires, et aussi aux autres d’ailleurs, je demande : comment pourriez-vous demain déplorer la crise de la démocratie, le fossé entre le peuple et les élites, l’abaissement du Parlement, si vous deviez vous-mêmes consacrer par votre vote le droit du Président de la République de déclarer nul et non avenu un vote référendaire aussi explicite que celui du 29 mai 2005 ? Songez-y : à quelles crises futures exposeriez-vous ainsi la démocratie en France et à quel discrédit soumettriez-vous une construction européenne, non seulement coupée des peuples, mais retournée contre eux et particulièrement contre le peuple français et le peuple hollandais. Or ces deux peuples sont deux des six des peuples fondateurs ayant engagé en 1957, par le traité de Rome, cette construction européenne. Combien fragiliseriez-vous encore l’édifice !
Je sais bien que le bureau national du PS s’est prononcé au fond par une majorité nette mais nullement écrasante, tout en laissant la liberté de vote aux parlementaires. Mais ce n’est pas de cela qu’il s’agit : c’est une question préjudicielle qui est posée : « Faites-vous, ou non, fi de la démocratie telle qu’elle s’est exprimée par la voix du référendum populaire, c’est-à-dire par la voix du Souverain lui-même, le Peuple, dont vous êtes les représentants » ?
Je rappelle aux parlementaires socialistes l’engagement pris par leur parti dans son projet adopté à l’unanimité en 2006 de soumettre tout nouveau traité institutionnel à référendum, engagement repris par leur candidate pendant la campagne présidentielle de 2007. On ne peut pas en appeler au peuple pour construire une opposition républicaine à M. Sarkozy et dans le même temps s’asseoir non seulement sur les engagements pris à son égard mais encore sur sa volonté même. Par son vote au Congrès le parti socialiste dira s’il est un parti d’opposition républicaine ou si MM. Kouchner et Jouyet n’étaient au fond que ses éclaireurs de pointe dans sa conversion au libéralisme. Je me refuse à croire que le PS fera ainsi la courte échelle à M. Sarkozy !
Ce rappel vaut aussi pour M. Bayrou et pour les parlementaires du Modem. Vous aussi vous préconisiez un nouveau référendum il y a sept mois de cela. L’auriez-vous oublié. Vous dites « vouloir l’Europe ». Mais voulez-vous l’Europe contre la démocratie ? Et croyez-vous ainsi pouvoir un jour constituer un recours ?
Le Comité national pour le Référendum et bien d’autres forces se sont réunis pour rappeler aux électeurs et par conséquent aux parlementaires que le peuple français a la mémoire longue. Il se souviendra de ceux qui l’auront respecté mais aussi de ceux qui lui auront manqué !
J’ose enfin espérer que beaucoup de parlementaires de la majorité, en conscience, ne prendront pas part au vote. Car la question préjudicielle qui est posée dépasse les clivages habituels : elle est, en effet, celle de la démocratie elle-même. Et si les courageux n’étaient pas assez nombreux pour réunir les deux cinquièmes des suffrages exprimés, j’ose espérer encore que, comme en juillet 1940, ils seraient plus que 80 à s’opposer !
III – Le fond : la France diminuée et ligotée, la démocratie garrottée, le monde du travail livré au capital financier.
Et voilà que je suis obligé d’en venir au fond car, à travers le traité de Lisbonne, c’est de l’indépendance nationale, de la démocratie, de la prospérité et de l’avenir même de notre pays qu’il s’agit. Il n’y a en effet aucune des critiques faites au défunt projet de Constitution européenne qui ne puisse être faite au traité de Lisbonne.
D’abord une chose qui n’est jamais dite, mais qui est peut-être la plus importante : la France, à compter de 2014, va perdre 25 % de son poids par rapport à l’Allemagne par le fait de la prise en compte de la démographie dans les votes au Conseil. Et cela au mépris de l’engagement initial pris par le Chancelier Adenauer en 1951 vis-à-vis de Jean Monnet. Celui-ci lui déclarait le 4 avril 1951 : « Je suis autorisé à vous proposer que les rapports entre la France et l’Allemagne soient régis par le principe d’égalité au Conseil comme à l’Assemblée et dans les institutions européennes actuelles ou ultérieures, que la France y entre seule ou avec l’Union française, que l’Allemagne soit celle de l’Ouest ou qu’elle soit réunifiée … L’esprit de discrimination a été la cause des plus grands malheurs du monde. La Communauté est un effort pour le faire reculer ».
« Vous savez, lui répondit le Chancelier Adenauer, combien je suis attaché à l’égalité des droits pour mon pays dans l’avenir, et quelle condamnation je porte sur les entreprises de domination où il a été entraîné par le passé. Je suis heureux de donner mon plein accord à votre proposition, car je ne conçois pas de Communauté hors de l’égalité totale ». Ces propos figurent dans les Mémoires de Jean Monnet, aux éditions Fayard, pages 414 et 415.
Or cette égalité entre la France et l’Allemagne est dans l’intérêt de l’Europe elle-même. La relation franco-allemande est fondamentale. Mais pour aller de l’avant, elle doit être équilibrée. Car cette relation indispensable n’est pas aussi facile que le disent les faiseurs de chimères. Faut-il évoquer les relations industrielles ? Elles sont tapissées de conflits : Sanofi-Aventis, EADS, Siemens-Alstom, Galileo. La politique monétaire ? La politique budgtétaire ? Madame Merkel, peu après son arrivée à la Chancellerie, a déclaré vouloir « mettre l’Allemagne au sommet de l’Europe ». De son côté, M. Sarkozy, dans son discours de Strasbourg du 2 juillet dernier, nous conte maintes fariboles sur l’euro cher, le gouvernement économique de la zone euro ou sur la protection communautaire. Ces fariboles l’autorisent – croit-il – à proclamer : « La France est de retour ! ». En réalité, M. Sarkozy a lâché la proie pour l’ombre.
Ajouterai-je qu’à partir de 2014, la France pourra se voir privée de représentant à la Commission, en vertu du « principe de rotation strictement égalera entre les Etats » pour la désignation des Commissaires ? La France égale Malte ! Et tout cela, toutes ces réformes institutionnelles sous le fallacieux prétexte de sortir du traité de Nice pour adopter le fonctionnement des institutions européennes à l’Europe élargie à vingt-sept ! Mais si tout cela était vrai, on n’aurait pas remis à 2014 la pondération démographique des votes au Conseil. Ou alors faut-il croire qu’on a pris son parti de l’immobilisme pendant les six prochaines années et peut-être même jusqu’en 2017 ? L’hypocrisie triomphe : en réalité, le traité de Nice a bon dos : ses pires détracteurs sont paradoxalement ceux qui l’ont signé. Nos dirigeants n’ont pas osé s’appuyer sur le « non » du peuple français pour défendre ses intérêts légitimes. Tout cela a un nom : cela s’appelle le renoncement de la France.
Le traité de Lisbonne fait reculer la France et il fait reculer la démocratie. Les nouvelles compétences partagées définies par les articles 3 à 6 le sont inégalement. Il est clairement énoncé qu’en ces domaines, très nombreux et importants, les Etats membres exercent leurs compétences quand l’Union a cessé d’exercer les siennes ou a décidé de ne plus les exercer. D’immenses domaines relèveront désormais de deux instances oligarchiques : la Commission à laquelle nous abandonnerons plus encore le droit d’initiative et la Cour de Justice chargée d’interpréter la Charte des droits fondamentaux, au détriment pour l’essentiel du Parlement français.
Dans quarante nouveaux domaines, le vote au Conseil interviendra à la majorité qualifiée et sera couvert par l’illusoire co-décision d’un Parlement fantôme, dépourvu de légitimité, en l’absence d’un peuple européen.
Avec la démocratie, ce sont les droits des travailleurs qui reculent. La logique du capitalisme financier aujourd’hui dominant dans le système de la globalisation est naturellement contraire à l’intérêt des peuples européens. La mise en concurrence des territoires et des mains d’œuvre qui est le cœur de la philosophie des traités européens à l’intérieur comme vis-à-vis des pays tiers, entraîne délocalisations, chômage, stagnation des salaires et du pouvoir d’achat, démantèlement de la protection sociale. En échange de toutes les concessions qu’il a faites, M. Sarkozy n’a rien obtenu à Lisbonne.
Où a-t-il vu, comme il le déclarait à Strasbourg le 2 juillet dernier, que l’Europe à Lisbonne se soit donné « les moyens d’agir et de se protéger » ? « De ne pas accepter sa désindustrialisation, de ne pas rester les bras croisés devant les délocalisations, de lutter contre les dumpings, d’instaurer une préférence communautaire, de mettre en œuvre des politiques industrielles » ?
M. Sarkozy dit avoir fait la synthèse entre le « oui » et le « non », « en mettant l’euro au service de la croissance et de l’économie. » « Nous n’avons pas créé la deuxième monnaie du monde – je le cite – pour ne pas nous en servir ». Mais tout le monde peut constater que depuis que M. Sarkozy a été élu, l’euro s’est renchéri de dix centimes de dollars, passant de 1,38 à 1,48 dollar. Or que dit le traité de Lisbonne à ce sujet ? Rien de neuf s’agissant de la Banque Centrale européenne qui guerroie toujours - en toute indépendance - contre les moulins de l’inflation et maintient ses taux d’intérêt tandis que le Federal Reserve Board baisse les siens de manière répétée. Et l’Eurogroupe ? Le traité de Lisbonne, comme la Constitution européenne, le définit toujours comme « instance informelle », seulement habilitée à « discuter » -je cite- les questions relatives à la monnaie unique qui n’incombent pas à la Banque Centrale, c’est-à-dire sur rien. Là est la vraie, l’immense contradiction du Président Sarkozy, le volontarisme en bandoulière mais pieds et poings liés par un traité de Lisbonne dont je me demande s’il l’a jamais lu. A vrai dire, je ne me le demande pas : il est illisible. Ainsi le désastre social est-il à l’horizon !
Pour tous ceux qui se font une certaine idée de la France, enracinés dans la certitude maintes fois vérifiée qu’elle est presque par nature dressée contre toute hégémonie, parce qu’elle s’appelle liberté, comment le traité de Lisbonne ne les ferait-il pas frémir ? Il faudrait donc qu’avant toute initiative sur la scène internationale - article 17 bis - la France consulte le Conseil Européen ou le Conseil des ministres des Affaires Etrangères présidé par le « Haut représentant » de l’Union pour la politique étrangère et de sécurité ? De même - article 19 - faudrait-il demander au Conseil de Sécurité de l’ONU l’audition du « Haut représentant » avant que la France fasse connaître sa position ?
Ainsi corsetée, notre diplomatie serait réduite au silence ! Imagine-t-on qu’en 2003, par exemple, ligotée dans l’Europe à vingt-sept par de telles obligations, la France eût pu faire connaître son opposition à l’invasion de l’Irak ? Non, évidemment la France n’aurait pas pu aller ainsi, à la fois contre les Etats-Unis et contre l’Union européenne. A quoi riment donc ces dispositions, sinon à faire taire la voix de la France ? C’est de cela dont les Etats-Unis ont besoin : d’une Europe soumise et d’une France réduite au silence. Et c’est cela que M. Sarkozy accorde à l’Hyperpuissance, non pas seulement un alignement de principe, toujours réversible dans un pays démocratique mais beaucoup plus que cela : c’est l’assurance d’un acquiescement automatique de l’Union européenne à toutes les décisions américaines dans un monde que les Etats-Unis ne peuvent plus dominer seuls. Soyons clairs : dans l’Europe de Lisbonne, il n’y aura plus de place pour la voix d’une France libre et indépendante. Si les Etats-Unis décident demain de frapper l’Iran, l’Union européenne bénira !
Lisons plus avant le traité de Lisbonne, article 23 : la défense européenne n’existera que « conforme aux engagements souscrits dans le cadre de l’OTAN par les pays qui en sont membres et qui ont choisi d’en faire le cadre d’élaboration de leur défense et l’instance de sa mise en œuvre ». Ce texte a au moins un mérite : il est cohérent avec le souhait formulé par M. Sarkozy de faire réintégrer par la France les structures militaires de l’OTAN, dont le général de Gaulle nous avait fait sortir en 1964.
Or, la France a-t-elle moins besoin aujourd’hui qu’hier d’une défense indépendante, dans un monde devenu multipolaire et pas simplement bipolaire ? Certainement pas ! Plus que jamais nous avons besoin de ne pas nous laisser entraîner dans des guerres qui ne seraient pas les nôtres. Evidemment tout cela ne rime pas avec la diplomatie de l’ingérence, soi-disant humanitaire mais si souvent inhumanitaire. Et comme on n’a jamais vu les faibles s’ingérer dans les affaires des forts, nous voici mis à la remorque de l’Hyperpuissance. M. Sarkozy pendant la campagne nous a beaucoup parlé de Guy Mocquet, ce héros de la Résistance, mais c’était pour nous faire oublier de Gaulle et pour nous faire découvrir l’Amérique, ou plutôt l’Euramérique, bref l’Europe des Etats-Unis à laquelle rêvent depuis si longtemps nos élites fatiguées.
Voilà donc le traité de Lisbonne : la France diminuée, ligotée, la démocratie garrottée, le monde du travail livré sans défense au capital financier. Ce destin est-il fatal ? L’Europe précipitée au siècle dernier de son piédestal, est-elle vouée à un déclin irrémédiable que ne camouflera pas longtemps une servitude volontaire ?
Car le vent de la révolte se lèvera ! C’est pourquoi, aujourd’hui, il faut qu’il y ait une résistance ! C’est pourquoi il est important que des républicains unissent leurs forces par-delà les sectarismes pour dire non à la Constitution bis, non à l’esbroufe, non à ceux qui veulent bafouer la démocratie.
Ce n’est pas avec le traité de Lisbonne que nous ouvrirons la voie d’une France libre et juste, pour construire une Europe européenne, c’est-à-dire indépendante. En gardant la confiance du peuple, nous bâtirons au contraire un recours républicain. D’autres configurations apparaîtront en France et en Europe. C’est avec notre volonté que nous bâtirons ces nouvelles configurations au service d’une Europe européenne, avec la confiance retrouvée du peuple dans son destin, dans la démocratie et dans les destinées de la France, avec la République ! Rien n’est réglé ! Tout commence !